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n° 16086Fiche technique35596 caractères35596
Temps de lecture estimé : 20 mn
09/03/14
corrigé 10/06/21
Résumé:  "Ou comment un matériau réagit, se déforme ou se rompt sous l'effet d'une exposition prolongée à la chaleur."
Critères:  f fh hplusag collègues profélève travail dispute fellation pénétratio fsodo
Auteur : Lizbeth      Envoi mini-message
Essais de résistance à la chaleur



Il faisait nuit, et je n’avais qu’une hâte : qu’il arrête d’hésiter. Au-dessus, le néon lança un éclair blanc.

Je m’impatientai.



Celui qui hésitait tant, et qui ne disait « non » qu’en mâchouillant des « je sais pas », c’était mon directeur de thèse. Surdiplômé, et à la confiance d’un étudiant de licence. Bon, cela faisait maintenant presque trois ans qu’il dirigeait mes recherches et je n’avais pas eu à m’en plaindre, si ce n’est au sujet de ce manque affligeant et chronique d’affirmation de soi. Ce soir, j’étais à fleur de peau, vidée, au bout du rouleau. Je soutenais dans trois mois. Je n’avais plus rien dans mon frigo. Le week-end allait être un long fleuve de boulot. Et pour couronner le tout, j’avais mes règles.



Oui, je le tutoyais depuis bientôt un an. Je crois que ça venait de cette soirée labo qu’un collègue avait organisée, et où nous avions découvert que nous étions originaires du même bled de l’Aude… Pas de quoi défriser un caniche, en soi. Mais le fait est que nous nous étions retrouvés à devoir entonner ensemble une chanson traditionnelle en occitan, à la demande expresse de notre chef de labo, après cinq ou six verres de punch. Fabuleux de ridicule.



Je me dirigeai vers la sortie de son bureau et il se leva pour m’accompagner. Soudain, je fis volte-face et me retrouvai étonnamment proche de lui, qui s’appuyait négligemment dans l’embrasure de la porte.



Je minaudais innocemment, bien que le sachant, de toute façon, insensible à toute provocation.



Un homme.

Un homme… disons… « normal ».

Un homme « normal » aurait sans doute rétorqué : « Et pourquoi donc, je te les prêterais, ces clefs ? » ou bien « Tu sais bien que tu ne peux faire tes tests qu’en ma présence » ou bien « Si tu veux, je t’accompagne ». Un homme « normal » aurait forcément mûri l’une de ces phrases-là parce qu’en vérité, je m’étais épuisée pendant plusieurs mois à essayer de le séduire, sans succès. Non sans résultat, car je sentais qu’il n’était ni insensible, ni impuissant. Il répondait, parfois, maladroitement, innocemment, inconsciemment, à mes assauts. Mais jamais de façon assez concluante pour me laisser espérer un peu d’action, un peu de jeu. Philippe était définitivement mou. Et je m’y étais faite. Mon ego souffrait toujours de cet échec cuisant : cela m’exaspérait au plus haut point.


Pourtant, il n’avait rien d’un séducteur ou d’un pack de phéromones, rien qui puisse expliquer mon obsession, mise à part son innocente persistance à me résister. Il était plutôt mince, comme un ado qui aurait oublié d’en arriver à une morphologie d’adulte, quoi qu’ayant sans aucun doute une quinzaine d’années de plus que moi. Ses chemises étaient inlassablement trop grandes pour lui, et ses jeans, toujours les mêmes. Pourtant, il avait de belles mains, et des yeux plutôt pétillants, derrière ses lunettes. Ses cheveux étaient ébouriffés non par style, mais par négligence : c’était sa seule fantaisie.

Il me tendit le trousseau, j’emportai ses doigts au passage.



Il eut un rire nerveux.



Oh, oh. Une ouverture ? Je levai un sourcil.



Oui, parfois, il bégayait. Je lui aurais volontiers rétorqué d’arrêter de se la jouer mijaurée.



