Une Histoire sur http://revebebe.free.fr/
n° 16630Fiche technique8311 caractères8311
Temps de lecture estimé : 6 mn
09/02/15
Résumé:  Quand on fréquente des gens très cultivés, parfois, on est un peu paumé...
Critères:  nonéro -humour
Auteur : Brodsky      Envoi mini-message
Modern' Art

Denis avait des ambitions politiques.


Il s’ennuyait disait-il, dans son métier d’avocat au Conseil d’État et à la Cour de Cassation, et les élections municipales se profilaient. Le maire sortant était une bille, et Denis prétendait que même une chèvre pouvait gagner contre lui. Il envisageait donc de se présenter…


On en avait parlé comme ça, à brûle-pourpoint, au sortir de la réunion du club de lecteurs qu’on fréquentait tous les deux, et j’avais tenté de calmer ses ardeurs. La politique, je connaissais, et pas qu’un peu… J’en avais fait des campagnes, en temps que tête de liste même, comme candidat des partageux. Belle expérience, passionnante certes, mais qui m’avait fait découvrir bien des choses et en particulier que le talent d’un candidat compte peu… Si le parti mise sur lui, s’il a les bons conseillers en communication et suffisamment de fric pour arroser les alliés et même ses pseudos adversaires, son élection n’est qu’une pure formalité, fût-il une chèvre.



J’ai dit oui…


Denis ne m’avait pas menti, il avait vraiment son Athos. Maurice de Cavagnac, le châtelain du bled, un grand Monsieur dans tous les sens du terme. Un bon mètre quatre-vingt-dix, l’œil alerte, la moustache fine et travaillée, un vague sourire permanent au coin des lèvres, un air de Sean Connery au temps de sa splendeur. Lorsqu’il nous a présentés l’un à l’autre, on a eu la même réaction.


Une sorte d’attirance mêlée de fascination… Qu’allaient donc bien pouvoir faire dans la même galère un des héritiers de l’ancienne noblesse d’épée du vieux pays de France, et un ancien communiste qui s’était fait connaître dans sa circonscription électorale pour avoir posé sur son affiche avec un couteau entre les dents  ? Des miracles bien sûr, mais je raconterai tout cela une autre fois sans doute, revenons à notre histoire…


Ce soir-là, donc, nous étions six autour de la table du salon ultra-moderne de Denis. Denis qui menait les débats, Maurice et moi, ainsi que trois autres volontaires avec qui le courant passait moins bien. On n’était pas du même monde, eux et moi, et je me sentais un peu perdu, un peu « pas à ma place », au milieu de ces braves citoyens aussi intelligents que respectables qui avaient cette incroyable faculté de pouvoir parler des heures pour ne pas dire grand chose. Mais bon, je faisais ce que je pouvais pour m’adapter.


Tandis que le futur conseiller municipal chargé des finances de la commune pérorait sur la manière de faire baisser le montant astronomique de la taxe locale, mes yeux ne cessaient de se porter sur ce que je considérais comme la seule faute de goût dans la décoration intérieure de notre future maire : une peinture magnifiquement encadrée d’environ un mètre sur cinquante centimètres qui ne représentait absolument RIEN. Un gribouillis informe à dominante marron sur fond jaune pisseux. Absolument à chier. Je vis Denis sourire et regarder l’œuvre à son tour.



Après cet «  intermède culturel  », nous reprîmes nos travaux, et la soirée se termina paisiblement. Denis nous raccompagna sur le pas de la porte et nous allions partir chacun de notre côté lorsque soudain, Denis sembla se rappeler de quelque chose  :



Nous retournâmes au salon, face à la croûte…



Nous vîmes alors débarquer un petit bout de chou de trois ans, en pyjama, qui tenait à la main le sabre laser de Qi Gon Jin.



Et pendant que Maurice hurlait de rire en se tenant le ventre, oubliant dans le même temps le savoir-vivre de plus de trente générations, je vis alors apparaître sous mes yeux le véritable tableau, la véritable œuvre d’art : un père et son fils se regardaient intensément, et leur amour était tel que j’en étais transporté d’émotion.