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Temps de lecture estimé : 18 mn
21/03/15
Résumé:  Fred le Troll, homme ordinaire face à la sexualité féminine.
Critères:  nonéro -articles
Auteur : Fred le Troll
Faits pour composer, non pour s'entendre

Conquérir l’égalité et la parité est une chose, singer la virilité, y compris dans ses caractères les plus singuliers, en est une autre. Il est manifeste qu’au cours des dernières années les femmes ont changé de discours sur le sexe, leur production littéraire en témoigne. Pas sur le sexe épiphénomène d’une relation amoureuse mais bien sur le sexe en soi, dont elles entérineraient désormais la légitimité en tant qu’activité autonome. À ce qu’on raconte, il semblerait que le beau monde regorge à présent de butineuses ne songeant qu’à « s’éclater » en copulant brièvement ici ou là, quand ce n’est pas en chassant le « coup d’une nuit », si honni par l’ensemble des femmes il y a encore peu.


Rejet logique : j’eus garde de ne jamais oublier la remarque d’une fille qui me faisait fort justement observer que « le coup d’une nuit » était de toute façon un échec, car ou bien l’expérience avait été malheureuse, ou bien au contraire il était ridicule de ne pas la renouveler. Je n’oublie pas non plus la réponse donnée par certaine femme à une question indiscrète concernant le nombre de ses partenaires : « beaucoup trop ! ». Comme si l’accumulation des rencontres était une éventualité, mais ne constituait ni une fin en soi, ni un parcours triomphal, le schéma expérimental n’étant pas le fort de ces dames.


J’ai certes rencontré des femmes plus audacieuses et accessibles que d’autres, mais jamais aucune qui ouvre intentionnellement son intimité à d’expéditifs empressements de hasard.

Cela signifie-t-il pour autant que celles qui en ont l’occasion s’y refusent toujours ? Certes pas, surtout en des temps où la transgression prend des allures d’instrument idéologique, assumant du même coup une fonction identitaire. Elles ont le choix des moyens. La chasse devant soi par exemple. Ce n’est le plus souvent qu’une position de vie transitoire, celle d’une femme en rupture de ban, pour ne pas dire douloureusement abandonnée. Quant au collectif, on se souvient de ce que disait, en substance, Brigitte Lahaye : « À Paris, les femmes qui s’organiseraient une partouze pour leur plaisir se comptent sur les doigts d’une main. » Autant dire qu’elle excluait la chose… En revanche il semble qu’elle ait énormément apprécié certaines « séances privées », arrangées en compagnie de quelques messieurs choisis et gantés de blanc.


En cette matière tout est donc envisageable quand même les motivations resteraient fort troubles, y compris une plaisante prostitution de très haut vol, ludique et parfois délirante. Mais la permissivité que s’octroient quelques-unes ne doit pas servir à étiqueter l’ensemble, aussi vrai que les arbres ne doivent pas cacher la forêt. Toutes exceptions mises à part, les femmes ne se dévergonderaient-elles qu’à leur corps défendant ? C’est bien possible, mais j’en resterai, pour être sûr de ne pas trop divaguer, à ma propre expérience.


Le désir des femmes n’est pas celui des hommes. Ne l’ayant jamais éprouvé, je me garderai bien de décrire sa nature et d’évaluer son empire : prétention bouffonne à l’aboutissement forcément arbitraire, d’autant que l’appétit et son intensité sont choses personnelles. Ce que je sais en revanche, c’est que ce désir est imprévisible, aléatoire et évanescent. Elles peuvent avoir au ventre une faim dévorante ; la plupart vous diront qu’elle leur vient par le cœur, je prétends que c’est par la tête. Outre l’attrait de la nouveauté, cet appétit naît d’un regard subjugué, sous l’emprise d’une forme de soumission qui n’opère qu’en la circonstance. Elle se caractérise par une espèce de don ou d’abandon de soi aux intentions et aux attentions de l’autre.