Certes, j’exagérais. La barrière directeur-élève avait complètement sauté. Cela m’était égal : dans trois petits mois, je n’aurais de toute façon plus à le croiser, ni à croiser personne ici. Il fallait que je l’aie.




—ooOoo—




Ayant poussé la porte de mon studio, je jetai négligemment ma sacoche sur le sofa et me versai un verre de vin rouge. Les pieds sur le dictionnaire des synonymes, sur la table basse, j’allumai la télévision.

J’avalai une gorgée. J’étais toujours énervée.


Est-ce que ce mec pouvait bander ? La question était en fait : est-ce que je pouvais le faire bander ? Est-ce qu’il bandait en pensant à moi ? Sans rire, est-ce qu’il se tripotait ? Parce que moi, je n’hésitais pas à me tripoter en pensant à lui. D’ailleurs, c’est ce que j’aurais fait si mon téléphone n’avait pas vibré, dans ma poche.


Une facture. Superbe. J’avais espéré, un instant, que ce SMS viendrait de lui, puisqu’il avait semblé vouloir se détendre, ce soir. Fantasme, pur fantasme.

Peut-être… peut-être qu’il fallait simplement que je range mon ego et que je tente le coup. Avant la soutenance, c’était dangereux, mais je m’ennuyais et mon cerveau était épuisé.

Je saisis mon smartphone et décidai de la jouer stressée.


« Excuse-moi de te déranger si tard. Angoisse. Reste une partie à relire, tout a l’air bancal. Enfer. Tu connais ? »


Une pointe d’excitation, mêlée à de la crainte, fit frémir mon estomac. Je ne lui avais que rarement écrit des SMS. Peut-être même jamais. Je ne m’en souvenais pas. Bon. Il ne semblait pas vouloir répondre.


Finalement, j’abandonnai et ôtai un à un chacun de mes vêtements pour me changer et aller me coucher. Je m’aperçus dans la glace. Non, franchement. Je n’étais quand même pas si moche. Sur le canapé, le portable vibra et, dans un mouvement réflexe, et comme si on pouvait me voir, je masquai mes seins de la main droite.


« J’ai écrit une thèse, aussi. Repose-toi. »


Bon, une réponse on ne peut plus correcte, Docteur. Je poussai un soupir désespéré. Le jeu, ça n’était pas pour ce soir. Tant pis, ou tant mieux.


« Détends-toi »


Mes yeux s’écarquillèrent. J’étais complètement nue. Et il me demandait de me détendre. De quoi mettre la machine en route… J’aurais pu me satisfaire de cette réponse.


« Tu as des astuces pour ça ? », écrivis-je.


Je me levai pour fermer le store et éteindre la télévision. En imaginant ce qu’il pouvait se passer de l’autre côté de la fibre, je lançai un soupir. Peut-être qu’il était rentré chez lui, ou peut-être pas. Peut-être qu’il était… sur son sofa, avec un verre de rouge, une clope, sur le point de se mettre en pyjama ou bien de…


« Dors, ou… »


Je n’eus pas le loisir de m’attarder sur le fait qu’il avait enfin mordu à l’hameçon. Je restai bouche bée.


« Ou ? »


Mes doigts glissèrent entre mes cuisses, effleurant les plis déjà humides, trempant mon clitoris, agaçant la peau, fragile, de mes tissus déjà gonflés d’envie. Est-ce que sa voix pouvait devenir rauque, quand il était excité ? Est-ce qu’il pouvait être pressant et empressé ? J’accélérai le mouvement, prenant de plus amples respirations, bloquant mon souffle, gémissant, alors que tout était de plus en plus humide, de plus en plus trempé, de plus en plus brûlant. Sa bouche, j’aurais volontiers dévoré sa bouche et mordu dans la chair de ses épaules, et j’aurais bien voulu sentir ses doigts à la place des miens, ou sa langue. Il pouvait sûrement parfaitement lécher une chatte, avec toute la délicate violence propre à l’excitation. Il pouvait aussi peser sur moi, en m’embrassant comme s’il avait voulu avaler ma langue, ou respirer avec mon souffle, et me pénétrer, violemment, passionnément, pour me remplir complètement. J’étouffai un gémissement et fermai les yeux à en avoir les paupières douloureuses pendant que, dans un dernier « Philippe » murmuré, la délicate alchimie de l’orgasme diffusait ses molécules calmantes dans tout mon bas ventre, et jusqu’à mes méninges.

