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27/04/15
Résumé:  Un gamin se met en tête de draguer une femme qui pourrait être sa grand-mère et ...
Critères:  fh fplusag fagée jeunes hotel amour init nostalgie
Auteur : Laure Topigne            Envoi mini-message
Fais-toi belle !




Au café, l’autre jour, je me divertissais à regarder les manœuvres cocasses et cousues de fil blanc d’un jeune homme d’une vingtaine d’années qui s’appliquait à faire du charme à la serveuse, une grande et belle femme qui devait néanmoins approcher, elle, de la cinquantaine. Au bout d’un moment, alors qu’il avait accroché son bras, elle fit un mouvement si brutal pour le lui retirer qu’elle renversa la tasse de café dont le nectar se répandit sur le pantalon du jeune coq.



Le vieux monsieur, assis à la table à côté de la mienne, me sourit d’un air entendu, se pencha vers moi et me dit :



Il avait l’air avenant et n’était d’évidence pas, quant à lui, à la recherche d’une quelconque bonne fortune dont je serais la victime désignée. Je lui répondis :



Je menais une vie calme jusqu’au morose qu’aucun événement majeur, qu’aucune grande passion n’avaient bouleversée. Je n’étais pas malheureuse mais me demandais parfois si, tout bonnement, j’étais. L’ennui m’avait fanée, étiolée et je me sentais vieille de n’avoir pas vécu. Étais-je, sinon belle, au moins jolie ? À mon humble avis, non, mais certains affirmaient que j’étais mignonne et ne manquais pas de charme. Selon leurs dires, bien qu’un rien rondelette, j’étais élancée, dotée d’une peau magnifique et de grands yeux noisette que ternissait leur indéfectible mélancolie. Mon air revêche et glacial avait facilement écarté les rares séducteurs qui avaient tenté de m’entreprendre. Au reste, courir la pretentaine ne me ressemblait guère.


Mariée depuis vingt-six ans à un chauffeur routier qui travaillait à l’international, mon unique regret était qu’aucun enfant ne soit venu couronner cette union. Pour me distraire pendant les longues et régulières absences de mon conjoint et agrémenter les fins de mois, je travaillais régulièrement chez une amie qui, à domicile, effectuait des retouches pour une boutique de luxe. Ce supplément de ressources me permettait ainsi de satisfaire mon goût pour le vêtement chic.


Je déjeunais régulièrement chez elle, avec son mari et leur jeune fils âgé de dix-huit ans à présent, que je connaissais ainsi depuis sa plus tendre enfance. Je m’y étais beaucoup attachée et lui avais témoigné toute mon affection, notamment en le gâtant outrancièrement. Les années s’étaient écoulées sans que je mesure les changements de sa personnalité et il restait, pour moi, le bambin qui, bien plus tôt, avait déclaré son intention de m’épouser dès qu’il serait plus grand.


Un jour que nous effectuions des essayages et que je me trouvais habillée de mes seuls sous-vêtements, il pénétra brusquement dans notre petit atelier. Stupéfait de m’entrevoir ainsi dénudée, il demeura médusé me dévorant des yeux tandis que sa mère l’apostrophait :


  • — On ne frappe plus avant d’entrer, Monsieur l’impertinent, et qu’attends-tu pour nous laisser ?

Il battit en retraite sans même expliquer ce qui l’avait amené. À partir de ce moment, son comportement changea. Je le surpris me couvant d’un regard étrange et halluciné ou me jetant de noirs coups d’œil furtifs. D’un air mécontent, il se dérobait aux cajoleries qu’habituellement, je lui dispensais. Cela dura quelques semaines puis il s’appliqua à me fuir, s’échappant prestement dès qu’il m’apercevait et je ne le rencontrais plus qu’exceptionnellement toujours la mine affligée, presque hagarde. Je parvins enfin à le coincer pour lui demander ce qu’il me reprochait. Sans répondre, une fois encore, il se détourna en m’incendiant du feu de ses prunelles.


Quelque temps plus tard, alors que je travaillais avec sa mère, celle-ci dut s’absenter pour chercher une nuance de fil qui nous faisait défaut à la mercerie. Un grand fracas dans la rue m’attira à la fenêtre. Deux voitures venaient de se télescoper violemment. Quand je me retournai pour reprendre mon ouvrage, il était là, juste derrière moi. Je ne l’avais ni entendu entrer dans la pièce, ni se rapprocher de moi, mais il était si près que je m’y heurtai. Je redécouvris les mêmes braises en son regard. Une seconde, nous sommes restés pétrifiés puis il m’a enlacée en murmurant :


  • — Vous êtes la plus merveilleuse de toutes les femmes.

Et, afin que je ne me méprenne pas en l’imaginant en quête d’un simple câlin, il ajouta :


  • — Je suis éperdu d’amour pour vous.

Il tenta ensuite de se saisir de ma bouche. J’en fus si consternée qu’une seconde, j’ai cédé à son étreinte. Voilà si longtemps que je n’avais éveillé les désirs d’un homme. Je me ressaisis néanmoins rapidement et le repoussai juste avant que sa mère ne pénètre dans l’atelier.


