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n° 16135Fiche technique10147 caractères10147
Temps de lecture estimé : 7 mn
07/04/14
Résumé:  Que faire quand un homme ne pense plus qu'à visiter les sites pornos sur internet?
Critères:  ffh champagne uro humour
Auteur : Samuel            Envoi mini-message
Poésie de la chaise cannelée



Je pensais donc qu’elle m’invitait pour un repas qui serait de l’ordre d’une vingtaine d’euros et qu’elle en économiserait donc 230. Je connaissais Clément depuis des années. On est même sorti ensemble quelques temps à la fac. À l’époque, il n’était pas si compliqué. Je ne voyais pas quels conseils je pouvais lui prodiguer et surtout comment aborder le problème. C’est vrai qu’il avait suivi mes recommandations quand il cherchait un appartement à acheter et qu’il s’en était bien porté. Le fameux soir où il a pendu la crémaillère, il m’a coincée dans la salle de bain et embrassée fougueusement, comme pour me remercier. Mais depuis, il était presque distant. Et, de mon côté, c’est une histoire qui n’a jamais compté. Maintenant, je vis seule, c’est un choix, et j’ai mes amants qui ne sont jamais loin du téléphone.


Le mardi en question, je me préparai gentiment. Une jupe colorée assez longue, un corsage un légèrement échancré. Une veste style année 80 et des chaussures à talons très peu vertigineux. J’amenai quelques bouteilles de champagne, parce que je redoute toujours leur vin qu’ils font venir d’Ardèche et qui ne supporte pas le voyage. C’est Alina qui vient m’ouvrir avec un grand sourire, mais les yeux gonflés de larmes contenues. On m’installe sur le sofa et Clément vient m’embrasser en apportant les biscuits apéritifs. On discute de la situation au Venezuela (j’ai un amant qui vient de Caracas) et on tombe d’accord, alors la conversation s’éteint. Alina sert les avocats au crabe et on commence tranquillement à se taquiner comme on a toujours fait. Dis donc t’aurais pas pris quelques kilos ? Et toi, tu tournes un peu au poivre-et-sel ! Ça te va bien ces nouvelles lunettes… Le champagne coule à flots, mais Alina n’en boit quasiment pas. À un moment, elle s’excuse ; elle doit téléphoner.



Alina est arrivée, avec le plat de résistance, une pintade que nous avons dégustée en reprenant le ton badin de nos conversations habituelles et quand le dernier os a été rongé, Clément a fait tinter son verre avec son couteau :



On a attendu quelques secondes et un bruit curieux de fuite d’eau s’est fait entendre. Je regardai sous la chaise d’Alina. Il y avait un pot de chambre d’avant-guerre, en faïence. Et elle pissait à travers la chaise cannelée. L’urine s’écoulait avec la régularité d’un cours d’eau printanier. La pauvre semblait souffrir de cette humiliation ; elle était rouge et elle baissait la tête. À la fin de la miction, Clément lui prit le menton et l’embrassa avec passion. Alors elle se redressa avec un geste que je suspectai être de fierté. Je me demandai aussi à qui était destinée cette démonstration. Probablement à moi qui voulais me mêler de leurs ébats…


J’étais au pied du mur. Ou je sortais le plus dignement possible sans me retourner et sans dire un mot, en me promettant de ne plus remettre les pieds dans cet appartement. Ou j’entrais dans le jeu. La première tentation était de parler, de dédramatiser, de montrer que tout pouvait s’expliquer, se comprendre, s’accepter à condition que l’on respecte son partenaire et ses envies, ses réticences, ses tabous. Bref, de jouer au petit psychologue de salon, peut-être pas à 250 euros, mais de qualité tout de même.


Mais je réalisai vite que le scénario qui m’avait été proposé était muet, que brusquement la parole avait été dévaluée, que le discours n’avait plus sa place. Maintenant, avait-il dit, nous aurons besoin du silence. Alors je demandai de changer de place avec Alina. J’ôtai ma culotte, relevai ma jupe et m’assis sur le cannelage encore humide et tiède. J’avais l’impression que des multiples petits carreaux transformaient mes fesses en un minuscule jeu de dames. Je me demandais aussi si je n’allais pas me bloquer dans cette situation en voulant trop dissimuler mon émotion. Mais le champagne fit son effet et rapidement le silence fut rompu par une nouvelle déferlante dans le pot de chambre. Pourtant il y avait une différence. Autant le débit d’Alina était régulier et calme, autant le mien était désordonné avec des éclaboussures, des moments d’accalmie et de nouvelles vagues impétueuses. Le café fut servi dans une atmosphère solennelle et recueillie.


Puis sans un mot nous nous sommes séparés. Le moindre mot maladroit, le moindre geste déplacé et tout était rompu. Il ne serait alors resté qu’un pot de chambre au fumet épicé et deux femmes qui n’avaient pas pris le temps de se nettoyer. Au contraire, là, dans cet espace mystérieux, nous étions deux fées humides de la rosée céleste ou deux sorcières venant de préparer un filtre d’envoûtement.


Quelques jours plus tard, je retrouvai Alina, qui voulait absolument me remercier. Je me demandai bien pourquoi. Elle me dit :



Con large comme un estuaire

Où meurt mon amoureux reflux

Tu as la saveur poissonnière

L’odeur de la bite et du cul

La fraîche odeur trouduculière

Femme ô vagin inépuisable

Dont le souvenir fait bander

Tes nichons distribuent la manne

Tes cuisses quelle volupté

Même tes menstrues sanglantes

Sont une liqueur violente.


Et comme c’est Apollinaire qui le dit, Clément trouve aussi qu’elles sont une liqueur violente mes menstrues sanglantes…