- — Vous me sauverez, n’est-ce-pas ?
- — Je ferai le nécessaire, jeune fille.
- — Si je savais qui a bien pu plonger la main dans mon sac à main !
- — Que vous a-t-on volé ?
- — Ma bague de fiançailles.
- — Pourquoi l’aviez-vous mise dans votre sac ?
- — Par délicatesse. Je savais qu’il allait se passer des choses que la morale traditionnelle réprouve. Mon geste a d’ailleurs bien fait rire tout le monde…
- — Où était votre sac ?
- — Sur cette table. Il y est encore.
- — Quel est l’heureux mortel qui désire vous épouser ?
- — Geoffroy, le fils du richissime industriel…
- — Ah ! C’est donc vous ! J’ai lu chez mon dentiste un article se faisant l’écho de son prochain mariage. Toutes mes félicitations !
- — Il n’y a vraiment pas de quoi, car ce mariage ne se fera pas si vous ne retrouvez pas cette satanée bague.
- — Votre fiancé a bien les moyens de vous en offrir une autre !
- — Là n’est pas la question, Monsieur Radis. S’il apprend dans quelles circonstances elle a disparu, je suis perdue. Mais si vous la retrouvez rapidement, l’inspecteur Nicolas ne fera pas d’enquête officielle et Geoffroy ne saura jamais ce qui s’est passé.
- — Mais pourquoi Nicolas mènerait-il une enquête ?
- — Dans mon affolement, je lui ai téléphoné avant de faire appel à vous. Il va venir !
- — C’est bien fâcheux, en effet. Puisque vous ne faites pas confiance à Radis, Radis ne va pas s’intéresser à votre affaire. Adieu, Mademoiselle.
~~~ 2 ~~~
- — Ne partez pas, je vous en supplie ! C’est par scrupule que je ne voulais pas faire appel à vous, qui êtes si célèbre, si occupé, si… génial ! Puis j’ai pensé que l’inspecteur Nicolas ne s’en sortirait pas. Oh ! Sauvez-moi, Monsieur Radis !
- — Que s’est-il donc passé cette nuit ?
- — Nous étions ici-même, dans ce salon de la maison que mon oncle Gontran, que vous connaissez bien et qui est actuellement en Italie…
- — En effet, j’ai reçu de lui une carte de Venise.
- — Eh bien, cette nuit j’enterrais ici ma vie de jeune fille. Nous étions douze, six garçons et six filles.
- — Voulez-vous inscrire leurs noms sur ce petit carnet ?
- — … Voilà.
- — Merci. Ces vêtements et ces sous-vêtements que je vois amoncelés sur les tables sont donc ceux de vos invités ?
- — Les leurs et aussi les miens, Monsieur Radis.
- — À qui appartiennent cette petite culotte de femme, ce caleçon, ces bas, ce porte-jarretelles, ce soutien-gorge en dentelle, ces deux chemises d’homme et ce corsage qui sont à côté de votre sac ?
- — Le soutien-gorge est le mien. Le reste, je ne sais pas… Cette chemise pourrait être celle de Raymond, l’autre me semble appartenir à Hubert… Ce matin je me suis réveillée vers les huit heures, j’ai pris ce peignoir et je suis descendue dans ce salon, afin de récupérer mes vêtements et ma bague. Elle n’était plus dans mon sac ! Alors je n’ai touché à rien d’autre. Mes invités occupent les chambres du premier étage et personne n’est encore parti. Cela facilitera votre enquête, n’est-ce pas ?
- — Radis va en effet rendre visite à tout ce beau monde et faire travailler ses petites cellules grises.
- — Je peux vous accompagner ?
- — J’allais vous en prier.
~~~ 3 ~~~
- — Han ! Han ! Han !
- — Oh oui ! Oui ! Oh ! C’est si bon ! Oh mon chéri, mon chériiii !
- — Excusez-nous mais j’ai besoin de vous parler. J’ai frappé à votre porte mais vous n’avez pas répondu.
- — Qui êtes-vous ? Que faites-vous ici ? Avec qui es-tu, Isabelle ?
- — Je suis avec Hercule Radis, le célèbre détective.
- — Que voulez-vous ? Nous ne faisons rien de mal, je suis avec Suzanne. Nous sommes amis d’enfance, nous nous aimons depuis toujours et nous nous marierons dès que possible.
- — Que faites-vous dans la vie, jeune homme ?