Il est d’ailleurs souhaitable, dans l’intérêt commun, que les femmes en passent par cette étape : fi des sinistres complexées et autres phobiques de l’odeur qui ne songent qu’à se dérober à la sensualité masculine en réglementant drastiquement l’accès à leur corps ! Fi des exclusives du sentiment qui se flattent d’opérer au seul nom de l’Amour, celles qui vous interdisent toute figure libre et vous astreignent à une unique figure imposée, ramenant constamment votre visage près du leur en se désolant faiblement : « Je suis là, moi » ! Fi des sinistres viragos dont l’ultime fierté consiste à garder le contrôle quoi qu’il arrive, celles pour qui se donner serait déchoir. Ce seront toujours des peine-à-jouir et de piètres compagnes de jeu.


Les hommes, de leur côté, seraient-ils si réticents à se prêter aux fantaisies amoureuses de leurs partenaires ? Certes pas et je me serais moi-même senti assez joueur. Mais la femme ne manifeste d’ordinaire aucune exigence concernant le corps masculin. Il ne l’intéresse pas assez pour que lui vienne l’idée de s’amuser avec. La créativité artistique conforte d’ailleurs cette vue des choses. Là où l’homme est toujours tenté de représenter la féminité dans un érotisme triomphant, la femme se complaît chez les animaux, les fleurs et les visages d’enfants, éventuellement dans des formes féminines plus ou moins stylisées. Le corps masculin, a fortiori dans sa nudité, est manifestement absent de son imaginaire.


« Pauvre Fred le Troll, il cause, il cause, mais il ne comprend absolument rien aux femmes ! » protesteront toutes celles qui affirment goûter les yeux sombres et doux dans un visage énergique, les larges épaules et les petites fesses musclées. Je ne doute pas une seconde que ces caractéristiques viriles parviennent à troubler la concentration des hétérosexuelles. C’est un fait indéniable, la beauté offre des avantages considérables. Quoi de plus bouleversant, n’est-ce pas, qu’un beau visage viril sur un corps d’athlète, avec une expression farouche dans un regard où perce une ombre de désarroi ? Et le désir féminin n’atteint-il pas ici son expression la plus authentique, sinon la plus noble ? Se lover contre un corps harmonieux et plein de force, dompter le farouche, effacer le désarroi… N’est-ce pas la mission dévolue à toute femme bien née ?


Seulement les faits sont têtus ; ils montrent à l’envi qu’elles ne se déterminent pas sur ces critères et que les chauves, les barbus, les squelettes ambulants, les velus bedonnants et les mollassons adipeux sont tout autant les bienvenus ; si nécessité fait loi, cela s’entend toujours. Vous direz que les hommes se servent dans le même plat : demeurent-ils célibataires en attendant que Christina Hendrix se libère ? Reconnaissons quand même qu’ils sont plus exigeants sur le physique.


On peut d’ailleurs penser que cette extrême souplesse des femmes dans leur disponibilité ressortit plus généralement à une relation à l’autre où l’érotisation du corps n’est qu’une éventualité dans un ensemble de variables. En faisant des enfants avec Gainsbourg, Jane Birkin n’a-t-elle pas implicitement assumé le risque de leur laideur ? Comment envisager les succès de Landru ? Ou ceux de Mickey Rooney ? Ou encore ceux de Piéral qui conservait, paraît-il, des milliers de lettres dans lesquelles des femmes s’offraient à lui. Comment la superbe Yori Bertin a-t-elle pu hanter pendant cinq années entières la couche de Jean Lefèvre ? Et comment les épouses de ce répugnant poussah d’Henry VIII conçurent-elles la chose ? Si un gros lard sur le retour est tout sauf désirable avec sa gueule adipeuse et hargneuse, sans doute faut-il savoir le regarder sous un autre jour pour… se motiver ? Pas si facile en vérité… Sachant pertinemment ce qui l’attendait avec ce tyran sanguinaire, Catherine Howard choisira pourtant d’aller voir ailleurs. Qu’on ne vienne pas non plus me raconter que Sarkozy ou Hollande sont tant soit peu désirables !


Mais pour une qui privilégie le désir vrai, combien le traitent en quantité négligeable ? Sur les plages de ma jeunesse, j’ai vu débarquer l’armée des mutilés allemands de la seconde guerre mondiale, désormais quadra ou quinquagénaires : qui une jambe, qui les deux, qui un bras, qui les deux, qui aveugle, qui sévèrement brûlé… Aucun d’eux n’était seul. Quel que soit l’état de son corps, l’homme peut toujours compter sur la femme. La réciproque est-elle vraie ?


