n° 17007 | Fiche technique | 18702 caractères | 18702Temps de lecture estimé : 11 mn | 09/09/15 corrigé 07/06/21 |
Résumé: Elle développe un amour déraisonnable pour la lingerie fine... et le raconte ! | ||||
Critères: f voir lingerie | ||||
Auteur : Laure Topigne Envoi mini-message |
Un bas rosâtre, orné de coins d’or, à la jambe,
Comme un souvenir est resté ;
La jarretière, ainsi qu’un œil secret qui flambe,
Darde un regard diamanté.
Charles Baudelaire - Les fleurs du mal
Une martyre - dessin d’un maître inconnu CX
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Elle vient, ce soir de retrouver celui qu’elle appelle son amant de cœur, qui s’est absenté plusieurs mois. Ils ont chaudement et dignement fêté ce retour qu’il veut maintenant, selon leur coutume, commémorer par un cadeau.
Le paquet qu’il lui tend est impressionnant, énorme et majestueux. Il laisse présager une folie de la plus dispendieuse espèce car s’il arrive aux artisans de l’apparat de se fourvoyer dans leur production, il est rare qu’ils se trompent sur son conditionnement lequel, avec insolence et éclat clame la noblesse de son contenu.
En s’en emparant, elle ne peut réprimer le petit frisson que lui procure habituellement le contact avec la peau des pêches ou des textures analogues. Celui-ci n’est en rien désagréable mais crée une sensation insolite en combinant un velouté moelleux et délicat avec un duveteux qui semble être adhésif et vous accroche par des milliers de barbules invisibles. La boîte est trop légère et surtout trop volumineuse pour receler un bijou et elle se hâte d’en déchirer l’emballage pour assouvir ses curiosités. Du cœur d’un cocon de papiers ouatés, elle exhume finalement un ensemble complet de la plus fine lingerie. Tout y figure : une guêpière et la culotte assortie de couleur bleu nuit, rehaussée de noir et sobrement ornée de ganses pourpres, accompagnée de bas à couture anthracite. Une paire d’escarpins lustrés aux talons vertigineux complète la composition.
Elle raffole des sous-vêtements somptueux et les accumule à profusion avec tant d’engouement que certains n’ont qu’à peine été étrennés. Depuis toujours, elle les collectionne avec avidité, presque à la manière dont d’autres amassent bagues ou colliers, voire les timbres-poste. Toujours n’est peut-être pas le mot adéquat car chez ses parents, de condition très modeste, on n’accordait guère d’attention à ces babioles du temps de son adolescence. Ce fut pour ses dix-huit ans que sa tante et marraine, femme fortunée et très libre d’esprit bien que nullement libertine, l’introduisit à ce monde futile en lui offrant sa première parure de luxe. Elle avait déballé et donc exposé ce cadeau devant toute la famille assemblée en ce jour de fête. Sa stupeur n’avait eu d’égal que sa joie… et sa gêne ! Rien n’aurait pu la surprendre ou la ravir davantage, et de saisissement elle s’était incendiée jusqu’à se faire écarlate. Elle ne sut jamais si ce fut d’émoi, de confusion ou de bonheur, mais plus vraisemblablement d’une association exquise de toutes ces émotions.
Cet hommage qui l’élevait au rang d’adulte et de dame, qui reléguait ses slips et soutiens-gorge en coton blanc au plus profond des tiroirs, lui causait plus de jubilation qu’un riche joyau et plus de fierté que des atours de vison ou d’hermine. Elle se souvenait parfaitement avoir passé toute la journée dans la fiévreuse attente de se retrouver seule en sa chambre pour revêtir là, enfin, ces nouveaux dessous. Le soir, devant son miroir, elle s’était faite grâce et dévotion en se contemplant longuement, savourant la métamorphose qui, de chenille en papillon, l’avait transmuée, affectant de ne pas se reconnaître et se comprenant subitement femme. Cette transformation la bouleversait et, elle l’avait très bien compris, jusqu’en ses tréfonds, était le signe patent de sa majorité, et plus jamais elle ne serait la même. Quelque chose d’irréversible venait de se produire, qui de jeune fille nubile la propulsait au rang de jeune femme disposant librement de son corps.
