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Temps de lecture estimé : 28 mn
04/04/14
corrigé 10/06/21
Résumé:  Jérôme et Pauline rendent visite à un universitaire susceptible de les aider.
Critères:  grosseins bizarre nonéro fantastiqu
Auteur : Rain      Envoi mini-message

Série : Nouvelles de l'au-delà

Chapitre 04 / 05
Sciences

Résumé de l’épisode 1 : Jérôme, le narrateur, raconte une séance de spiritisme qu’il a vécue avec son meilleur ami (Frank), la copine de ce dernier (Mélanie) et une copine de fac (Pauline) qui ne le laisse pas indifférent. Avant de commencer la séance qui se déroule dans une cabane perdue au milieu des bois que Jérôme et Frank avaient découverte dans leur enfance, chacun raconte ses propres expériences paranormales pour se mettre en condition. Mélanie affirme avoir entendu la voix de sa petite sœur le jour de l’anniversaire de sa mort. Cette annonce met évidemment tout le monde en condition et lorsque l’esprit se manifeste, Mélanie et Pauline aperçoivent le fantôme d’une petite fille. En revanche, les deux garçons ne le voient pas. Mélanie, en état de choc, leur annonce que la petite fille est sa sœur décédée.


Résumé de l’épisode 2 : La séance de spiritisme dans la cabane se poursuit. Les quatre jeunes entrent en contact avec l’esprit qui se fait passer pour la petite sœur de Mélanie (morte noyée sous les yeux de sa sœur aînée alors qu’elles n’étaient que des enfants.) Puis il prend possession de Pauline et s’exprime à travers elle. Rapidement, Frank devient la cible de l’esprit qui prête des intentions homosexuelles à son père. Frank, pour se défendre (?), annonce à ses amis que les esprits aiment semer la discorde, mais, malgré son avertissement, il perd son sang-froid et frappe Pauline qui prend un malin plaisir à l’asticoter en dévoilant des éléments de sa vie privée.

L’esprit passe alors dans le corps de Mélanie. Cette dernière lévite dans les airs et s’exhibe devant ses amies de manière obscène. Tout bascule trop vite dans le surnaturel et, Jérôme, pris de panique, quitte précipitamment la cabane, laissant derrière lui ses trois amis. Il court à travers bois et finit par se résoudre à retourner à la cabane. À son arrivée, Pauline psalmodie des prières chrétiennes à l’encontre de la créature qui contrôle Mélanie et finit par parvenir à ses fins.

Les quatre jeunes quittent la cabane et retournent chez eux. Arrivé devant son appartement, Jérôme aperçoit Frank qui l’attend et lui annonce que Mélanie, à nouveau possédée par l’esprit, a disparu.


Résumé de l’épisode 3 : Jérôme et Frank cherchent Mélanie, mais les recherches ne donnent aucun résultat. Jérôme conduit son ami blessé à l’hôpital. Puis, il décide de se rendre chez Pauline afin de vérifier qu’elle va bien, que Mélanie ne l’a pas prise pour cible.

Jérôme et Pauline finissent dans les bras l’un de l’autre, mais sont constamment dérangés par des coups de fil. Quand Frank leur téléphone pour leur annoncer que Mélanie est retournée chez ses parents et qu’il aimerait bien que Jérôme et Pauline l’accompagnent à leur domicile, les deux tourtereaux acceptent, récupèrent Frank à l’hôpital et se rendent chez la famille de Mélanie.

Les Lavoussière sont en colère et restent persuadés que leur fille a été droguée. Cependant, de nouveaux phénomènes paranormaux se produisent et le père de Mélanie est contraint de mettre sa fille sous sédatif.

Au vu de ces événements inexpliqués, Pauline propose de consulter un universitaire spécialisé dans le paranormal qui officie dans l’université qu’elle fréquente avec Jérôme.

Paul, le père de Mélanie, trouve l’idée absurde et quitte le domicile conjugal en colère. Son épouse, Christine, démunie, pense que toutes les pistes doivent être explorées parce qu’elle est incapable d’expliquer et encore moins d’analyser le comportement de son enfant, malgré son diplôme de psychiatre.