Ce qui la passionne, c’est de satisfaire un besoin de fusion. Il naît de l’idée de vivre une relation spéciale avec un homme unique, différent de tous les autres. Même laid comme un singe et aussi éveillé qu’une moule il a un charme fou, parce qu’avec lui elle se sent une femme spéciale aux yeux d’un type spécial qu’elle reconnaît comme sien et qui la reconnaît comme sienne, c’est son homme. Tant que cette magie opère, quoi qu’il arrive et quel que puisse être l’attrait de la concurrence, elle ne renoncera pas à sa monomanie.


Horreur si c’est lui qui s’en va ! Elle risque alors de porter son deuil pendant des années, insensible aux rencontres, incapable de tourner ailleurs le moindre regard, toujours attendant que quelque bonne fortune ramène à elle l’infidèle et vienne en son sein rallumer quelque noir tison, dont elle s’obstine à réchauffer la cendre.


Mais où donc niche le désir décliné au féminin, s’il n’est planqué au fond de l’idée que ces dames se font de leur idole du moment, autant dire dans la représentation qu’elles en ont elles-mêmes forgée, en même temps que s’épanouissaient les espoirs associés de nidification ? Si tel est bien le cas, que de désillusions en devenir… La chance est femme, dit le proverbe, elle méprise ceux qui la cherchent, elle ne sert pas ceux qui la méritent. La sagesse populaire entérinerait donc les succès des enjôleurs, des menteurs, des faux-jetons, tous autant qu’ils sont perfides ordures, mais aussi ceux des minables à belle présentation et des paumés aux grands yeux tristes !


Pour éveiller le désir féminin, il est indispensable que l’homme paraisse, qu’il semble être, qu’il laisse imaginer que… Il faut qu’il ouvre à la femme un espace où elle va pouvoir se raconter une histoire, ce qui se produit souvent sans même qu’il s’en rende compte. Comment ce mécanisme s’active-t-il ? Par la parole et par l’écoute. Du moins est-ce le cas le plus fréquent.


Les hommes ne consacrent pas assez de temps à parler aux femmes qu’ils désirent. Ils n’écoutent pas vraiment ce qu’elles ont à dire, ne s’intéressent pas assez à ce qu’elles créent ou réalisent, traitent comme quantité négligeable les tempêtes émotionnelles qui agitent leurs esprits. Une beauté masculine objective représente certes un énorme avantage, mais je suis convaincu que si les femmes s’allument à la vue, elles ne s’enflamment qu’à l’oreille. Il y a aussi le bon moment pour s’arrêter de parler. Les femmes adorent les hommes qui savent ce qu’ils veulent et qui prennent l’initiative au moment opportun.


Grâce aux universitaires anglo-saxons (qui ont apparemment de l’argent pour tout étudier) nous savons que la préférence des femmes va aux hommes grands, larges d’épaules, étroits de hanches et pourvus d’un sexe pas trop long mais bien épais. Quelle découverte ! On ne s’en serait pas douté ! Bref, 1,90 m pour 82 kg, la tête de George Clooney avec un popaul du genre trapu, ce serait la recette pour un succès assuré ? Malheureusement rien n’est moins sûr.


L’étude, tout à fait sérieuse, a été réalisée sur la base d’une projection d’images assorties de mesures d’humidité et de micro-spasmes prises dans les vagins d’une bonne centaine de cobayettes. Autrement dit elle est scientifique et fiable, sauf qu’on n’a sollicité chez ces dames que le sens de la vue, sans se préoccuper de leur fonctionnement neuronal : le contre-pied d’Indigo Bloome ! C’était bien une idée de mecs !


Il est étonnant qu’aucune femme de l’équipe ne leur ait soufflé qu’elle pourrait un jour rencontrer cette créature de rêve et être dégoûtée par sa conversation ; non, aucune coquine ne leur a objecté que « Oui, peut-être, pour une nuit, parce qu’il est vraiment trop beau, mais entamer une relation avec ça ? N’y pensons même pas ! » Ces mêmes filles partant à la fin de la journée au bras d’un attendrissant ou admirable nabot.

Encore de l’argent public gâché dans une étude foireuse, basée sur un concept erroné, légitimé par la nature propre de l’expérimentateur qui élabore et valide un protocole dont les conditions ne s’appliquent qu’à lui-même !


