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Temps de lecture estimé : 21 mn
14/05/15
Résumé:  Rencontre impromptue entre une femme BCBG et un homme qui, en raison d'une conjonction particulière, la prend pour une prostituée.
Critères:  fh fplusag couleurs miroir
Auteur : Laure Topigne            Envoi mini-message

Série : D'ébène et d'opale

Chapitre 01 / 02
D'ébène et d'opale - 1/2

Comme chaque année, je me suis contrainte à deux semaines de vacances et d’exil en une bourgade du lointain Lubéron. Quand je dis « contrainte », c’est qu’en effet j’ai toujours quelques réticences à claquer ma porte, et si je m’en réjouis fort un mois à l’avance, au moment de boucler mon sac je regrette tout autant de m’arracher au confort douillet des habitudes. Quand je dis « lointain », ce n’est pas tant d’éloignement physique qu’il s’agit, car seule une dizaine d’heures de voiture me séparent de Strasbourg, mais de changement d’horizon, de rythme et d’environnement qui induisent l’idée d’une distance.


Selon les usages que je me suis prescrits, je me suis levée très tôt ce matin et, sans seulement déjeuner, je me suis lancée à la découverte de la cité. J’entends profiter pleinement des lumières acides de cette aurore qui saturent violemment les couleurs, découpent et contrastent les reliefs en ombres denses ou en éclaboussures bariolées aveuglantes.


L’orage de la soirée d’hier a lavé l’atmosphère, et aux relents de poussière qui l’engluaient, succède un climat tonique et vivifiant. Les pavés et les murs s’incendient, évaporant de subtils embruns qui fument et en gomment les aspérités pour leur conférer une irréalité vaporeuse. Les odeurs sont revigorées, et une indéfinissable douceur flotte dans un air purifié. En dépit de l’humidité régnante et des fraîcheurs de l’aube, je constate très vite que je me suis trop vêtue et que mes sempiternelles tenues noires ne s’accordent guère à la météorologie ambiante.


En ces heures matinales, la horde des touristes, couche-tard et lève-plus-tard-encore, n’a pas envahi l’espace public, et c’est en toute liberté que j’erre dans le labyrinthe du bourg, choisissant une ruelle ou une autre au gré de mon caprice, d’être au soleil exposée ou par l’ombre protégée. Ne fréquentant ces lieux que depuis deux jours, je n’ai pas acquis une représentation claire de leur topologie et n’en souhaite d’ailleurs nullement. Je préfère m’abandonner aux surprises que me découvrira ce lacis qui si bien accueille, tant les vacuités de mon corps que celles de mon esprit ; et tandis que ma personne se perd dans les méandres du village, mes pensées s’égarent en confuses réminiscences.


Celles-ci bientôt me conduisent vers celui que j’appelle mon amant de cœur. Je dis « amant », car ce vocable éveille des résonances plus intimes que celui de compagnon ; et bien que n’habitant pas sous le même toit, nous menons de concert une large part de notre vie – la plus agréable surtout – à l’exception de ses longs voyages en lesquels mes dernières années d’activité professionnelle ne me permettent pas de le suivre. Actuellement, il est parti depuis trois mois déjà et est probablement isolé au fin fond de l’Éthiopie d’où, selon ce que nous avions convenu, il ne me donne aucune nouvelle.


Je me remémore ainsi ce coup de fil inopiné, échangé il y a plusieurs années, au cours de l’un de ses voyages. Il m’avait appelée alors que je me promenais en pleine rue, et nos propos avaient bientôt délaissé le champ des banalités coutumières pour déraper vers des évocations plus lestes et sensuelles. Comme toujours, ses intonations chaudes et charmeuses appuyant un discours fleuri d’expressions puissamment suggestives m’avaient conduite à me dissimuler dans un petit square presque désert.

Là, penchée au-dessus de la balustrade encerclant un étang, j’avais écarté les jambes et, tandis que d’une main je tenais mon téléphone, de l’autre, fébrile, glissée sous la ceinture de la jupe, j’avais impudemment visité mes ombrages de Cythère. Les eaux dormantes à mes pieds reflétaient cette scène que j’avais décrite à mon interlocuteur qui me confia l’imaginer aisément, mais en laquelle de surcroît il voulait me voir, superbement dénudée, n’étant nullement, quant à lui, bridé par le carcan de la réalité. Il fut si persuasif que j’en vins moi-même à m’y discerner dans cette tenue. Au reste, il m’avait assurée de la réciprocité de nos pratiques, ce que tendait à confirmer ses ahanements au bout de la ligne. Ses trémolos avaient soutenu mes émois, et l’incongruité de la situation avait multiplié mes transports au moment de l’extase.