- — Je vends des encyclopédies.
- — Et vous, Mademoiselle ?
- — Rien. Je serai mère de famille, et le plus tôt sera le mieux.
- — Je vous remercie…
~~~ 4 ~~~
- — Entrez !
- — …
- — De quoi s’agit-il ?
- — C’est Lucien.
- — Eh bien, Lucien, je suis Hercule Radis. Veuillez répondre aux questions que je vais vous poser.
- — Quelqu’un aurait-il été assassiné cette nuit ?
- — Non, mais je dois savoir ce que vous avez fait, précisément cette nuit.
- — J’ai dormi.
- — Avant de dormir.
- — J’ai dansé.
- — Avec Isabelle ?
- — Bien sûr, comme nous tous. Mais elle a souhaité plus tard qu’on éteigne toutes les lumières, si bien que je ne sais pas avec qui j’ai dansé ensuite. Enfin, quand je dis dansé… Vous comprenez, quand elle en donnait l’ordre, le cavalier enlevait un vêtement à sa cavalière, et réciproquement.
- — Est-ce vrai, Isabelle ?
- — L’ambiance était un peu trop morne, à mon goût.
- — Où déposiez-vous les vêtements que vous enleviez ?
- — Sur diverses tables, à tâtons, autour de la piste de danse aménagée au milieu du salon.
- — Quels furent ces vêtements ?
- — Deux escarpins, un bas, un corsage, un porte-jarretelles – c’était probablement celui de Denise, elle gloussait. J’ai aussi obtenu le soutien-gorge d’Isabelle.
- — Ah ! C’est toi ?
- — Tu étais dans mes bras quand tu as dit : « On enlève encore un vêtement ! » Ma poitrine déjà nue contre la tienne que je venais de libérer, j’ai adoré ! Ensuite tu as pris mon caleçon, mais c’est alors que la musique s’est arrêtée, malheureusement. J’ai… dansé ensuite avec quelques autres inconnues qui n’avaient plus rien à perdre ; je parle de leurs vêtements, bien sûr. Quand tu as donné le signal du départ, j’ai cherché une… partenaire mais c’est alors qu’est arrivé un poignet d’une redoutable efficacité si bien que, vu l’état dans lequel j’étais déjà…
- — Oui ?
- — Pour tout vous dire, Monsieur Radis, je me suis complètement vidé, alors j’ai quitté le salon pour monter me coucher. Tout seul car je n’étais plus bon à rien !
- — Je vous remercie.
~~~ 5 ~~~
- — Retournons dans la première chambre.
- — …
- — Oh ! Mon chéri, comme je t’aime ! Oh ! Oui ! Oui ! Plus fort ! Je suis à toi, je suis ta chienne, fais de moi ce que tu veux !
- — J’ai à nouveau frappé, mais…
- — Que voulez-vous encore ?
- — Mademoiselle, veuillez vous retourner et nous regarder. Savez-vous qui a enlevé votre dernier vêtement ?
- — Joseph, évidemment.
- — Et les autres ?
- — Joseph !
- — Et les vôtres, Joseph ?
- — Suzanne, bien sûr ! Nous sommes fidèles, nous nous tenions à l’écart des autres quand s’arrêtait chaque disque.
- — Vous avez donc quitté ensemble le salon.
- — Évidemment !
- — Je vous remercie.
- — Nous ne serons plus dérangés ? Vous comprenez, c’est extrêmement désagréable !
- — Nous allons nous efforcer de vous laisser en paix, au moins pendant quelque temps.
~~~ 6 ~~~
- — Êtes-vous très amie avec ces deux personnages ?
- — Nous nous voyons fréquemment.
- — Chambre suivante… Cette porte ?
- — Non. C’est la salle de bain, qui fait aussi office de WC. La maison est si vieille !
- — Ces onguents vous appartiennent-ils ?
- — Cette crème seulement… et ce dentifrice.
- — Et le reste ?
- — Aux autres. Nous avons toutes jugé bon de parfaire notre maquillage avant de nous mettre à danser.
- — Je vois. Ce fond de teint, à qui appartient-il ?
- — À Denise… Non, je me trompe, ce doit être celui de Suzanne.
- — En êtes-vous certaine ?
- — Je crois que c’est celui de Suzanne mais je n’en suis pas sûre.
~~~ 7 ~~~
- — Chambre voisine. Ils dorment. Hum ! hum !