Pauline et Jérôme se rendent dans la famille de ce dernier alors que Frank reste chez sa belle-famille pour être auprès de Mélanie.




Sciences




Au moment où nous sortons de la voiture, le visage de ma mère s’illumine. Elle doit nous attendre sur la terrasse depuis que je lui ai annoncé que je serai accompagné. Je m’aperçois rapidement que la seule femme qui m’a toujours voué un amour sans faille détaille Pauline de pied en cap. Au sourire de connivence qu’elle me lance, je comprends que ma copine est à son goût.


Elle a aussi l’air d’être au goût de mon père qui, il me semble, attarde un peu trop son regard sur la carrosserie avantageuse de Pauline. Apparemment, Rémy – mon petit frère – a aussi du mal à ne pas concentrer toute son attention sur les seins de ma nouvelle conquête qui ne s’en aperçoit pas ou, du moins, fait comme si elle ne remarquait pas ces regards qui glissent subrepticement sous son menton.


Au cours du repas, ma mère bombarde Pauline de questions auxquelles elle répond avec le sourire. La curiosité de ma maman rassasiée, nous avons droit à l’inévitable proposition de mon père : la partie de tarot.


Il sait que je déteste les jeux de cartes, mais ne peut s’empêcher de proposer d’y jouer à chaque fois que j’invite quelqu’un ! Évidemment, il sait aussi très bien à qui poser la question et, naturellement, Pauline accepte sa proposition.


Nous jouons au tarot, ce jeu qui me gonfle. À la fin de la partie, Pauline et moi allons dans ma chambre écouter un peu de musique avant de prendre un repos mérité.


Le sommeil nous terrasse en plein milieu de l’album Ride the Lightning sans que nous nous en rendions compte et lorsque j’ouvre un œil, il fait déjà jour.


Mon radioréveil affiche 10 h 33. Pauline dort comme un bébé. Seule sa lourde poitrine s’élève et s’abaisse au rythme de sa respiration. Je quitte le lit sur la pointe des pieds et descends prendre le petit déjeuner.




o000o




Mon frère est déjà parti au lycée et mon père à son travail. Il ne reste donc que ma mère qui, dès qu’elle comprend que Pauline dort encore, engage une conversation avec son fils. Elle veut tout savoir, comme d’habitude, alors que moi, je n’aime pas trop m’étaler sur ma vie intime. Je réponds néanmoins à la plupart de ses questions sans trop ronchonner.


Pauline nous rejoint vers 11 h 15 et s’offusque que je l’aie laissée dormir alors que tout le monde était debout depuis longtemps.


Ma mère lui fait subir un interrogatoire auquel Pauline se prête avec le sourire, si bien qu’elle finit par obtenir toutes les réponses à ses questions, même celles que j’avais une heure auparavant éludées.


Puis, inquiète, ma mère nous demande si nous n’avions pas cours ce matin. Évidemment que nous avions cours ! Mais elle m’agace quand elle me considère encore comme un gamin ! Je suis en licence de socio et il me paraît logique de gérer mon emploi du temps comme bon me semble !


Avec notre week-end mouvementé, les cours du lundi matin sont le cadet de mes soucis !


De toute façon, hier soir, nous avons décidé avec Pauline de rendre visite au professeur de notre faculté* qui mène des recherches sur le paranormal. Nous n’avons jamais engagé la moindre conversation avec cet homme, mais nous avons entendu parler de lui. Et de ses travaux. Sa réputation le précède et, à la fac, c’est un personnage haut en couleur.


Malgré la presque injonction de ma mère afin de nous garder pour le déjeuner, nous déclinons son offre et repartons sur Toulouse pour rencontrer le spécialiste du surnaturel.




o000o




Nous franchissons l’immense portail du Mirail devant lequel des filles habillées de manière sexy distribuent des prospectus pour des soirées étudiantes. Pauline me donne un coup de coude lorsque je jette un coup d’œil par-dessus mon épaule afin de vérifier l’arrière-train d’une des nénettes dont la mini-jupe à volant masque avec difficulté le galbe de ses fesses.