  • — Que t’est-il arrivé, tu as l’air tout décontenancé ?
  • — C’est l’accident qui m’a secouée.

Cet incident me fit davantage rêver que réfléchir. La surprise m’avait affranchie de tout remords et son enlacement vigoureux et langoureux m’avait plus que troublée. Il avait remué des sensations oubliées qui me faisaient comprendre que je n’étais pas ce monstre d’insensibilité que je craignais parfois être devenue, et l’empreinte de ses lèvres fermes continua de me chatouiller bien après que les traces concrètes s’en fussent envolées. Le soir même, le coursier du fleuriste établi deux pâtés de maisons plus loin me livrait une rose blanche que n’accompagnait aucune carte, ni indice. Évidemment je l’interrogeai et il me répondit que le commanditaire avait spécialement recommandé de ne pas divulguer son identité : « Si on te questionne – et on ne manquera de le faire – tu répondras au récipiendaire que, de ce signe, il devrait aisément deviner, tant l’origine que le sens. »


Huit jours plus tard, j’obtins deux roses pâles à peine nuancées d’un subtil carmin, puis leur nombre doubla de semaine en semaine tandis que l’écarlate s’en renforçait. J’avais reçu le premier de ces hommages avec un sourire attendri, nous n’étions déjà plus à l’époque où des jeunes de dix-huit ans offraient des roses à des vieilles de cinquante. Au fond j’en fus touchée. Quand au fil du temps son tribut se fit plus lourd, ma confusion grandit.


En me rendant chez sa mère, j’essayais de le croiser pour lui intimer de mettre un terme à cette folie mais il s’ingéniait à m’éviter ou à être absent. Lorsque je réceptionnai trente-deux roses, je tentai de les refuser mais le commissionnaire se montra inflexible : on lui avait donné des ordres, disait-il et, impressionnée j’imaginais le gamin tançant la fleuriste. Ces fleurs, fort belles au demeurant, me faisaient rêver, moi que jamais personne n’avait honorée de cette manière. Désemparée, je me demandais quand et comment cela finirait, toute dans l’attente de mes soixante-quatre roses suivantes. Le bouquet pourtant ne compta que quarante-huit fleurs cramoisies et fut le dernier car le manège prit fin. Ce fut en dénombrant les rouges corolles que je me souvins que ce jour était celui de mon anniversaire et compris qu’il devait donc avoir ourdi toute l’opération depuis au moins six semaines. Je fus bouleversée de l’attention mais aussi par cette préméditation de la malicieuse manœuvre.


Pendant un long mois, il ne se manifesta d’aucune manière. Lorsqu’un soir un voisin carillonna, je fus étonnée et déçue lui ouvrant ma porte de ne pas le découvrir porteur de la moindre fleurette. Mon mari étant en vacances, je me laissais absorber par les petites misères de la vie quotidienne. Il venait de repartir ce lundi quand, à dix heures, le facteur me remit un recommandé. Il s’agissait d’une somptueuse enveloppe postée par un certain Orphée Derien, qui m’était absolument inconnu mais dont je présumais aussitôt l’identité réelle. Effectivement, en huit pages serrées, mon jeune protégé y chantait avec une fière naïveté tout ce qu’une femme, ayant atteint un âge indéniable, rêve de s’entendre dire. C’était pour l’essentiel un hymne à ma beauté, à mes innombrables qualités et mérites. L’innocence primesautière de l’expression écartait toute présomption de flatterie. La candeur des métaphores délicieusement développées ajoutait au sortilège et je fus émue de me trouver ainsi magnifiée par la parole d’un enfant. Dans le dernier paragraphe seulement, il confessait une flamme qui allait, prédisait-il, le porter à toutes les extrémités.


Quand, dès l’après-midi je le croisai, je ne sus que répliquer mais admis avoir peut-être rougi. Et ce fard m’apprit que pour la première fois, je ne le considérais plus comme ce môme, que si longtemps, j’avais fait sauter sur mes genoux. La métamorphose avait été redoutable et à l’enfant, sans que je n’en visse rien, s’était substitué l’homme, me dépassant par la taille et se rasant le matin.


Cette lettre fut suivie de nombreuses autres. Tantôt comme la première, célébrant ma personne, tantôt plus lestes, insensiblement, de plus en plus lestes et je me souviens de l’une d’elles qui se terminait par ces mots : « Tu mugiras ta jouissance quand à grands coups de boutoir je m’enfoncerai en toi jusqu’aux couilles pour te défoncer » ou de cette autre annonçant : « Je dévorerai le velours de votre sein de baisers si ardents que j’y allumerai un feu incoercible que vous ne parviendrez plus à étouffer. » J’en fus surprise, mais ce qui me surprit encore plus, fut de n’en être nullement choquée, bien au contraire, ces passages érotiques éveillaient en moi une étrange fascination et une perverse rêverie. J’y voyais le jouvenceau se laissant emporter par son propos, perdu dans ses fantasques mirages, s’inventant des histoires qui l’introduisaient à des émois inconnus.


