Une Histoire sur http://revebebe.free.fr/
n° 16534Fiche technique31348 caractères31348
5215
Temps de lecture estimé : 21 mn
06/12/14
corrigé 09/06/21
Résumé:  Alys et moi sommes enfermés sous la garde des surveillantes du palais, mais la révolte gronde en ville et la situation pourrait bien changer.
Critères:  fh ffh couplus trans pénétratio -sf
Auteur : Gufti Shank  (Bragon)            Envoi mini-message

Série : Dégénérescence

Chapitre 08 / 08
Je t'aimerai toujours

Résumé des épisodes précédents : J’ai complètement perdu la mémoire et me retrouve plongé dans un monde étrange peuplé d’hermaphrodites à l’allure féminine qui me considèrent comme dégénéré parce que pourvu d’un seul sexe. J’ai rencontré Alys, dégénérée comme moi, qui m’a offert un refuge temporaire chez sa maîtresse, Dame Heline. Mais les dégénérés mâles sont interdits en ville, et j’ai été capturé et enfermé dans la prison de Tal-Mania où j’ai fait la connaissance de Kalmin, un homme également prisonnier.

Je suis bientôt tiré de là par Dame Heline, puis par Dame Mazela, qui me « louent » pour égayer des soirées bourgeoises, au cours desquelles je suis drogué d’une potion de vigueur. Découvrant l’état déplorable dans lequel le poison m’a plongé, ma belle Alys devient folle et tue Mazela. Elle est alors emprisonnée à son tour à Tal-Mania, condamnée à mort.

Mais profitant de la mutinerie désespérée des détenus menée par Kalmin, je réussis à libérer Alys et nous nous enfuyons par le conduit d’évacuation des eaux usées dont la grille a été descellée par les révoltés. Nous découvrons un monde étrange, plongé dans la plus sombre obscurité, où nous recueillent quelques hommes et femmes perdus sous terre.

Mais la perspective d’agoniser à leurs côtés nous terrorise et nous suivons avec effroi le cours de la rivière souterraine, pour enfin retrouver la lumière et constater que nous sommes parvenus presque au bord de la mer. Nos pas nous mènent jusqu’à une ville en ruine, et des bribes de ma mémoire resurgissent lorsque nous y entrons : c’est de là que je suis originaire ; j’étais un scientifique, prêt à des expériences sur le temps, qui m’ont hélas conduit des siècles plus tard, jusque dans le monde d’Alys.

Alors que nous errons dans la cité, nous sommes assaillis par quelques hommes, réfugiés comme nous, mais avides d’une présence féminine et excités par celle de ma compagne. Nous devons combattre, mais parvenons à nous enfuir.

Les jours passent ; Alys et moi vivons heureux au bord de la mer. Elle est enceinte, et donne finalement le monde à des jumeaux, que nous baptisons Alphya et Jilon. Mais vers l’âge de quatorze mois, les enfants tombent malades, et nous n’avons d’autre solution que de rejoindre Avila, la ville dont Alys et moi nous sommes évadés. Les habitantes et les Patriciennes sont divisées, certaines voyant en nous ceux qui réalisent une ancienne prophétie, d’autres nous considérant toujours comme dégénérés et condamnés à mort. Nous sommes finalement enfermés au sein du palais du Conseil.


(Voir récits n° 16432, 16444, 16452, 16473, 16497, 16512 et 16527.)




***




Cette fois, la prison était dorée. Nous disposions d’un grand appartement dans une aile du palais : une vaste et agréable pièce à vivre, une chambre spacieuse pour Alys et moi, une autre pour nos enfants, pour qui l’on apporta de petits lits à barreaux. Des fenêtres qui donnaient sur les immeubles aux couleurs changeantes des beaux quartiers d’Avila. Mais six surveillantes en armes se relayaient en permanence devant nos portes, et il nous était défendu de sortir.