Nous nous dirigeons vers L’UFR où officie Yves, car tout le monde appelle ce prof par son prénom, même ceux qui ne suivent pas ses cours. Il ne nous faut pas plus de cinq minutes pour trouver son bureau.


Nous frappons à la porte et une voix grave nous invite à entrer.




o000o




Derrière un bureau sur lequel règne un capharnaüm incroyable, un homme approchant la soixantaine nous gratifie d’un sourire en réajustant ses lunettes et ses cheveux grisonnants. Des montagnes de dossiers et de livres forment deux tours autour de son visage. Il nous invite à nous asseoir après les politesses d’usage.



Les yeux du professeur pétillent d’intérêt à cette annonce. Il se carre profondément dans son fauteuil et s’empresse de demander :



Cette fois-ci, c’est Pauline qui lui coupe la parole :



Nous le quittons en le remerciant de son accueil et décidons d’aller nous acheter un kebab pour le déjeuner.




o000o




Je viens de croquer dans mon sandwich quand mon portable sonne. C’est la mère de Mélanie. D’après mes souvenirs, nous nous étions dit que nous la rappellerions. Je décroche, légèrement angoissé :



La légère angoisse se mue en panique.



Je n’ai pas le temps de protester et n’aurai pas plus de précisions.


Elle a déjà raccroché.




o000o




Qu’est-ce qu’il se sera encore passé ? Je suis assailli par maintes questions. Elles tourbillonnent dans mon esprit. J’imagine ce qui a bien pu se produire et, évidemment, j’envisage le pire : Frank est mort ! La saloperie de créature qui contrôle Mélanie l’a tué. Elle s’est jetée sur lui et lui a brisé les cervicales.


J’arrive à me représenter sa tête qui pend mollement, ses yeux éteints, et ce masque de terreur qui remplace dorénavant son visage, et qui ne le quitte pas, même dans la mort…


Avec Pauline, nous fonçons jusqu’à la voiture et retournons chez les parents de Mélanie.




o000o




Le portail d’entrée est grand ouvert lorsque nous arrivons. Je me permets de rouler sur le sentier de cailloux jusqu’au perron. Nous sortons à peine du véhicule quand la porte d’entrée s’ouvre sur la mère de Mélanie qui revêt encore sa robe de chambre alors qu’il est treize heures passées.


Nous nous précipitons vers elle.


Elle fond en larmes.




o000o




Les hoquets ne semblent pas vouloir cesser et les mots qui parviennent à sortir de sa bouche sont difficilement compréhensibles. Nous finissons par comprendre qu’il est arrivé quelque chose de grave à Frank, mais ignorons de quoi il s’agit, car elle a du mal à aligner trois mots d’affilée.


J’ai envie de lui coller une tarte, comme dans les films, pour qu’elle se reprenne et réussisse enfin à me raconter ce qui s’est passé.


Il nous faudra plus d’une demi-heure pour apprendre que Frank n’est plus là !


Christine a dû appeler le SAUS (Service d’Accueil des Urgences Spécialisées), une unité psychiatrique qui prend en charge les urgences psychiatriques.


Cette nouvelle me dévaste ! Comment Frank a-t-il pu perdre la raison ?


Je lui pose la question et elle y répond :



Accablée par le chagrin, des larmes naissent au coin de ses yeux. Elle tire un mouchoir de la poche de sa robe de chambre et s’essuie le nez.


Par politesse, je décide de lui laisser le temps de recouvrer ses esprits, mais, au bout de quinze secondes, l’attente est insupportable. Agacé et impatient, je la brusque un peu :



Pauline, qui n’a pas pris part à la conversation jusque-là, pose sa main sur mon épaule, ce qui m’empêche de finir de traiter la mère de Mélanie d’immonde connasse.