J’hésitais à en parler à sa mère mais celle-ci allait le houspiller et il m’en garderait rancune, ce que je ne souhaitais pas. D’ailleurs quel mal y avait-t-il à ces fredaines d’adolescent ? J’étais bien assez avisée pour me défendre seule et laissais donc faire. Néanmoins, presque sans m’en rendre compte, je me berçais de sa prose, j’attendais ses courriers, les lisais avec attention, me réjouissais de ses louanges que je savourais avec une délectation qui allait s’accroissant.

Les dimanches, jour de relâche de la poste oblige, il m’arrivait de relire ses anciennes missives. La puissance épistolaire est bien étonnante sur nous, les femmes. Un billet, pour peu qu’il soit correctement rédigé, sera lu dans une solitude tranquille ne contraignant à aucune simagrée et permettant sa lente dégustation. Il sera le levain d’une pâte d’impressions enfouies qu’il fera fermenter et gonfler pour la transformer en songeuses et sereines évasions. Il évoquera ainsi bientôt bien plus qu’il ne raconte, mais dans une langue parfaitement adaptée aux imaginations de sa lectrice à laquelle il ouvrira la voie à des paradis perdus ou insoupçonnés. L’ingénuité des unes, la ferveur adulatrice d’autres, l’insolence des compliments ou l’audace libertine des dernières composaient un cocktail explosif qui me bouleversait, quand du moins, j’oubliais que c’était lui qui me les écrivait.


Pendant cette période, je fus aveugle au renforcement quasi journalier de ses empressements ainsi qu’à la dépendance en laquelle ses compliments m’assujettissaient. Autant il s’était dérobé précédemment, autant il m’assaillait maintenant. Dès que chez lui je me trouvais isolée, ne fût-ce que pour un instant, je le voyais surgir pour me déclarer, son astre, sa reine, sa Sulamite ou son adorée et d’autres fadaises du même acabit mais avec tant de dévotion qu’il était malaisé de ne pas, un peu au moins, s’en enorgueillir et y croire.


Il se fit ensuite plus entreprenant et son hommage de la parole s’augmenta du geste. Il ne manquait plus une occasion de prendre, serrer ou embrasser ma main. Plusieurs fois, dans l’obscurité du couloir, il tenta de s’arroger mes lèvres ou de m’enlacer avec force. Quand je déjeunais chez ses parents, à table, il fallait que je m’installe à distance sans quoi je passais mon temps à écarter sa main qui se fourvoyait sur ma robe. Mais là encore, je ne pris pas toute la mesure des désarrois que me causaient ces attouchements.

Bien sûr j’étais flattée et m’amusais de ces jeux interdits comme une jeune fille. Mais au-delà, ils suscitaient des sensations diffuses, quelque chose d’allègre, de pétulant et d’insaisissable, le souvenir de folles aspirations depuis une éternité estompées. Cela me remuait délicieusement les entrailles et je dois avouer que, l’espace d’un éclair, j’ai maintes fois manqué laisser libre cours à ses emportements. En outre, la complexe et subtile transmutation qui, à ce seuil de l’âge adulte, le transformait, m’attendrissait singulièrement et je m’évertuais de l’aider à franchir ce cap difficile tout en ayant autant d’envies de l’accélérer que de la ralentir pour le maintenir enfant. Ses parents, j’en étais sûre, ne s’apercevaient de rien tandis que je voyais ce pauvre adolescent se débattre dans les affres d’un premier béguin. Je ne discernais cependant pas que la vigueur de mes refus faiblissait rapidement et qu’à mon ancienne affection se substituait un sentiment plus équivoque.


Un après-midi mon mari me câbla le « petit bleu » suivant :


« Je rentre avec deux jours d’avance et serai donc là ce soir, mais tardivement. Je te retrouverai à vingt heures à l’hôtellerie de l’Ours Blanc directement. J’ai une surprise pour toi et j’aimerais la fêter dignement. Fais-toi belle ! »


Ce genre de message était coutumier et ne me déconcerta qu’en sa conclusion. La surprise devait être d’importance pour qu’il faille la célébrer sans plus d’attente dans un lieu aussi huppé, quant au « Fais-toi belle ! » il avait dû lui échapper ou être soufflé par un collège blagueur.


À vingt heures tapantes, je me jetais dans les griffes de l’ours et franchissais le seuil de sa tanière où je me fis conduire à une table réservée à notre nom. Un homme l’occupait déjà que je ne distinguais que de dos mais qui ne pouvait être mon mari. Je pense qu’il dut me voir approcher dans les miroirs, car tandis que je n’en étais plus qu’à deux pas, il se leva en pivotant vers moi. J’eus du mal à reconnaître le fils de mon amie et mon galant dans ce grand jeune homme élégant et souriant qui vint vers moi pour me serrer dans ses bras. J’étais tellement stupéfaite que je ne sus ni faire demi-tour, ni me fâcher. Il me fit asseoir si cérémonieusement, qu’à ma plus grande gêne, il focalisa sur nous l’attention d’une grande partie de la salle.


  • — J’espère que de ce stratagème vous ne me tiendrez pas rigueur, mais comprenez combien je suis heureux de m’afficher avec vous, combien j’ai espéré et attendu cette soirée que je ne passerai qu’avec vous.
  • — Ainsi le télégramme c’était toi et il n’y aura pas de surprise ?
  • — De surprises, je vous promets que vous ne serez en reste ce soir.