Dans une alcôve, de nombreuses tenues fastueuses toutes plus colorées les unes que les autres, qui allaient nous changer des tuniques rapiécées que nous avions rapportées du bord de mer. (Évidemment, il n’y avait rien pour les hommes, mais je me débrouillerais bien…) Et dans la somptueuse pièce de vie, une petite bibliothèque emplie de livres de formes et de tailles variées. Cela m’avait frappé en entrant : c’étaient les premiers que je voyais depuis… depuis… je ne sais plus… longtemps. Très longtemps. Au moins, nous pourrions nous occuper en lisant. J’en pris un premier et le feuilletai ; à ma grande surprise, il était manuscrit. Le second également. J’essayai de me rappeler… chez Dame Heline, pas de livre… Alys me le confirma. Lire était un privilège rare. La prison était plus que dorée, nous étions traités avec beaucoup d’égards, on nous autorisait même à lire…


Toute une journée passa sans autre visite que celles, régulières, des infirmières qui continuaient de venir prodiguer leurs soins aux jumeaux, et qui nous apportèrent également des repas, succulents. Mais elles s’avéraient peu disposées à discuter avec nous et ne répondaient pas à nos questions, même quant à l’état de santé de nos enfants. Et le soir venu, nous nous effondrâmes, épuisés de fatigue et de désespoir, retrouvant pour la première fois depuis presque deux ans le confort d’un épais et soyeux matelas.


Le lendemain matin, alors que ma compagne somnolait encore, et après m’être assuré qu’Alphya et Jilon dormaient toujours paisiblement, je retournai vers la bibliothèque, à la recherche d’un livre d’ « Histoire ». Peut-être pourrais-je découvrir le passé du peuple d’Alys… Mais rien dans les dix premiers ouvrages que je parcourus. Deux recueils de lois, un autre de recettes de cuisine, et un dernier de contes, quelques romans et une sorte de guide artistique… et le tout manuscrit, soigné, enluminé.



Ma belle et tendre s’était levée ; elle me déposa un baiser, puis disparut dans la chambre des jumeaux.



Alphya sourit et babilla quelques syllabes en m’apercevant. La deviner un peu mieux me fit du bien. Son frère était encore faible et peinait à ouvrir les yeux, mais Alys avait raison, il était moins fiévreux.



Je soupirai de soulagement lorsque je constatai que les enfants tétaient goulûment.



Le bruit de la porte principale m’interrompit. On frappa en même temps qu’elle s’ouvrit. C’était une infirmière. Elle entra en nous saluant d’un austère bonjour, et s’immobilisa en nous apercevant, les yeux figés sur Alys qui allaitait les deux enfants accrochés à ses gros seins. Depuis la veille, je ne l’avais pas vue se dérider, mais là, enfin, elle sourit.



L’infirmière se retourna comme pour vérifier qu’elle n’était pas suivie ou espionnée, avant de nous souffler dans un murmure :



Mais la porte s’ouvrit de nouveau, dévoilant deux surveillantes armées. Je me pris à redouter qu’elles l’eussent entendue…



Mais non, c’était Dame Heline qu’elles escortaient. L’ancienne maîtresse de ma compagne entra dans la pièce et, à son tour, s’immobilisa en apercevant la scène : nos enfants allongés dans les bras de la sculpturale jeune femme, tétant avec avidité, leurs petites mains fermées sur ses seins lourds.



Elle s’avança jusqu’à nous. L’infirmière posa une main sur le corps d’Alphya, puis sur celui de Jilon.



Dame Heline se tourna vers la sage-femme.



La Patricienne attendit que l’infirmière fût sortie pour reprendre.



Ma jolie rouquine lui sourit.



La conseillère soupira.



Alys releva doucement les enfants qui avaient apparemment terminé, et les tint contre elle sur ses genoux. Les yeux fixés sur sa poitrine, Heline poursuivit :



Elle observa un silence avant de reprendre.



Elle s’assit et nous écouta parler tour à tour ; nous lui contâmes en détail notre histoire. La visite de Dame Sohane à la prison ; la révolte menée par Kalmin ; ma course dans les geôles pour retrouver Alys et ma hargne contre les surveillantes ; notre fuite dans le torrent, l’interminable saut dans le vide, la peur dans le noir, Anika et ses compagnons morts-vivants dans l’obscurité ; l’eau froide, effrayante, de la rivière souterraine, et enfin la lumière ! Et puis la mer, le sable chaud, l’écume des vagues ! La ville en ruine ; les hommes assoiffés du corps d’Alys ; le laboratoire… le passé… mes souvenirs… ma vengeance folle… Et la paix retrouvée, à l’écart de tout, notre vie de naufragés ; la grossesse ; l’accouchement ; les premiers sourires, les premiers gazouillis, les premiers rires ; une année de bonheur…


Dame Heline demeurait subjuguée, conquise par notre histoire. Ma compagne était sortie jusqu’à la chambre déposer dans leurs lits les enfants qui s’étaient endormis, repus et sans doute bercés par le son de nos voix. Et quand elle revint, son ancienne maîtresse se précipita pour la prendre dans ses bras et la serrer longtemps contre elle avant de l’embrasser à pleine bouche. Alys chercha un instant mon regard par-dessus l’épaule de la conseillère ; à l’évidence, l’une et l’autre étaient heureuses de se retrouver, je souris simplement.