- — … Tiens, Isabelle ? Avec… Avec qui ?
- — Georges, tu ne reconnais pas le fameux Hercule Radis, cet excellent ami de mon oncle ?
- — Ma foi non, je suis mal réveillé. Mais que faites-vous ici, Monsieur Radis ? Je n’ai tué personne, je vous assure.
- — Réveillez votre compagne, nous avons besoin de parler à vous deux.
- — Hé, réveille-toi, l’ami Radis veut t’interroger !
- — … Oui… ? Où suis-je ?
- — Qui est cette jeune personne, Isabelle ?
- — C’est Sylvie, une ancienne camarade de lycée. D’habitude, elle est avec Raymond.
- — C’est lui qui t’envoie ? Je ne veux plus le voir, plus jamais ! À cause de lui, je me croyais frigide, alors qu’avec Georges… Oh ! Merci Georges, merci !
- — Mademoiselle, avez-vous une idée de la personne qui a fini de vous déshabiller, et de l’endroit où elle a déposé votre dernier vêtement ?
- — Pas la moindre !
- — Je vous remercie.
~~~ 8 ~~~
- — Il faudrait fouiller toutes les chambres !
- — Un si petit objet est tellement facile à cacher…
- — Oh ! Elle ne sera jamais retrouvée, je suis perdue ! Si vous me sauvez, vous obtiendrez tout de moi… enfin, presque tout.
- — Qu’entendez-vous par là ?
- — Ma virginité est pour Geoffroy, c’est inévitable. Mais il existe d’autres possibilités.
- — Hum ! Quand changiez-vous de cavalier ?
- — Environ toutes les trois minutes, quand il fallait remonter le gramophone et mettre un autre disque.
- — Qui le faisait ?
- — Moi. J’ai l’habitude de la maison et je pouvais le faire dans l’obscurité. Après quoi, je tombais dans les bras de celui qui était seul. La musique était lente, des blues. On dansait dans le noir, mais aussi mon cavalier inconnu promenait ses lèvres partout sur mon corps et moi sur le sien. Cela quand nous étions nus, évidemment.
- — C’est donc Lucien qui a enlevé votre soutien-gorge, trouvé à côté de votre sac.
- — Puisqu’il le dit ! Moi, je ne l’avais pas reconnu.
- — Que s’est-il passé ensuite ?
- — Nous avons encore… dansé une bonne demi-heure, toujours dans le noir bien sûr, et j’ai donné le signal du départ. Arrivée dans ma chambre, j’ai vu que j’étais avec Michel. Nous avions tous déserté le salon sans y remettre la lumière, cela faisait partie du jeu, voyez-vous.
~~~ 9 ~~~
- — Michel est donc actuellement dans votre chambre.
- — Non, il en est parti dans le courant de la nuit.
- — Il vous a laissée seule ?
- — Mais non, Hubert est resté avec moi… Il était venu nous rejoindre.
- — C’est alors que Michel vous a quittée, très jaloux ?
- — Pas du tout ! Nous sommes restés tous les trois.
- — Tous les trois !
- — Mais oui, pendant une petite heure. Puis Michel est parti. Au petit matin, Hubert aussi s’est en allé, alors j’ai dormi un peu. Mais voici la chambre de Marie. C’est elle que Michel a dû retrouver, car ils sont très amoureux.
~~~ 10 ~~~
- — Donnez-vous la peine d’entrer !
- — …
- — Tiens, Isabelle… C’est ton oncle ?
- — Non, Michel, ce n’est pas mon oncle. C’est Hercule Radis.
- — Ho ! Réveille-toi, Marie !
- — Hein ? Je suis vannée. De quoi s’agit-il ?
- — Il s’agit de savoir ce que vous avez fait cette nuit.
- — L’amour. J’ai fait l’amour avec Marie. N’est-ce pas, Marie ?
- — Il ne fallait pas ? On ira en prison ?
- — Michel, à quelle heure avez-vous rejoint cette jeune fille ?
- — Mais nous sommes montés ensemble, aussitôt après avoir dansé.
- — Envisagez-vous de l’épouser ?
- — Je n’en vois pas la nécessité. Et toi, Marie ?
- — Moi non plus.
- — Je vous remercie.
~~~ 11 ~~~
- — C’est pourtant avec vous qu’il a quitté le salon, m’avez-vous dit.