Combien de fois avait-elle enfilé les bas, se faisant une obsession de la rectitude de la couture sur son mollet ? Elle avait joué avec ce téton de caoutchouc qui coince la soie dans l’œilleton de la jarretelle avec autant de délices que s’il avait été de chair, et ceci l’avait entraînée dans des désarrois similaires. Elle avait attendu que tous soient couchés pour descendre à la cave, cachée sous sa robe de chambre, et y subtiliser deux petites cales en bois qu’elle s’était collées sous la semelle de ses mocassins plats. Hissée sur ces échasses improvisées, elle avait paradé dans ces éclats pour admirer la cambrure de son buste et de ses jambes. Puis elle s’était envolée en rêveries câlines et langoureuses, agrémentées de pensées subtilement érotiques et avait vécu là, dans la plus stricte intimité, une étonnante soirée dispensatrice d’intenses réjouissances à peine tempérées par la crainte de maculer ces tissus précieux.
Au lendemain, après avoir emprunté l’appareil photo d’une amie, elle s’était, dans la retraite de sa chambre, immortalisée dans tout ce magique attirail.
Elle avait longtemps conservé ce bustier inaugural comme une relique, lui faisant ainsi largement outrepasser l’usage qui lui était dévolu. Plus tard, elle avait consacré une part non négligeable de son premier salaire à ces frivolités avec un plaisir immense.
Puis, au fil des années, elle a tout expérimenté, décliné les gammes complètes de formes, de couleurs et de fibres dans tous les registres et selon toutes les combinaisons, sauf toutefois celles qui d’évidence relèvent de l’équipage des prostituées.
Bien qu’appréciant moins les amples jupons, nuisettes ou autres déshabillés, elle a tout adoré, tout essayé, à la seule exception du roide corset qu’elle ne s’est jamais résolue à acheter, mais en lequel elle rêve encore se sangler un jour. Elle le souhaiterait alors resserré comme un étau, tel que le portaient ces femmes de jadis quand il réclamait la complicité de plusieurs caméristes pour être lacé et menaçait ses adeptes de pâmoison à chaque habillage.
Y a-t-il là narcissisme ou fétichisme, sadisme ou masochisme, exhibitionnisme ou voyeurisme ? Une telle collection d’-ismes la désigne assurément comme perverse notoire, et elle doit réunir un brin de chacun sans doute mais tout aussi bien aucun, car la clique des sadiques, masochistes, exhibitionnistes et autres voyeurs a besoin d’un tiers, ce dont elle se dispense aisément. Le narcissique proscrit l’usage d’accessoires qui vont à l’encontre de ses aspirations. Reste le fétichiste pour complaire à la fureur nominaliste des psys…
Un temps, les errances féministes avec lesquelles elle avait développé quelques accointances avaient gâché et terni ces ivresses, mais même en cette lingerie engoncée, elle ne s’est en rien perçue, ni si potiche, ni si mante religieuse qu’il eût valu d’y renoncer. Elle n’a jamais, ou que très secondairement, considéré ces dentelles comme arguments de séduction à moins qu’elle n’en soit la cible unique. Elle s’est cependant étonnée que parmi les rares hommes qu’elle ait connus, certains semblaient ne pas priser ces ornements à la juste hauteur du pouvoir d’envoûtement qu’elle leur confère. Ce n’est indubitablement pas le cas de celui qu’elle baptise son amant de cœur qui, depuis longtemps, lui a fait comprendre son penchant démesuré pour ces vanités.
Elle s’est souvent interrogée au sujet de cet appétit immodéré pour broderies et guipures sans parvenir jamais à en discerner une cause primordiale, mais tout en cernant un dense faisceau de mobiles convergents. Tous ces dessous, elle les perçoit comme une seconde peau, collée à son épiderme mais interchangeable à volonté, gommant les aspérités du corps et en galbant les lignes. Contrairement à l’une de ses amies très sport qui lui a affirmé les aimer souples et d’aises, imperceptibles donc, elle ne déteste pas qu’en certains mouvements ou incidents ils l’interpellent et ainsi lui rappellent son corps, et sous le couvert de leur abri sa troublante et fragile nudité. Il n’est pas même la gêne que peut susciter leur rigide maintien ou la démangeaison occasionnée par une jarretière serrée trop étroitement qu’elle ne déguste avidement.
D’évidence ils transcendent le rôle de chiffons luxueux, et sans aller jusqu’à leur prêter une vie propre, elle les ressent se nourrissant de la sienne, se parfumant de ses meilleures effluences mais aussi lui offrant leur tiédeur et lui diffusant une sereine assurance, se délectant de ses affabilités comme elle révère la suavité de leurs enlacements.