Je suis déboussolé ! Enragé ! Inquiet aussi. Pauvre Frank ! Il croupit dans la geôle des azimutés du bocal.


Il faut que je le sorte de là ! Il faut que tout cela cesse ! Il faut que la vie reprenne son cours normal. Il faut que je sache ce que Frank a subi pour se retrouver dans cet état, lui qui m’a toujours semblé si costaud, à l’épreuve des pires choses que la vie nous réserve.


Pauline me tire de mes pensées quand elle lance :



J’acquiesce d’un signe de la tête et commence à réfléchir. En vain ! Tout s’embrouille dans ma petite tête malmenée. Je pense à mon pote qui doit être en ce moment même abruti par les cachetons qu’on lui a administrés.


Un frisson parcourt mon échine.


Je me morfonds de tous ces problèmes auxquels nous allons devoir faire face au moment où me parvient la voix lointaine de Christine. Elle me ramène immédiatement à la réalité lorsqu’elle annonce à Pauline que Mélanie est toujours dans sa chambre, « suspendue au plafond. »



Une nouvelle fois, elle éclate en sanglots et Pauline la prend dans ses bras.


Je demeure cinq minutes immobile, perdu dans de futiles réflexions alors que la tête de Christine repose toujours sur l’épaule de Pauline.


Il est temps de contacter Yves.


S’il voit Mélanie suspendue au plafond, j’aimerais bien entendre son explication scientifique…




o000o




Yves donne des cours jusqu’à 16 h et me propose de nous retrouver devant la maison des Lavoussière entre 17 h 30 et 18 h.


Le temps s’étire lentement. Chacun semble absorbé par de sombres pensées. Nous buvons du café depuis longtemps froid, confortablement installés dans le canapé en cuir familial quand Christine rompt le silence. Sa voix n’est cependant qu’un murmure :



Pour être honnête, je n’ai pas du tout envie d’y aller et ne sais pas si je serais capable d’affronter le démon qui possède Mélanie.

Pourtant, je me lève, saisis la clé de la chambre que me tend Christine et, d’un pas que j’espère assuré, me dirige vers l’antre de la bête.




o000o




À peine ai-je franchi le pas de la porte qu’un froid polaire m’enveloppe de ses bras de glace. J’ai la sensation que la température avoisine le zéro, ce que me confirme le givre qui s’est déposé sur la table de chevet et les vitres des fenêtres. Ces dernières ont été condamnées par des planches. J’apprendrai plus tard que Frank et Christine s’en sont chargés la veille afin d’éviter que Mélanie ne se défenestre.


Une atroce odeur de merde et de putréfaction monte à mes narines. La puanteur est si intense que je m’efforce de réprimer l’envie de dégobiller. Je bloque ma respiration et lève les yeux.


Rien ! Mélanie n’est pas accrochée au plafond !


La panique me gagne et je parcours du regard le reste de la pièce, à la recherche d’un danger.


Je suis en train de me demander où Mélanie a bien pu se cacher lorsque, à la périphérie de ma vision, j’aperçois le démon. Il me charge.


Au fond de mon crâne, une voix pleine de sagesse m’ordonne de foutre le camp, mais mes jambes, flageolantes, refusent de bouger.


J’ai du mal à reconnaître Mélanie. Ses yeux sont deux globes oculaires noirs qui brillent comme une boule de billard. Ses joues sont profondément entaillées et les escarres sont plus nombreuses que dans mes souvenirs, pourtant récents. Des mains noires et griffues remplacent les mains délicates de la chérie de Frank. Et ces mains-là sont ouvertes (probablement pour se resserrer autour de mon cou, me dis-je funestement.)


Je hurle ma terreur, espérant qu’elle puisse quitter mon corps par le cri.


Un épouvantable rictus fleurit sur le visage du démon et s’agrandit lorsqu’il parvient à me renverser.


Je cherche à pousser un nouveau cri, mais celui-ci meurt au fond de ma gorge dès que les mains griffues m’étranglent.