Un serveur interrompit ces échanges en venant prendre nos commandes. Cet intermède me permit de retrouver un peu d’aplomb et lorsqu’il s’éloigna, j’éclatai d’abord de rire.


  • — Te rends-tu compte du ridicule de la situation ; on va te prendre pour mon fils, plus vraisemblablement mon petit-fils à moins qu’on ne te tienne pour mon gigolo.
  • — C’est de loin le rôle que je préfère et le mot ne me fâche en rien, sauf si vous voulez me le faire endosser jusqu’au bout car je prétends acquitter l’addition.
  • — Mais qu’as-tu dit à tes parents ?
  • — Est-ce vraiment ce qui vous inquiète ? Maman ne vous a-t-elle pas dit qu’ils s’absentaient pour trois jours ?

Déjà il avait posé sa main sur mon genou et lorsque je tentai de la retirer, il résista en déclarant :


  • — Ne vous risquez pas à cela, je suis prêt à aller jusqu’au corps-à-corps pour défendre cette position que, vous l’admettrez, j’ai bien peiné à conquérir. Il vous reste néanmoins un moyen de m’en évincer.
  • — Et lequel donc ?
  • — Osez me dire en toute franchise, les yeux dans les yeux, que cette main ne vous procure que désagrément et que vous regrettez d’être ici !

De saints principes m’y exhortaient, mais je suis sûre que j’aurais bafouillé sans conviction des mots lamentables, démentis par mon regard. En même temps, je comprenais fort bien qu’acceptant cette incursion, je précipitais ses convoitises.


  • — Soit donc, je t’abandonne mon genou mais ne te laisse pas aller à d’autres incartades.

Le fait de lui accorder cette prérogative aurait dû m’apprendre combien sa fougue m’attisait et la virulence du désir qui me portait vers lui. Oui, j’en pinçais pour ce grand et séduisant gamin tandis que sa pugnacité, sa persévérance et sa rigueur tactique me confondaient autant qu’elles m’éblouissaient. Alors que sa main grimpait déjà timidement le long de ma jambe, je faillis m’étrangler avec l’escargot que j’étais sur le point d’avaler quand, me souriant anxieusement et d’une voix rauque, il rétorqua :


  • — D’incartade, à mon sens, certes non, mais je ne saurai davantage vous dissimuler qu’en cette hôtellerie, je nous ai réservé une chambre dont j’entends bien vous faire profiter à l’issue du repas.

La foudre me terrassa. Je m’apprêtais à rejeter vivement cette effarante proposition mais sans m’autoriser à reprendre mes esprits, il poursuivit :


  • — Non, ne dites rien pour l’instant, mais de grâce, écoutez-moi attentivement quelques secondes. Je vais vous donner dix bonnes raisons de me faire accéder au paradis. Si, en regard, vous n’en alléguez que deux pour m’abandonner sur son seuil, je m’y plierai sans plus ergoter en dépit de l’étendue de ma peine. Parmi les sophismes que je vous laisserai alors m’opposer, je vous interdirai néanmoins de plaider la différence d’âge car si celle-ci devait nourrir un quelconque préjudice, c’est moi qui en serais la victime et jamais vous n’en trouverez plus consentante.

Mon premier argument s’illustre par cette main qui présentement cajole votre cuisse. Il serait singulier, monstrueux, criminel, qu’après m’avoir ainsi conduit à de si folles espérances, vous m’éconduisiez maintenant.

Le second résulte du constat que de fidélité vous ne sauriez vous encombrer. Sans vouloir accabler le brave homme qui tient à vos côtés titre d’époux, je note que ce n’est pas d’hier, qu’il a renoncé à ceux d’amant et d’aimant – aimant qui, dans une heureuse homonymie, signifie celui qui aime autant que celui qui attire. Quand donc, la dernière fois, vous a-t-il fleurie, quand à vous s’est-il uni à d’autres fins que l’épanchement d’obscurs besoins organiques ?

Le troisième s’appuiera sur le constat que je vous offre l’extraordinaire aubaine de conjuguer amour maternel et charnel sans vous exposer à l’anathème de l’inceste.

Quatrièmement, vous m’affectionnez trop pour m’imposer selon les coutumes anciennes de me déniaiser dans des bras vénaux.

C’est votre mine à la réception de mes courriers qui étayera ma cinquième allégation. Vos yeux brillaient des languides aspirations que la vie avait, il y a fort longtemps, en votre sein allumées, bercées, puis lentement étouffées. Comment, sauriez-vous vous infliger de renoncer à des vœux si chèrement caressés et qui ne sont, jusqu’à ce jour, restés qu’illusions.

Sixièmement, seuls préjugés et convenances vous retiennent mais de la sorte vous soutenez la légitimité du chiendent et de l’ambroisie à étrangler de la rose et la féerique explosion, et l’épanouissement splendide.