- — Il ment pour me protéger. Il a dû penser que vous enquêtiez au bénéfice de Geoffroy, mon fiancé.
- — C’est possible. Chambre suivante.
- — … Oui ? Qui est là ?
- — C’est moi, Isabelle.
- — Mais entre donc, Isabelle ! Tiens, tu n’es pas seule ?
- — Je suis avec Hercule Radis, le célèbre détective. Monsieur Radis, je vous présente Hubert, maître de conférences à la faculté de droit.
- — Hé ! Denise ! Sors donc de dessous ce drap et regarde qui vient nous rendre visite.
- — Ouf ! J’ai cru que c’était Raymond !… Tiens, encore quelqu’un !
~~~ 12 ~~~
- — Eh bien, Radis, que faites-vous donc ici ?
- — Ah ! Bonjour, inspecteur. Isabelle a fait appel à moi. Nous savions que vous alliez venir.
- — Avez-vous trouvé le ou la coupable ?
- — Pas encore mais cela ne saurait tarder. Voulez-vous interroger vous-même ce couple, ou me laisserez-vous faire ?
- — Allez donc, cher ami.
- — Bien. Hubert, avec qui avez-vous quitté le salon hier soir ?
- — Avec Marie.
- — Est-ce vrai, Marie ?
- — Mais je ne suis pas Marie !
- — Inspecteur, laissez-moi donc conduire cette enquête tranquillement. Il ne s’agit pas de Marie mais de Denise. Ces jeunes gens sont pleins de vie, voyez-vous, et il faut bien que jeunesse se passe.
- — Mon dieu !
- — Laissez-le en dehors de tout cela, le pauvre diable. Il a bien d’autres chats à fouetter.
- — Seriez-vous devenu un affreux libertin ?
- — Hé ! hé ! hé ! À l’issue de mes investigations, il se pourrait bien en effet que… n’est-ce pas, chère demoiselle ?
- — Vous avez ma formelle promesse.
- — Monsieur le maître de conférences, pouvez-vous nous dire où vous avez déposé les vêtements que vous avez enlevés à certaines de ces demoiselles ?
- — Mais… sur une table, évidemment. Je n’allais pas en joncher le sol !
- — À côté du sac d’Isabelle ?
- — Comment le saurais-je ? On n’y voyait goutte.
- — Je vous remercie. Veuillez nous rejoindre dans le salon d’ici une dizaine de minutes.
- — Nos vêtements s’y trouvent encore, je suppose.
- — Interdiction d’y toucher pour le moment.
- — Voulez-vous donc que nous nous y rendions nus comme Adam et Ève ?
- — Comme il vous plaira. Mais il vous est loisible de prendre vos draps en guise de toges.
- — Bonne idée ! Notre petit déjeuner aura tout d’une orgie romaine !
- — Ne faites pas cette tête, Nicolas, et visitons la chambre qui doit héberger les derniers invités, puisque j’ai vu tous les autres. Il ne peut s’agir que de Madeleine et Raymond, si j’en juge par mon petit carnet.
~~~ 13 ~~~
- — Belle enfant, avec qui êtes-vous montée vous coucher à l’issue du bal ?
- — Il n’y avait plus de garçon de disponible, je me heurtais dans le noir à des couples déjà formés. Je suis partie. Dans la salle de bain, j’ai vu Marie qui m’a dit qu’elle était attendue par Hubert, déjà dans sa chambre, mais que ce serait avec le plus grand plaisir qu’elle le partagerait avec moi.
- — Vous êtes donc restée avec Hubert et Marie.
- — Pendant quelque temps en effet. Mais Hubert a cru devoir nous abandonner. Nous nous sommes donc un peu amusées toutes deux, puis Michel est venu récupérer Marie, alors j’ai cherché quelqu’un, je n’ai trouvé que Raymond, ici présent, qui m’a demandé si je savais où était Sylvie. Je ne lui ai pas répondu. Nous avons essentiellement dormi.
- — Soyez tous les deux dans le salon dans dix minutes. Vos vêtements ne sont pas accessibles, pliez-vous dans vos draps si vous avez peur d’avoir froid.
~~~ 14 ~~~
- — Il n’y pas que le froid qui pousse l’être humain à s’habiller, il y aussi la pudeur.
- — Malheureusement !
- — Mais quel homme êtes-vous donc devenu ?