L’horrible visage de la créature exprime une haine qui me glace le sang. Des crocs couverts de filets de salive ornent sa bouche dont l’haleine fétide – mélange de barbaque avariée et de merde – me révulse l’estomac.


J’éprouve un sentiment de défaite et ne peux m’empêcher de croire que la créature aura pulvérisé ma trachée avant que quelqu’un me vienne en aide. Un bref instant, mes pensées se tournent vers Pauline et j’en viens à souhaiter de tout mon cœur qu’elle n’ait pas entendu mes hurlements. Je ne veux pas que l’esprit s’en prenne en elle ou, pire, s’empare à nouveau d’elle.


Puis l’instinct de survie reprend le dessus et je ne pense plus qu’à ma petite personne, souhaitant qu’on m’extirpe des griffes du démon.


L’air semble s’être raréfié même si naturellement mes narines prennent le relais malgré l’odeur infecte qui se dégage de la gueule (peut-on encore appeler ça une bouche ?) de la chose.


J’inspire autant d’oxygène que possible.


Je vais mourir, voilà l’unique pensée qui traverse mon esprit. Le démon me le confirme en vociférant :



Mourir, je m’y suis déjà résolu ! En revanche, que Pauline subisse le même sort ne me convient pas du tout ! La douleur qui transperce ma gorge est insoutenable, comme si quelqu’un avait glissé un charbon ardent à l’intérieur de mon cou. Je me débats, essaie de repousser les mains qui me broient le cou, mais la force de la créature est nettement supérieure à la mienne et je reste à sa merci.


Ma vision devient floue, des points blancs dansent devant mes yeux. Je me sens partir… Ce n’est plus un charbon ardent qu’on m’a coincé au fond de la gorge, mais un tison chauffé à blanc.


Je vais mourir !


Je lutte.


Je lutte, mais le rideau des ténèbres finit par tomber.




o000o




Lorsque je reprends connaissance, je suis allongé sur le canapé du salon. Pauline, assise dans le fauteuil d’en face, me sourit. Et ce sourire me fait un bien fou.


La douleur n’a toujours pas quitté ma gorge sur laquelle je découvrirai plus tard des ecchymoses.


Je constate en me redressant qu’Yves est là, lui aussi, assis à la table de la salle à manger, en grande discussion avec Christine.


Je ne me suis pas encore levé du canapé que Pauline me serre dans ses bras. Qu’est-ce que je suis bien dans ses bras ! Je voudrais ne jamais les quitter ! Mais les meilleures choses ont malheureusement une fin. C’est le spécialiste du paranormal qui y met un terme en me demandant :



Me tournant vers Christine je la remercie, puis enclenche la conversation avec Yves :



Le silence s’installe encore. Cela a l’air d’être devenu une habitude. Nous nous recentrons tous sur nous-mêmes, chacun envahi par ses propres pensées.


Je pense à mon pote. Je l’imagine avec les autres patients. Il m’a l’air tout aussi cinglé qu’eux et déambule comme un zombie dans des couloirs trop blancs qui me rappellent ceux que l’on voit dans le premier film de Lucas, THX1138.


Cette vision m’obsède. J’essaie bien de penser à autre chose, mais cela n’a aucun effet. Dans ma caboche, la même scène tourne en boucles. Frankie erre dans les couloirs immaculés, suivis d’une horde de psychotiques qui ricanent. Des rires déments qui déclenchent la chair de poule. L’avoir abandonné me vrille l’estomac, me ronge l’âme. Je me sens responsable même si, au fond de moi, j’ai conscience que je ne peux pas m’accuser de la sorte. Pourtant, je me sens profondément coupable, comme un meurtrier qui se rendrait compte un peu tard de son erreur et aimerait se repentir. C’est exactement ce que je désire : me repentir.