Dans la jonchée, en septième position, je sais que vous imaginez la rose irrémédiablement flétrie et fanée. Ce serait peut-être exact d’une fleur coupée mais ne s’applique pas à la vivacité d’une plante solidement enracinée qu’un peu de chaleur et d’engrais saura revivifier. En d’autres termes, même si votre peau n’est plus absolument lisse, je ne saurai que mieux m’y attacher. D’ailleurs, depuis que je vous ai déclaré ma flamme, vous qui vous étioliez insensiblement, embellissez de jour en jour, même s’il est malaisé de concevoir tel prodige tant la barre était placée haut, initialement.

Mon huitième argument sera le plus court à exposer et tient en ces mots « Je vous aime comme un fou. » Sur la base de cette proposition, je devrais une encyclopédie complète développer, mais les conditions matérielles me dictent de vous la signifier ce soir sous sa forme abrégée, quitte à vous en démontrer par des actes, dans l’avenir, la sincérité.

Le neuvième adorerait se poser comme la réciproque du précédent mais ce serait là outrageuse présomption. À défaut, il est éclatant que non seulement je ne vous laisse point indifférent mais que, sans en être pleinement lucide, vous aspirez à me le hurler dans un vrai cri.

Pardonnez-moi de donner au dernier forme de menace mais, au-delà de cette nuit, dès que vous le souhaiterez, je m’effacerai complètement de votre vie. Vous qui commencez à connaître la rigueur de mes déterminations, ne sauriez en douter.

Évidemment je n’ai pas épuisé ma thèse et indéfiniment pourrais étendre mon plaidoyer mais aimerais que l’aube nous trouve voués à d’autres occupations. Maintenant allez-y, osez me bannir et condamner !


Que et comment répondre ? Son mal était d’évidence grave et profond mais son retentissement sur moi développait depuis un bon moment des résonances qu’il avait parfaitement calculées. Il m’avait assené son discours sans passion, très posément, presque froidement, ce qui lui avait conféré une formidable intensité et sa fièvre s’était condensée dans son seul regard. En son propos, il avait su exhumer quelques-uns de mes plus amers regrets, de mes plus sombres chagrins, ce qui lui garantissait le succès de sa rhétorique. Sa faconde, ses intuitions, son intelligence et sa perspicacité me déconcertaient au plus haut point. Autant je m’effarouchais un peu de son sens de la manigance, qui appliqué à une cause néfaste aurait confiné au machiavélisme, autant, sans en avoir une conscience très nette, j’étais fière qu’il déploie tous ces efforts dans l’unique but de me séduire.


En guise de réponse je ne parvins qu’à bredouiller :


  • — Mais d’où te vient cette saisissante éloquence ? As-tu appris ton texte par cœur ?
  • — Mille fois, j’ai imaginé les délices de cette soirée et m’y suis préparé. Obligatoirement, j’ai médité à ce qui devrait sinon vous convaincre au moins vous ébranler, mais en aucun cas, je ne me serais enchaîné aux contraintes d’un récitatif ; c’est un cœur et non un par cœur que je voulais vous livrer.

Au comble de l’excitation le malheureux tremblait tandis que sa main maintenant s’agitait frénétiquement sur ma cuisse allant jusqu’à me pincer nerveusement.


Il fut ensuite captivant et facétieux, sut m’étourdir et m’éblouir tout au long du repas. Il déploya une vivacité d’esprit, un sens de l’à-propos et du hors propos qui toujours, après les détours les plus imprévus, le ramenait en leur chute à louer ma beauté et exalter l’insigne plaisir qu’il éprouvait à la glorifier. Il ne but que très peu et régulièrement remplit mon verre, oh non pas au point de m’enivrer mais assez pour me griser. Grisée ! Ne l’étais-je point suffisamment. Tout, depuis le début de cette soirée, confinait au songe et concourait à me faire perdre la tête. Alors que nous en étions au dessert, presque à la fin du dîner, qui fut long, il m’avoua :


  • — Sachez, oh ma reine, que si ce repas j’ai ainsi fait traîner infiniment, c’était pour vous permettre de substituer à l’image du bambin turbulent dont vous ne vous départissiez pas celle d’un adulte courtois et responsable. C’était assurément aussi pour vous étourdir, mais surtout m’étourdir de vous, c’était encore pour vous admirer mais davantage pour vous faire admirer de la salle entière, c’était enfin et principalement parce que je crève de trouille d’affronter la suite.

Cet aveu me fut exquis et combla autant ma fibre féminine que la maternelle et je fus charmée d’être l’instigatrice de cette peur qu’il me revenait d’apaiser. Toujours caressant ma jambe, il remonta ma jupe si haut que même si les autres convives n’en virent rien, la serveuse au moins put constater son manège. Un peu plus tard, jouant avec ma jarretelle, il la défit :


  • — Oh le vilain garçon qui s’amuse avec des objets qui ne sont pas des colifichets !
  • — Je te prie de ne plus me considérer comme un enfant et de comprendre que je suis en passe de devenir ton amant. Conçois bien que dans quelques minutes, j’arracherai, un à un tes vêtements et que tu te retrouveras éperdument nue, offerte à mon amour tant qu’à mes désirs.