Je m’assoupis quelques minutes, avant d’être réveillée par une nouvelle sonnerie.


« Ou bien sors, prends un verre, pense à autre chose. »


Il s’était peut-être dégonflé, mais j’eus un sourire en tirant un plaid sur mes épaules : il ne savait pas que, grâce à lui, j’avais décroché un bien bel orgasme.


« Bonne nuit, Philippe. Merci. »


Il ne saurait sûrement pas non plus pourquoi je le remerciais, mais j’aurais aimé savoir, moi, s’il avait vécu, en parallèle, la même parenthèse.




—ooOoo—




Pas de rouge, pas de vert. Une robe noire ? Non, plutôt bleu nuit. C’était plus classe, et plus sage aussi. Après tout, je ne savais pas vraiment où je mettais les pieds, dans cette « Soirée de remise des diplômes de Master 2012-2013 – Filière textile et fibres ».

Je n’avais pas recroisé Philippe depuis qu’il m’avait invitée à participer à cette soirée. J’avais seulement reçu un mail, avec une suggestion de remise en page et un rappel pour ce soir.


Le hall de l’université était bondé, et je n’avais plus l’habitude de porter des robes. Pour ne pas faire complètement nunuche, j’avais passé un trench sur mes épaules. Au loin, je crus repérer Philippe. Finalement, non, c’était sûrement un diplômé. « Ah, pas de lapin ce soir, mon gars ! » : ici, je ne connaissais plus grand monde. Fronçant les sourcils, je me dirigeai vers un petit groupe. Et cette fois-ci, je ne m’y trompais pas.



Il me présenta comme sa seule doctorante, cette année, en glissant une main au bas de mon dos. J’avais dû me raidir, car il la retira aussi rapidement qu’il avait osé l’y déposer. J’étais abasourdie par son allure. C’était la première fois que je le voyais en costume : veste et pantalon noirs, chemise prune, ouverte. Pour couronner tout ça, il parlait presque avec assurance et il avait abandonné ce port de tête qui le faisait se tenir comme un géant qui se courbe pour passer une porte.


Passer de groupe en groupe et serrer des paluches, ça n’était pas vraiment ma tasse de thé, mais il fallait le faire. Il fallait aussi subir les regards presque indécents de certains vieux cracks qui se croyaient assez magnétiques pour pouvoir embaucher, reluquer, et serrer des minettes prêtes à tout pour bosser tout en haut. Plusieurs fois dans ce début de soirée, je sentis les doigts de Philippe au creux de mes reins. Le geste aurait pu paraître déplacé : il était, en réalité, assez rassurant. Il salua une connaissance à lui, aussi venue avec son doctorant : un italien plutôt pas mal, qui travaillait sur les architectures textiles à Milan.



La conférence, c’était une de ces présentations interminable et faussement élogieuse non des élèves, mais du fabuleux taux de réussite que la fac s’attribuait sur le dos de ses diplômés. Rien de très folichon, finalement. Pas une info inédite, pas un dérapage pour se marrer un peu.


À la sortie, je m’approchai discrètement de la table aux petits fours, prenant une position stratégique, pour éviter d’avoir à faire face aux requins affamés qui se planteraient devant les plateaux et se serviraient jusqu’à les vider. J’apportai une part de pizza à mon directeur de recherche, occupé à débattre avec un prof de la fac’, lui aussi italien, qui semblait vouloir tenter de l’impressionner en remuant frénétiquement bras et mains.