Je rêve à de tels plaisirs solitaires partagés, qui m’emplissent d’une humeur lascive tandis que je poursuis ma flânerie sans autre but que celui de laisser libre cours à ces aguichants souvenirs qui me comblent d’aise en peuplant le vide que creusent des pulsions depuis trop longtemps négligées. Ces songeries m’absorbent si totalement que j’en oublie le sens commun et que, par deux fois, je me surprends palpant au travers l’ample jupe noire, avec insistance, mon ventre noué d’envies diffuses. À cette heure, les rues sont heureusement vides, et personne n’a pu remarquer cette attitude équivoque. Je sens tout à coup que l’une de mes jarretelles s’est détachée et qu’elle bat sur ma cuisse nue. Si j’adore porter des sous-vêtements sophistiqués, aux antipodes des collants hideux, je veux que ceux-ci soient impeccables et déteste un bas qui plisse. Aussi, après avoir d’un bref coup d’œil, en avant et en arrière, vérifié que la ruelle est vide, j’appuie ma jambe sur une borne, écarte les pans de ma jupe puis m’applique à tendre consciencieusement la soie noire pour la fixer avec minutie.


Relevant les yeux, je découvre la face hilare d’un grand gaillard, tout d’ébène, accoudé à sa fenêtre, qui a suivi le manège avec la plus vive attention et dont la figure s’élargit d’un large sourire égrillard. Je suis persuadée qu’il n’était pas là, à deux mètres seulement, ou devait se dissimuler derrière ses rideaux lorsque j’ai entamé ma manœuvre ; son apparition me déconcerte si complètement que j’en demeure figée.


Dans mon effarement, j’esquisse une grimace d’excuse et ne pense pas même à rabattre immédiatement ma jupe. Lui, maintenant, aussi satisfait du spectacle que de mon embarras, rit à gorge déployée puis s’éclipse derrière le voilage. Je n’ai qu’à peine le temps de me redresser et de faire deux pas avant que sa porte ne s’ouvre et qu’il ne me hèle :



Ironise-t-il, ou me prend-il vraiment pour une prostituée ? Je ne sais, mais cette méprise me détend et m’amuse plus qu’elle ne m’indigne. Sur un ton de plaisanterie – et pour être dissuasive en annonçant un tarif exorbitant, bien qu’ignorant tout de celui des professionnelles – je rétorque :



Une seconde, son visage se fait grave puis, d’une voix mal assurée, il me jette :



Il franchit la faible distance qui nous sépare puis, me prenant par le bras, presque déférent comme si nous formions un vieux couple, il m’entraîne pour me faire pénétrer dans un studio agréable, vaste, fort bien rangé, élégamment meublé et que baigne une exquise pénombre. L’action a été si foudroyante qu’elle m’a ôté toute possibilité de réaction et que je n’ai rien vu venir. Elle s’est entourée de tant de civilité qu’il aurait été ridicule de se débattre ou de hurler pour ameuter les populations.


Toute des lumières extérieures encore éblouie, l’obscurité ambiante achève de me déboussoler. Sitôt la porte refermée, il me relâche pour me proposer très cordialement de préparer un café. Cette offre me sauve car je reste abasourdie mais vais ainsi disposer de quelques minutes pour me ressaisir et recouvrer mes esprits ! Rien – si ce n’est l’inélégance du geste et mon étourdissement – ne m’empêche de prendre mes jambes à mon cou et de déguerpir promptement. Des sentiments contradictoires m’assaillent, mêlant la peur d’être brutalisée, violée peut-être, à la confusion de m’être mise dans cette situation absurde et de céder à une sourde attirance. Si sa détermination m’a impressionnée autant qu’inquiétée, sa nonchalance débonnaire présente me rassure. Tout ceci se conjugue à cette langueur qui, il n’y a que quelques instants, me remuait les entrailles, que j’avais si intensément entretenue et développée qu’elle m’a tendue toute entière vers mon amant et a allumé des envies qui me poursuivent en dépit des regrettables événements actuels.


