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Temps de lecture estimé : 9 mn
28/08/14
Résumé:  Voyager en train est une occasion de laisser divaguer son imagination.
Critères:  ff inconnu train fsoumise fdomine photofilm délire humour -train
Auteur : Calpurnia            Envoi mini-message
Voyage d'une dévergondée

Londres, gare de Saint-Pancras, juin 2014. Il est midi. Le train qui me ramènera à Paris est sur le point de partir. Après un séjour d’un mois dans la capitale de la perfide Albion, je vais quitter cet endroit un peu trop parfait pour moi ! Dans ce vaste bâtiment parfaitement propre, pas un seul mendiant pour exhiber sa misère, pas un seul graffiti pour revendiquer quoi que ce soit, pas un papier gras, et un personnel attentif et d’une politesse toujours exquise.


Je me sens, comment dire… excitée ! Sexuellement parlant, bien-sûr. J’ai dû ovuler durant la nuit : mon sang est gorgé d’hormones m’appelant au rut. Je le sens : c’est une comme petite boule de feu au fond de mon ventre, tout en bas, qui dit : « hé, je voudrais bien un petit spermatozoïde pour me tenir compagnie ». Cours toujours, petit ovule : d’abord les hommes ne m’intéressent pas – je préfère largement les femmes –, ensuite je n’en connais pas un d’une manière suffisamment intime pour ce genre de service. À trente-sept ans, je suis toujours célibataire, et ma mère se désespère de constater que je ne suis pas prête pour lui donner des petits-enfants. Pour ne pas la chagriner outre mesure, je ne lui ai pas parlé de mes préférences sexuelles. Ce serait bien trop cruel. Donc aujourd’hui, voilà la petite flamme bien attisée, prête à me suggérer de nouvelles expériences.


Tout à l’heure, au contrôle, la policière britannique, soupçonnant sans doute d’avoir affaire à une terroriste, m’a palpée. Excellente idée : bras écartés à l’horizontale, elle a promené ses mains gantées sur ma robe légère, un peu partout. Les règles de décence exigent que ce soit une femme qui effectue cette opération sur ses congénères, mais c’est parce qu’ils ne me connaissent pas : je trouve cela très indécent, donc très excitant. Un peu comme si elle allait me crucifier, mais en moins violent quand même. Ce serait drôle si on me clouait nue sur un morceau de bois, en public : cela servirait sans doute d’exemple à ceux et celles qui auraient envie de transporter des armes sur eux. Il est vrai que dans ce pays, on n’aime pas trop les gens armés : on peut même aller en prison pour un coup de poing américain dans la poche. Ça ne rigole pas. Au-dessus de ma tête, en guise de titulus, ils auraient mis un écriteau : « port d’arme illégal ». Enfin, c’est un petit fantasme qui me tiendra compagnie au moins une partie du voyage.


En fouillant mon sac, intriguée par l’écran de contrôle connecté au tunnel à rayons X, elle est sans doute tombée sur mes petits joujoux adorés, à savoir un vibromasseur de toute petite taille – le grand, qui va sur le secteur, reste à la maison – et un œuf vibrant. Si le dimanche elle va à l’office dépendant du Hight Church – l’église anglo-catholique, l’autre est bien plus libérale –, le prédicateur a peut-être dit dans son sermon que l’onanisme est un péché mortel, contre soi-même et contre Dieu, car nous ne sommes pas propriétaires de nos corps. Donc si je suis capable d’utiliser des instruments du Diable pour pratiquer une horreur pareille, ce qui me conduira tout droit en enfer, il y a des chances pour que je sois aussi une dangereuse terroriste. D’où le privilège d’avoir droit à la palpation de la part de cette charmante dame, peut-être un tantinet psychorigide, mais au physique néanmoins fort avenant et aux beaux yeux noisette.


Malheureusement, je n’avais pas de pistolet caché dans mon soutien-gorge, ne possédant pas une telle arme à feu. Je n’aurais donc pas pu détourner le train au moment où celui-ci se trouverait dans le tunnel, afin de réclamer une rançon qui m’aurait permis de vivre au soleil sans travailler jusqu’à la fin de mes jours. C’est surtout en prison que j’aurais été jusqu’à la fin de mes jours. Mais je veux bien, pourvu que ce soit dans une cellule avec des codétenues bien roulées et un peu lesbiennes sur les bords.


Elle n’a sans doute pas remarqué, mais je cache une bombe atomique dans mon vagin. Au moins cent mégatonnes, avec un détonateur situé juste au-dessous de l’os du pubis, caché dans un fourreau. Monsieur le juge, si vous appuyez sur le bouton, même un sourd m’entendrait hurler.



