— Toi, tel que je te connais, tu veux encore mater un film de cul.
— Mets la vidéo, que je te dis.
— Bon. Voilà, j’avais raison. Toujours la même chose…
— Mais tu ne remarques rien ?
— Tu sais, moi, les pénétrations, je préfère les vivre.
— Regarde avec un peu plus d’attention, s’il te plaît.
— Mais, bordel, c’est nous !
— Je vois que tu redeviens observatrice.
— Mais tu es gonflé tout de même ! Je pourrais être prévenue quand je suis filmée en train de baiser. Et d’abord, c’était où et quand ?
— Tu ne reconnais pas les lieux ?
— C’est sombre… Mais oui, je vois, chez ma sœur.
— Bien, tu progresses.
— Mais dis donc, qui est-ce qui filme ? La caméra n’est pas simplement posée. Elle bouge.
— Là, ce n’est plus de l’observation ; c’est de la cinéphilie.
— Tu ne vas pas me dire que c’est Marianne qui filmait !?
— Je ne vais pas te le dire puisque tu as deviné.
— Merde alors ! Tu es complètement fou, mon pauvre vieux, avec tes fantasmes à la con. Figure-toi qu’avec ma sœur, on ne s’est jamais rien montré ! Quand l’une ou l’autre prend sa douche, la salle de bain est fermée à double tour. Et là…
— Regarde plutôt comme tu es belle quand tu jouis.
— Et comment se fait-il que je ne me suis aperçue de rien ? J’étais bourrée ou quoi ?
— Un peu, c’est vrai. Mais surtout elle a un angle de vue particulièrement avantageux en se dissimulant sur le balcon. Les rideaux qui volent ne font qu’ajouter au romantisme de la scène ; ils ne cachent rien.
— En plus, elle se permet de faire des gros plans. C’est vraiment répugnant.
— Moi, je ne trouve pas.
— Toi, bien sûr, tu adores mater ce genre de baise. Moi, je préfère participer, tu vois.
— Eh bien, ça tombe bien puisque c’est toi qui participes.
— Ce n’est pas drôle. Et puis, maintenant, chaque fois qu’on fera l’amour, je serai tendue parce que je vais me demander où est la caméra. Je n’aurai plus confiance en toi. Et ça dure encore longtemps ce film ? Parce que ça commence à m’écœurer.
— Tu ne te souviens plus ?
— Mais non bien sûr.
— C’est bientôt fini.
— Oui, d’habitude tu ne tiens pas si longtemps. C’est la présence de ma sœur qui… Et d’ailleurs qui a eu cette idée tordue ? Parce que c’est une machination, rien d’autre. Il a bien fallu que tu complotes avec Marianne, qu’elle s’introduise sur le balcon avec tout son matériel, et on voit bien que toi, tu sais parfaitement où est la caméra. Tu t’arranges toujours pour qu’on voie bien nos sexes qui s’emboîtent. Vous n’êtes que deux vicieux. Mais elle, je la retiens ! Elle va entendre causer du pays, avec ses airs de sainte-nitouche.
— Regarde bien. C’est un moment crucial. Je te propose gentiment une sodomie et tu refuses avec une méchanceté… Alors, j’éjacule sur tes fesses.
— Ce n’est pas trop tôt. Ça aussi, c’est un truc qui m’énerve chez toi. Tu sais que j’ai horreur de ça, la sodomie, et tu essaies à chaque fois avec un entêtement agaçant. La fellation, c’est pareil. Je n’aime pas ça. C’est clair. Une fois pour toute. On baise, on baise, d’accord. Mais on respecte les envies et les non-envies de l’autre.
— Dans le cas précis, on ne fait que respecter tes non-envies. Jamais mes envies à moi.
— Mais oui, seulement toi, tu es vraiment spécial avec des fantasmes à la con. C’est comme la fois où tu as voulu me prendre sur le capot de la Peugeot. Eh bien non ! On fait l’amour dans un lit. Un point, c’est tout.
— Nous avons tout de même fait l’amour une nuit sur la plage à Menton.