- — Un homme… normal, enfin normal. Cette belle jeunesse me fouette le sang ! Isabelle, veuillez donc prévenir chacun et chacune d’avoir l’amabilité de se présenter dans le salon dans dix minutes. Nicolas et moi allons faire le point en vous attendant.
~~~ 15 ~~~
- — La bague de fiançailles d’Isabelle a été volée. Plusieurs motifs sont possibles : jalousie, désir d’empêcher le mariage, appât du gain…
- — Je vous suis parfaitement.
- — Ces jeunes gens ont d’abord dansé… normalement, dirons-nous. Puis ils se sont mis dans le noir et se sont peu à peu déshabillés. Or le sac d’Isabelle, dans lequel elle avait mis sa bague, a été délesté de celle-ci.
- — Mais pourquoi diable avait-elle mis cette bague dans son sac ?
- — Par délicatesse.
- — Ah !
- — Oui.
- — Qui le savait ?
- — Tous.
- — Bien. Poursuivez.
- — J’ai fait le tour des chambres. Joseph et Suzanne, des amis d’enfance, ont passé toute la nuit ensemble.
- — Enfin des jeunes gens vertueux !
- — Ils ne sont pas mariés.
- — Oh !
- — Lucien, que j’ai vu ensuite, a passé la nuit tout seul.
- — Un garçon sérieux, lui.
- — Non, épuisé, bêtement épuisé, prétend-il. Voulait-il rester seul, pour être plus libre de commettre le forfait ? J’ai vu ensuite Georges, qui avait pour compagne une jeune personne, fort jolie mais elles le sont presque toutes à cet âge, répondant au doux prénom de Sylvie. Cette demoiselle est habituellement dévolue à Raymond mais elle s’est montrée particulièrement ravie des bons moments passés avec Georges… Bien.
- — Mais dans quel pays vivons-nous !
~~~ 16 ~~~
- — Les mœurs se libèrent. Je continue. Dans la chambre voisine se trouvaient Michel et Marie. Or Michel avait quitté le salon en compagnie d’Isabelle.
- — Qu’il avait donc abandonnée pour rejoindre Marie.
- — En effet. Marie qui fut d’abord avec Hubert et Madeleine…
- — Deux jeunes filles pour un seul garçon !
- — Heureux mortel, n’est-ce pas ? Aussitôt après, Marie restait avec Madeleine.
- — Et deux filles ensemble… Mon dieu !
- — Je vous ai dit de le laisser en dehors de ceci. Et sachez qu’il y a eu, pendant une heure, deux garçons pour une seule jouvencelle… À la robe de dentelle plus jamais elle n’aurait droit, Isabelle, si Geoffroy savait ça !
- — Ce pauvre garçon, de si bonne famille…
- — Isabelle aussi est d’une excellente famille. Laissez ces jeunes gens profiter de la vie… Les deux derniers sont Raymond et Madeleine. Je vous rappelle que Denise craignait une visite impromptue de Raymond. Radis, qui a déjà sa petite idée, va faire parler ces jeunes gens…
~~~ 17 ~~~
- — … Les voici, vêtus de probité candide et de draps blancs. Prenez place. La bague de fiançailles d’Isabelle a disparu. Vous avez tous eu la possibilité de mettre la main dessus. Ne protestez pas, mais répondez à mes questions. Joseph, vous qui vendez péniblement des encyclopédies, vous qui n’avez pas quitté Suzanne de toute la nuit car vous l’aimez, vous avez fort bien pu être tenté de lui offrir une bague de fiançailles qui ne vous coûterait rien.
- — Mais non, voyons, quelle idée !
- — Hubert, vous collectionnez les conquêtes. Isabelle est le fleuron de votre tableau de chasse. Une fois mariée, vous la perdez.
- — Ce n’est pas certain du tout !
- — Lucien, cette sombre histoire de poignet m’intrigue, éclairez-nous.
- — Une jeune fille venait de chatouiller mes… enfin vous savez bien quoi. Je suis donc resté là comme un… et soudain une main est venue et…
- — Autant vous mettre au courant, Monsieur Radis, la main c’est la mienne. J’ai voulu éliminer un concurrent. À tâtons, je cherchais une nouvelle cavalière quand je me suis heurté à un mat… Je ne dirai pas gigantesque mais enfin d’honnête facture. Par réflexe, je l’ai secoué.