Cette flamme qui a été besoin d’amour ne menace-t-elle pas de se convertir en vulgaire appétit charnel, car assurément il est bien beau garçon, jeune et élancé, fort et musculeux, aux traits réguliers et au visage avenant ? Une brève seconde, j’imagine les sensations qu’on doit goûter en étouffant dans la vigoureuse étreinte de ces bras. Mais comment pourrais-je ? Et surtout, comment dénouer cet imbroglio avec tant soit peu de dignité ? Lui, s’active paisiblement devant la cafetière. Une nouvelle fois, j’hésite à m’enfuir ; mais fi, dès lors, de l’élégance, et je pense qu’il vaut mieux s’expliquer, qu’il ne s’agit que d’une plaisanterie que les circonstances ont transformée en malentendu : il n’a pas l’air entêté et saura comprendre.


Il demeure silencieux et affairé, semble lui-même en proie à des doutes profonds. À maintes reprises, j’ai l’impression qu’il s’apprête à me causer, mais au dernier moment il finit toujours par se raviser. Enfin, avec une désinvolture affectée, il lâche :



Il a particulièrement appuyé sur « chérie », vocable que je déteste, qui, ici dans ce contexte, s’empreint d’une vulgarité qui me révulse ; mais à nouveau, pour la seconde fois, le fait d’être confondue avec une péripatéticienne m’amuse plus qu’il ne m’offense ; et si l’idée m’indigne, elle m’égaye tout autant. Victime de mes imaginations, je décèle d’ailleurs brièvement l’une de ces dames s’effeuillant prestement en gestes précis et longuement rodés pour illuminer des blancheurs de son corps la pénombre de la pièce.

Étranglée de saisissement, je bafouille :



Tandis que le reste de ma phrase expire dans un souffle, hanté par la dévergondée qui, placidement, à présent retire ses bas.


Lui ne distingue pas la vénale créature et se tourne vers moi, me couvant d’un regard intense en lequel la concupiscence cède à la bienveillance, l’impudence à l’intelligence si explicitement que je ne peux douter de sa compréhension de la situation. D’évidence, il réalise fort bien que je ne suis pas une prostituée, même de luxe, et que tout cela résulte d’une pitoyable bévue. J’en jurerais, il ne fait pas son quotidien des catins ; et même s’il brigue mes pauvres charmes bien fanés, il ne me souhaite point de leur engeance. Non, je pense plutôt qu’il s’est pris à notre jeu imprudent et qu’il s’en trouve présentement aussi confus que moi. S’évoque brutalement mon amie Coralie, moins bégueule, qui moult fois m’a distraite des récits scabreux de ses bonnes fortunes et des plaisirs pervers qu’elle en retirait. Pareille aubaine l’aurait enchantée, et elle s’y serait précipitée sans réserve, entre autres pour m’ébaudir prochainement de la relation de ses inconduites.


Un sourire illumine sa face, renforçant son charme quand, apportant les tasses de café, il déclare :



Il m’en tend une pendant qu’il vide la sienne goulûment.

En me détournant pour bien lui signifier que je ne le crains pas, et pour échapper à la rigueur inquisitoriale de son regard, je soupire :



Tandis que j’avale l’amer breuvage en petites gorgées avides, il se rapproche de moi, dans mon dos, sans me toucher, mais si près que lorsque je pivote pour gagner la porte et sortir, je me heurte à lui. Il me domine ainsi de toute sa haute taille et je perçois sa chaleur qui rayonne au travers de nos vêtements. Je frémis, secouée d’un frisson incoercible et profond qui, bien sûr, ne lui échappe pas et me vaut un nouveau sourire. Lentement, très calmement et progressivement comme pour me permettre de fuir, pour m’y engager peut-être, il m’entoure délicatement de ses bras athlétiques. Je suis paralysée et mon angoisse m’enferre dans des velléités opposées qui s’annulent mutuellement pour me laisser figée. Dans un souffle épuisé, je réitère mon refus :



Puis, alors qu’il essaye de s’emparer de ma bouche avec la sienne, je l’esquive résolument et bredouille :



Il tente de se coller tout contre moi mais je recule. Inexorable, il avance et je me dérobe encore jusqu’à ce que la froideur du mur vienne contrarier mon repli. Il glisse un bras entre ma croupe et la cloison et m’enserre maintenant très énergiquement. Cette position qui me cambre légèrement éveille une curieuse sensation au creux de mes reins, comme si un semblant de vide s’y ouvrait pour m’absorber. Simultanément, de sa main libre, il me caresse le visage, les cheveux, le buste, et ses lèvres m’embrasent, force petits baisers coulés dans mon cou, en me tressant un collier de laves ignées.


