n° 16757 | Fiche technique | 18145 caractères | 18145Temps de lecture estimé : 9 mn | 14/04/15 corrigé 09/06/21 |
Résumé: Voici quelques poésies proposées aux lecteurs de Rêvebébé... | ||||
Critères: nonéro exercice -poésie | ||||
Auteur : Brodsky Envoi mini-message |
Poésie |
EN SORTANT DU BAR…
En sortant du bar
après avoir éclusé mes trois Guinness
nocturnes,
je suis rentré chez moi,
les poings au fond des poches
et en rentrant la tête
dans les épaules
pour me protéger de la pluie
qui tombait à grand seaux,
ce qui, bien sûr,
ne servait à rien.
La petite église romane
du quartier était ouverte
et je décidai d’y entrer
pour m’abriter
un peu.
Faut dire que je ne vais
plus très souvent
dans les églises
en ce moment,
même si je sais bien
que la maison de Dieu
est ma maison.
Mais comme elle est
la maison de tout le monde
et que j’ai du mal
avec le monde,
je préfère lui parler de chez moi,
dans l’appartement
que je partage
avec mon chien.
Par chance,
l’église était presque vide.
Il y avait juste un mec
avec des sabots de cheval
à la place des chaussures
et une queue fourchue
qui jouait de l’orgue,
et qui en jouait merveilleusement bien
pour une fois.
Tandis qu’il jouait
sa queue battait doucement
la mesure
Je me suis assis
sur un des bancs de la crypte
en attendant
que la pluie s’arrête
et en écoutant l’orgue.
J’ai fermé les yeux…
Lorsque je les ai ouverts
à nouveau,
j’ai vu le crucifix
dans le fond de l’église
qui brillait d’un éclat
bien particulier.
Je m’en suis approché,
fasciné,
émerveillé,
en regardant le pauvre bougre
qu’on avait cloué là-dessus,
et qui pourtant
les avait tous envoyés
se faire mettre
en ressuscitant, il paraît,
trois jours après
seulement,
ce qui avait foutu
une belle merde
chez tous les prétentieux
qui croyaient
croire.
L’orgue jouait toujours
et la lumière
m’appelait…
J’ai posé ma main
sur les pieds du crucifié
et je l’ai regardé dans les yeux.
Il avait l’air de vouloir me dire
quelque chose
d’important…
Et alors
l’orgue s’est arrêté
et je l’ai entendu murmurer :
« Sauve-moi, Simon… »
« Hein ? » J’ai répondu.
« Sauve-moi, Simon… »
L’organiste a commencé
une nouvelle partition
et je me suis retourné vers lui
pour lui dire
d’arrêter deux minutes.
Mais quand j’ai vu ses
deux grandes ailes noires
dans son dos,
j’ai flippé ma race
et je suis sorti de l’église
en courant
comme un fou…
Arrivé chez moi,
je me suis servi
une bonne Guinness
bien fraîche
et je me suis juré
que plus jamais
je ne foutrais les pieds
dans cette putain d’église
lorsqu’une musique
retentirait
à l’intérieur.
NE CROYEZ PAS…
Ne croyez pas qu’il y a quelque chose
de céleste ou de romantique
dans la misère ou dans l’alcoolisme :
Il n’y a que du désespoir…
Certains branleurs se croient malins
en racontant des conneries
sur la prétendue liberté des clochards :
Il n’y a que du désespoir…
Il n’y a pas d’héroïsme à boire comme un trou,
à vomir dans la rue ou dans ses chiottes
et à se rouler dans sa merde :
Il n’y a que du désespoir…
Il n’y a aucune poésie dans l’acte
de payer une pute ou un travelo
pour se faire sucer la queue :
Il n’y a que du désespoir…
Et il n’y a besoin d’aucun talent particulier
ni d’aucun génie sorti de mon trou du cul
pour écrire ces mots où
il n’y a que du désespoir…
Les pisseuses et les bourgeois se pâment
ou s’offusquent quand ils lisent mes poèmes
auxquels ils ne comprennent RIEN :
il n’y a que du désespoir
et rien d’autre.
