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Temps de lecture estimé : 21 mn
03/11/14
Résumé:  Alys et moi sommes emportés par le torrent dans la plus totale obscurité.
Critères:  nonéro aventure sf -sf
Auteur : Gufti Shank  (Bragon)            Envoi mini-message

Série : Dégénérescence

Chapitre 05 / 08
Perdus

Résumé des épisodes précédents : J’ai complètement perdu la mémoire et me retrouve plongé dans un monde étrange peuplé d’hermaphrodites à l’allure féminine qui me considèrent comme dégénéré parce que pourvu d’un seul sexe. J’ai rencontré Alys, dégénérée comme moi, qui m’a offert un refuge temporaire chez sa maîtresse, Dame Heline. Mais les dégénérés mâles sont interdits en ville, et j’ai été capturé et enfermé dans la prison de Tal-Mania où j’ai fait la connaissance de Kalmin, un homme également prisonnier. Je suis bientôt tiré de là par Dame Heline, puis par Dame Mazela, qui me « louent » pour égayer des soirées bourgeoises, au cours desquelles je suis drogué d’une potion de vigueur. Découvrant l’état déplorable dans lequel le poison m’a plongé, ma belle Alys devient folle et tue Mazela. Elle est alors emprisonnée à son tour à Tal-Mania, condamnée à mort. Mais profitant de la mutinerie désespérée des détenus menée par Kalmin, je parviens à libérer Alys et nous nous enfuyons par le conduit d’évacuation des eaux usées dont la grille a été descellée par les révoltés. Voir récits n° 16432, 16444, 16452 et 16473.




***




La dégringolade dans le torrent parut durer une éternité. Nous étions cramponnés l’un à l’autre, glissant, portés par le courant d’eau turbide dans la plus totale obscurité du goulet, heurtant à tout instant des excroissances de la roche heureusement polie par les flots millénaires. Alys était blottie dans mes bras, et je tentais de la maintenir au-dessus de moi pour que son dos ne subisse pas les blessures causées par la glissade. Mais nous étions régulièrement tourneboulés, presque ballottés par la force du courant. Et parvenir à respirer était déjà une épreuve.



Le bruit était tel que je devinais ma compagne hurler plus que je ne l’entendais.



Alys était parvenue à se retourner et s’accrocher face à moi, mais impossible pourtant de comprendre ce qu’elle me criait. Et je me concentrais plutôt sur notre chute, essayant de nous freiner en plaquant mes pieds et mes mains contre le sol ou les parois du goulet. D’être deux devait finalement nous ralentir un peu.



Mes jambes venaient de cogner contre un bloc plus gros que les autres qui nous arrêta soudain. Je crus un instant m’être cassé quelque chose, mais je n’eus pas le temps d’y réfléchir plus avant ; comme je voulais me redresser, je glissai de nouveau et me laissai encore emporter par le flot. Et de nouveau, je luttai pour respirer alors que nous dévalions vite, trop vite.


Mais le fracas assourdissant cessa brusquement, de même que toute douleur. Et les cris d’Alys me parvinrent soudain distinctement au moment même où je réalisais que la pesanteur avait également disparu : nous tombions dans le vide, au beau milieu d’une cascade. Le cœur au bord des lèvres, je serrai fort ma compagne dans mes bras. Ce serait peut-être la dernière fois, s’il n’y avait pas suffisamment d’eau en dessous.


Le hurlement d’Alys finit par s’éteindre et on n’entendit presque plus rien. La hauteur de la chute devait être monstrueuse. Et toujours la plus totale obscurité. L’estomac noué, tout le corps crispé, je ne parvenais plus à respirer, et je sentais mon cœur battre à toute allure. J’avais envie de hurler moi aussi, mais je n’y arrivais même pas. Des pensées de toutes sortes défilaient dans mon esprit apeuré : Alys… Dame Heline… Mazela… Alys… Tal-Mania… Kalmin… Alys… sa ville… son monde… Alys… et moi… avant… rien, un trou noir… mon amnésie… Alys… Et nous tombions toujours !