Après une bonne heure de cirage de pompes à droite, à gauche, la musique se mit en marche, et l’atmosphère se fit un poil plus chaleureuse. Je fus invitée à danser par Marco, cet étudiant italien avec qui j’avais causé quelques minutes plus tôt. Mon directeur de thèse, lui, était resté vissé sur sa chaise, un verre de blanc à la main. Morose. Je ne m’en étais pas vraiment rendue compte.


Le punch faisait son effet : j’avais le sixième entre mes doigts. Mon corps commençait à faire des mouvements de son plein gré, et je le laissai faire en parfaite spectatrice. Cet italien était définitivement plus chaud qu’il n’avait paru au premier abord. Sa main était à peine au-dessus de mes fesses, son visage tout près du mien, prêt à conclure. Son sourire était vraiment, vraiment prometteur. J’aimais bien les italiens. Maintenant, son bas-ventre était appuyé contre le mien. C’est alors que je vis Philippe faire son apparition dans mon champ de vision réduit. Il balança deux ou trois mots au jeune mâle qui s’en alla plus loin voir s’il y était. J’avais un sourire niais.



Tiens, première nouvelle. Je m’amusais bien, moi, jusqu’à ce qu’il décide de débarquer en faisant une pseudo crise de jalousie. C’était la première fois que je me détendais depuis un bon moment, et il avait tout foutu en l’air.



J’avais eu envie de lui balancer : « Alors ça, c’est loin d’être toi qui décides, mon grand ».



D’un coup, j’avais honte. Il sentait un peu l’alcool, mais sûrement moins que moi.



J’avais rarement expérimenté le Philippe déçu ou énervé, je l’avais seulement aperçu à quelques rares occasions, et je n’avais pas eu envie de m’y frotter. Il faut croire que l’heure était venue. Et soudain, je fus triste.


Sans que je me souvienne comment il m’avait conduite sur le parking, je le voyais maintenant fourrager énergiquement dans sa poche pour trouver les clefs de sa Citroën, une cigarette au coin des lèvres.



En fait, c’était débile de s’excuser. C’est moi, qui me mettais dans la panade, et moi toute seule. Je crois que ce fut à ce moment-là que je commençai à pleurer. En fait, une partie de moi hésitait à me gifler, l’autre déprimait d’avoir été aussi pitoyable, et une dernière se disait que, même si c’était bien fait pour moi, j’avais bien le droit de m’amuser. Merde.


Durant le trajet, il resta silencieux pendant que moi, je me recroquevillais dans le siège passager comme pour y disparaître. Le type qui conduisait, c’était mon directeur de recherches. Ça n’était pas mon pote. C’était celui qui validait en partie mon cursus. Ça n’était pas un potentiel plan-cul. Je laissai échapper un reniflement, alors qu’il stoppait son auto juste devant ma résidence. Il sortit énergiquement de la voiture et vint ouvrir ma portière. Je descendis du véhicule, comme obtempérant à un ordre, alors qu’il ne m’avait strictement rien demandé.



Non, ça n’allait pas aller. Sans avoir eu le temps de me demander comment j’osais faire ça, je me jetai sur son épaule en sanglotant misérablement.



Sa voix couvrait presque la mienne. Il n’avait pas bronché, me laissant badigeonner sa chemise d’un mélange de larmes et de reniflements humides.



Il saisit mon visage entre ses mains. Mon nez coulait. Mes yeux coulaient. Mon maquillage coulait. Tout coulait. Un naufrage total.



J’avais du mal à détourner mes yeux des siens.



Je reniflai.



Il parlait dans mes yeux, sa bouche si près de la mienne que j’inspirais l’air qu’il expirait, que j’avalais ses mots, que je me dissolvais en un nuage de particules de pur abandon. Et de pure confiance. Je lui faisais confiance, en fait. Demain, tout irait bien. Ses mains s’attardèrent sous mes mâchoires. Son pouce droit essuya le noir qui maculait les poches sous mes yeux. Puis soudain, il avança ses lèvres pour les poser sur mon front.