***





Nous n’avions pas entendu la porte s’ouvrir, mais deux Patriciennes étaient entrées en hâte, vêtues de la même toge rouge que celle que portait encore Dame Heline quelques minutes plus tôt. Nous n’avions pas entendu parce que les gémissements d’Alys et de sa maîtresse allaient croissants et couvraient tout. Agenouillé sur la banquette, je tenais mes mains serrées sur les hanches de l’hermaphrodite et lui assenai de puissants coups de bassin, tandis qu’elle-même était allongée par-dessus Alys, ses seins pressant la lourde poitrine de la rouquine, et la pénétrait aussi, suivant le rythme des va-et-vient que j’imposais.



Nous nous immobilisâmes enfin lorsque les conseillères crièrent une seconde fois.



Elle me lança un regard immonde, parcourant tout mon corps de ses yeux à la fois méprisants et affolés.



Je ne pus me retenir d’éclater de rire. Les nouvelles étaient allées bon train. Et l’effet de la prophétie dépassait apparemment même toutes les craintes de Dame Elanda.



Attrapant ensuite le bras de notre partenaire hermaphrodite, elle la tira vers elle pour l’extirper du corps d’Alys.



L’interpellée se laissa entraîner à quelques mètres, sans réagir. Elle semblait comme un pantin sans volonté. Sa verge encore gonflée pendait au milieu de son beau corps nu, tandis qu’elle ne quittait pas du regard celui de son ancienne servante.



Elles la lui enfilèrent, et l’entraînèrent en hâte jusque vers la sortie de l’appartement, où deux surveillantes armées les attendaient.



La porte claqua. Je soupirai.



Elle tourna vers moi ses grands yeux verts inquiets.



Me rapprochant d’elle à genoux, je lui déposai un tendre baiser. Elle se serra dans mes bras.



Elle me sourit lorsque je la guidai pour l’allonger de nouveau sur la banquette. Elle écarta les cuisses et je me faufilai entre ses jambes, me penchant par-dessus son corps pour m’appuyer sur le canapé. J’avais perdu un peu de vigueur dans la bataille, mais d’effleurer de ma langue les tétons durcis de ses seins gonflés, de sentir ses mains caresser mes épaules et ma tête, de deviner son souffle chaud sur mon front… je retrouvai rapidement ma pleine robustesse, et ma compagne gémit d’un profond soupir d’extase au moment où j’entrai en elle.




***





Nous étions toujours en train de faire l’amour, nous n’avions même pas changé de position.



Alys avait raison, des cris et des bruits de pas et de chocs métalliques. On se battait à l’extérieur. Sans doute pas très loin.



Je l’embrassai à pleine bouche. Moi aussi, j’avais un peu peur, mais… si c’était comme l’avaient dit les Patriciennes, nous ne craignions effectivement rien. Et puis, de toute façon, que pouvions-nous faire ? Lutter seuls contre une armée ? Ma belle rouquine dut mener le même raisonnement, ou bien devina-t-elle mes pensées ?



Mais au bout de quelques secondes, la porte principale vola en éclats et une dizaine de personnes se ruèrent soudain dans la pièce. Des femmes, ou tout du moins en avaient-elles l’apparence ; des habitantes de la cité, sans aucun doute, armées de simples morceaux de métal ou de bois arrachés quelque part. Et l’une après l’autre, elles s’immobilisèrent en nous apercevant allongés nus sur notre banquette. Je n’avais pas voulu relever la tête vers elles, et je continuai d’embrasser Alys à pleine bouche et de la pénétrer lentement, profondément. Il y eut un lourd silence, seulement troublé par quelques derniers bruits de combat au dehors. Et une des femmes qui avaient fait irruption hurla soudain ; mais son cri était une clameur de victoire, et toutes les autres femmes reprirent son hurlement.



Et de nouveau, elles hurlèrent. Alys riait, et me serrait plus fort encore. Comme moi, elle avait compris que nous ne risquions rien.



Nous levâmes vers elle un regard reconnaissant et presque amusé. Plusieurs sourirent. Quelques autres étaient allées explorer le reste de l’appartement.



Et toutes sortirent à sa suite, nous laissant de nouveau seuls, rassurés, enlacés, plus amoureux que jamais.