Et, enfin, un bourdonnement lointain s’éleva en dessous : le bas de l’immense cascade. Ma belle me ceintura plus fort encore et plaqua ses lèvres sur les miennes, comme pour un ultime baiser. Je lui criai de tendre et de serrer ses jambes. Le fracas de la chute d’eau montait à toute vitesse. Nous n’allions plus tarder à être fixés sur notre sort…



Nous entrâmes profondément dans l’eau, les pieds tendus, toujours cramponnés l’un à l’autre. Une vive douleur cingla mes talons, mes orteils, mes fesses, mes coudes, toute ma tête… J’eus l’impression d’étouffer et d’être écrasé. Mais j’eus aussi envie de hurler mon bonheur lorsque je réalisai qu’il y avait suffisamment de profondeur, que nous n’étions pas morts pulvérisés sur un rocher, que nous allions peut-être nous en sortir.


Mais rien n’était réglé pour autant. Nous nous étions enfoncés sans doute de plusieurs mètres dans l’eau glacée. Et l’obscurité toujours totale nous empêchait d’estimer où se trouvait la surface. Alys me relâcha pour nager, mais me tint encore par une main. Un fort courant, venant d’au-dessus, nous freinait, nous repoussait, même : le poids de la cascade. En quelques mouvements de brasse, sans nous lâcher complètement, nous nous éloignâmes en remontant. Mais je commençais à suffoquer et la surface… où était la surface ?


Alys évoluait mieux que moi dans l’eau et me tirait vers le haut et je crevai enfin la surface, en même temps que j’entendais de nouveau le vacarme assourdissant de la chute du torrent, sur ma droite. L’air était humide, mais j’étais heureux de le sentir entrer dans mes poumons, de me savoir vivant après cette incroyable dégringolade.



Mes cris peinaient à couvrir le grondement incessant.



J’attirai ma naïade contre moi et l’embrassai à pleine bouche tandis que nous nous dérivions, nous éloignant encore quelque peu de la cascade géante. Mais Alys se débattit soudain et se libéra de mon étreinte en gesticulant et en hurlant.



Elle me repoussa en direction de la chute d’eau.



Nous étions toujours dans le noir le plus complet.



C’était moi qui avais hurlé à mon tour.



Je venais de cogner quelque chose, moi aussi. Quelque chose qui flottait. Ça avait bougé quand je l’avais heurté.



Luttant contre ma frayeur, je tendis doucement le bras derrière moi, sous l’eau. Et je le retirai immédiatement en sentant de nouveau cette chose, mais cette fois j’avais compris. C’était un corps. Sans doute celui d’un des prisonniers qui s’étaient échappés un instant avant moi.



Nous flottâmes plus loin de la chute d’eau, repoussant avec dégoût l’autre corps qu’avait heurté Alys précédemment et nous nous immobilisâmes lorsque nous ne ressentîmes plus le courant issu des remous de la cascade.



Moi aussi, je grelottais. Mais que faire ? Où aller ?



Aucune réponse.



Au moins, grâce au son de la cascade derrière nous, il nous était simple de nous éloigner presque en ligne droite. Sans nous lâcher, nous nagions, avec des mouvements précipités, saccadés… inquiets.



Quelle distance avions-nous parcourue ? C’était impossible à évaluer. Mais les bras et les épaules me tiraillaient, et j’étais anéanti. Progresser ainsi, toujours crispé, dans le noir, dans l’eau glacée, m’épuisait. Et l’espoir qui m’avait repris lorsque j’avais constaté qu’on avait survécu à la chute commençait à s’amenuiser sérieusement. De temps en temps, presque à bout, je m’immobilisais et appelais, espérant entendre une voix en retour. Mais rien d’autre que le bruit peu à peu décroissant de la cascade.



Je suivis doucement Alys, les mains et les pieds en avant, cherchant la pierre. Et je la sentis à mon tour.



À tâtons, je repris sa main lorsque je fus moi aussi sorti de l’eau froide.



Ainsi fut fait. Et nous nous serrâmes nus l’un contre l’autre dans une étreinte folle d’envie, enchantés d’être tous deux sains et saufs. Le corps transi d’Alys, ses seins lourds gonflés contre mon buste, ses hanches rondes et douces, ses lèvres passionnées… Même si ce n’était pas bien le moment, l’effet fut très net. Je soupirai lorsque sa main se referma sur ma verge durcie. Mais ma dulcinée cessa soudain ses caresses et posa son autre main sur ma bouche.



Je tendis l’oreille. Le grondement de la chute d’eau se faisait toujours entendre et masquait la plupart des autres sons. Mais je crus moi aussi déceler comme un frottement. Ou peut-être des bruits de pas qui auraient glissé sur le sol humide.



Elle se serra plus fort encore contre moi. Je n’étais pas très rassuré non plus, et j’oubliai instantanément toute velléité d’ordre charnel.



