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Temps de lecture estimé : 9 mn
03/07/15
corrigé 08/06/21
Résumé:  Fouché remet un passeport à Ney afin de lui permettre de partir aux Amériques. Mais ce dernier décide d'attendre un peu. Pourquoi ?
Critères:  nonéro portrait historique
Auteur : Pierre Siorac      Envoi mini-message

Série : Le brave des braves

Chapitre 02
L'arrestation

Résumé de l’épisode précédent :


« Waterloo »

À Rowan, en Caroline du Nord, un homme affirme avant de mourir qu’il est le maréchal Ney. Réalité ou imposture ? Le maire de la ville confie à Allan Pinkerton, le célèbre détective privé, d’établir la vérité. Pinkerton se penche alors sur les premiers documents relatant la bataille de Waterloo…


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Deuxième partie



L’arrestation




Il sera difficile au lecteur peu au fait des événements qui bouleversèrent la France entre ces années 1789 et 1815 de comprendre l’amitié qui pouvait réunir des hommes comme Michel Ney et Joseph Fouché. Comment en effet ce brillant et magnifique soldat, digne héritier des chevaliers du Moyen-âge, et ce monstre froid de la politique, disciple de Machiavel, pouvaient-ils donc s’estimer à ce point, dans la mesure où ils semblaient si différents ?

Sans doute faut-il tenter de scruter leurs origines avec soin…


Michel Ney était le fils d’un tonnelier de la Sarre. Joseph Fouché celui d’un marin breton. Aucun des deux n’était destiné par la naissance à occuper une place remarquable dans l’Histoire de France. La Révolution française, en rebattant les cartes, permit à des hommes comme eux d’éclore et de montrer ce dont ils étaient capables.


Si tout le monde connaît plus ou moins le prince de la Moskowa, homme de lumière, la personnalité de Joseph Fouché est moins connue. Homme de l’ombre, il est et restera pour toujours l’objet de tous les fantasmes et de toutes les calomnies.


Allan Pinkerton savait tout cela ; il avait coutume de ne pas se fier aux rapports officiels, dont il savait trop bien que le but n’était pas d’établir la vérité, mais d’en créer une qui soit acceptable par les masses et qui puisse servir à les mener convenablement.


Fouché donc était officiellement un politicien retors et sans scrupules, dont l’exploit le plus marquant pendant la Révolution avait été de faire massacrer à Lyon, dans les conditions les plus horribles qui soient, 2000 contre-révolutionnaires.

C’est oublier l’ordre qu’il avait reçu de la Convention et qui exigeait la mort de 5000 personnes afin de faire un exemple. C’est oublier qu’il avait volontairement refusé d’exécuter les femmes et les enfants, provoquant ainsi la fureur de Robespierre qui n’eut alors de cesse de réclamer la tête du futur duc d’Otrante. C’est enfin oublier comment il avait permis à de nombreux prêtres réfractaires de fuir discrètement, n’oubliant pas ce qu’il devait aux Oratoriens en matière d’éducation.


Fouché était donc le créateur d’une police nouvelle, redoutablement efficace, surveillant tout le monde, ayant des dossiers sensibles sur chaque citoyen français, du plus célèbre au plus obscur, gardant pour son compte personnel de nombreuses informations et se hissant grâce à elles aux sommets du pouvoir en tissant sa toile, tel une araignée de cauchemar.

C’est oublier le nombre de fois où Napoléon avait dû la vie à ces informations secrètes…


Un matin, ce dernier, en fureur, entra dans le bureau de son ministre de la police et l’interpella violemment :



Et l’Empereur apprit comment un nouvel attentat avait été déjoué alors qu’il se rendait chez une de ses maîtresses.



Anecdote croustillante qui faisait rire Pinkerton chaque fois qu’il la relisait. D’autant plus que s’il ne s’agissait pas du lit de l’empereur dans ce cas précis, l’un de des principaux informateurs du ministre de la police n’était nulle autre que l’impératrice, toujours couverte de dettes, n’osant pas en parler à son ténébreux mari, et qu’il renflouait généreusement en échange de ses confidences.

Il faudrait écrire plusieurs livres pour rendre justice à cet homme. Mais les temps n’étaient pas encore venus ; ils viendraient, sans doute, un jour… mais ce n’était ni l’heure, ni pour tout dire le rôle d’Allan Pinkerton d’écrire ces pages.

Il n’y eut pas, comme on peut s’en douter, de rapport officiel concernant la rencontre entre Ney et le duc d’Otrante. Juste quelques témoignages issus des confidences faites par le brave des braves à quelques-uns de ses amis.