La vérité, c’est qu’il faut définitivement renoncer à cartographier le désir féminin. En l’occurrence, les femmes sont tout sauf prévisibles. Faut-il s’en étonner ? Elles sont apparemment programmées pour le mélange des gênes ! Cela ne veut pas dire pour autant qu’elles tiennent toujours la route.

Placées au contact d’un mâle identifié par elles comme une légende vivante, bien des femmes ne sont pas plus futées que la plupart des hommes. Elles prennent aisément des vessies pour des lanternes et sont aussi démunies que des mecs se trouvant nez à nez devant une grande blonde pulpeuse. Elles ne sont pas loin de se conduire comme le loup de Tex Avery quand se pointe la pin-up du dessin animé, sauf qu’elles savent le faire en toute discrétion. Combien de fois ne suis-je pas resté muet de saisissement en voyant les choix opérés par beaucoup de femmes autour de moi, bien souvent à leur détriment, avec une singulière capacité à l’aveuglement, invoquera-t-on l’auto-intoxication ?


Telle jeune collègue follement éprise d’un prof de sport qui ne voulait plus d’elle, pleurait à chaudes larmes en hurlant sa douleur de ne pouvoir à nouveau plonger ses doigts dans les petites bouclettes qu’il avait sur la nuque, là où je ne voyais que des tifs en nette voie de raréfaction, effectivement agglomérés en bouclettes sur les arrières, mais par quoi au juste ?

Passer les doigts dans ses petites bouclettes… Voilà donc à quoi elle pensait quand elle pensait à lui ! C’est ainsi que je réalisais que l’érotisme féminin n’avait, pour s’activer, nul besoin d’un culte des zones érogènes et des organes sexuels. « Eppur si muove… » aurait dit Galilée !


Les manifestations physiques d’un puissant désir féminin ne sont pas loin d’être aussi spectaculaires qu’une érection. Quand une femme bien née a envie de vous, elle fond, ruisselle, se liquéfie, elle enfle aussi, ses petites lèvres viennent former comme la corolle d’une fleur humide à la surface des grandes. Il arrive que ce désir inonde sa petite culotte, il se peut même qu’il parvienne à traverser l’étoffe d’une jupe, qu’elle doive se cacher en descendant de voiture, un peu honteuse et en même temps assez fière de montrer – honesta mulier – de quel bois elle se chauffe, nullement mécontente à l’idée que son homme sache dans quel état il la met. Il arrive ainsi qu’à l’intromission, on la sente se détendre en soupirant, comme si une longue tension retombait enfin, comme si elle ressentait une sorte de soulagement.


Elles sont superbes dans cet état ; c’est si beau quand ça vous arrive ! Occasions trop rares et dont il convient de goûter chaque seconde, car cette étape langoureuse est aussi sublime et éphémère qu’un envol de papillons. Occasions précieuses aussi, car les femmes en ont-elles tant que ça de baiser pour le plaisir sans avoir en tête autre chose, pour ne pas dire sans arrière-pensées ? En cette matière, j’affiche un pessimisme raisonnable, disciple en cela de Georges Brassens qui, en d’autres temps, chantait déjà telle vérité trop ignorée.


D’ordinaire, l’avidité qui irrigue les vagins et poisse les vulves dure le temps d’un changement de lune. Le premier impair ou la première manifestation de routine font tomber les masques. La femme se réveille de son rêve, rentre en elle-même, secoue jusqu’aux dernières bribes les poétiques foutaises si amoureusement élaborées et voit soudain, à la place de son prince charmant, un homme ordinaire qui lui demande un service quotidien. Un homme comme les autres en somme, ni plus, ni moins.

Aussitôt le contact de sa main devient insoutenable, sa plus tendre caresse confine au va-et-vient mécanique d’une pierre ponce, la fontaine s’assèche, le puits se tarit. Horreur ! Comment échapper à cette odieuse contrainte ? Allez, c’est parti pour la fatigue, le manque de temps, les migraines, les maux de ventre, les règles qui durent 15 jours, les candidoses ou les cystites à répétition, rarement feintes, hélas. Oui, jusqu’où n’irait-on pas ?