Une sorte de hoquet inquiétant nous répondit. Peut-être un rire. Alys frissonna. Je l’entraînai de quelques pas dans l’obscurité, tâtonnant devant moi, nous éloignant de l’étang souterrain duquel nous étions sortis. Mais dès mon troisième pas, je me coinçai le pied dans une anfractuosité et m’effondrai de tout mon long sur la roche. Alys tenta en vain de me retenir, et m’aida à me relever. Mais nous sursautâmes tous les deux en poussant un cri de frayeur lorsque des mains se posèrent sur nous.



Des mains rugueuses me maintenaient au sol et palpaient tout mon corps. Et à entendre les cris de ma compagne, je devinai qu’on la retenait de la même façon.



Il y avait au moins trois personnes autour de nous. Trois hommes, semblait-il. Des infortunés échappés plus tôt de la même prison que nous ?



Et l’ordre fut ponctué par un coup de poing en pleine tête. Le salaud avait cogné dur. Et surtout, il paraissait y voir dans cette ignoble obscurité. Tous nos assaillants semblaient voir, alors que je demeurais désespérément aveugle.



Au hasard, je balançai de grands coups autour de moi, mais sans réussite. Tout juste frôlai-je l’un des hommes, qui riposta en m’envoyant à nouveau au sol.



Cette dernière voix, autoritaire, était très nettement féminine. Il y eut un silence hésitant.



Un grognement fut la seule réponse, et Alys me tomba soudain dessus. Et alors que nous nous relevions, la voix féminine s’éleva de nouveau, juste au-dessus de nos visages, tellement proche que nous pouvions sentir le souffle chaud qui ponctuait les paroles devenues exagérément courtoises.



On nous saisit sous les bras pour nous relever et nous entraîner dans l’obscurité pendant ce que j’imaginais être deux ou trois centaines de mètres. Je manquais de tomber à chaque pas, mais les types me tenaient bon. Et enfin j’aperçus quelque chose, un minuscule éclat de lumière, et puis un autre, et encore un autre. Sur le sol, au pied des parois.


Les lueurs s’intensifiaient à mesure que nous en approchions. Les hanches nues d’Alys se dessinaient dans la pénombre, et de vagues silhouettes à ses côtés. Et je compris lorsqu’on nous poussa contre ce renfoncement de la caverne : c’étaient de petits champignons qui produisaient cette faible lumière. Mais aussi faible fut-elle, cela suffisait à trancher vivement de la complète obscurité dont nous sortions, et je pouvais enfin voir nos assaillants.



Son corps nu était maigre, même dans la pénombre on devinait ses côtes. Ses cheveux longs et blancs, ébouriffés, complétaient son allure inquiétante. Auprès d’elle se tenaient plusieurs hommes, nus également, j’en comptais cinq, tous encore plus maigres, tous effrayants, tous les yeux fixés sur nous.



Presque rassuré de les voir et de les sentir finalement si faibles, je me redressai, menaçant, prêt à en découdre.



Celui qui avait parlé ramassa une grosse pierre.



La femme s’approcha et effleura mon torse d’une main émaciée.



Affligé par leur histoire et leurs révélations, je posais toutes les questions qui me venaient à l’esprit.



J’avais froid dans le dos. D’ailleurs, j’avais froid partout. Et de sentir ou d’imaginer leurs regards salaces sur nos corps me donnait aussi envie de retourner chercher mes vêtements.



Pfff… bon, de toute façon, leur compagnie ne m’était pas franchement agréable, et leur pessimisme résigné me donnait la nausée. Saisissant la main d’Alys, je fis mine de m’éloigner.



Leurs railleries nous accompagnèrent un long moment, tandis que nous progressions à l’aveuglette, de nouveau dans l’obscurité, dans la direction approximative par laquelle nous étions arrivés. Sans nous lâcher la main, heureusement, car nous manquions l’un et l’autre de tomber à chaque instant.



Leurs voix faiblissaient à mesure que nous avancions. Nous étions tombés sur une paroi de la caverne, et la suivions à tâtons, espérant sans trop y croire reconnaître un endroit rien qu’au toucher, et peut-être retomber sur les vêtements que nous n’aurions finalement jamais dû enlever.


Mais après ce qui devait être plusieurs heures de déambulations et de recherches infructueuses, après avoir manqué de rechuter dans l’eau froide du grand lac souterrain, après avoir perdu ce qui nous restait de maigre espoir, nous décidâmes de nous asseoir à la recherche d’un coin qui nous permettrait de nous assoupir dans un semblant de confort. Et serrés blottis l’un contre l’autre, nous demeurâmes un long moment collés, silencieux.