Dans la vie d’un écrivain qui transpire et ressent
la souffrance des pauvres types qui l’entourent,
il n’y a et il n’y aura toujours qu’un putain de désespoir,
et de quoi se faire sauter la tête,
si la douleur devient trop forte.
LA LUNE EST PLEINE
La lune et pleine,
et moi aussi…
J’ai vidé la bouteille de gin
et je regarde la rue
déserte.
Elle est belle cette rue,
avec la lumière des réverbères
qui se reflète sur les voitures
et qui lui donne des airs
de décor de cinéma…
À travers ma vitre
je regarde un film noir
sans comédiens,
sans dialogues,
sans meurtres,
sans rien,
avec une bande originale
jouée par le Clodo’s Band
qui beugle une sorte de yaourt
que seuls peuvent comprendre
les alcooliques.
Ils beuglent la solitude de ceux
qui n’ont plus rien
et qui s’accrochent à ce rien
pour qu’on ne le leur prenne pas
comme on leur a pris tout
le reste.
Ils beuglent la colère de ceux
qu’on veut cacher,
qu’on ne veut plus voir
et qui font tout pour qu’on les voie,
conscients que le jour
où on ne les verra plus
ils seront morts
pour de bon.
Ils beuglent le désespoir,
et rien n’est harmonieux dans
leurs cris ;
et leurs cris me touchent.
La lune est pleine,
et moi aussi…
Et je m’avance sur le balcon
pour hurler à la lune
comme les coyotes
comme les clochards,
comme les pochtrons.
Et mes hurlements deviennent
le contre-chant
du chant du Clodo’s Band.
Et dans l’immeuble en face
les fenêtres s’allument,
les têtes sortent
et les gens se mettent à hurler
à leur tour.
Des hurlements désespérés
qui voudraient nous faire taire.
Et tout ce désespoir
devient alors une fête immense
pour mes clodos du coin de la rue
qui applaudissent
et qui saluent
avant de partir ailleurs
continuer leur tour
de chant…
La lune et pleine,
et moi aussi…
Mais le spectacle est réussi…
ET ILS PAIENT POUR CELA…
Ils sont plusieurs centaines à faire la queue
devant le guichet
pour obtenir le droit d’aller
courber le dos un mois de plus
devant leur patron…
ET ILS PAIENT POUR CELA…
Ils font la queue en baissant la tête
et en grinçant des dents,
en jouissant d’être devant ceux qui sont derrière
et en haïssant ceux qui se trouvent devant.
ET ILS PAIENT POUR CELA…
Ils sont plusieurs centaines à faire la queue
et à transpirer de colère et d’impatience,
en nage et en rage,
afin de se procurer le laissez-passer
vers les contrées de l’esclavage du salarié.
ET ILS PAIENT POUR CELA…
Puis leur tour venu, ils dégueulent leur haine
sur le pauvre type enchaîné derrière la vitre
blindée qu’ils prennent pour leur bourreau
parce qu’il encaisse un dixième de leur salaire
en échange de leur soumission.
ET ILS PAIENT POUR CELA…
Ils dorment mal au milieu du bruit
dans des appartements trop petits ;
leurs gosses deviennent cons dans des écoles
où ils n’apprennent RIEN D’ESSENTIEL.
ils bouffent de la viande avariée,
boivent du vin frelaté,
cinq fruits et légumes emplis de pesticides
chaque jour,
se font soigner dans des hôpitaux bondés
où on leur refile des maladies nosocomiales.
ET ILS PAIENT POUR CELA…
Ils paient pour ces enflures de politiciens
qui n’ont jamais pété que dans la soie,
n’ont jamais rien produit de leur vie
et leur font la morale
en leur expliquant doctement
que la démocratie est une pute sublime
qu’il faut tout faire pour entretenir.
ET ILS PAIENT POUR CELA…
DU HAUT DE MON BALCON…
Du haut de mon balcon je regarde
les insectes humains qui grouillent
sur le trottoir d’en bas,
avec leurs sacs remplis de trucs
qu’ils sont fiers d’avoir
achetés…
Ils courent dans tous les sens,
sans regarder où ils vont,
ils se poussent, se bousculent,
s’engueulent même parfois,
s’insultent…
Tout cela n’a aucun sens…
Les fourmis, les scarabées, toutes les bestioles
de l’univers ont un but commun :
celui de préserver l’espèce.