Christine, au bout d’une grosse demi-heure de silence, brise ce dernier et nous propose d’aller prendre un café. Cela a l’air de ravir Yves qui lui emboîte le pas en direction de la cuisine, tandis qu’avec Pauline, nous restons dans le salon. Nous avons déjà tombé deux cafetières !




o000o




Dès que nous sommes seuls, j’engage la conversation avec Pauline, sur le ton de la confidence :



Cela me paraît étrange. Comment ont-elles pu ne pas se rendre compte de la puanteur ? L’odeur était si forte que j’en avais des haut-le-cœur. Et le froid était si vif qu’il était impossible de ne pas le ressentir. Puis j’ai vu le givre…


Peut-être l’esprit qui s’amusait une fois de plus avec mes sens…


Ce coup-ci, c’est au tour de Pauline de m’interroger :



Partager un café et des gâteaux secs n’engendre guère plus de conversations et, chacun de nous demeure perdu dans d’extatiques contemplations.


Combien de temps sommes-nous restés muets ? Je l’ignore et ne me suis, à aucun moment, intéressé à l’heure qu’il pouvait être sauf quand le bordel a commencé.




o000o




Nous sursautons tous.


Je jette un coup d’œil à l’horloge comtoise du salon qui indique 18 heures, pile. Le plateau contenant nos quatre tasses vides se renverse comme si quelqu’un l’avait violemment projeté au sol, les tasses se répandant au sol en des débris de grés. Les volets des fenêtres du salon se mettent à claquer et une armoire massive en noyer se soulève plusieurs fois en rebondissant sur le sol, comme on peut parfois le voir dans les films sur les maisons hantés.


Nos visages affichent de la stupéfaction à laquelle se mêle la peur. Celui d’Yves n’exprime rien. Il se contente d’observer les événements qui se déroulent en gardant son calme.


Christine, effrayée, se lève brusquement. À son regard implorant, tout le monde comprend qu’elle souhaite qu’on la suive dans la chambre.


Nous nous ruons à l’étage alors que tout le mobilier de la maison – qui persiste à se soulever, à claquer, ou à se renverser – nous joue une sorte de mélopée macabre de castagnettes.




o000o




Lorsque Christine pousse la porte, celle-ci ne s’ouvre pas. La panique s’empare rapidement d’elle et, à son regard, je comprends qu’elle désire l’ouvrir sur-le-champ, car la vie de sa fille se joue peut-être en ce moment.


Ni une ni deux, je prends de l’élan et donne un puissant coup de pieds au niveau de la serrure. La porte tremble légèrement, mais ne cède pas. Il faut dire que les portes sont en chêne et ma seule chance est de briser le pêne. Au troisième coup de pompe, le pêne cède et la porte s’ouvre sur la chambre de Mélanie qui s’est transformée en champ de bataille.




o000o




Tous les meubles se trimballent dans la chambre et effectue une espèce de ronde autour du lit. Mél ne dort plus.


L’hypnotique n’a pas fonctionné bien longtemps…


Entièrement nue, elle se dresse sur son lit. Ses yeux nous transpercent de leur ire. Ses cheveux s’agitent comme les serpents sur la tête de Méduse et des dents acérées (des crocs devrais-je dire) sont apparues dans sa bouche. Son visage est zébré d’escarres comme le reste de son corps. De profondes entailles suppurantes courent sur sa poitrine et descendent en zigzags jusqu’à son pubis, lui aussi lacéré. Pour le moment les ongles de Mélanie n’ont pas l’apparence de griffes.


En revanche, tout le monde perçoit l’odeur de merde et de pourriture qui est si violente que Pauline fait deux pas en arrière et vomit sur le palier de la porte. Le froid polaire se fait aussi sentir et des frissons que j’associerais aussi bien à la peur qu’à la caillante parcourent mon échine.


Cette fois-ci, en jetant un bref regard en direction d’Yves, je décèle un changement dans son expression : il est surpris ! Il ne s’attendait pas à voir quelque chose d’aussi fantastique, d’aussi irréel. Mais le bougre ne semble pas éprouver la moindre crainte, car il s’avance paisiblement dans la pièce alors que nous n’avons pas bougé d’un millimètre.



Imperturbable, Yves continue sa progression lorsque la chaise du bureau de Mélanie se soulève dans les airs et, mu par une force invisible, finit sa course dans la tronche du prof de math qui n’a pas eu le temps de correctement se protéger le visage.