Dès cet instant, je pressens l’inéluctable ; et mon effroi atteint son comble quand je comprends que c’est plus de moi que de lui que sourd le danger, quand je sens ma résistance faiblir et mes chairs se ranimer follement de ce désir récent que je n’ai pas plus oublié qu’assouvi. Je m’affole de cette inclination qui me rend si éminemment vulnérable quand, brusquement, je discerne la raideur qui grossit entre ses cuisses et vient se presser contre mon pubis, déclenchant d’autres alarmes. Affrontée à cette arrogance possessive, ma première réaction est de répulsion et d’humiliation ; mais, très vite, je m’en trouve flattée sans toutefois en prendre pleinement conscience.


Sans signe d’effort, il me soulève et me porte sur la table où il m’assied d’autorité. Ce faisant, il veille à bien étaler ma jupe autour de moi de sorte qu’elle n’isole pas le moindre peu mes fesses ardentes de l’indifférence gelée du bois. Le contraste est si violent que je me trémousse pour échapper au contact glaçant, ce qui m’amène à écarter les jambes. En deux mouvements, il se recule pour retirer promptement son débardeur et revient se plaquer contre moi, emprisonnant mes hanches. Dans l’ombre, j’ai, une fraction de seconde, discerné son tronc musculeux, dur et noué, parsemé de quelques rares et rêches frisottis que je sens à présent s’écraser contre moi, sinon avec délice, avec, tout au moins, un régal inavoué.


Ses doigts remontent le long de mon torse, éveillant d’abord des fourmillements qui se déploient tantôt en langueurs subtiles, tantôt en ondes ravageuses explosives. Ils me retiennent toujours fermement mais entraînent mon fin tee-shirt dans leur ascension, découvrant graduellement ma peau blanche pétrie par ses mains sombres. Une psyché, placée à côté, reflète la scène que j’entraperçois un court instant et qui me présente l’innocence vierge et chaste tourmentée par la figure ténébreuse de la luxure. S’expose aussi, en un tableau saisissant, l’alliance d’une opalescence frêle avec une noire vigueur. Cette image, loin de m’horrifier, distille les venins d’une séduction qui m’hypnotise, et il faut bien que je convienne que la sybarite qui s’agite maintenant sous mes yeux ne saurait être l’illusion de mes sens exacerbés, même si j’hésite encore à me reconnaître formellement en elle.


Les doigts rampants cependant ont atteint mon corsage, et à travers le taffetas épais et geôlier s’escriment à agacer des tétons invisibles mais éminemment réceptifs à leurs sollicitations. Je sens ces misérables, indépendants de moi, en quête d’un plaisir propre, presque rebelle à ma volonté, n’obéissant qu’à l’autre, la sybarite, qui se délecte de leur allégresse. À bout de forces et les nerfs en pelote, d’une voix larmoyante et lamentable, je le prie de cesser là, et en désespoir de cause j’en viens à le menacer d’une plainte pour viol.

Il en rit et rétorque :



Cette réplique pleine de bon sens achève de me confondre, mais moins que ne me déconcerte l’usage de ce terme désuet de « maréchaussée » qui m’égare, reléguant ce qui se déroule dans un monde ancien et soulignant l’irréalité du présent.

Il profite de ce nouveau trouble et insère une main dans mon soutien-gorge tandis qu’il porte l’autre sur ma cuisse dénudée, juste entre l’échancrure du bas et le slip, là où l’on est plus nue que nue, là où se concentrent vulnérabilité et sensibilité.


Ces atteintes me raidissent, et en une nouvelle rebuffade accompagnée de quelques piteuses menaces marmonnées sans conviction, j’essaye de l’écarter mais m’englue toujours davantage dans les rets de mes aspirations contradictoires. Je ne ressens que l’incandescent rayonnement de ses mains, la dextérité ferme, suggestive et suave de leurs effleurements, et j’entends cette maudite sybarite qui – pernicieuse – me susurre qu’à l’esprit la chair n’est point soumise, que des élans du corps le cœur ne saurait s’avilir, que s’accorder une jouissance passagère n’a rien de répréhensible, que je suis en vacance, ce qui peut s’entendre selon les deux sens du mot et me rappelle que je n’ai jamais été inconditionnelle d’une rigoriste fidélité et que… et que…

Les arguments, pleins de réalisme primaire, de mon tourmenteur s’additionnent à ceux de cette pimbêche ; mes lancinantes frustrations passées s’agrègent à celles que développe l’insistance de mes refus présents ; tous ces éléments conspirent désormais à ce que je m’abandonne sans plus de révolte.