Les voix des autres étaient désormais très lointaines, et on ne les entendait plus que par intermittence, entrecoupées de grognements et de gémissements. Je grelottais. Alys me massait doucement en pressant son corps contre le mien. Ses caresses me faisaient du bien. On s’embrassa, longuement. Je glissai une main entre ses cuisses, tandis qu’elle se frottait à moi, lascive. Une longue plainte d’extase s’éleva au loin ; c’était la voix d’Anika.





***




Agacé, inquiet, et surtout frissonnant, je ne parvenais pas à trouver le sommeil. L’amour charnel nous avait réchauffés un instant, et cela avait suffi à ma compagne pour s’endormir. J’essayais de couvrir au mieux son corps avec le mien pour qu’elle puisse se reposer un peu. Et je réfléchissais. L’eau qui tombait de la cascade devait bien s’échapper quelque part ! Mais peut-être était-ce en souterrain… Et comment savoir par où chercher ? Sans rien y voir… Suivre le courant, mais comment le repérer ? Rien que l’idée de replonger dans le lac me nouait le ventre. Et Alys avait senti quelque chose sous ses pieds ; il y avait des créatures vivantes dans les eaux…


Je dus finir par m’endormir et m’éveillai en sursaut en plein cœur d’une vision de cauchemar.



C’était Anika qui avait chuchoté. Elle devait être à moins d’un mètre, mais je ne la voyais pas. Je la devinais.



Elle me lança les vêtements humides et froids que j’éloignai aussitôt des épaules d’Alys.



Ce n’était pas la première fois que j’entendais ces paroles. Alys d’abord, puis Dame Heline, et même la grosse Mazela, et puis les surveillantes. D’où je venais… je n’en savais toujours strictement rien…



Mais elle ne devait pas attendre de réponse, car je la sentis bientôt se lover contre nous, son corps fluet appuyé sur les nôtres, nous offrant un peu de sa chaleur agréable. Elle ne tarda pas à s’endormir et de nouveau je gambergeais. Fuir ! Sortir de là ! Suivre le courant ! Je nous imaginais, Alys et moi, coincés ici vieillissant tout maigres à ne plus avoir qu’à partouzer à l’infini avec nos loqueteux et squelettiques compagnons d’infortune. Repérer le courant… Oui, mais comment ? Une corde… une ficelle… et voir dans quelle direction elle s’en allait. Mais voir quoi ? Il n’y avait rien à voir…





***




Je me rendormis finalement, et lorsque je m’éveillai, toujours au milieu des deux femmes, j’étais fermement résolu à essayer de laisser flotter un fil pour deviner la direction du courant. M’extrayant des bras chauds qui me ceignaient, je me saisis de la tunique trouée dont Alys s’était vêtue en s’échappant de Tal-Mania et cherchai à en arracher quelques fibres. Au second essai, j’en tirai un brin de près d’un mètre. Il s’agissait de ne pas le perdre. Je l’enroulai à mon poignet, et recommençai la manœuvre.


Le bruit du tissu déchiré éveilla rapidement les deux femmes. Alys s’étonna un instant de découvrir Anika couchée à côté d’elle, puis de réaliser que j’avais retrouvé nos vêtements et enfin de constater que j’étais en train de déchirer le sien.



Mais j’ignorai ses avertissements funestes et me consacrai tout entier à mon entreprise, jusqu’à avoir une vingtaine de morceaux enroulés à mon poignet ou à ma jambe. Et je nouai bientôt une à une les extrémités de ces épais brins de filasse, formant une sorte de fine cordelette de près de quinze mètres de longueur.


Anika me guida ensuite jusqu’au bord du lac, et j’y jetai ma ficelle, attachant l’autre bout à mon poignet. Et j’attendis.



Nos voix et mes micmacs avaient dû attirer les hommes, car je les entendis soudain derrière moi s’adresser à leur compagne.



Alys s’approcha pour me chuchoter à l’oreille :



Le souffle de son soupir caressa mon épaule. Devant moi, je sentais la ficelle dévier lentement sur ma gauche.



Moi non plus, l’idée de replonger dans ces eaux invisibles ne m’enchantait pas, mais je refusais de me résigner à cet emprisonnement sordide, à vieillir là avec ces morts vivants sans espoir.



Pour donner l’exemple, je m’avançai lentement dans l’eau après avoir enfilé mes vêtements. Alys m’imita à contrecœur. Les autres n’avaient pas l’air décidés.