Combien ont fait l’expérience de ce fiasco ? Et au bout de quelques mois de vie commune, combien d’hommes ne jouissent – façon de parler – que d’un service minimaliste consenti au seul nom de la diplomatie, dans une configuration routinière dont ils n’ont aucun droit de sortir ? Car lorsque la faim les quitte, ces dames se mettent à louvoyer, coincées entre leur désintérêt de fond et quelques accès d’élémentaire prudence traités sur un mode pragmatique : « C’est son problème, mais si je m’en désintéresse tout à fait, une âme pieuse ne va-t-elle pas feindre de compatir à son mal-être ? On a deux enfants quand même… »


À ce point, combien de rebelles vivant dans l’espoir que l’herbe soit plus verte au-delà de la clôture – éternelle illusion – ou craignant de finir enlisés dans l’impuissance, passent outre et vont voir ailleurs ? Combien d’autres se résignent et se laissent glisser vers l’oubli d’eux-mêmes, mourant à petit feu ? Combien d’hommes peuplent leur solitude en macérant dans leurs fantasmes, écrivant des nouvelles à partir du peu qu’ils ont vécu, élaborant des univers chimériques où des femmes magnifiques seraient puissamment motivées ?


Comme j’ai souvent une oreille qui traîne, j’entendis un jour les confidences de deux familiales commères. La première fit sur le genre masculin une remarque acerbe, mais assez banale, l’autre répondit sur le mode bon-enfant : « Bah, faut pas grand-chose pour les contenter ! » En tant qu’homme, j’en ressentis quelque humiliation. Quoi ? Pour elle qui s’y entendait à positiver, ce n’était somme toute qu’un petit sacrifice rituel ? À moins qu’elle eût gardé dans un coin quelque reliquat de tendresse…


Ça me rappela une chanteuse bien connue, ni très jeune ni spécialement jolie mais agréable et spirituelle, qui confiait avoir récompensé l’assiduité de nombre d’admirateurs « pour leur faire plaisir » ; sa générosité vraie ne méritait que le respect, mais qu’en était-il de l’honneur masculin ?

Un soir, une de mes collègues employa le même ton gentiment condescendant : « Les hommes, faut les faire baiser, autrement ils font des conneries ! » Plus forte encore la miss qui haussa les épaules dans une saute d’humour, quand on la moqua sur quelque relation biscornue : « Je dépanne. »


Le cas de Madame R. ressortissait à cette logique, mais il était plus dramatique. Avec son mari, cette courageuse épouse se désennuyait en comptant les coups, comme elle le confia un jour à ma mère qui me le répéta. Si la femme sait se conduire en lionne, elle cultive aussi l’art de vivre en paix, très loin de son corps. Et puis comme dit l’épouse du notaire dans le film Garde à vue : « Vous savez, si une femme décide que ce n’est pas important… »


Les filles d’aujourd’hui perpétuent à leur manière cette tradition plurimillénaire de détachement. Les selfies abondent désormais où en douce, par-dessus l’épaule du partenaire, des filles au visage hilare, grimaçant, dégoûté ou terrorisé se photographient à l’insu d’un pauvre idiot qui s’escrime en se racontant une histoire de plaisir partagé. Le sens de l’humour a bon dos ! Ces clichés réfutent clairement tout intérêt, démentent le moindre désir, ridiculisent un fornicateur réduit à sa seule mécanique, déchirent l’amant en menus morceaux. Au moins tout homme raisonnable sait-il désormais à quoi s’en tenir !


Autant de profils, autant de façons de gérer le désintérêt. Mais d’ordinaire, une fois que celui-ci est installé et entériné, ces dames ne prisent guère qu’on prétende rallumer les hostilités. Selon comme souffle le vent, elles peuvent donc se sentir en appétit, et férocement ; cependant ne demandez au juste ni quand, ni comment, ni pourquoi. Et si Alberto Moravia, à 83 ans sonnés, se posait encore vainement la question dans son dernier roman, n’espérez pas que quelqu’un puisse vous répondre.