Naturellement, il recule. Son arcade droite pisse le sang. La commode lévite dans les airs et sert à nouveau de projectile. Mais ce coup-ci, Yves esquive le meuble qui se fracasse à quelques mètres de nous.




Elle ne répond rien, ne croise pas mon regard, comme si elle n’avait pas entendu.


Pauline, livide, revient à ma hauteur et me prend la main.


Yves observe attentivement Mél qui rit à gorge déployée, comme si quelqu’un venait de lui raconter la meilleure blague qu’elle n’ait jamais entendue. Cependant, ce rire-là revêt dans ses sonorités un aspect inquiétant qu’il est impossible de ne pas ressentir.


Yves, téméraire (ou probablement complètement cinglé) s’approche de Mélanie.


Elle plante son regard dans le sien et une nouvelle chaise s’élève dans les airs et est propulsée vers le prof de stats qui l’évite se jetant sur le côté comme aurait pu le faire un militaire entraîné. Je dois avouer qu’il m’impressionne par son courage et ses réflexes, mais, lorsque Mélanie lévite et se jette sur lui en flottant dans les airs, il détale comme un lapin. Je crois que c’en est trop pour lui.


Malheureusement, la créature est plus rapide et s’accroche à son dos, le bras droit autour de sa gorge.



Yves se débat, les yeux exorbités, alors que la créature l’étouffe.


Sans vraiment le vouloir, poussé par l’instinct ou bien la connerie, je m’avance dans la chambre et tente d’ôter le bras qui étrangle notre spécialiste du paranormal.


Impossible ! J’ai beau y mettre toute mon énergie, l’étreinte se resserre autour du cou d’Yves qui commence à suffoquer, le visage cramoisi, les veines apparentes aux tempes.


Alors, je plante mes dents dans la chair tendre de l’avant-bras avec la ferme intention d’arracher un lambeau de chair. Cette salope de créature le mérite ! Le goût cuivré du sang se propage dans mon palais et, surprise, la chose libère le statisticien qui prend ses jambes à son cou et se rue vers la sortie de la piaule.

Imitant Yves, je me précipite vers le palier, peu de temps après avoir croisé le regard haineux que me lance le démon.


Yves pousse gentiment mais fermement Pauline et Christine vers l’extérieur de la chambre et je parviens in extremis à m’échapper de la pièce avant que la créature, qui me colle au train, ne me fasse subir je ne sais quel mauvais coup.




o000o




Nous nous appuyons sur la porte pour empêcher le démon de sortir. Quelle idée à la con d’avoir enfoncé cette porte, ne puis-je m’empêcher de me répéter alors que, de l’autre côté, la créature essaie de l’enfoncer.


Les cinquante kilos de Mélanie parviennent à chacun de ses coups d’épaules à faire trembler la porte et nous devons constamment nous rappuyer sur celle-ci pour éviter qu’elle se glisse par les ouvertures qu’elle réussit à provoquer.


Pauline et Christine sont descendues chercher du matériel médical et ne reviennent qu’au bout d’un moment qui paraît exagérément long.




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Avec Yves nous nous regardons et comptons silencieusement jusqu’à trois, moment auquel nous avons implicitement décidé de ne plus nous appuyer sur la porte.


La créature, prise par son élan et mon croc en jambe, se retrouve de l’autre côté. Elle se vautre par terre, son front heurtant le sol. Nous grimpons sur elle à califourchon pendant que Christine s’efforce de lui injecter une nouvelle dose de sédatifs.


Elle se débat, tente de nous mordre ou de nous griffer, mais, heureusement, le sédatif fait rapidement effet et le démon laisse place à une Mélanie endormie.




o000o




Le silence règne encore en maître dans la somptueuse demeure des Lavoussière. Tous les visages sont frappés par la peur, mais aussi la déception, déception dont la cause provient de notre incapacité à appréhender et traiter pareille situation. Même notre spécialiste du paranormal ne semble pas en mener large. Son regard se perd dans ses chaussettes.