Si elle venait, les hommes la suivraient. Elle demeura un instant silencieuse.



J’avais presque l’impression qu’elle refusait par peur de regretter la vie qu’elle était parvenue à trouver là. Peut-être s’était-elle habituée à cette vie, à cette proximité charnelle avec tous ces hommes dont elle avait toutes les faveurs.



Inutile de perdre du temps à la convaincre.






***




Le courant était faible, mais pas inexistant. Nous nagions lentement, nos corps allongés à la surface, suivant quelques dizaines de mètres la direction globale qu’indiquait ma cordelette, avant de nous immobiliser pour la relancer et détecter de nouveau le cours de la rivière souterraine. Au loin, derrière nous, le vacarme de la cascade avait presque disparu. De temps en temps, Alys poussait un hurlement en devinant quelque chose frôler nos jambes, et je me retenais pour ne pas crier moi aussi. Et je me forçais alors à être rassurant.



Nous ne voyions toujours rien, ne sentions aucune paroi ni aucun rocher autour de nous et l’écho de nos voix nous laissait imaginer une caverne gigantesque. Le lac était certainement immense. Les minutes passaient, tandis que nous grelottions et désespérions, cherchant à déceler une éventuelle direction de notre ficelle. Puis nous nous réchauffions un instant en nageant. Et tout recommençait.



Je n’osais pas encore en parler à ma compagne, mais un soupçon d’espérance me venait au fur et à mesure que nous progressions : le courant était peu à peu plus important. Imperceptiblement, au début, juste par le temps que mettait ma ficelle à s’éloigner dans une direction donnée, puis de façon plus évidente, nous avancions plus facilement. Pour bientôt finalement nous laisser porter, le cœur quelque peu allégé.



De la lumière ! Alys avait raison ! Un minuscule point lumineux, mais qui grossissait à mesure qu’on s’en approchait. Bientôt la fin de cette obscurité oppressante ! Je me retournai pour hurler aussi fort que possible :



Mais ils étaient bien trop loin. Cela faisait sans doute presque deux heures que nous les avions quittés. Ils ne sauraient jamais qu’on avait trouvé une issue.



À mon tour, je heurtai le fond de la rivière.



Je ramenai et enroulai complètement ma ficelle ; plus le moindre doute quant au sens du courant : celui-ci devenait maintenant vraiment rapide et nous avancions sans plus aucun effort vers la lumière. Et peu à peu, un spectacle étonnant s’offrait à nos yeux : les parois de la caverne étaient toutes proches de nous, la rivière ne faisait plus que quelques mètres de large, et nous aurions presque pu toucher la voûte au-dessus de nous. Alors qu’à l’évidence, quelques minutes plus tôt, nous nous trouvions au cœur d’une immense grotte.


Je criai de joie lorsque nous parvînmes enfin à la lumière. Portés par le flot, allongés sur le dos, nous nous tenions par la main en contemplant le ciel ensoleillé, et savourant la lourde chaleur qui réchauffait nos corps froids. Derrière nous, une haute falaise crachait l’eau de notre rivière par sa gueule ouverte. Et de chaque côté des méandres qu’on la devinait maintenant dessiner, s’étendait une vaste plaine presque désertique.



On se laissa encore porter un instant par le cours d’eau redevenu calme et plus large jusqu’à trouver un endroit propice à en sortir. Nous nous hissâmes alors péniblement en dehors du lit de la rivière.



Le fleuve sinuait paresseusement pendant quelques centaines de mètres avant de se perdre dans une étendue d’eau dont on ne distinguait pas les limites. Et tout autour de nous, la plaine n’était qu’un mélange de sable et de terre brune comme de la cendre, parsemée par endroits de touffes d’herbe ou de petits buissons.



En arrière, au-delà de la falaise dont nous avions débouché, d’autres falaises plus hautes. Et plus loin encore, des montagnes arides. Peut-être celles qu’on voyait depuis Avila…



Elle m’avait déjà dit cela, mot pour mot, le jour même où nous nous étions rencontrés, lorsqu’elle m’avait conduit à travers Avila.



Cachant mes yeux pour me protéger du soleil lourd écrasant, visant l’horizon, je parcourus du regard la plaine immense et le cordon de dunes qui la séparait de la mer. À perte de vue, ce n’était que sable et terre presque aride. Mais très loin, le long du rivage, quelque chose brillait, reflétant la lumière du soleil.