***




Une ovation salua notre arrivée dans la grande salle du conseil. Une petite centaine de révoltées étaient là et nous regardèrent entrer, Alys portant Alphya et moi Jilon. Nous avions pris un instant pour nous laver et nous rendre présentables, et nous suivîmes une femme qui nous attendait près de ce qui restait de notre porte.



Comment ces habitantes avaient-elles pu changer si vite ? La dernière fois que j’avais erré dans cette ville, je ne subissais que des regards de mépris dès lors qu’on s’apercevait que j’étais un « dégénéré ».



Nous prîmes place à ses côtés, à l’endroit même où nous nous étions entretenus la veille avec les Patriciennes.



Je ne comprenais pas. Amusée, Candice releva sa tunique et baissa sous nos yeux ébahis le caleçon qui lui recouvrait les cuisses. Pour ne dévoiler rien d’autre qu’une toison fournie.



Tout cela se faisait bien malgré nous, mais n’était pas pour me déplaire.



Je ne connaissais même pas cette seconde prison. Je ne connaissais presque rien de la ville, d’ailleurs. Et je ne voyais pas bien ce que toutes ces révoltées attendaient désormais de nous. Tout ce que je souhaitais, c’était de pouvoir vivre heureux avec Alys et les jumeaux. Ici ou ailleurs, peu m’importait.



Mais c’était trop tard. Nous ne nous appartenions plus. Si toutefois l’on s’était jamais appartenu. Nous appartenions désormais à la rébellion, nous étions ses emblèmes.



Je m’étais promis de ne plus utiliser ce mot avilissant. Réfléchissant pour reformuler ma phrase, je repris.



Alys avait deviné mes pensées et en avait suivi le cours.



Candice réfléchissait. Si les rebelles parvenaient à s’allier l’une ou l’autre des conseillères, la révolte prendrait davantage de sens auprès de celles qui n’y voyaient qu’une petite émeute sans envergure.





***




Deux jours tout entiers passèrent. Ma compagne et moi profitâmes encore du faste de l’appartement que les révoltées nous avaient laissé occuper. Les enfants se portaient définitivement mieux. La révolte avait pris de l’ampleur, et une dizaine de femmes s’étaient arrogé la gestion d’Avila. Le peu que j’en voyais me convenait ; et Alys était même heureuse de pouvoir réfléchir aux décisions qui allaient confirmer l’avenir de la cité.


Rien n’était gagné, loin de là. La plupart des habitantes se méfiaient toujours, sceptiques quant à ce changement radical. Fallait-il qu’elles acceptent désormais les préceptes et les conseils d’êtres qu’on leur avait appris à haïr ou traiter comme inférieurs ?


Candice et les autres meneuses étaient tombées d’accord pour inviter une grande partie de la population sur le forum du palais à venir nous écouter. Ma belle rouquine et moi devrions nous adresser aux habitantes, leur conter notre aventure, leur décrire de ce qui existait au dehors, leur parler encore de la prophétie et des changements à venir. Tout ce que nous attendions, ce que nous espérions, c’était que les insurgées retrouvent et réussissent à convaincre Dame Heline ou n’importe laquelle des conseillères. Cela rassurerait la foule et donnerait du poids à nos discours et à la révolte.


Le soir du deuxième jour après la prise du palais, au moment du coucher de soleil, Alys et moi faisions quelques pas sur le parvis devant le fronton du bâtiment du conseil, savourant les couleurs changeantes de l’astre qui descendait sur l’horizon. Nous nous immobilisâmes bientôt, tournés vers le sud, cherchant du regard à franchir les lointaines montagnes.



Alys se serra dans mes bras.



Ses grands yeux verts optimistes me réchauffaient et parvenaient à me convaincre.



Quelqu’un arrivait en courant, sortant du palais. Nous nous retournâmes pour découvrir Candice.



Nous la suivîmes jusqu’à la grande salle du conseil, où siégeaient trois femmes vêtues de toge rouge. Elles discutaient avec quelques meneuses de la révolte.



Dame Heline se leva dès qu’elle nous aperçut et courut vers nous.



Et elle se jeta dans les bras de ma compagne, la serrant longuement contre elle, avant de m’étreindre aussi, plus brièvement.





***





Dame Junione de Balandis s’adressait la foule innombrable qui s’était tassée sur la vaste place du forum, rassemblée à l’appel des révoltées, à l’appel des patrouilleuses allées répandre en ville la nouvelle du changement. À sa gauche, Dame Erylia d’Adanor, et à sa droite, Dame Heline de Gofarn. Toutes les trois se tenaient fièrement sur une estrade dressée en haut du parvis, et criaient tour à tour à l’attention de la population d’Avila, tandis que nous autres insurgés attendions notre tour derrière elles.