Pauline rompt le silence :



Il lève les yeux vers elle et répond :



Christine, devant cet aveu de faiblesse, craque. Elle fond encore en larmes et balbutie, d’une voix éteinte :



Yves pose une main sur son épaule et, d’une voix calme et posée, annonce :



Avec Pauline, nous les écoutons religieusement pendant une bonne dizaine de minutes au cours desquelles ils dressent une liste de médicaments psychiatriques susceptibles de canaliser le démon.


Nous portons Mélanie dans une autre chambre. Christine lui a administré 200 mg du Clopixol, un neuroleptique employé pour calmer l’agressivité des schizophrènes, ainsi que du Tranxene par intraveineuse.


Dans sa nouvelle chambre, Mélanie a été mise sous perfusion. Si la chose venait à se réveiller, Yves ou Pauline n’auraient qu’à presser la seringue pour lui injecter du Propofol, le principal hypnotique employé lors d’anesthésie générale.


Avec Christine nous avons décidé de nous rendre à son hôpital. Christine doit y récupérer une camisole de force.


Quant à moi, j’ai prévu de rendre une petite visite à Frank. Christine a tout arrangé en appelant son confrère psychiatre du SAUS.




o000o




Je ne vois mon pote que même pas cinq minutes ! Le chef de service, malgré l’appui de Christine, a été très clair en m’expliquant que Frank était si choqué en arrivant que même les médicaments administrés n’ont eu pour le moment que peu de bénéfices. Il ne s’est pratiquement pas reposé comme si les sédatifs étaient inefficaces.


Je frappe à la porte. Pas de réponse. J’entre.


Frank contemple le parking par la fenêtre de sa chambre. Il ne se retourne pas et ne semble pas avoir conscience de ma présence.


Je m’avance vers lui et lui tape sur l’épaule. Il ne réagit pas ! Je le fais pivoter et fais un pas en arrière lorsque je découvre la balafre qui décore sa joue. Les points de suture s’étendent de son oreille gauche à son menton. J’ai beau tenter de capter son attention, c’est comme si j’étais transparent, son regard évite constamment le mien ! Ses yeux errent au hasard sur les murs pastel de sa minuscule chambre.


J’essaie d’engager la conversation, mais il n’y prend pas part. Je me sens impuissant face à mon ami qui semble avoir complètement perdu la raison. Une subite envie de chialer me submerge, mais je parviens à la surmonter et m’avance en souriant vers mon pote pour le prendre dans les bras. J’ai l’impression de serrer une guimauve, il ne me retourne pas mon étreinte et son regard se perd à nouveau dans le vide.


C’en est trop ! Je craque et pleure sur son épaule en marmonnant :



Mais son corps ne réagit pas et ses yeux continuent à se river sur le néant. Ce regard me file les jetons et il faut que je quitte cet hôpital si je ne veux pas être anéanti par le chagrin qui me submerge.


Je salue mon ami et m’apprête à quitter la chambre au moment où Frank ouvre la bouche et prononce avec difficultés : CPM.


Je m’évertue à en apprendre davantage, mais il demeure muet et un infirmier psy, envoyé par son chef de service, vient me demander de quitter les lieux.


À contrecœur, je laisse mon ami que j’abandonne sans le savoir à un tragique destin.




o000o




CPM ? J’arpente le parking en réfléchissant à la signification de ce sigle quand la solution m’apparaît subitement évidente : « C’est PM ».


Là, tout devient limpide. Dans ma tête, le vieux briquet Brass se matérialise. Le seul objet que nous avons trouvé dans notre cabane. Ce briquet que nous avons enterré et sur lequel figuraient les initiales PM…




(à suivre)




* L’individu employé dans mon histoire est un professeur de mathématiques et de statistiques qui a réellement travaillé sur le paranormal à l’université du Mirail à la fin des années soixante-dix.

Pour ceux que ça intéresse : http://fr.wikipedia.org/wiki/Yves_Lignon