Alors, il était comme ça, le Philippe remonté. Je m’éloignai, la mort dans l’âme, à la fois honteuse et rassurée, sans oser me retourner. Je titubais un peu. Pas trop. Tiens, ma voiture était sur le parking ? Ah, oui, j’étais partie à pieds. Digicode, porte, couloir, ascenseur, troisième, porte, couloir, clefs, porte : tout était assez machinal pour que je puisse l’exécuter sans réfléchir. Arrivée dans l’unique pièce, je jetai un coup d’œil par la fenêtre. Il était toujours en bas, les mains dans les poches, appuyé côté conducteur. Quand j’allumai la lumière, il leva les yeux et me fit un signe avant de remonter dans le véhicule, une nouvelle clope entre les doigts. Il démarra le moteur et repartit à vive allure. Moi, je suivis sa main qui apparaissait toujours à la fenêtre jusqu’à ce qu’il tourne au coin de la rue.


C’était à la fois triste et décevant, cocasse et navrant. En réfléchissant, ça n’aurait pu tourner que de cette façon. Tout ça avait l’effet d’une bonne grosse claque qui ramène à la réalité.




—ooOoo—




La semaine qui suivit fut calme, hors de question de déraper de nouveau. Les rapporteurs avaient validé la date de ma soutenance, ce qui était déjà un bon point : mes recherches étaient dignes d’être présentées.


Je n’avais recroisé Philippe qu’une seule fois depuis cette fameuse soirée, et il semblait plutôt normal, mais pressé. Il faut dire qu’il était si peu communicatif, en temps ordinaire, qu’on ne pouvait pas vraiment deviner ses moments d’agacement.


Je ne m’étais pas encore excusée. Pas à jeun, en tout cas. Ce matin-là, j’avais à lui confier le dossier numérique final de ma thèse.

J’entrai dans son bureau après avoir toqué discrètement. Il était posté à une table couverte de bouquins, dos à la porte.



Son attitude recommençait à me lancer. Rien ne l’atteignait. Il ne réagissait à rien. Il était toujours le même. Aucune rancœur, aucun reproche, aucune allusion à cette soirée foireuse et foirée, rien. Je pensais, naïvement, qu’il allait relancer le sujet pour me corriger, ou même pour me demander comment je l’avais vécu, ou ce qui pourrait m’aider à passer outre. Mais non, même pas.



Je l’avais coupé en lui tendant mon USB.



C’était parti, je m’emportais.



Il avait pivoté sa chaise vers moi, les bras croisés. Ses sourcils étaient froncés sur ses yeux clairs, et son expression était indéchiffrable.



Je restai abasourdie.



D’ordinaire, il ne haussait jamais le ton.



Il avait ponctué ses deux derniers mots d’un geste nerveux de la main.



Il repoussa brutalement sa chaise à roulettes sous la table.



Je bouillais.



Il eut un lourd soupir.



J’avais toujours ma clef USB en main.



Plus aucun contrôle sur mon langage. Un véritable défouloir. Je lui tendis, à nouveau, la clé. Il me jaugea du regard, un instant, puis s’en saisit, emportant mes doigts au passage. Ses yeux avaient viré au bleu nuit. Il ne lâcha pas ma main. C’était comme une joute, un bras de fer, à qui allait craquer le premier. Une bourrasque de vent agita le saule qui ombrait la fenêtre. Nos regards étaient verrouillés l’un dans l’autre. Je lui disais : « Vas-y, baise-moi ou gifle-moi, espèce de lavette ». Lui, je ne savais pas ce qu’il pouvait dire. Pas grand-chose sûrement, comme d’habitude. Ses doigts serraient fortement les miens. J’avais presque mal. En faisant pivoter mon poignet, il m’attirait contre lui. De si près, je sentais son souffle, rapide, sec, nerveux. Son odeur de clope froide, aussi. Et son espèce d’after-shave bon marché. J’étais hargneuse. Ma main tremblait dans la sienne. Mes doigts viraient au cramoisi. Et soudain, il faucha mes lèvres dans un baiser violent. Je crois que nos dents s’entrechoquèrent. L’USB tomba par terre dans un bruit de plastique brisé.


