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Temps de lecture estimé : 9 mn
02/05/15
Résumé:  Comment et pourquoi Brodsky est devenu auteur de romans policiers...
Critères:  nonéro humour policier fantastiqu
Auteur : Brodsky      Envoi mini-message

Série : Et Dieu créa Brodsky

Chapitre 01
Le Livre de la Génèse

Le Livre de la Genèse




Chapitre 1



« Il y eut un commencement, il y eut une fin, et au milieu il y eut Brodsky. » C’est en résumé ce que certains de mes fans ont répondu à leur concours d’entrée en fac de théologie chez les Jésuites ; tous ne furent pas recalés, ce qui peut signifier deux choses : soit les Jésuites sont nuls en exégèse, soit il y a un fond de vrai dans l’assertion par laquelle débute ce chef-d’œuvre dont tu es toujours en train de lire, ô lecteur de mon cœur, la première phrase, ce qui démontre en outre la qualité de l’écriture de l’auteur de ces lignes, parce que des phrases de plus de vingt mots, aujourd’hui, dans la littérature moderne, eh ben tu peux toujours te palper pour en trouver beaucoup dans les conneries vendues en grande surface. Bref, tu es en train de lire ces lignes que des milliers de lecteurs attendaient depuis des années (bientôt 10, si le compte est bon) et que mon éditeur me suppliait d’écrire : à savoir comment est né Brodsky…


Si je te disais qu’au milieu des années soixante, dans la loge d’une MJC d’une petite ville de banlieue parisienne, Agathe Brodsky, apprentie starlette et professeur ès-cochonneries, agrégée de turlutes et ancienne interne de La Libellule Bleue, établissement célèbre à cette époque pour sa clientèle huppée et le nombre de membres qui le fréquentaient, Agathe Brodsky, donc, dont bien que la Terre entière ait connu le statut social, m’a toujours juré qu’elle était encore vierge à cet instant et le restera toujours (ce dont je n’ai aucune raison de douter, et le premier qui esquisse l’ombre d’un sourire sur sa face bovine se prend ma main dans la gueule), Agathe Brodsky, donc, me mit au monde entre un âne (son imprésario) et un bœuf (le directeur de la MJC), incapables de prendre en main la situation, les cocus par les cornes, et d’appeler un médecin en urgence pour aider à l’accouchement.


Résultat : les clients qui avaient payé (et dont on comprend la colère) et les employés municipaux qui avaient été invités gracieusement pour remplir la salle, furieux d’attendre depuis deux heures devant une scène désespérément vide, se ruèrent dans les coulisses, défoncèrent la porte de la loge, et… tombèrent en pâmoison devant ce spectacle divin, qui valait bien mieux – il faut l’avouer – que celui qui était prévu, à savoir celui d’un nouveau-né absolument parfait blotti dans les bras de la plus belle et plus mauvaise chanteuse de cabaret du monde.


Une grande lumière descendit du plafonnier de néons et une musique sortie on ne sait d’où retentit (la version My way des Sex Pistols, m’a-t-on affirmé, mais on raconte tellement de bêtises aux petits enfants…), et tout le petit peuple se mit à contempler ce tableau, ô combien touchant, tels les bergers et les moutons du Nouveau Testament (parallèle qui n’aura, bien sûr, nullement échappé aux lecteurs attentifs et quelque peu instruits).


Évidemment, je sens bien que cette histoire de naissance commence d’entrée de jeu à faire ricaner les mécréants, les subtils, les prétentieux qui ne croient qu’en la science, les aigris qui ne croient plus aux miracles, les adultes responsables qui n’ont pas lu Saint-Ex et ont oublié leur âme d’enfant, les raisonnables qui continuent d’aller voter aux élections, les libres-penseurs dont la liberté exige qu’ils ne croient en rien tout en pensant à tout, et qu’en même temps, elle (cette histoire de naissance, tu suis toujours, ô lecteur adoré ?) offusque les religieux qui verront là une imposture et s’exclameront en chœur (de grenouilles de bénitier) : « Crôa, crôa, quelle honte ! Comment crôare à cette histoire à dormir debout ? Prétendre qu’un enfant puisse naître sans père, et que sa mère soit vierge de surcrôa, c’est vraiment nous prendre pour des cons ! Brodsky, ta mère est une salope, et tu n’es qu’un fils de pute. Amen. »


Et ce fut bien là, chers lecteurs, le drame de toute ma vie… Vilipendé par les athées à cause de ma naissance divine, et insulté par les croyants qui jalousent mon ascendance, détesté par la gauche, lapidé par la droite, il a bien fallu que je prenne les choses en main…


J’approchais de ma quarantième année, et je me suis retiré dans le désert (enfin, ce qui s’en approchait le plus, c’est à dire les montagnes d’Auvergne) avec une pile de bouquins, des ramettes de papier et une vieille machine à écrire de marque Remington, et loin du monde et de ses turpitudes, j’ai commencé à cultiver ma propre folie.


Et c’est ainsi qu’un soir, alors qu’en panne d’inspiration je contemplais une pile de superbes poésies dont aucun éditeur ne voulait et le vieux pistolet automatique de mon grand-père qui me faisait de l’œil, je décidai que, vraiment, ce monde était trop laid et qu’il était temps que je me résolve à aller demander des comptes à l’enfoiré qui m’avait balancé sur Terre.


Après une dernière clope et une bonne rasade de whisky, je pris le flingue et le posai sur ma tempe. Au moment où j’allais appuyer sur la détente, on frappa à la porte. Dieu (ou quel que soit son nom) m’envoyait son ange gardien.


J’ouvris la porte, et je tombai sur une vision pour le coup totalement inattendue. Un beau et grand vieillard aux cheveux blancs, baraqué comme un boxeur, une tronche d’ivrogne et un regard pétillant d’intelligence. On s’était déjà rencontré lui et moi vingt ans auparavant, et il m’avait inspiré pas mal de nouvelles et de poésies. Je lui avais même écrit une prière quelques jours après sa mort… Et c’est justement là que je commençai à cogiter furieusement. S’il était mort, il ne pouvait pas être là, devant moi. Ou alors, j’étais réellement fou… Ou bien réellement mort à mon tour… Ou bien…



Alors je me suis mis à taper comme un sourd sur le clavier de ma vieille Remington, sous les conseils avisés et le regard à la fois tendre et sarcastique de mon coach. Un peu n’importe quoi : des chroniques sociales, des histoires d’amour, des romans d’aventures, tout ce qui me passait par la tête. Je torchais plusieurs chapitres par jour tandis que le Vieux picolait mon sky et me professait ses leçons de littérature.



Il lut les deux premières pages…



Et ça a duré comme ça pendant des heures, des jours, des semaines entières, moi bossant comme un fou, et lui picolant mon whisky. Jusqu’à ce petit matin où, alors qu’il était en train de pisser consciencieusement sur un de mes nouveaux textes, il tomba sur un truc qui le fit sursauter.





(à suivre… enfin, on va essayer)





* « Mon ange gardien » (Henri Salvador – Bernard Michel)

Barclay 70 249 (juin 1959)

Chanson interprétée par Henri Salvador.