Ah, si seulement le prince de la Moskowa avait pris immédiatement la décision de partir… Mais « on n’emporte pas sa patrie à la semelle de ses souliers », comme disait Danton, pressé de fuir dans les même conditions quelques années auparavant. Au lieu de prendre le bateau pour l’Amérique, Ney décida de rendre d’abord visite à sa famille dans le Lot. Il faisait beau, et loin des affaires de Paris, il en oublia un moment les dangers de sa situation.

Entre-temps, Louis XVIII avait repris le pouvoir ; et Fouché, persuadé que son ami était loin désormais, n’hésita pas à le mettre sur la liste des traîtres recherchés. Il s’agissait, ni plus ni moins, d’endormir la méfiance du pouvoir en place en faisant preuve d’une apparente bonne volonté.


Au château de Bessonies, chez sa belle-sœur, le maréchal commettra l’imprudence de laisser traîner son sabre dans le salon. Un visiteur le remarquera, et une lettre de dénonciation parviendra au préfet.

Le 3 août 1815, les gendarmes entourèrent le château. Ney ne se démonta pas pour autant :



Ayant donné sa parole de soldat de ne pas tenter de fuir, le prince de la Moskowa suivit alors ses geôliers en direction de Paris. Immédiatement averti par un « Frère », le général Exelmans lui fit parvenir un courrier par lequel il se proposait de venir le délivrer. Ney fit répondre que cela n’était pas nécessaire. Le 19 août, il était enfermé à la Conciergerie.


La véracité de tous ces faits ne pouvant être mise en doute (l’Histoire officielle recoupant avec exactitude les rapports et les témoignages émanant d’autres sources), Allan Pinkerton avait pour tout dire bien du mal à comprendre un tel comportement. Quels pouvaient-être les pensées du maréchal à ce moment de son existence ? Souhaitait-il mourir en martyr ? Mais alors, pourquoi être parti se réfugier dans le Lot ? Rester à Paris face à ses ennemis aurait sans doute été plus simple. Pensait-il vraiment pouvoir se justifier au cours d’un procès ? Il aurait fallu beaucoup de folie ou de naïveté pour espérer que Louis XVIII lui pardonne son ralliement à Napoléon. Ou alors avait-il reçu des informations concernant la conduite à tenir ? Tout cela n’était-il en réalité qu’un plan subtil destiné à favoriser son évasion ? À la lecture des documents qui suivront, on pouvait évidemment se poser sérieusement la question. Mais tout cela paraissait si fou, si compliqué, si improbable…


Une chose cependant était certaine : depuis son entrevue avec Fouché, Michel Ney avait retrouvé son calme. À sa sortie, il avait repris contact avec les membres de la Loge Saint-Jean de Jérusalem (Orient de Nancy), au sein de laquelle il avait été initié en 1801, et où il avait gravi les degrés jusqu’au grade de Maître.


Il savait que des contacts avaient été pris avec des Frères de la Lodge n° 494 (Orient de Trim, dans le Comté de Meath, en Irlande) dont était membre le duc de Wellington, et de la Loge Friedrich zu den drei Balken (Orient de Münster) où Blücher siégeait à l’Orient en qualité de Vénérable Maître. La suite de cette histoire relevait-elle d’une énorme, d’une gigantesque conspiration ?


Si tel était le cas, tout avait été fait sous le sceau du secret, et c’était bien là ce qui posait problème à Allan Pinkerton. Pouvait-on révéler ce secret, fût-ce au nom de la Vérité ? Ne valait-il pas mieux le laisser dormir… Mais alors dans ce cas, combien de générations vivraient-elles encore dans le mensonge ? Et ces derniers mots, prononcés par Peter Stuart Ney sur son lit de mort : « Je ne veux pas mourir avec un mensonge sur mes lèvres : par ce qu’il y a de plus sacré, je suis Ney, maréchal de France. » Que faire des dernières volontés d’un mourant, qui disait peut-être la vérité ?


Plus il avançait dans l’étude de son dossier, moins les doutes étaient permis pour Allan Pinkerton. La question qui se posait à lui n’était plus en réalité celui de la véracité : c’était celle de la nécessité de la révéler. Et de tout ce que cela allait entraîner par la suite.


Il décida de s’octroyer une nouvelle pause et alluma un de ces énormes cigares qu’il rangeait dans les tiroirs de son bureau. Il eut envie également de se servir un peu de whisky, mais il était encore tôt, et la journée était loin d’être terminée. Sans doute même devrait-il travailler encore une bonne partie de la nuit. Les agapes attendraient donc un peu…