Avec un peu de chance, elle aurait pu m’entraîner dans les sous-sols secrets de la gare, où l’on pratiquerait des interrogatoires « spéciaux » malgré le Bill of Rights qui interdit les peines cruelles depuis 1689. Mais depuis Tony Blair et le 11 septembre 2001, maintenant c’est toléré sur les étrangers, dont je suis. Dénudée, attachée, elle fouillerait mes cavités secrètes, mains gantées de latex. C’est un service public de bondage, auquel on a recours en cas d’excès de surbooking, lorsque le train est trop bondé, d’où le terme. Elle aurait découvert une kalachnikov cachée dans mon vagin, et aussi pourquoi pas quelques grenades, et un char d’assaut, et pire que tout, le sacrilège absolu : des boules de Geisha.


C’est vrai, je me promène avec ça dans la journée : cela donne des sensations très agréables. Pour ce crime, on a droit à la fessée érotique, non ? Par contre, dans le rectum, rien, sinon la matière qu’évoquait Cambronne à Waterloo au général britannique Colville suggérant sa reddition. Mais moi, contrairement à l’illustre Nantais, je ne me rendrai pas : elle pourra toujours essayer de me faire parler, je ne lui dirai pas que je me suis procuré tout ce terrible matériel chez Women’s Erotic Emporium qui ont leur propre usine de dildos à Londres et où les hommes ne sont les bienvenus que s’ils sont accompagnés par leur douce et tendre (1). Jalouse, elle me fera subir d’horribles tourments, comme des chatouilles sur les pieds façon Fernandel dans François Ier (le roi voyons, pas le pape). Il me faudra rassembler tout mon courage, car je suis très chatouilleuse.


Seulement voilà, ignorant complètement le trouble sensuel dans lequel elle m’avait mise, la policière m’a laissée repartir après de tout petits attouchements de rien du tout à travers mes vêtements. Tant pis. Je me suis assise à ma place et j’ai sorti de mon sac le Vénus Erotica d’Anaïs Nin : quelle chance d’avoir déniché ce bouquin en français dans une librairie londonienne. N’en déplaise à Guillaume Apollinaire, le maître en la matière, l’érotisme écrit par une femme a toujours un petit quelque chose en plus. Pour un dollar la page, l’auteur écrivait sur commande d’un vieux pervers.


J’allais me plonger avec délices dans la prose de la talentueuse Anaïs lorsqu’une jolie voisine s’assied à côté de moi. Chic, une fille, assez mignonne au premier regard. Hélas, dès la première minute, elle s’empare de son téléphone pour appeler, en anglais, son petit ami auquel elle susurre des mots doux. Faisant semblant de lire, en voyeuse auditive, j’écoute attentivement les propos assez crus de la belle qui croit sans doute que, lisant de la littérature française, je ne comprends pas sa langue. Ben si, je sais très bien ce que les mots anglais en quatre lettres finissant par un k comme suck, fuck, lick et dick veulent dire. Ils ont l’air très amoureux et se promettent de s’étreindre dans les positions des plus pornographiques, comme disait Brassens (2). Malgré la frustration que cela implique, c’est toujours plaisant d’entendre des gens qui s’aiment et les mots d’amour un peu graveleux qu’ils échangent entre eux.


Le monde est plein de désir, bien plus que de malheur. Tenez : pour vous en con-vaincre, c’est-à-dire Mesdames humecter votre con comme l’est le mien, et vaincre votre incrédulité, imaginez-vous le nombre de couples qui font l’amour à ce moment précis. Il y a sept milliards d’êtres humains sur la Terre. Enlevez le tiers de ceux et celles qui ont moins de dix-huit ans. (Ah bon, il ne se passe rien entre eux ? Attention à la charte !) Enlevez encore un quart pour les prêtres catholiques qui ont fait vœu de chasteté (quoique…), ceux qui sont trop âgés (re-quoique…), les célibataires endurcis (très endurcis), ainsi que les eunuques : pour ceux-là on n’y coupe pas, il faut les retirer. Il reste donc trois milliards d’humains sexuellement actifs. Supposons qu’un acte sexuel dure vingt minutes en moyenne et que les gens qui sont en couples baisent un jour sur quatre en moyenne : c’est à un chiffre aussi en l’air que les jambes de celles qui pratiquent la chose, mais supposons. Eh bien, on en arrive à environ cinq millions des couples qui se font de gros câlins entre eux ! À tout moment, vingt-quatre heures sur vingt-quatre ! Imaginez la gigantesque partouze que ce serait si on les réunissait : même en les serrant les uns contre les autres, il faudrait plus de 500 fois la pelouse du stade de France pour les accueillir. Un spectacle porno dantesque, nettement plus intéressant que le foot.