Surtout, je discerne de mieux en mieux la terrifiante attraction que m’inspire ce beau mâle, et si je suis assurée de ne jamais faire l’amour en mon cœur avec un autre que mon amant, le reste de ma personne exprime moins d’intransigeance. Mais ceci me reste inacceptable, ne me ressemble pas, et en un ultime sursaut je tente encore de me dérober en le bousculant, essayant de fuir cette table avilissante ; et ce faisant, je m’épouvante à la pensée qu’il puisse obtempérer. Que fera-t-elle alors, elle, la sybarite ? Heureusement, l’asthénie de mon geste ne l’engage nullement dans cette voie. À l’inverse et en représailles, sans égard, il agrippe vivement ma culotte qu’il déchire d’un geste brusque puis, s’agenouillant devant moi, il applique ardemment sa bouche contre un sexe frémissant, déjà humide que je ne sais retenir fermé et qui clame ainsi sa totale reddition.


Je suis haletante, pantelante, brisée, lorsque sa longue et vigoureuse langue s’introduit au foyer de mes enthousiasmes, flattant mes muqueuses et se nouant autour de mon clitoris. Elle m’arrache des gémissements en lesquels ne s’exprime plus le moindre refus, même si de mes poings serrés je tambourine sur ses épaules. Désavouée par tant de signes contraires, comment et pourquoi m’obstiner à nier l’ampleur de mes désirs ? Quand cet aiguillon qui se love en ma plus secrète intimité me porte au paroxysme d’un délire exacerbé par cette interminable résistance dont les barrières ont enfin cédé, je comprends qu’il ne s’agit plus de simple ferveur mais d’ardeur débridée. Palpitante, je perds toute conscience de la situation et m’agite en soubresauts effrénés, me condense en ce vagin submergé par des torrents de félicité, me concentre en ce clitoris emporté par des convulsions de jouissance. Lorsque des mains habiles font glisser mon soutien-gorge vers le haut pour s’emparer de mes seins roidis de convoitise et les étreindre, un spasme affolant m’emporte dans des cris de ravissement tandis que j’inonde de mon cythomiel* pieusement thésaurisé le visage de mon sombre amant et la table.


Après ces égarements, je retrouve furtivement un brin de lucidité et parviens, opprimée par une honte immense, à reprendre le dessus sur l’infâme sybarite. Si rien a priori ne peut excuser mes turpitudes, il est plus inadmissible encore d’en tirer si vif plaisir… et je maudis mon plaisir… avant que de m’apercevoir très vite que cette honte, au lieu de m’accabler, se mue elle-même en satisfaction et que je m’en fais régal. Je me découvre gamine fière d’avoir osé, d’avoir outrepassé un interdit tout en déplorant conjointement la brièveté de ces sensations, de ce plaisir trop expéditif qui de l’extase ne m’a fait que frôler l’apogée. Et c’est là que j’entends à nouveau sa voix, celle de cette maudite sybarite, une voix faible mais nette qui supplie, sans que mes oreilles en puissent croire sa bouche :



Évidemment, point n’est nécessité de le lui répéter.

Immédiatement, il abaisse son pantalon et je me surprends, moi que d’aucuns appellent « la prude », à écarquiller les yeux pour jauger son physique et mesurer la distension de son organe. Honnête, avec peut-être un petit plus, mais fort éloigné des fantasmes et des caricatures qu’entretiennent les poncifs courants qui vantent l’énormité des verges africaines. Ce qui me fascine, c’est ce gland érubescent, rouge, violacé et noir pointant au bout d’une hampe lustrée qui paraît soyeuse. Il faut décidément que la sybarite ait repris tout son ascendant pour que je me perde en ces considérations qui m’occupent assez peu habituellement.