Ce brusque passage au tutoiement fut cinglant et la plus extrême confusion empourpra mon visage. À l’exception de la phrase consacrée à la chambre qu’il nous avait réservée, il n’avait plus fait d’allusion explicite à nos prochains ébats supposés. Bien sûr il n’avait parlé que de cela, mais avec tant d’élégance que c’était resté abstrait en mon esprit apeuré. J’avais, jusqu’ici été si entièrement subjuguée par son verbe et ses anodines caresses, que cette pensée, si elle m’avait effleurée, ne s’était pas imposée avec ses licencieuses conséquences. Là, brutalement cette image de mes chairs défraîchies, proie méprisable, s’offrant sans voiles et impudiquement à ses convoitises, m’épouvanta en même temps qu’elle me fit frissonner… de plaisir. Je vivais la situation comme un écartèlement entre des aspirations contradictoires.


Il poursuivit :


  • — J’aimerais que dès à présent, pour marquer ton acquiescement et pour redoubler les saveurs de mon dessert, tu m’en offres simultanément un second quant à lui divinement succulent. Déboutonne complètement la veste de ton tailleur et très largement le chemisier que tu portes en dessous. Dégrafe ensuite ton soutien-gorge et tire-le vers le bas afin de m’offrir une vue imprenable sur ta poitrine.

Sa demande me sidéra, bien moins toutefois que la précipitation et l’application avec laquelle je m’empressai de m’y plier et surtout, surtout, par l’incroyable excitation qu’elle suscita en moi ; par cette émulation qu’elle déclencha en mon sexe que je sentis distinctement s’humidifier, ce qui ne s’était plus produit depuis si longtemps que j’en avais perdu le souvenir. Je ne pouvais plus, à présent, me dissimuler l’ampleur du désir qui me portait vers lui et était bien aussi envie charnelle.


  • — Tes couleurs m’indiquent clairement les émotions qui t’agitent et les impatiences de ta chair. Moi aussi, à présent, je brûle de te pourlécher et de te baiser. Approche-toi afin que je te confie un secret.

Hypnotisée, je me penchai en avant m’attendant à quelque douce ou plus vraisemblablement salace, confidence, mais vif comme l’éclair, il prit mes lèvres tandis qu’à travers mon chemisier, il se saisissait de mon sein qu’il pétrit brièvement et dont il caressa le téton orgueilleusement raidi.


Je me reculai presque aussitôt mais non sans déguster, avec bonheur, le goût de sa jeunesse en sa bouche. Il n’avait pas entouré son geste de la moindre discrétion et nous assurâmes ainsi le spectacle dans la salle, heureusement presque vide maintenant.


  • — Pardonnez-moi cette intempestive démonstration mais je ne pouvais vous laisser supposer que je souhaitais cacher aux autres les sentiments, tous les sentiments que j’éprouve pour vous. Dommage qu’il ne reste que si peu de témoins, dit-il en retrouvant le vouvoiement.

Aussitôt après le dessert il s’est levé, m’a prise par la main et enroulant son bras autour du mien m’a conduite vers le fumoir. Celui-ci était désert et entouré de glaces qui accentuèrent mon vertige.


  • — Vous m’offrirez bien une cigarette pour, en un triptyque de nouveautés, me concéder la seconde de celles-ci.
  • — Tu n’as jamais fumé, et quelle fut donc la première ?
  • — Dîner en tête-à-tête avec Vénus en personne.
  • — Et quelle sera la troisième ? ai-je stupidement interrogé, regrettant immédiatement cette question dont la réponse allait m’affronter à ce que je tentais d’occulter.
  • — Sacrifier à Vénus, encore et toujours, ma virginité.

Je croyais avoir implicitement endossé mon rôle mais je me rendis compte que toute allusion à celui-ci et à ce qui allait inévitablement se dérouler me raidissait et me replongeait dans de pathétiques embarras. Contrairement à Emma Bovary « une légion de ces femmes adultères [ne] se mit [pas] à chanter dans [ma] mémoire. »


J’allumai nos cigarettes quand d’un petit air sournois, il me demanda :


  • — Je ne souhaiterais pas prochainement bénéficier d’un cadeau déjà partiellement déballé. J’aurais donc grand plaisir à ce que vous fixiez cette jarretelle qu’un fâcheux caprice a détachée.

Ce disant, il me conduisit au centre de ce petit boudoir et m’y abandonna, retournant s’asseoir dans un fauteuil d’où il me dévora des yeux. Je compris sa manœuvre mais hésitais quant à la manière dont j’allais y riposter. Jouerais-je la prude, de façon très relative vu les miroirs qui, de partout, m’entouraient, ou au contraire m’afficherais-je ostensiblement étalant mes dessous ? J’optai pour la timorée première solution et, lui tournant le dos, je relevai discrètement le bas de ma jupe et retendis le plus rapidement et le plus subrepticement possible le nylon, en ayant bien conscience que rien davantage que cette pudeur ne saurait l’émoustiller.


Je revins vers lui qui, émouvant, arrondissait sa bouche en cul de poule autour de son mégot et voulus m’asseoir sur ses genoux. Il s’y refusa et me dit :


  • — Si je m’y prête, je ne pourrais plus tout mon saoul vous contempler. Je profite de vous voir ainsi démultipliée pour vous embrasser simultanément de toute part. Puisqu’en ces lieux nous sommes seuls, faites-moi la grâce de vous y promener pour vous faire admirer.