Oui, elle affectionne s’observer en cet apparat et se félicite d’être de la sorte, par la grâce de ces écrins, de sa morne banalité à sa vraie valeur exhaussée. Elle s’est toujours trouvée, à ses yeux, infiniment plus belle ainsi enluminée. Son bonheur ne se réduit pas à leur port, et elle savoure particulièrement les instants de l’habillage quand l’étreinte d’un bas étrangle une jambe pour la modeler, quand elle lustre l’organdi d’un bustier écrouant sa peau qui s’horripile ou serre à les rompre les lacets d’une guêpière.
Elle aime aussi tout spécialement se consacrer à leur emplette. Le choix des dessous relève d’un art raffiné, et la moindre faute de goût peut aisément du statut de princesse à celui de catin vous reléguer. Elle ne s’y emploie que lorsqu’elle dispose du temps nécessaire et pousse alors la porte de l’une de ces boutiques feutrées, ayant à chaque fois l’impression de pénétrer dans un sanctuaire. Elle s’y soumet d’ailleurs ensuite à un rigoureux et interminable cérémonial : il lui faut d’abord communier avec les prêtresses du lieu en s’enquérant de leurs propres penchants, des innovations et des tendances de la mode, puis farfouiller avec elles dans de grandes corbeilles, sur des présentoirs affriolants ou au milieu des boîtes par dizaines entrouvertes. Finalement elle s’adonne dans le secret du petit confessionnal à des essayages multiples et sans fin. Quelquefois elle risque, dans la discrétion de cette cellule, un ensemble trop audacieux ou estimé trop vulgaire pour légitimer un achat et se livre dès lors impunément aux ébranlements et sortilèges de l’immodestie.
Elle qui déteste se dénuder devant son gynéco le fait là, sans problème, face aux servantes de la nippe coquine et aime lire dans leur regard parfois une nuance plus égrillarde que de simple admiration. Enfin elle se décide pour un ou plusieurs articles, et il faut hélas déjà quitter l’échoppe de ses enchantements, mais regrettant dès que sortie de n’avoir point préféré le rouge au gris ou de n’avoir pas acquis en définitive ce petit porte-jarretelles si seyant. Elle hésite à revenir sur ses pas puis finalement poursuit sa route, trop pressée de rentrer pour se déshabiller , le cœur battant, avec ces nouveaux trésors.
Pourquoi cette profusion d’émotions ? Le premier vocable qui, impérieux, s’impose à son esprit quand elle y songe est caresse . Elle vit en effet cette lingerie comme une câlinerie intime et permanente, comme une tendresse jaillissant du plus profond de son ventre ou de son sein. La chaleur des velours l’incendie comme un baiser torride tandis que le glacé d’un satin la fait frissonner et la transperce d’ondes de bien-être ; la candeur d’un lin lui ouvre un monde d’innocence alors que le crissant d’un nylon l’éveille à des perversités friponnes ; la souple douceur de la soie la trouble toujours comme au moment du lointain anniversaire de ses dix-huit ans. Elle apprécie l’élasticité de ces parures qui accompagnent avec de subtils effleurements les mouvements de son corps, épousent ses courbes en en accentuant le modelé pour l’idéaliser. Elle raffole de leurs transparences qui les rendent vaporeuses, au seuil de l’irréalité et la voilent pour mieux l’exhiber. Oui, elles sont autant de grandes fleurs abritant en leur calice exquis sa tendre vulnérabilité. Elle prise leurs structures esquissant de savants entrelacs et combinant de fines dentelures avec de grandes mailles qui laissent entrapercevoir et mettent en valeur l’ivoire de la peau, ce qui fait dire à son amant « Tu es, en cette tenue, plus nue que nue ».
Au reste, elle n’éprouve aucune affection particulière pour les maillots de bain et déteste les tatouages, hormis celui que peuvent dessiner en marques pâles les éclairs ardents de Phébus. Elle s’est ainsi surprise à s’admirer dans son miroir vêtue de ce seul, plus que simple appareil, et faisant jouer dans un clair-obscur favorable ces vêtements blêmes qui épousent à la perfection sa chair divinement mordorée. Bien sûr, elle pratique le maquillage, mais celui-ci ne jouit pas de ces privilèges de confidentialité, est à tous exposé, et arboré même pour solliciter le regard de l’autre. Elle se rêve aussi parfois totalement dépouillée mais couverte à foison de lourds bijoux froids et sonores, de perles surtout coulant délicieusement leur nacre fraîche sur la pointe brûlante et agacée de ses seins, roulant leur ambre glacé au creux de son ventre ou dans la jointure de ses cuisses qu’elle contracte alors fébrilement sur la houle de ses désirs. Elle prise énormément cette chaînette dorée qui se vrille à sa cheville et ce large tour du cou dont le métal enserre sa gorge d’une reptation glaciale.