Un désir cérébral au bout du compte et une disponibilité constante mais aléatoire, au point que la manifestation ciblée, impérieuse et régulièrement réitérée du désir masculin en ressort fréquemment importune. Mais je ne fais là que suivre les traces d’Ovide : « Je hais cette femme qui se livre parce qu’elle doit se livrer, et qui, froide au sein du plaisir, pense encore à son ouvrage. Le plaisir qu’on m’accorde par devoir cesse pour moi d’être un plaisir et je dispense ma maîtresse de tout devoir envers moi. »


Insaisissable désir féminin… Si indéfinissable, si problématique, si peu maîtrisable que, pour tenter de le circonscrire, on lui consacre de savants documentaires fondés sur des recherches scientifiques et sur l’aléatoire sincérité de témoignages et autres souvenirs de femmes jouissant d’une certaine notoriété. Quelle belle occasion d’interviewer des prêtresses du temple people sur les petits secrets de leur vie intime ! Ils sont pour la plupart assez proprets, pour ne pas dire banals et ne dévoilent jamais, en dépit des intentions affichées par le documentaire, que des choix respectables, pleinement justifiés, toujours empêtrés dans l’embarras d’une retenue qui interdit d’afficher ouvertement le moindre désir vrai.


C’est que les rares femmes à être sorties des sentiers balisés de la sexualité orthonormée ne sont pas assez folles pour le raconter à tout le monde, car après avoir longtemps risqué le pilori des moralistes, elles encourent à présent la vindicte des tenants de l’idéologie dominante, inévitablement ultra-féministe. Or l’affreux soupçon d’une honte abominable se dessine aussitôt : ne se sont-elles affranchies des limites du convenable que pour le seul plaisir d’un homme, consentantes certes, mais à leur corps défendant ? Ce qui est bien possible, effectivement…


En revanche l’arrière-plan de ces documentaires est instructif, car il révèle deux phénomènes qui méritent d’être relevés. Le premier a trait à l’ignorance où certaines se trouvent parfois quant au fonctionnement de leur propre corps, ne parlons pas de l’exploitation de ses capacités. Il est d’ailleurs arrivé qu’au hasard d’un forum relativement sérieux, je tombe sur quelque angoissée, vaguement culpabilisée, qui avouait sa perplexité quant au plaisir. Gageons qu’elle ne se serait pas interrogée si elle l’avait connu. Cependant elle ne plaisantait nullement et j’ai moi-même pratiqué telle jolie fille souriante, équilibrée et sportive qui, de son propre aveu, ne dédaignait pas de galoper quelques milles en bonne compagnie, mais n’en recevait jamais aucune sensation particulière, quelle que fût la monte. Le continent noir évoqué par Freud serait-il donc aussi énigmatique que celui-ci le prétendait ? Certes, à partir du moment où certaines femmes sont étrangères à elles-mêmes, tandis que d’autres, qui ont tout compris, cultivent l’art du secret…


Le second phénomène recouvre une condescendance très couramment partagée à l’encontre de la masculinité. « Trois mauvais coups sur cinq » a estimé Karine Lemarchand un jour de Grosses Têtes. En voilà une dont les prochains amants se sentiront en confiance ! Gageons que le score ne va pas s’améliorer dans le futur, si tant est qu’elle trouve encore des imprudents disposés à tenter de la satisfaire…


Au vrai, quand ces dames s’abandonnent aux confidences, il apparaît que l’homme, dans l’exercice de la sexualité, est une créature vulnérable, obnubilée par les performances de sa zigounette si ce n’est par les centimètres, un être angoissé et plus anxieux de techniquement bien faire, sinon de faire mieux que les autres, que de plaisir partagé. Le mâle est donc très généralement marqué en arrière-plan par une forme d’incompétence qui déborde fréquemment sur le champ relationnel et comportemental, ce qui aide la pensée dominante à asseoir une évidente supériorité féminine, bien dans l’air du temps.


Selon le positionnement affectif de la dame, l’homme en sort touchant ou lamentable. Or peut-on tout ensemble aimer et condescendre ? Soupirer et s’apitoyer ? Désirer et mésestimer ? Je ne laisse pas de nourrir des doutes. N’y aurait-il pas là quelque motif à cyniquement s’exiler dans un pessimisme universel ?


Il est vrai qu’à ce point, la seule parade dont dispose un homme honorable est, tout en restant gentil et prévenant, de ne jamais demander quoi que ce soit à aucune femme. Mais dans sa réserve il risque fort, alors, d’avoir des surprises, car l’ironie veut que cette pure réaction de défense constitue l’arme ultime en matière de drague. Être sollicitée ? Inacceptable au nom de la dignité ! Être ignorée ? Inenvisageable au nom de l’honneur !