Poursuivons ce coquin calcul : d’après Wikipédia, le volume d’un éjaculat est compris entre 2 et 6 ml. Disons 4 ml en moyenne. Messieurs, vous croyez-vous si virils qu’en vous mettant tous ensemble vous allez pouvoir inonder la Terre de votre fertile semence ? Cela fait, pour l’ensemble de l’humanité, un débit total d’un peu plus d’un mètre cube par minute : à peine un ruisselet dans lequel on pourrait se baigner, mais avec un maillot de bain parfaitement étanche pour les filles si on veut éviter les mauvaises surprises avec à la clé un père complètement aléatoire. D’accord, j’ai oublié les branlettes et autres Don Juan qui copulent cinquante fois par jour avec leurs conquêtes, ainsi que les stakhanovistes du foutre qui ont des lances à incendie surpuissantes en guise de phallus, mais c’est l’ordre de grandeur.


Sitôt son téléphone raccroché, ma charmante voisine me demande, dans sa langue de Shakespeare, si je pourrais la dépanner d’une serviette ou d’un tampon. Elle a de la chance : j’ai cela aussi, dans mon grand sac à malice. L’un et l’autre : deux objets qu’elle prend avant de se précipiter aux toilettes. Évidemment. Je n’aurais rien contre le fait qu’elle se change sans quitter sa place, en public, et même au contraire, car j’adore les effluves féminins, spécialement les plus intimes. Mais les autres passagers du train n’auraient peut-être pas été du même avis ? Cela aurait peut-être plu aux hommes de découvrir que le liquide qui s’écoule, contrairement à ce que prétend ridiculement la pub, n’est pas bleu… Je suis sûre que la plupart n’ont jamais vu la chose in situ. Enfin bon, elle s’isole là où la reine va seule et revient au bout de cinq minutes environ.


Pendant ce temps, il me prend l’idée saugrenue de lui faire une petite farce. Comme d’une part je l’ai entendue donner son numéro de téléphone et que d’autre part je sais que son petit ami s’appelle David, je lui envoie un texto en me faisant passer pour ce dernier, pour lui demander un petit sexselfie coquin, fantaisie qu’elle sera en mesure de satisfaire rapidement puisqu’elle se trouve au bon endroit. Bingo ! Deux minutes après, j’ai droit à un cliché des plus explicites, avec la belle assise sur la cuvette en train de se triturer d’une main la petite touffe de poils (on supposera que l’autre main tenait l’appareil et non qu’elle avait demandé l’aide du contrôleur pour la photographier…). Re-bingo ! Encore une minute et j’ai carrément droit à une illustration particulièrement didactique de la miction féminine. Il n’y a pas de troisième message car on entre dans le tunnel, celui qui a infligé tant de déboires à ses actionnaires. Lorsqu’elle revient s’asseoir, quitte à encourir son courroux, je lui explique le piège et lui montre ses images, car les plaisanteries les plus courtes sont toujours les meilleures. Va-t-elle pour se venger me fesser, culotte baissée, devant tout le monde ? Ouf, ça la fait rire. Pour me faire pardonner, je lui offre un café à la voiture-bar.


À ma grande surprise, elle me prend la main, tendrement, et me dit que de toute façon, avec David, c’est fini de toute manière. D’ailleurs, il n’est pas très fidèle. Donc, tous ces mots d’amour que j’avais entendus, c’était du cinéma ? Dommage. Elle se dirige vers une région éloignée de la mienne : la rencontre ne durera pas au-delà de ce voyage. Que fait-on ? Rien de spécial, sinon regarder ensemble les nuages défiler, et nous raconter notre vie en nous tenant par la main. Lui traduire quelques paragraphes d’Anaïs Nin dans sa langue, espérant ne pas trop trahir cet auteur qui elle-même écrivait en anglais. J’aime bien raconter des choses érotiques à voix basse, pour ne pas être entendue des autres passagers.


Fin du voyage. Il faut nous séparer. À quoi bon les promesses de se revoir, si c’est pour ne pas les tenir ? Nos vies nous attendent, chacune de notre côté. Au fait, elle s’appelle Kate. Elle a vingt-six ans. Je pense un peu à elle, compagne éphémère, coquine et complice. Bonne route, Kate.



(1) Publicité totalement gratuite. Je n’ai pas d’actions chez eux.

(2) Georges Brassens, Le bulletin de santé.