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n° 16363Fiche technique11513 caractères11513
Temps de lecture estimé : 8 mn
15/08/14
Résumé:  Quelques interrogations et considérations masculines sur le sexe.
Critères:  fh nonéro -articles
Auteur : Fredelatorsion            Envoi mini-message
La question technique

La question des centimètres pèse sur les jeunes gens comme une authentique fatalité. Le doute affreux d’une capacité moindre ou compromise, allant jusqu’à la crainte du ridicule, s’y projette sur l’avenir existentiel. La question des centimètres est une angoisse qui saisit peu ou prou tout garçon pubère, c’est donc à tort qu’on la moque, voire qu’on la tourne en dérision au nom du fait que les femmes s’en fichent éperdument. C’est du moins ce qu’elles clament haut et fort. Faut-il les croire ? Sont-elles sincères ou une prudence atavique ne les engage-t-elle pas à rassurer les petits et les sans-grade dont l’une ou l’autre aura de toute façon besoin, tôt ou tard ? Wilfried sait désormais que la compétence sexuelle est ailleurs et que la joie du couple, même fugace, ainsi que son entente reposent sur bien d’autres facteurs. Il pense aussi qu’il y a beaucoup de vrai dans le dédain des femmes, il les croit donc à moitié et même davantage. Mais allez expliquer ça à un gosse de 14 ans qui s’examine avec une intense perplexité, dans le secret de sa solitude !


Sans avoir bénéficié, lors de sa création, des largesses dont s’avantage une part – difficile à évaluer – de petits veinards au sein de la population masculine, et sans parler du splendide outillage scandaleusement dévolu à une odieuse petite troupe d’élus, Wilfried n’a jamais été trop inquiet. Il s’est posé en temps voulu la question de confiance, comme tous les autres, il a bien pensé ne pas vraiment s’extraire de l’ordinaire, mais vu les dimensions plus qu’honnêtes de l’objet, il n’a jamais douté que l’essentiel fût assuré et même davantage ; si quelque chose ne marchait pas, ça ne viendrait pas de là.


L’inquiétude se reporta donc sur la question technique. Elle se posa d’elle-même, quasi instantanément. À la première tentative il était tout à fait justifié de ne s’occuper que de soi, toutefois la chose se pratiquant à deux et dans le partage, la masturbation dans un vagin ne pouvait demeurer longtemps pardonnable. Mais comment fallait-il donc être, que fallait-il donc faire pour que les choses se passassent bien, autrement dit, pour que les choses fussent bien faites ?


Grands dieux, de quoi parlait-on au juste ? D’une tâche à accomplir ? d’un travail ? d’un métier ? d’un art ? de recettes de cuisine ? Certes pas, mais le présupposé était fort proche et Wilfried inscrivit immédiatement la problématique de l’acte d’amour, non dans l’Amour, non dans son propre plaisir qui ne lui posait aucun problème, mais dans le plaisir de l’autre, ressortant d’un univers complexe, déconcertant même, où il circulait sans carte ni boussole parmi des organes inconnus, visibles, invisibles, cachés, purement fonctionnels ou censés être dévolus au plaisir.


La pudeur féminine ajouta à sa confusion. Car il s’aperçut vite qu’il était infiniment plus facile pour une fille de le saisir, de le placer correctement et de l’introduire en elle, que de replier ses cuisses en les écartant et d’ouvrir son sexe afin qu’il puisse contempler, toucher, explorer, sentir, goûter la béance de sa féminité ; ne parlons pas de lui expliquer clairement (« — regarde ! tu vois ? ») ce qui se trouvait ici, ou là, ou encore là, et comment on pouvait agir dessus pour lui être agréable. Il ne manque certes pas d’hommes qui pratiquent les femmes depuis une vie, sans en avoir vraiment vu aucune. Il semblerait même qu’à certains, le spectacle de l’antre rose ait fait peur, du moins avant qu’une pornographie omniprésente banalise le spectacle et abolisse leurs angoisses. Elle aura eu ça de bon.


Bref, la question technique se présenta immédiatement à Wilfried sous la forme d’un apprentissage à l’égard d’un travail bien fait. Sur le papier, la bonne solution eût été de donner à tout débutant une personne expérimentée comme premier partenaire. Inconcevable bien sûr, même si cela se pratique dans le beau monde, du moins en faveur des jeunes mâles. Pour des motifs divers l’opération n’est d’ailleurs pas toujours une réussite et il semblerait que tel candidat au trône d’Angleterre ne se soit jamais émotionnellement remis de son déniaisement planifié.


Non, force était de se débrouiller autrement, et par ses propres moyens puisque dans cette affaire, les hommes auprès des hommes soit se cachent, soit se pavanent dans une apparente sûreté de soi, plaisantant, déconnant, blasphémant, traitant implicitement les autres en mineurs perpétuels et les femmes par-dessus la jambe. Celles-ci leur laissent d’ailleurs le champ libre en s’enfermant dans une absolue discrétion, quand même elles sauraient tout de leurs incertitudes fondées, de leurs certitudes infondées, de leur orgueil légitime qui peut les entraîner sur la voie d’une puante arrogance, ou illégitime, le pire, celui qui les rend cocasses, voire méprisables : « — Alors ? Heureuse ? »


En fait elles ne disent jamais le vrai et force est de tout deviner tout seul. Plaisir ? Orgasme ? Feint ? Pas feint ? Pas orgasme ? Pas orgasme mais plaisir quand même ? Pas orgasme et pas vraiment plaisir, mais bonheur de le faire avec lui ? Aucun plaisir mais fallait y passer… fait chier !? Tout est possible, tout est envisageable, mais elles restent bouche cousue. La même prudence atavique dont on parlait leur interdit le moindre commentaire sur leurs sensations, au nom du fait que les hommes sont déjà bien trop tentés de se comparer entre eux. Ou alors ce n’est pas seulement de la prudence, c’est aussi qu’elles ne voient pas les choses sous l’angle de la question technique, du moins pas avant d’avoir atteint un stade avancé de maturité ; de fait elles abominent littéralement l’interrogation « c’était bien ? » même posée de façon très modeste et purement informative, parce qu’elle les déboulonne de leur position d’amante aimante et les renvoie au statut d’un mécanisme bien huilé sur lequel il faut agir de la manière la plus efficace.