Tant pis. Tant mieux. Sa main agrippait toujours la mienne. Son bras était passé autour de ma taille et maintenait mon bassin contre le sien, d’autorité. Et soudain, mon dos buta dans le mur, tout près de la porte d’entrée, a priori. Il tourna la clef dans la serrure et tâtonna violemment pour trouver l’interrupteur et éteindre la lumière. Il faisait nuit.




—ooOoo—




Je n’aimais pas préparer les oraux : je préférais faire au feeling. Il faut croire que l’oral d’une thèse publique, ça se monte. Philippe m’avait, plusieurs fois, proposé des séances de préparation. J’avais refusé. Je savais très bien que c’était suicidaire et que ça l’énervait, mais j’avais refusé. Je ferais très bien ça seule, devant des potes doctorants et le directeur de thèse d’une amie.


La veille du jour J, je reçus un coup de fil de Philippe. Je n’avais pas entendu sa voix depuis un bon bout de temps. C’était depuis… enfin, depuis qu’il avait failli réduire à néant ma clef USB. Et pas seulement.

Il me réexpliqua toutes ces histoires d’organisation, de débat du jury à huis-clos, des pièges à éviter, des critiques inévitables. Je stressais, mais j’avais confiance.


À vrai dire, je ne garde comme souvenir de ma soutenance que la vision terrifiante du jury et du public, et d’un Philippe assez nerveux mais fier. Le reste, c’était du blabla et c’était passé comme une lettre à la Poste. Le trou noir. Quelques questions voulurent me déstabiliser. C’est celle de Philippe, qui me laisse le souvenir le plus précis : « Est-ce que vous avez mis en rapport les actes du colloque de janvier à Milan avec vos recherches sur les résistances ? ». Non, non je n’avais pas mis en rapport les actes du colloque de janvier à Milan avec mes recherches sur les résistances. Je n’avais pas eu le temps de le lire. « Allez savoir pourquoi », j’avais rajouté. C’était justement ces actes que relisaient Philippe, juste avant… J’avais eu un sourire. Lui aussi.

Il était excitant.


Finalement, la journée avait filé comme un éclair. « Très honorable », avait conclus le jury. Voilà, j’étais docteur. Eh bien, ça ne faisait pas plus d’effet qu’une douche tiède.


Je rentrai chez moi, à pieds. Je pris une douche, tiède.


En regardant par la fenêtre, je vis la voiture de Philippe, garée devant l’entrée de la résidence. Il tirait sur sa cigarette, comme d’habitude, en jetant des regards à droite et à gauche.

J’avais préparé mes affaires. Je fermai l’appartement et descendis pour me trouver face à lui, le regard interrogatif. Il afficha un sourire franc, pour une fois, et jeta mon sac sur son épaule.



Il écrasa sa clope au sol, et sa bouche vint prendre la mienne. Mon estomac se crispa, mon bas-ventre me lança. « Encore ».





—ooOoo—




Ah, oui. Je n’avais pas eu le loisir de repenser à ce qu’il s’était passé ce soir-là. Le fameux soir où « je n’avais pas eu le temps de mettre en rapport les actes du colloque de janvier à Milan avec mes recherches sur la résistance ». Pourtant, je peux décrire chaque détail, même infime, de la scène.


Juste après cet échange de reproches, il tourna donc la clef dans la serrure, et tâtonna violemment pour trouver l’interrupteur et éteindre la lumière. Il faisait nuit.