Le seul but commun des humains est
de détruire la leur
en s’aliénant chaque jour un peu plus,
en consommant des merdes inutiles,
en se gavant d’émissions à la con
devant leur poste de télévision,
en cherchant pourquoi et comment
se détester un peu plus à chaque minute qui passe…
Certains parlent d’amour ;
mais l’amour dans leur bouche est devenu
un concept plein de moralité, de règles
qu’ils prétendent devoir respecter
comme la recette de la brandade de morue.
C’est pitoyable…
Ils oublient l’instinct,
le désir, les pulsions sexuelles,
l’envie de baiser juste pour le plaisir ;
il leur faut sans cesse une raison,
une excuse,
UNE JUSTIFICATION,
l’avis du psy ou celui du curé, ou celui
de leurs enfants…
Je regarde ce clebs en train
d’en grimper un autre,
et je l’envie…
Il n’a rien demandé à personne,
il ne s’est pas posé de questions :
il a juste répondu à l’appel de la nature
qu’une vieille salope va contrarier
en lui jetant un seau d’eau froide,
parce qu’aujourd’hui
on interdit même aux chiens
de baiser dans la rue.
On castre les animaux
par jalousie,
parce que la plupart des humains
sont déjà castrés DANS LEUR TÊTE
par les féministes ou les curés
qui n’ont jamais rien compris
à l’amour, et qui imposent à tous
leur incompréhension délétère…
Et je regarde le ciel étoilé,
cet agencement impeccable de l’univers
auquel je ne comprends rien non plus,
dont personne n’a rien à foutre ici-bas
et qui n’a rien à foutre de nous,
et au Créateur, quel que soit son nom,
qui se tape le cul en rigolant sur son nuage
quand il nous regarde
à travers son microscope
nous agiter pour rien
et passer à côté des plus grands plaisirs
de l’existence…
JUSTE PARCE QUE NOUS SOMMES TROP CONS !!!
LES NUITS SANS TOI
Les nuits sans toi quand j’éteins Skype,
Lorsque la peur dit « No escape »,
Que je suis seul face à tes doutes,
Perdu impasse de la déroute.
Les nuits sans toi, les nuits sans lune
Et sans autre lumière aucune
Que la lueur des cigarettes
Qui se reflète dans la fenêtre.
Les nuits sans toi,
Je sors sur le balcon,
Je fume, je bois,
Je fais le con.
Les nuits sans toi,
Les fruits de ma passion
Se diluent dans
Mes illusions.
Les nuits sans moi quand je raccroche,
Quand tu trouves que la nuit est moche
Que tu soignes avec la vodka ;
Les heures où je ne suis pas là,
Les nuits sans moi, à pas dormir
Quand trop épuisée pour écrire
Le corps ouvert, les yeux fermés
Sans mes mains pour te caresser,
Les nuits sans moi,
Tu sors dans le jardin
Tu ne fumes pas,
Tu pleures en vain.
Les nuits sans moi,
Les mots de la passion
S’envolent sans
Ta permission.
Pour toi et moi la nuit s’efface ;
Un petit matin dégueulasse
Qu’on veut noyer dans un café.
Un jour pour rien sans se parler,
Un jour à attendre la nuit,
Une parenthèse infinie
Qu’on finira par refermer
Lorsqu’on pourra se retrouver.
Les nuits sans toi,
Je sors sur le balcon,
Je fume, je bois,
Je fais le con.
Les nuits sans toi,
Les fruits de ma passion
Se diluent dans
Mes illusions…
SEULES LES AFRICAINES…
Le ciel est bleu, le soleil brille
mais il ne fait pas beau.
Ce temps est à l’image de notre civilisation :
une image belle pour la photo ;
et derrière le photographe,
plombé, pollué, étouffant,
un monde à l’agonie.
Le ciel est bleu, le soleil grille,
et les femmes font ce qu’elles peuvent
pour paraître désirables
à défaut d’être belles…
Jambes dénudées, poitrines offertes
et agressives,
plombées, polluées, étouffées.