Il revient vers moi toujours haletante, rebelle et soumise – de moins en moins rebelle, de plus en plus soumise – implorante surtout… mais non plus d’être délivrée. Je devine la servilité de mon regard ahuri, fuyant et compassé. Prestement, il me dépêtre de mes tee-shirt et soutien-gorge avant de me débarrasser des loques trempées de ma culotte. Et une fois de plus, je suis consternée par cette désinvolture qui le laisse me dépouiller sans que je n’éprouve la moindre honte, avec au contraire un imperceptible frémissement de satisfaction.


À nouveau, il me saisit par la taille pour me soulever de la table et me déposer face à lui, et je sens un bref moment l’effleurement ardent de son sexe contre le marbre tendu de mon ventre ; et cela me survolte. Pour calmer les impatiences et convoitises qui me dévorent, je dévorerais volontiers, en retour, ce sceptre ; mais mes pusillanimités allaitées de tant de principes surannés m’interdisent de prendre cette initiative. Je m’attends à ce qu’il me fasse à présent les honneurs de sa couche, mais il se contente de me retourner face à la table sur laquelle il me plie avec rudesse et autorité. Tout en me tenant solidement par la nuque, il rabat ma jupe sur mes reins, puis insinue son sire triomphant entre mes cuisses moites. Ces opérations sont trop brèves pour me laisser recouvrer un peu de discernement, et il me semble que je réclame cette violence comme une punition.


Maintenant, je me bauge là, tremblante de me savoir outrageusement offerte, mais insolente de nudité, suppliante de mes bras en croix écartés, dans l’attente béate du sacrifice, le ventre pataugeant dans mes flaques d’infamies, les seins aplatis contre le bois rude qui les meurtrit. Toute cette ignominie me méduse avant de m’apparaître séduisante, et je rugis mon bonheur quand, sans fausse complaisance ni égard, il m’écartèle pour s’enfoncer en moi.


D’un seul élan, il me transperce… puis se recule… et recommence, encore et encore. À chacune de ses plongées, mes seins se râpent contre la rugosité de la table ; à chaque repli, un vide bienheureux m’aspire. Plus il me fourbit et plus une sensation de béatitude m’anéantit. En mon vagin, un incendie s’est déclaré et le consume, irradiant progressivement mon corps entier qui se met à vibrer, et bientôt je tremble de mes ivresses. Je le sens – l’image n’est point usurpée – tendu comme un arc bandé prêt à se rompre et suis indubitablement fière de la volupté que je dispense.


Il libère ma nuque pour pétrir ma croupe avec une douce vigueur. Je décroche, et mes esprits qui s’embrument ne parviennent plus à suivre le rythme infernal de mes transes, celui de mes seins martelant en cadence la rêche surface comme pour la parapher de mes fougues. L’incendie se déploie en brasier généralisé et je me mords les lèvres, tentant de différer mon explosion pour l’accorder à la sienne, redoutant déjà la trop brève fulgurance qui suivra. Lorsque je le sens décharger avec des ahanements de victoire et de soulagement, je crépite à mon tour en un prodigieux feu d’artifice.

Ai-je beuglé ? Ni moi ni mon importune doublure ne saurions l’affirmer ; toutefois, mes fureurs n’ont pas dû rester sans échos.


Il m’enveloppe ensuite de sollicitude et prévenance, et tout chancelant de ses emportements me soulève précautionneusement pour me serrer contre lui et aller m’étendre, pauvre chose flageolante, sur son lit où indéfiniment, il me câline, me cajole, de ses lèvres et de ses doigts, de son ventre et de son sexe enfin. Une infime seconde, je m’inquiète de ma sybarite qui, à ce chevet, devrait officier alors que je n’y retrouve qu’une austère puritaine ravalant ses courroux pour mieux m’en admonester avant peu. Je m’abandonne à sa chaleur, me lovant contre lui, l’emprisonnant à mon tour dans l’étreinte alanguie de mes membres. Je me frotte contre son torse robuste dont le Velcro m’agrippe comme un aimant. Peureusement, je finis même par quémander sa bouche, craignant qu’il ne me la refuse pour se venger de mes dédains anciens ; mais, grand seigneur, fors de rancune : il les a oubliés, et nous nous étouffons en longs baisers enflammés. Je m’imbibe de ses fortes odeurs de mâle, de celles de nos sueurs et foutres mêlés. Je ferme les yeux pour mieux m’en imprégner, et s’évanouissent puritaine et sybarite tandis que je me retrouve dans les bras de mon amant de cœur, merveilleusement bercée par le souvenir d’étreintes passées. Comment donc peut-on nourrir autant de duplicité ?