Cependant, en dépit de la tendance inéluctable au fiasco de toute relation intime homme-femme (à croire que Dominique Fernandez avait raison depuis le début), les vraies partenaires féminines existent, même s’il s’agit d’une espèce assez rare. Tous les hommes ne se tapent pas à longueur de vie l’infâme brouet noir des Spartiates et l’on peut toujours espérer tomber sur une vraie compagne de jeu. Quid des complicités authentiques ? Des solidarités fusionnelles ? Des gens heureux qui se nourrissent l’un de l’autre, du bonheur dont on a tendance à ne jamais rien dire ?


Il n’y a pas si longtemps qu’on m’a cité le cas d’un couple totalisant près de 140 ans d’âge et qui continue à régulièrement s’ébattre, dans la joie et le bonheur partagés. Part émergée d’une furieuse passion mutuelle ? Cela va sans dire. Mais il convient de préciser que la dame y a toujours mis du sien, apparemment fort demandeuse, mais surtout incapable de maîtriser les manifestations de son plaisir. Ce bouleversant tapage n’est jamais allé sans quelque gêne vis-à-vis de l’entourage, mais il comble de bonheur un mari singulièrement motivé. Gageons que cette énergie féminine a largement contribué à le garder dans la place, en pleine forme, et que sans cet apport vital, d’une façon ou d’une autre, la chandelle aurait été soufflée depuis des lustres…


La sagesse populaire affuble les femmes amères et acariâtres d’un sobriquet qui lie leur triste tempérament à leurs déconvenues sexuelles. Avec le temps, j’ai découvert que les « mal baisées » étaient d’abord et surtout des « mal-aimantes ». L’assurance que toute mal-aimante soit d’abord une mal-aimée consolerait probablement les bien-pensants, mais l’expérience apprend que les deux concepts ne s’inscrivent pas forcément dans une logique de vases communicants.


Au demeurant, ce mal-amour commence souvent par elles-mêmes et leur propre corps : parlerons-nous des actes de pur vandalisme perpétrés par certaines au détriment de leur féminité ? Absence de tout maquillage et coupes de cheveux pénalisantes que la plupart des garçons récuseraient pour eux-mêmes, fagotages sac à patates censés masquer les formes, boulimie et prises de poids inconsidérées, chaussures plates et démarche de caporal de carrière, jeunes poitrines hâtivement amputées, sans véritable nécessité esthétique ou pathologique : autant d’actes de sabotage, autant de remparts plus ou moins consciemment érigés contre le désir masculin. Une femme qui déteste à ce point son corps peut-elle encore envisager de le faire jouir ? L’anorexie, manifestation d’un mal-être essentiellement féminin aux conséquences bien plus dramatiques, ne serait-elle qu’une variante extrémiste de ce processus ? Un esprit qui ne supporte pas d’être incarné en arrive-t-il à proscrire sa propre chair ?


Il fut un temps où, pour exorciser le désir, on pouvait chercher refuge dans un cloître. La sublimation par le chant grégorien… Voie exaltante s’il en était ! Seulement la rhétorique de l’enfermement a depuis longtemps cessé d’être valorisée et il n’y a plus aucune noblesse à s’imposer la claustration, qui plus est au nom d’une Parole qui n’a jamais demandé que l’action.


Nous voici fort éloignés de la débauche féminine par quoi nous avons commencé ! Mais en dépit de quelques apparences, mes propos n’ont rien de misogyne. Au bout de plusieurs millions d’années d’évolution, les femelles de l’espèce humaine ont atteint la perfection, au sens où elles sont exactement comme elles doivent être. Il serait grotesque de prétendre les tricoter autrement. D’ailleurs si j’étais une femme, je serais comme les autres et je sais déjà que dans une prochaine vie, je ferai tout, absolument tout comme elles. J’espère juste être très jolie, car vu la façon dont l’espèce a tricoté les mâles, le destin des laides n’a rien de folichon.

Non, que les belles âmes se rassurent, on ne saurait en vouloir aux innombrables laissées-pour-compte des joies de la reproduction sexuée. Comment accabler de simples victimes ?


Quant aux franches mégères, même les plus arides n’ont pas choisi leur façon d’être. En outre, on peut toujours envisager de les quitter ; quand on ne le fait pas, c’est qu’un puissant motif détourne de cette voie. N’empêche, parfois on s’étonne…