Son compagnon et amant lui a décrit les tribus du sud de l’Éthiopie dans lesquelles les ornementations sont extrêmement prisées, qu’il s’agisse de bijoux externes ou des décorations corporelles réalisées à même les chairs, sous forme de scarifications notamment. Les indigènes s’entaillent profondément la peau selon des motifs ornementaux ou rituels pour y enfouir de petits cailloux que la cicatrisation y emprisonnera. Les reliefs obtenus garantissent, affirment-ils, des sensations démultipliées sous les caresses de mains expertes. Elle s’est envisagée ainsi parée et a pensé qu’elle aimerait ça.
Elle tient à ce que ces atours soient irréprochables et ne conçoit pas que son amant puisse adorer qu’un bas plisse, que sa couture ne soit pas impeccablement rectiligne ou qu’une jarretelle détachée pendouille. Il importe peu, d’ailleurs : tout ceci relève d’un plaisir intime et égocentrique qu’elle n’éprouve presque nul besoin de partager. Plutôt timide, elle n’a pas été une éminente séductrice, et un peu complexée elle s’est toujours étonnée qu’on puisse la trouver séduisante, aussi n’a-t-elle jamais fait usage de cette garde-robe originale pour entreprendre qui que ce soit. Bien sûr, elle connaît les phantasmes que peuvent nourrir chez les hommes ces tenues et est heureuse de les réjouir à si bon compte quand ils entrent dans son intimité, d’autant plus qu’elle n’aime guère faire l’amour toute nue – ce qui lui paraît un peu obscène – et qu’elle préfère conserver sur elle ses bas au moins.
Elle porte à toutes ces richesses un soin minutieux, presque maniaque et obsessionnel, les entoure d’une attention scrupuleuse et méticuleuse. Jamais elle ne leur inflige le supplice du tambour mais préfère les câliner de ses mains dans des bains d’eau tiède vaguement savonneuse. Il lui semble leur donner ainsi une virginité, mais elle n’abuse pas de ces traitements qui les ternissent et sont préjudiciables à leur élasticité. Bien entendu, elle leur épargne la torture du fer qui la révulse autant que si elle devait l’appuyer directement sur ses seins. Elle les lisse délicatement puis les empile selon un ordre tatillon dans des tiroirs dédiés. Dès ces coffres refermés, elle les imagine parfois se bousculant pour occuper le haut de la pile, envieux de cet avant-poste qui augmente leur chance d’accéder rapidement à l’euphorie grisante d’être à son service.
Une fois ce tumulte apaisé, ils échangent leurs cancans et ragots, content leurs aventures. Les culottes se vantent d’être à même d’estimer ses bouleversements à la moiteur dont elle les embue et au fumet de celle-ci ; les bas se glorifient d’être souvent seuls à accompagner l’intégralité de ses ébats, position néanmoins périlleuse qui leur vaut parfois de fatales estafilades. Les balconnets, eux, s’enorgueillissent d’être les confidents directs des battements de son cœur, les premiers à discerner ses plus subtils affolements. Parfois encore, ils se plaignent des mauvais traitements dont des mains étrangères et donc rustaudes les ont brutalisés, les tordant sans égards, les écartelant sans complaisances, les distendant au risque de les déchirer. Ils se moquent enfin de ces fâcheux balourds ou de ces candides trop émus qui, ignorant tout des secrets de leur verrouillage, multiplient les maladresses sans parvenir à les dégrafer, si bien qu’après quelque temps, un peu excédée, elle doit voler à leur secours.
Son goût abusif pour festons et rubans enfin ne s’accommode pas de plus de pacotille que de contrefaçon, et elle porte toute son attention à la qualité des étoffes, à la perfection de la coupe et des finitions. Elle se dit que c’est cela qui l’exalte : l’accession à un luxe frivole, un luxe dénué d’enjeux essentiels, un véritable luxe donc, une dépense à ce point improductive qu’elle n’est pas même destinée à être ostensiblement étalée.
Toutes ces idées et souvenirs la traversent le temps d’un éclair tandis qu’elle déploie le sublime présent de son amant et l’applique d’une main contre sa poitrine pour en mesurer l’impact, double, sur lui comme sur elle. Comme dans le passé, elle souhaite s’affubler immédiatement de ce cadeau pour se pavaner en son faste. Il l’en dissuade néanmoins, lui proposant de remettre cela au lendemain et en lui faisant remarquer que dans sa fièvre, elle a oublié un accessoire dans la boîte. Elle la fouille longuement et finit par y découvrir une fine badine en cuir tressé.