Peu à peu, l’épieu de l’homme se durcit contre mes chairs, et sans que nous nous désenlacions il se presse à nouveau au seuil du temple de mes enchantements. Il en flatte le portique puis, plein de calme déférence, s’y avance lentement, semble se raviser et se retire, revient et reflue, recommence et ressort… Son gland incandescent écarte des vantaux inondés par mon plaisir, ose une brève incursion, presque jusqu’à l’épicentre de mes frissons et une fois encore se dégage complètement.

Que c’est exaspérant ! Que c’est délicieux ! J’en deviens folle ; mes nerfs se nouent, mes muscles aussi, dans une douloureuse contracture qui se propage le long de mon échine jusqu’à ébranler mon cerveau. C’est le jeu du chat avec la souris, sauf qu’ici la souris est une chatte, et le chat, un reptile.


Comment peut-il se contenir ? Éperonnée par mes élans, je m’en sens tout à fait incapable. Bientôt je m’impatiente si fort que ce sont mes coups de reins qui l’avalent et que je l’enserre de mes jambes pour lui interdire toute nouvelle retraite.

C’est sans doute ce qu’il souhaitait car il s’enfonce dès lors progressivement en petites saccades hautement jouissives. La délicatesse de cette union est aussi confondante que la brutalité de la précédente avait été surprenante. Je fonds de félicité ; je ne mouille plus : je ruisselle, et le pénis de l’homme me caresse de l’intérieur non pas en mon sexe seulement, car les transports qu’il me procure vrillent tout mon être jusqu’en ma tête. Mes chairs sont parcourues par de violentes crispations qui compriment mon vagin, accentuant mon plaisir et le désir de mon amant. Le rythme s’accélère insensiblement, et bientôt je gémis. Tout mon corps ondule puis se convulse pendant que prise d’un insurmontable vertige, c’est moi qui me cambre pour qu’il me pénètre davantage. Cette fois, je sens mon cri qui s’enfle, m’étouffe, monte puis s’éructe en même temps que je m’abats, fauchée par la jouissance.


Submergée par tant d’émotions, je sombre dans une demi-léthargie, dans un nirvana d’impressions et de pensées confuses mais heureuses, éblouie par de spasmodiques fulgurances. Un temps indéfini qui échappe à la triste mesure des horloges, il demeure en moi, prolongeant ce bonheur qui me semble devoir s’éterniser. Il se retire ensuite si furtivement de mon sexe et de mes bras que, pour un peu, je pourrais ne pas m’en apercevoir.


Les yeux mi-clos et pleins d’étoiles, je l’entends vaguement, toujours époumoné, se rhabiller. Des bruissements de tissus évocateurs taquinent mes oreilles, et je l’imagine se coulant dans son jean avec des contorsions burlesques. Il étire mon porte-jarretelles puis le relâche ; l’élastique claque sur ma cuisse, emprisonnant un objet coriace et froid. J’hésite à quitter mes torpeurs, à redescendre en ce bas monde pour le retenir en l’appâtant d’un sourire ou d’un aimable compliment. À ce moment, il s’éloigne et me gratifie de ces mots pleins de cette rare courtoisie dont il détient le secret :



Toutes mes gentilles intentions s’envolent instantanément et je me cantonne à lui répondre :



Je demeure ensuite longtemps pâmée de délices sur ce lit d’enchantement, la tête vide et le corps repu de béate lassitude. Puis soudain, succombant à je ne sais quelle incompréhensible urgence voisine de la panique, je décide de m’évader. Je me relève pour constater que l’objet fourré sous ma jarretelle, et que depuis j’ai oublié, se constitue d’une liasse de billets de cinquante euros. Ma honte revient écrasante, charriant la puritaine dans son sillage. Je me rhabille en toute hâte, méprisant la culotte déchirée que je confie à ses fantasmes en me disant qu’il s’en fera trophée.


Mon trophée à moi se constituera de ces billets que je dénombre, fébrile, presque compulsivement, anxieuse à l’idée que le compte n’y soit, et quasi ahurie quand je me demande à quelle fin je les utiliserais. Tantôt, j’hésite à les abandonner ici pour bien lui montrer que je ne mange pas de ce pain ; mais cela il le sait déjà. Tantôt, je veux les conserver, estimant les avoir amplement mérités, les avoir gagnés à la sueur de mon… sexe, ce qui précisément me reste intolérable, même si cette pensée n’est pas exempte d’une secrète fierté scrupuleusement occultée. Après bien des tergiversations, je décide finalement de m’en emparer et me retrouve bientôt dans la ruelle où à la sereine et vivifiante fraîcheur matinale succède une affreuse fournaise, où une lumière uniforme et aveuglante se substitue à la palette des teintes contrastées. Décidément, cette matinée, sous les formes les plus diverses, se plaît à opposer le noir et le blanc.