- — Merci de votre franchise, Hubert…
- — Ah ! Je comprends maintenant pourquoi ma poitrine a été soudain éclaboussée, copieusement éclaboussée !
- — Et qu’avez-vous fait, Denise ?
- — C’est excellent pour la peau, ça la nourrit.
~~~ 18 ~~~
- — Madeleine, vous prétendez avoir essentiellement dormi avec Raymond.
- — Je confirme, il cherchait Sylvie. Moi je savais que c’était Georges qui était monté avec Sylvie.
- — Comment le saviez-vous, puisque cela s’était fait dans l’obscurité ?
- — Lors de la dernière danse, je me suis cognée un peu brutalement contre lui alors qu’il était à genoux devant elle. Je l’ai entendu jurer, j’ai reconnu sa voix.
- — Que faisait-il donc à genoux ?
- — Nicolas, il est facile de saisir pour quel motif Georges était à genoux devant Sylvie.
- — Mais dans quel monde vivons-nous !
- — Dans celui de la jeunesse, de la belle et ardente jeunesse !
- — Vous me consternez !
- — Il faudra vous y faire… Madeleine, vous est-il arrivé de vous agenouiller, vous aussi ?
- — Mais oui, comme toutes les autres. On suçait, quoi ! C’est bien facile à comprendre.
- — Avez-vous avalé ?
- — Radis !
- — Répondez, Madeleine.
- — J’ai avalé deux fois. Pas la troisième.
- — Vous êtes donc allée vous… rafraîchir dans la salle de bain.
- — Non, le garçon était resté flasque. Pourtant…
- — Pourtant ?
- — J’y avais mis tout mon cœur, si je puis dire.
~~~ 19 ~~~
- — Michel, dites-nous enfin la vérité. Vous quittez le salon en compagnie d’Isabelle, mais Hubert vous rejoint ensuite, c’est bien cela ?
- — C’est bien cela.
- — Isabelle étant désireuse de conserver sa virginité, il n’y a pourtant pas de la place pour deux.
- — Radis !
- — Quand j’étais seul avec elle, je me suis consacré au… fondement d’Isabelle. Ensuite, j’ai bien volontiers cédé la place à Hubert, et… Isabelle a une bouche, n’est-ce-pas ? Auparavant, j’avais naturellement fait un tour dans la salle de bain.
~~~ 20 ~~~
- — Raymond, vous qui êtes si bronzé, avez-vous passé quelques jours sur la Côte d’Azur ?
- — Mais non, pas du tout !
- — Cette nuit, vous avez entraîné Denise dans une chambre.
- — Ce n’est pas ce qu’il a fait de mieux !
- — Pourquoi donc ?
- — Parce qu’il ne s’est rien passé, rien de rien, pour cause de panne, si vous voyez ce que je veux dire. Dieu, que c’est humiliant pour une fille ! Alors j’ai fini par le chasser. On a beau s’escrimer, quand ça ne veut pas durcir et grossir, on se lasse !
- — Raymond, vous ne nous aviez pas dit cela.
- — Ce n’était qu’une fois arrivé dans les chambres qu’on voyait sur qui l’on était tombé.
- — Mufle !
- — Denise, tu es très jolie, bien sûr, mais…
- — Passons. Vous avez ensuite rejoint Madeleine. Pour dormir, nous a-t-elle dit.
- — Mais non, avec elle, cela s’est passé normalement.
- — Bof…
- — Tu criais comme une perdue !
- — Pour avoir plus vite fini. Il faut bien simuler, quand on veut avoir la paix.
- — Isabelle, laissez-moi vous dire quelques mots à voix basse.
~~~ 21 ~~~
- — J’ai tout lieu de penser qu’Isabelle reviendra avec sa bague. Nous sommes entre gens de bonne compagnie, nous dirons que l’un de vous a voulu lui faire une farce et nous n’en parlerons plus.
- — Mais il faut punir le ou la coupable, Radis !
- — Le scandale ne pourrait que nuire à Isabelle.
- — Me direz-vous au moins…
- — Tout à l’heure… Voici notre ravissante hôtesse, avec sa bague, comme je l’avais prévu. Radis ne se trompe jamais. Chacun et chacune peut reprendre ses vêtements s’il le désire, et vaquer à ses occupations.
~~~ 22 ~~~
- — Ce sera un vrai plaisir pour moi de solder ma dette envers vous. Votre moustache en crocs m’a toujours vivement émoustillée.