Très gênée, je m’exécutai risquant quelques pas devant lui, songeuse et la tête baissée. Mais mon gaillard n’était pas prêt de se satisfaire de ces gaucheries. Il me relança :


  • — Mais non, redressez-vous, soyez donc altière et prenez toute la mesure de votre charme. N’ayez point honte de ce corps qui moi, me fascine.

Comme une enfant sage, j’obéis en m’étonnant de l’ascendant qu’il exerçait déjà sur moi. Lorsque je rencontrai mon portrait dans les glaces, j’eus tant de mal à me reconnaître que j’en tressaillis : la femme qui me faisait face ou plutôt m’entourait était certes élégante, ce à quoi j’étais habituée, mais surtout plus rayonnante que je ne l’avais jamais été. Il était vrai que d’ordinaire, devant mon miroir, je m’attardais davantage au seyant du vêtement qu’à celui de l’anatomie qu’il dissimulait. Devais-je cette métamorphose à une transformation concrète de toute ma personne ou à celle de la vision que j’en avais uniquement ?


L’autre, arrogante, me défiait du regard, d’un regard brillant et victorieux. Elle avait, elle, précisément saisi que c’était à mon tour de le séduire et de l’enjôler, que ce faisant je me charmerais moi-même, qu’il me fallait admettre le vrai sentiment que je nourrissais pour lui et que reconnaissant l’aimer, je m’aimerais. J’adoptai dès lors quelques postures savamment provocantes et négligées, épiant mon double autant que mon galant. Je fis trois pas dans sa direction et, tout en restant hors de sa portée, je relevai ma jupe, juste un peu. Et je vis sa frimousse, qu’il en faut peu pour illuminer un minois d’enfant ! Je poursuivis et me prenant au jeu remontai, remontai encore le tissu jusqu’aux jarretelles exhibées à ses yeux ébahis, remontai toujours jusqu’aux dentelles de ma culotte, trop heureuse d’exposer l’élégance et la finesse de mon linge à son effarement.


Dire que cinq minutes plus tôt je m’étais détournée pour cacher mes jambes… Il tendit ses bras pour palper ces trésors et me fit signe de venir à lui. Qu’est-ce qui me dicta alors ma perversité ? Malgré mon bouillant désir de répondre positivement à cette invite, je me reculai pour échouer sur le sofa qui lui faisait face où je m’allongeai à demi. Lentement, je desserrai ma ceinture. Je glissai une main perfide dans mon corsage et perdis l’autre dans le fourreau de ma jupe, les activai doucement en ces sanctuaires pour simuler un onanisme.


Je ne fis que frôler seins et sexe mais ceux-ci réagirent si vivement que je compris que je ne saurais longtemps me borner à feindre. Je m’effrayais en évoquant à quoi il pourrait me conduire si déjà je me pliais à des devoirs qu’il ne me prescrivait même pas. Je jaugeais à son agitation le succès de mes attitudes. Il ne tarda pas à me rejoindre et s’assit au bord du canapé puis retira paisiblement ma main de la jupe pour y substituer la sienne. Celle-ci se glissa bientôt sous l’élastique de ma culotte et rampa, ardente, vers mes plus timides mystères. À peine les eut-il effleurés que je me convulsais, débouchant des bondes que je m’ignorais. Quand il y aventura un doigt conquérant je me tordis de félicité et à travers un halètement guttural le suppliai de me conduire, sur le champ, au bout de ce délicieux tourment. M’aurait-il prise ici, dans cette pièce où à tout moment n’importe qui pouvait entrer que je me serais laissée faire, sans rien objecter. Fallait-il que j’aie perdu la tête. Sans obtempérer, très vite il se releva et m’aida à remettre un peu d’ordre dans ma tenue tandis que pour achever de me conquérir, je jetai un dernier coup d’œil aux miroirs en me consternant de l’aisance avec laquelle je m’étais prêtée à ces jeux.


Nous prîmes enfin le chemin de l’ascenseur qui, selon ses propos, devait nous ouvrir les portes du septième ciel tandis que je me demandais une dernière fois si c’était le paradis ou l’enfer qui allait nous accueillir. Pourtant, à être franche, dès que la cabine se fut refermée, je m’impatientais du pire que je crus arrivé quand il me broya entre ses bras d’une étreinte puissante qui ne se conclut que par un long et fervent baiser déposé dans mon cou. Marchant à reculons, les mains tendues vers moi comme pour m’encourager tout en me maintenant à distance, dans un couloir que de toute évidence il avait déjà exploré, il me conduisit à notre chambre dont en un tour de main il déverrouilla la porte. Il me souleva ensuite pour m’en faire franchir le seuil que je considérais comme un point de non-retour puis me déposa au milieu de celle-ci. Il y avait préalablement installé un lecteur de cassettes qu’il mit prestement en marche d’un geste furtif sans que je ne m’en aperçoive. Tout sourire, il revint vers moi tandis que les eaux troubles du Danube bleu inondaient miraculeusement l’espace.


  • — M’accorderez-vous cette valse, Mademoiselle ?