Agonie du désir…
Seules les Africaines sont belles
aujourd’hui…
Ce soleil leur appartient :
elles ont appris
à vivre avec lui…
Elles marchent dans mes rues
telles des reines dont l’exil
vient de prendre fin.
Je vais danser pour elles, moi qui ne danse jamais…
La Reine vient d’ordonner :
« Danse pour nous, Mambo ! »
Coup de chaleur ou hallucination…
« Danse pour nous, Mambo ! »
J’ai trop chaud… Je dois me réveiller…
« Danse pour nous Mambo ! »
J’ai retiré mes fringues ;
me voici à poil sur le balcon.
« Danse, Mambo, danse ! »
Et me voilà qui bouge au rythme
de la sableuse et du marteau-piqueur
du chantier d’à côté…
« Danse, Mambo, danse ! »
Des gens s’arrêtent, interloqués,
sur le trottoir d’en face,
effrayés, effarés,
j’en vois un qui grimace…
« Danse pour nous, Mambo ! »
Soleil, marteaux-piqueurs, chaleur,
poitrines offertes, agonie, sableuse…
« DANSE POUR NOUS, MAMBO !!! »
Ce n’est plus l’ordre d’une Reine :
C’est le murmure d’une foule,
C’est le cri de tout un peuple,
C’est un tonnerre qui éclate :
YEYE ALIFANYA HIVYO MVUA !!!
YEYE ALIFANYA HIVYO MVUA !!!
YEYE ALIFANYA HIVYO MVUA !!!
Yeye alifanya hivyo mvua…
Je suis à terre, épuisé.
La Reine m’a rendu mon esprit
Ou l’ai-je retrouvé seul ?
Je suis nu sur le balcon ;
La pluie tombe encore,
La rue est vide…
Seules les Africaines étaient belles aujourd’hui…
TOUJOURS LES AUTRES
Il y a des gens qui ne servent
tellement à rien
que personne ne les
regrettera…
Ni leurs amis,
ni leurs parents,
ni leurs enfants,
ni leur chien, ni leur chat,
ni leur ténia,
ni leurs morpions.
Des inutiles
avec beaucoup de prétentions
qui parlent fort,
persuadés que leurs inepties
deviendront des vérités
s’ils les habillent de grands mots
et les parent de venin.
Ils y a des gens qui ne servent à rien,
MAIS CE SONT TOUJOURS LES AUTRES
QUI SE SUICIDENT.
LA BÊTE IMMONDE
S’il me prenait l’envie d’écrire une poésie
dans laquelle je voudrais peindre le visage
de la bête immonde,
je ne la peindrais pas avec la mèche
et la moustache du Célèbre Gnome allemand,
ni avec le masque de commediante
d’un Duce d’opérette,
ni sous la casquette d’un petit père des peuples
ou d’une de ces quelconques charognes
pourrissant sous terre…
Je la décrirais inculte, et ignorante
de son passé,
de son histoire,
des besoins du peuple,
des réalités sociales,
des souffrances des petites gens…
Je la décrirais arrogante,
sûre d’elle-même,
méprisant le suffrage universel,
prompte à manier l’injure,
faisant appel à la censure,
s’arrogeant le droit
de dire ce qui est bien ou mal,
et partageant les richesses du pays
avec ceux qui la servent…
Je la décrirais augmentant les impôts des pauvres
au nom de la Justice Sociale,
persécutant les religions
au nom de la laïcité,
permettant des injections létales aux vieillards
devenus une charge pour l’État,
dépeçant les morts sans leur permission
pour utiliser à nouveau leurs organes,
préférant parler de la vie sexuelle de Proust
plutôt que de La recherche du temps perdu,
lisant les Cinquante nuances de Grey
plutôt que Le portrait de Dorian,
incitant nos petits garçons à jouer
à la poupée
et à porter des robes,
et nos petites filles à jouer aux camionneurs,
se préparant à interdire le vin
après avoir interdit le tabac…
Et on me répondrait que j’exagère, bien sûr…
Que personne, jamais, n’oserait aller jusque là.
On se demanderait si c’est bien du café
qui sort de ma cafetière…
Et on aurait raison… bien sûr.