Un long silence s’étendit sur l’assemblée alors qu’Alys et moi nous avancions sur l’estrade, encouragés par Candice et ses camarades. Je ne savais pas trop par quoi commencer et cherchais mes mots. Mais ce fut ma compagne qui prononça les premières paroles.



La foule l’écoutait religieusement.



Un murmure parcourut l’assemblée. Je la remplaçai et poursuivis notre histoire :



Le murmure s’amplifia en brouhaha, et je dus véritablement hurler pour tenter de le couvrir.



Des cris s’élevaient devant nous, acclamations et tumultes de rage.



Se faire entendre devenait compliqué. Et la foule était divisée. Convaincre aussi vite était peine perdue. Désenchanté, je tournai vers Alys un regard las. Les cris s’amplifiaient, et je ne compris pas ce qu’elle me cria, mais je la vis inquiète tendre une main vers la multitude. Pivotant la tête pour suivre des yeux ce qu’elle indiquait, je m’alarmai en apercevant une femme sur le parvis lever vers nous une arbalète de poing.


Tout alla très vite. Au moment précis où je voulus hurler à mon tour pour couvrir les clameurs de la foule et prévenir du danger, je vis se détendre la corde de l’arbalète, en même temps que je me sentis poussé sur le côté et que je tombai à terre. Je ne mis qu’une fraction de seconde à comprendre. Alys m’avait écarté violemment et s’était effondrée sur moi. Elle m’avait sauvé la vie. C’était évident que ce carreau d’arbalète m’était destiné.


Mais en voulant l’aider à se relever, j’eus l’impression d’étouffer soudain. Une vive angoisse me saisit lorsque je réalisai qu’Alys avait reçu le projectile en pleine poitrine. À ma place. Son sang coulait déjà. Peinant à reprendre mes esprits, je me redressai et l’allongeai doucement devant moi.



Je n’entendis qu’à peine crier. Je n’entendais presque plus rien. Tout était comme silencieux. J’étais paniqué. Je ne savais que faire.



Les hurlements de la foule enragée me parvenaient difficilement. Un brouillard de peur, de rage, de haine, envahissait mon esprit. Dame Heline et Candice se précipitèrent à mes côtés et s’agenouillèrent auprès de ma compagne, qui hoquetait à chaque respiration et crachait des filets de sang. Ses yeux suppliants se pendaient aux miens, et mes larmes coulaient et tombaient sur son visage.



Derrière moi, derrière nous, celle qui avait tiré se faisait lyncher par les femmes qui l’entouraient.



Je pleurais à chaudes larmes en la voyant si vite agoniser là, impuissant. Je me penchai pour la prendre dans mes bras.



Mais elle avait déjà cessé de respirer. Je m’effondrai, anéanti, détruit, étouffé, hoquetant et ne parvenant même plus à pleurer tellement j’étais asphyxié de douleur et de chagrin.




***





Jilon me regardait, les yeux mouillés. Alphya se leva pour me serrer dans ses bras. Elle lui ressemblait tellement…



Je soupirai en m’extirpant de mon fauteuil pour marcher jusqu’à la fenêtre. D’ici, on dominait toute la ville. C’était là qu’Alys m’avait conduit, une éternité plus tôt. Dans cette chambre où nous avions fait l’amour pour la première fois, dans le vaste appartement de Dame Heline.



La Patricienne, devenue seconde conseillère, nous avait hébergés, les enfants et moi. Et j’avais vécu là quinze années d’une demi-vie animée des seules étincelles de bonheur que m’offraient Alphya et Jilon à mesure qu’ils grandissaient, dans une société qui n’avait finalement que trop peu évolué, toujours étouffée sous le poids de ses traditions.


Mais même s’ils étaient encore difficilement acceptés, les hommes et les femmes, les « dégénérés », pouvaient de nouveau vivre en paix dans Avila, et c’était mon seul réconfort. Leur vie n’était pas simple, évidemment ; de parias, ils étaient devenus tolérés. Mais tous les jours où je descendais dans les bas quartiers offrir mon aide aux réfugiés des souterrains, aux pauvres hères sans refuge et sans considération, je n’avais de cesse de penser que leur vie était de nouveau rendue possible grâce au sacrifice de ma belle Alys. Et tous les jours, je pleurais en essayant de me convaincre que ça en valait la peine.




Fin