J’ignorais qu’il sût danser, la valse surtout et il y avait si longtemps que je ne m’y étais adonnée. Il ne me laissa pas le temps de répondre et avec vivacité m’entraîna dans un tourbillon qui brisa les ultimes amarres qui m’ancraient aux vertueuses platitudes de la réalité. Mes vingt ans turbulents, vécus au cœur de la guerre, resurgirent. Le décor s’anima pour virevolter follement : meubles, gravures, portes et fauteuils tournoyèrent, emportés dans une ahurissante spirale au centre de laquelle finit par rayonner son sourire humble et protecteur. Et le vertige à nouveau m’étreignit quand du luminaire au plafond les pampilles allongèrent leur éclat dans une ronde endiablée. Mes jambes se dérobèrent, j’allais choir mais ne tombais pas, et le monde continua de danser autour de moi et du point fixe qu’il était devenu. Toujours tournoyant, il me transporta dans ses bras jusqu’au lit sur lequel il me déposa solennellement. Ses lèvres se posèrent sur les miennes et encore, dans un souffle, il me demanda :


  • — Douce amie, m’accorderez-vous cette danse ?

Je suis persuadée que si à ce moment je m’étais dérobée en déclarant que la plaisanterie avait assez duré, il se serait écarté. Invraisemblable pensée, j’étais d’un heureux dénouement, à présent, plus que lui empressée et enserrant sa nuque, le tirant vers moi, entrouvrant la bouche, c’est moi qui vins me livrer pour de mon abandon le persuader. Sans hâte, il s’empara de cette coupe y versant l’euphorie de sa jeunesse, l’onctuosité sublime de son désir. Depuis des lustres, on ne m’avait ainsi embrassée, je crois même n’avoir jamais reçu tel baiser. Mes ivresses dès lors s’agrégèrent, celles des heurts émotionnels successifs que m’avait infligés la soirée, l’ébranlement suscité par ses doux attouchements, l’irradiation de mes fièvres appuyées de la pesanteur d’écrasantes alarmes, celles de Bacchus enfin, de loin les plus ténues. J’en fus chavirée et perdis toute lucidité.


L’illusion qui m’emporta m’épanouit en mirifique calice floral aux caprices de la nature dédié, débordant de fertile prodigalité et d’arômes raffinés. Une myriade de papillons s’abattit sur mes pétales alanguis qui, un à un, s’évanouirent. Ils me cajolaient du frou-frou céleste de leurs ailes dont les effleurements enflammaient mes étamines de picotements délicats et d’agacements délicieux. Leurs chatoyantes voilures me frôlaient comme des songes exquis et inavoués se faisant enfin réalité. De leurs trompes frêles et agiles, ils suçotaient mes pollens capiteux dont ils s’enivraient à s’étourdir m’inoculant en retour leur affolante ébriété. Leurs pattes griffues m’écorchaient d’éraflures ardentes aussitôt cautérisées par la prodigieuse ignition qui me dévorait.


Pas une parcelle de ma peau n’échappa à l’avidité de leurs insatiables appétits, de leurs baisers passionnés et ils conduisirent leurs caresses si habilement et si expertement que bientôt je me tordis et me vrillai dans l’étreinte d’une impétueuse et bouillante félicité. L’irrésistible farandole d’un essaim de monarques alluma un ballet irisé de lueurs jaunes et orangées, m’incendia de brillantes et éblouissantes lumières que transperçaient par instants des éclats vermillon dessinant sa face divinement transfigurée. Généreuse, je leur dispensais sans retenue mes nectars secrets au cours d’une triste solitude charnelle accumulés. Ivre, totalement envoûtée, je palpitais éperdue de bonheur et d’exaltations sur le gril de mes sens exacerbés.


Cette bacchanale débridée et adorable se prolongea infiniment jusqu’à ce qu’une colonne de lave ignée vienne achever de dégeler les glaces de ma présumée frigidité. Confusément, mais violemment je me sentis crépiter, je vécus en mon corps les fulgurances de l’éclair qui me déchirèrent, mais aussi les lourds et sourds grondements du tonnerre qui me roulèrent dans des mers de délices, me ployèrent dans la fureur de leurs ébranlements. Je dus hurler et bramer sans rien n’en entendre avant que de m’abattre, exténuée.

Tant de mornes et décevants rapports amoureux m’avaient fait redouter celui-ci plus que tout, lui qu’encadraient de toute part de plausibles funestes regrets. Un déboire eut sonné le glas de mes rêves ultimes.


J’avais supposé qu’il serait paralysé de timidité ou brutalement offensif ; il n’en fut rien, il tint le rôle du maître tandis que je fus l’élève. Le sommeil nous a fui et le reste de la nuit se passa en d’enthousiastes confidences et en magiques câlineries interrompues par deux épisodes où encore il me prit, une fois sauvagement, l’autre où je m’initiai maîtresse des cérémonies.


Au-delà, il resta onze ans son amant avant qu’un cancer n’emporte l’élue de son cœur.



Il acheva son histoire d’une voix rauque et les yeux embués si bien que je ne pus douter qu’il en avait été le jeune et fougueux protagoniste. Entre-temps les instigateurs de ces confidences avaient disparu, était-ce pour entamer une aventure de onze ans ?