- — Vous m’en voyez ravi !
- — Me direz-vous enfin, Radis…
- — Mais oui, je vais vous satisfaire maintenant que nous sommes seuls dans ce salon. Ces jeunes gens, garçons et filles, étaient intégralement nus quand ils sont montés dans les chambres. De plus, ils étaient tous en couple de hasard, sauf Joseph et Suzanne, ainsi que Lucien, qui était seul. Les autres étaient dans l’impossibilité de dissimuler leur larcin sans attirer l’attention de leur partenaire de rencontre.
- — On peut fort bien cacher un si petit objet dans certains orifices intimes…
- — Certes, Nicolas, mais n’oubliez pas que les orifices féminins ont été explorés par diverses langues, juste avant.
- — Pas derrière, que je sache !
- — Inspecteur, d’abord nous n’en savons rien, cela a fort bien pu se produire, mais surtout il ne viendrait à l’idée de personne d’y fourrer une bague de fiançailles, voyons ! Vous êtes un pervers, Nicolas ! Cela dit, tous et toutes ont pu descendre dans ce salon au cours de la nuit.
- — J’allais vous le dire.
- — Mais un seul a volé la bague… Joseph, pour l’offrir à Suzanne ? Mais celle-ci voit souvent Isabelle, qui ne manquerait pas, un jour ou l’autre, de reconnaître sa bague. Aucun autre garçon n’envisage d’épouser qui que soit. La bague n’a donc pas été volée pour être offerte à une quelconque fiancée.
- — Alors ?
- — Alors elle a pu disparaître pour empêcher le mariage de la ravissante Isabelle, s’il devait priver le coupable de certaines privautés dont il est friand.
- — Hubert !
- — Hubert en effet. Mais, bien au contraire, le mariage d’Isabelle lui permettra d’accéder à la fente qui lui est actuellement interdite pour des raisons de virginité à sauvegarder. Isabelle, dites-moi si je me trompe.
- — Vous ne vous trompez aucunement. Dans notre milieu, nous devons nous présenter vierges au mariage, c’est idiot mais c’est ainsi, et celles qui ont perdu leur pucelage ne peuvent plus convoler en justes noces.
- — Elles s’amusent bien, pourtant, comment font-elles pour ne pas avoir d’enfant ?
- — Inspecteur, elles exigent du garçon qu’il utilise une capote, anglaise chez nous, française chez les anglo-saxons. Certains garçons qui n’en veulent pas promettent bien de se retirer au moment stratégique mais je ne conseillerai à personne de les croire sur parole… Aussi ces filles-là font-elles, dans ce cas, comme celles qui entendent rester vierges, elles permettent un libre accès à leur derrière ou à leur bouche. Mais il y a un ordre à respecter, bien sûr.
~~~ 23 ~~~
- — Radis, allez-vous enfin nous dire qui a volé cette bague ?
- — Il y a dans la salle de bain du premier étage divers petits flacons permettant le maquillage des délicieuses frimousses de ces jeunes filles en fleur. L’un d’entre eux, contenant un fond de teint d’un ocre en apparence banal, a attiré mon attention. Ses parois intérieures avaient été légèrement éclaboussées, comme si l’on y avait précipité quelque chose.
Or un garçon, au visage hâlé mais aux jambes dont la pâleur extrême était bien visible en bas du drap dont il était revêtu, a pour coquette habitude de se passer du fond de teint sur le visage pour tenter de séduire. En vain, d’ailleurs. En effet la jeune fille qu’il aimait vient de l’abandonner. Il s’y prenait tellement mal que la pauvrette se croyait frigide.
- — Raymond !
- — Oui, Raymond, chère Isabelle ! Voilà pourquoi vous avez trouvé votre bijou dans le flacon que je vous ai indiqué. Offrir une luxueuse bague de fiançailles à une jeune fille était pour ce pauvre garçon la seule manière de ne pas demeurer cruellement seul jusqu’à la fin de ses jours.
- — Portez-vous plainte, Mademoiselle ?
- — Absolument pas, Monsieur l’inspecteur. Adieu. Et vous, cher Monsieur Radis, vous passerez bien le week-end ici, seul avec moi ?
- — Volontiers, divine Isabelle.
- — Tout le plaisir sera pour moi, Hercule… le bien nommé, j’espère.
- — N’en doutez pas. J’ai des années de stupide chasteté à rattraper.