À peine ai-je claqué la porte derrière moi, que voilà qu’elles ressurgissent. Je les devine sur mes talons, les deux sermonneuses impénitentes, et la puritaine et la sybarite liguées, également désespérantes, me poursuivant de leurs réprimandes remontrances ulcérées. Et je presse le pas tant elles me semblent tangibles, me désignant du doigt à la vindicte publique. Une importante affluence encombre la rue qui bruit d’activités. Je me dépêche de la quitter, en proie aux regards réprobateurs des badauds que j’imagine ricanant et commentant tous mes frasques. Je m’attends à être, à tout instant, hélée par un « Tu montes, chérie ? » tonitruant, déclenchant une trombe de rires complices.


Combien de temps suis-je restée là-bas ? Je consulte ma montre mais suis bien trop perturbée pour me livrer à de fatigantes soustractions qui me paraissent un exercice tout à la fois malaisé, fastidieux, et surtout vain. De vénéneuses larmes de sperme tiède mêlées à mon cythomiel s’écoulent de mon vagin et engluent onctueusement mes cuisses : remords exquis.


De retour à l’hôtel, je me précipite sous la douche, non pour effacer les odeurs de mon sombre amant, mais celles de mes jouissances… vénales. L’eau dont je m’asperge, alternativement bouillante ou glacée, glisse sur mon corps sans m’apporter le peu de quiétude espérée.

J’expédie ensuite un frugal déjeuner avant de m’affaler dans un transat au bord de la piscine. J’y passe mon après-midi dans une demi-torpeur hallucinée qui entrelace des images fantasques. Tantôt deux harpies, l’une jeune mais affreusement laide, l’autre vieille et jolie me déchirent, me tirant chacune par un bras dans des directions opposées ; tantôt au fond d’une caverne obscure, des prunelles et des dents éblouissantes de blancheur, luisantes de perversité me poursuivent. Des sursauts me tirent momentanément de ces assoupissements et je me réveille avec cette suave irradiation tout au fond de mes tripes comme s’il ne s’en était retiré il n’y a que quelques minutes seulement.


Je me sens pleine de lui et cela me réjouit autant que me contrarie. Que c’est bon… mais quelle infamie ! Avant ce jour, j’ai voulu me persuader qu’amour et sexe devaient nécessairement coopérer, se renforçant l’un de l’autre. Ce matin, ils me sont apparus dissociables. J’hésite à croire que c’est à moi que ce soit advenu, et pourtant le feu qui couve en mon giron ne me laisse aucun doute, et ne serait-ce lui, je n’aurai qu’à rejoindre ma chambre d’hôtel pour y retrouver la scandaleuse liasse témoignant sans équivoque de mes turpitudes. C’est cela peut-être qui m’a déterminée à l’emporter.


Le soleil exerce son office et de nouvelles somnolences m’engourdissent dont je sors haletante, terrassée par une autre question : et si des élans si puissants n’étaient pas imputables qu’aux sens seuls ?

Pour échapper à ces interrogations, je prends ma voiture pour joindre la ville voisine où je m’enferme au cinéma devant un film qui se voudrait comique mais n’est que grossier, que je finis toutefois par trouver hilarant tant j’ai besoin de m’évader et de rire.




* [Note de l’auteur] Cythomiel : conjugue « Cythère » et « miel » dans ma langue. La française voudrait qu’ici j’utilise « foutre », « cyprine », « mouille », « jus » ou une quelconque périphrase. Je les utiliserais en d’autres occasions, mais il nous faut aussi savoir user de notre droit au néologisme, à moins que nous ne nous déchaussions de ce pouvoir au profit de l’Angleterre et de la banlieue. D’autre part, je n’aime pas « cyprine » pour ses résonances trop techniques, chimiques et médicales ; quant au « foutre » liquoreux, il paraît connoté, imprécis et, selon certains, ancien et désuet : « Foutre, je leur en foutrais ! »