— Parlons-en. Je ne voulais pas. J’ai fini par céder. Et puis quand nous avons terminé, nous nous sommes aperçus qu’il y avait dix mecs qui se masturbaient autour de nous. Tu parles d’une expérience excitante ! C’est d’ailleurs depuis ce jour-là que je me suis dit que jamais plus je ne céderai à tes lubies imbéciles. Mais tu ne m’as pas répondu. Qui a eu cette idée idiote et malsaine ? Elle ou toi ?
— Les deux.
— Et comment ça se fait que vous soyez arrivés à un tel degré d’intimité ?
— Nous nous sommes rapprochés. Entre beau-frère et belle-sœur…
— De là à faire du porno ensemble…
— Nous n’avons pas fait du porno ensemble. Nous avons fait du cinéma. Elle comme réalisatrice et moi comme acteur débutant.
— Et moi, comme conne de service.
— Non, toi, comme actrice confirmée.
— Merci du compliment.
— Ce n’est pas un compliment, c’est une constatation.
— Pardon ?
— Oui, ce n’était pas ta première apparition à l’écran.
— Mais de quoi tu parles ?
— Du deuxième film que nous allons voir, mais qui a été tourné avant le premier.
— Quoi ? Vous avez fait cela une autre fois ?
— Toi oui.
— Comment cela ?
— Avant il faut que tu te souviennes de la durée du premier film. 13 minutes et 24 secondes. OK ? Bon, ensuite, il faut se souvenir que le décor est une simple chambre.
— Mais pourquoi tu me dis tout cela ?
— Parce que maintenant le décor va changer radicalement, la durée aussi. La seule chose qui ne change pas, c’est l’actrice principale.
— Je ne comprends rien à tous ces mystères. Mais je n’ai aucune envie de voir encore le même genre de…
— Mets la vidéo.
— Non.
— Alors, je m’en occupe.
— Mais c’est la voiture d’Antoine, le mec de Marianne…
— Tu l’as reconnue tout de suite. Tu as une petite idée de la suite ?
— Non…
— Comme tu le vois, il s’agit d’un film d’extérieur. Mais pour l’instant, la scène se déroule à l’intérieur de la voiture. La femme suce le conducteur. Pour l’instant, on ne découvre que ses cheveux.
— Mais qui a filmé cela ?
— Mais c’est toujours la même réalisatrice talentueuse.
— La salope…
— Ça te va bien de dire cela. C’est vrai que pour l’instant, on ne saurait croire que c’est toi dans la bagnole vu que tu détestes les fellations, et que la fille y met tout son cœur apparemment. Mais voilà que la position devient inconfortable, que nous ne sommes plus loin de la crampe et les acteurs se redressent, et là, le doute n’est plus permis.
— Mais comment a-t-elle pu ce soir-là… Il n’y avait personne, j’en suis sûre. Personne à un kilomètre à la ronde.
— C’est vrai que tu as tout visité aux alentours, tout inspecté. Mais tu as commis une petite erreur. Ta phobie des volailles t’a empêchée de regarder dans le petit poulailler devant lequel la voiture était garée. Marianne savait qu’Antoine s’arrêtait toujours là quand il voulait baiser.
— Bon, tu peux ranger ce film. J’ai compris. Je te présente mes excuses. C’était un coup de folie… Rien de sérieux.
— On va tout de même regarder attentivement la fin, si tu permets. Tu es maintenant sur le capot (c’est vrai que ce n’est pas une Peugeot, mais une Ford). Tu t’accroches aux essuie-glaces, tu es nue, le ventre au-dessus du moteur encore chaud, et ton amant t’encule. À fond la caisse, c’est le cas de le dire. Et l’on entend nettement ta voix rauque : Vas-y ! Défonce-moi ! Encore !
— Je suis désolée…
— Durée du film : 47 minutes et 53 secondes.
— Tu m’en veux, Jérôme ? Dis, tu m’en veux vraiment beaucoup ? Je te promets que c’est fini. On avait un peu bu… Je regrette tout cela. Qu’est-ce que je peux faire pour…
— Écoute-moi une minute. Ta sœur a plaqué son mec après ce coup-là. Moi, je ne suis pas aussi radical. Mais j’ai envie d’une soirée avec Marianne, et elle aussi…
— Accordé. Sans problème. Venge-toi, mon amour.
— Et on a besoin de quelqu’un pour tenir la caméra.