Mes lèvres s’ouvrirent largement et sa langue s’imposa contre la mienne. Dans un grognement, je sentis son corps se décrisper. Je n’étais pas détendue pour autant. Je le haïssais de mettre des pulls. Je fis passer le vêtement par-dessus sa tête, désordonnant encore davantage ses cheveux déjà en pétard. En bon petit fiston à maman, il avait mis une chemise sous son pull. Je bataillai un court instant avec les boutons, puis décidai d’une méthode plus radicale : je l’ouvris violemment, sans me soucier des boutons qui s’éparpillèrent au sol. Dans l’action, j’avais profondément ratissé la peau de son torse avec mes ongles pourtant courts. Il saignait, un peu. Je passai la pointe de ma langue sur ces blessures inconsciemment volontaires alors que sa chemise tombait au sol. L’odeur du sang me vint au nez. Il saignait pas mal, en fait. Je m’en foutais. Il m’excitait encore davantage.


Sans se démonter, il dégrafa mon jean et plongea sa main droite dans ma culotte. J’étais trempée et il l’avait remarqué. Il eut un nouveau grognement et emporta ma bouche, mordant ma lèvre inférieure.



Je crois que ce furent trois doigts qui me pénétrèrent, pendant que sa bouche dévorait toujours la mienne et que sa main gauche écartait mes cuisses. J’étais offerte, et grande ouverte.


Je me libérai soudain de son étreinte. J’évacuai tous les papiers de la table centrale d’un revers de bras. Paperasse et bouquins tombèrent par terre, à l’envers ou à l’endroit. Je finis par le repousser jusqu’à ce que ses fesses heurtent le bureau. Aucune hésitation : je baissai son pantalon et son caleçon jusqu’à ses genoux, et avalai sa queue.



Je ne sais plus vraiment si j’avais déjà essayé d’imaginer son sexe. Je crois que c’était surtout la place que j’imaginais qu’il prendrait dans mon vagin qui m’intéressait. Il était assez long. Et large. Large surtout à la base. Peu importe. Il remplissait ma bouche. Je le suçai un moment, mouillant comme une folle, pensant, à chaque fois que mes lèvres gobaient son gland, au moment où cette queue serait dans ma chatte.



Il me hissa vers lui et ouvrit ma chatte sur son sexe, puis me pénétra violemment. Sa langue possédait ma bouche avec tout autant d’autorité. Ses jambes tremblaient. Que ce fut par sa faute ou par la mienne, nous nous écroulâmes au sol, parmi les feuilles de papier et je m’empalai à nouveau sur lui. Il était en nage. J’avais gardé mon chemisier. J’ôtai tout, et jetai les vêtements quelque part au milieu des objets qui jonchaient le sol.



Comme une furie, j’allais l’obliger à me donner tout ce qu’il avait. C’était sans compter sur le fait que, lui aussi, avait des envies. Il me fit passer sous lui et se retira. Son baiser, à ce moment-là, fut presque tendre. De ses doigts, il caressa mon sexe bouillant, et s’attarda plus à l’arrière. Quand il commença à pénétrer mon entrée la plus étroite, son baiser semblait surtout là pour me faire taire. Il ne savait pas que j’adorais ça. J’hurlais littéralement en lui. Je tremblais. Je convulsais à chaque allée et venue. Mes yeux arrachaient les siens. Je me tus. Je n’avais aucune idée du nombre d’orgasmes qu’il m’avait donnés. Au bout d’un moment, sa main à plat entre mes seins, il finit par m’offrir, lui aussi, une série d’exclamations très mâles, puis s’écroula sur moi.


Son souffle semblait irrécupérable. Je sentais son cœur cogner contre ma poitrine. Je n’en menais pas large non plus.


Philippe finit par rouler sur le dos. Des papiers étaient collés dans le mien. La lumière bleue de la lune éclaira ses yeux. Il ne souriait pas béatement.





—ooOoo—




Là, sur le trottoir, la soutenance passée et réussie, j’étais dans ses bras, mais pas trop, et son visage me rassurait. Je ne savais pas ce que j’allais faire de ma vie, avec ce diplôme en poche.

Ce que je savais, maintenant, c’est que je pouvais compter sur lui. Et pas seulement pour me baiser.