Donc pas une seule qui ait jamais dit à Wilfried : « — Pas ici, là… » « — j’aime bien, mais si tu me faisais plutôt… » « — et si on… ?» « — parle-moi, dis-moi des choses à l’oreille… » Que la demande aurait été délicieuse, chuchotée avec un sourire gourmand ! Mais non, rien de tout cela n’a jamais été formulé ni formalisé, rien de semblable, en aucun cas. Dommage… Dans son propre intérêt, Wilfried a appris à s’adapter à ce silence, avant, pendant, après les opérations, sauf à gentiment complimenter ou plaisanter sa compagne sur ses avantages et la beauté de son corps, en gardant pour lui les aléas de la question technique.




Les hommes sont fréquemment très exigeants vis-à-vis d’eux-mêmes à l’égard du plaisir féminin. Ils y placent leur fierté en gage. En général les femmes n’en demandent pas tant ; elles ne demandent pas, en tout cas, qu’on s’oublie en route, signe évident qu’on est « au travail ». Elles veulent juste passer un bon moment avec quelqu’un de bonne compagnie, pas s’emmerder avec des problèmes d’évaluation, d’autant que le quantitatif n’est pas leur fort.


En vérité elles évaluent, et comment ! Ça passe au second plan et demeure dans le non-dit, puisqu’il faut éviter de blesser un partenaire qui, par ailleurs, peut être un excellent compagnon. Mais les hommes s’en doutent. Dans leur tête, il leur semble entendre au loin de petits rires et des chuchotements : entre elles, ces dames se gaussent de la médiocrité de leurs amants…


Il faut donc impérativement donner du plaisir, c’est comme ça que ça doit marcher. C’est ce qui explique que les femmes, par pure compassion, en arrivent à feindre. En foi de quoi les débutants qui désirent tant apprendre comment fonctionne le corps de l’autre seraient sans doute bien inspirés de s’intéresser en même temps à son âme, car le centre de pilotage est là, pas dans le clitoris.


En effet si l’expérience enseigne comment il convient d’opérer, sachant que la base est toujours la même, si la recherche intuitive de son propre plaisir est un guide très sûr, chaque femme justifie d’un traitement particulier. Au vrai, il faut bien la connaître pour bien la baiser. On y arrive rarement du premier coup en tablant sur des exercices de style d’ordre général. C’est en la traitant comme une personne digne d’intérêt qu’on parvient à s’occuper d’elle comme il convient. On arrive même à savoir à coup sûr si on la fait jouir ou pas : les mouvements de hanches ne trompent guère. Au cours de la bataille, toute femme qui marche au canon va, d’une façon qui lui est propre, à la rencontre de l’organe qui la fouille, quel qu’il soit. La mobilisation progressive de toute sa musculature, aboutissant à une sorte de délicat vibrato qui s’achève en crispations saccadées accompagnées de soupirs – pas forcément vocalisés – suivis d’un total relâchement, sont des marques d’authenticité pratiquement impossibles à contrefaire. La personne qui s’accroche désespérément à vous en proférant un tas d’encouragements est assez loin du compte, celle qui vous offre son corps atone en ahanant un hypothétique contentement est carrément fourvoyée.


Dans tous les cas, que ça ait très bien marché ou moyennement, c’est fortune de guerre et au fond, dans l’immédiat, peu importe. C’est la question du « ensuite » qui se pose à présent. On a eu du plaisir, on vient de chercher par tous les moyens à lui en donner, faut-il s’arrêter aussi sec sous prétexte que le désir est éteint ? Oui, pourquoi ne pas continuer, d’une autre manière, surtout si on l’aime ? Et quand même on n’en serait pas amoureux à proprement parler, on vient de jouir dans son ventre, ce qui n’est pas rien ; c’est une question de décence de se montrer agréable, c’est même un point d’honneur, car elle le mérite de toute façon.


Post coitum l’heure n’est donc pas à la tristesse – n’en déplaise aux Anciens – et toute femme justifie d’une bonne dose de gaie tendresse, car ce n’est pas le moment – vraiment pas – de se tourner de l’autre côté pour ronfler, de se plonger dans un bouquin ou d’entrer en transe devant une console de jeu, bref, de la laisser choir, tentation naturelle de tout mâle repu. C’est au contraire le moment de l’entourer affectueusement, d’accompagner et de prolonger le plaisir d’avoir été ensemble, chairs mêlées, avec un gros câlin, de menues chatouilles, de tendres morsures, de délicats bisous et de petits mots doux, histoire de lui faire sentir qu’elle est un être aimant et aimé, pas un vagin sur pattes.


Hélas ! Sans parler du reste, combien de temps a-t-il fallu à Wilfried pour apprendre tout seul, sans aucune aide, une banale gratitude et le simple respect de l’autre ! Combien d’occasions de joie partagée irrémédiablement perdues ? Combien de petits bonheurs gâchés ? Combien de filles innocemment maltraitées ? Hélas !