n° 17027 | Fiche technique | 34905 caractères | 34905 5785 Temps de lecture estimé : 24 mn |
17/09/15 |
Résumé: En 1793, afin de déroger, une jeune aristocrate est forcée de se marier à un roturier de réputation ambiguë. Le mariage en blanc sera vite coloré. | ||||
Critères: #historique fh hplusag inconnu amour contrainte pénétratio fdanus | ||||
Auteur : Alain Allain (Valet de coeur) Envoi mini-message |
Mégalithes, dolmens, sanctuaires de granit, c’est contre vous que nous buttons.
Forêt des Arcanes, juin 1793.
L’œil affolé, Vulcain fendait les fourrés, déchirait les fougères et arrachait les ronces sous les injonctions du cavalier.
Ils venaient de quitter les ornières. Le cheval détestait les sous-bois. Il souffrait les gifles des basses branches, s’effrayait des fosses invisibles, des buttoirs de pierre et des nids clandestins de serpents. Mais les coups de talons contre les flancs étaient impérieux. Il fallait percer la broussaille.
Le mors tout à trac, lui écrasa la langue et la bride tira à dextre. Il ralentit, vira, fut modéré au trot, puis :
Ce fut l’arrêt. Un gant passé sur l’encolure prescrivit l’immobilité. L’homme et la bête pivotèrent des oreilles dans une clairière rendue muette par leur survenue. Seuls les bourdonnements des grosses mouches attirées par l’écume du cheval accompagnèrent les pantellements du poitrail et les cliquetis des fers de harnais. De lents voiles de fumée jouaient à cache-cache avec l’ombre et la lumière jetée par les ajours des frondaisons. Des rubans de fumerolles serpentèrent jusque sous les narines des visiteurs : de la viande grillée. Vulcain secoua l’échine. Le gant du cavalier gratta le crin entre les oreilles.
Comme pour confirmer l’impression, un corbeau, invisible crailla. Pour un chasseur, la complicité d’un freux est toujours de bon augure.
Une botte pressée contre le flanc droit, la bride tirant à gauche, le grand lusitanien, le cou en hippocampe, amorça une marche oblique.
En levant haut les antérieurs, le coursier marcha jusqu’au tronc d’un grand chêne où le cavalier démonta en évitant les craquements sous ses bottes. La bride liée à une basse branche, une main passée sous la mâchoire, l’homme s’éloigna :
Il retira lentement son sabre du fourreau en allant vers un tronc à l’abri duquel il passa la lame à main gauche et arracha son gant droit avec les dents. Il dégaina alors de son baudrier un long pistolet à platine de silex. Le clic du chien que l’on relève résonna dans la chênaie. Armé aux deux mains, silencieux, l’homme avança à découvert en direction de la source des fumerolles que des épineux cachaient. Les oreilles dressées, Vulcain attendait un événement. Il ne tarda pas à ouïr son maître crier une sommation. Une cape rouge s’envola dans les fougères. Pan ! La clairière tressaillit. Atteint par le projectile, le fuyard trébucha, s’embrouilla dans sa cape et roula dans les taillis. Alors que l’odeur de poudre venait lui polluer les naseaux, le cheval vit son maître croiser le fer avec un mirliflore. Pendant le duel, un coup de feu retentit dans les fougères. La bille se planta dans un arbre derrière le cavalier. Raté. Le sabre de combat triompha rapidement de la flamberge du mirliflore qui, jeté au sol, fut percé au thorax. Le vainqueur courut rejoindre sa première victime dissimulée sous des taillis qui remuaient. Cape Rouge n’eut pas le temps de terminer le rembourrage de son arme encore brûlante, un coup de botte le fit rouler, découvrant une blessure dorsale ; il gémit, puis, à son tour, fut transpercé. Le cavalier l’inspecta, s’empara d’une bourse de cuir jaune, du pistolet et de la cape rouge. Avec sa dague, il tailla un morceau de chemise qu’il empocha également. Enfin, les fougères redevenues immobiles, il revint vers sa monture en arrachant au passage des feuilles pour nettoyer sa lame de sabre. Son artillerie rangée, il réunit les rênes et enfourcha la bête colossale.
Ministres, évêques, charlatans, oiseaux de malheur, c’est contre vous que nous luttons.
Un laquais en livrée ouvrit la porte de la salle aux trophées :
Fragile, nimbée des dorures du contre-jour, une silhouette observait par les petits carreaux de la fenêtre les abords de la chapelle du château.
Les souliers de l’abbé battirent le parquet et s’arrêtèrent derrière la robe sombre sur laquelle une duègne agenouillée accrochait du tulle de deuil.
La jeune femme se dégagea de l’embrasure et se retourna en essuyant ses joues avec de la dentelle froissée. Elle soupira :
L’abbé eut peine à reconnaître, dans le visage ravagé par les pleurs, la petite fille qu’il avait catéchisée.
Quatre chevaux attelés, caparaçonnés de noir, grattaient le pavé devant le parvis de la chapelle. Le cocher, debout près du corbillard, adressa une courbette inutile à la jeune femme en deuil que l’aumônier poussait sous le tympan gothique.
La chapelle était pleine. L’archidiacre reçut la dame avec la gravité, les gestes et les murmures de circonstance, et la guida vers un siège centenaire placé devant les deux cercueils flanqués de bougeoirs géants.
Avant de s’asseoir, la jeune baronne jeta son regard vers l’assemblée. Elle ne reconnut guère que les personnes du premier rang : le comte de Chabeuil, Madame des Estiers, le baron de Mirebelle et sa famille, et encore quelques bons amis venus rendre à ses parents leurs derniers hommages. Ils échangèrent des saluts aussi brefs que graves. Quant aux autres fidèles, elle les connaissait peu, ou pas du tout. Elle imaginait les auteurs du double crime, dilués parmi les bons chrétiens.
« LES ARISTOCRATES À LA LANTERNE », inscrit sur du papier à cocarde, placardé dans la chambre du crime, l’avait suffisamment ébranlée pour la rendre soupçonneuse de tous. Elle avait peur. Pour attester de leur cruauté, les assassins s’étaient servi de Vairon, son chat, ainsi nommé à cause de son regard bicolore, en l’étripant et le dépeçant. On l’avait retrouvé pendu au lustre du grand salon. L’image l’avait horrifiée.
La Terreur avait largement débordé les fossés de Paris et les profiteurs avaient su enfourcher les thèses révolutionnaires pour opérer à compte propre dans les provinces voisines. Crimes et pillages s’accomplissaient au nom de la convention montagnarde, au nom des jacobins et encore au nom de la liberté, de l’égalité et de la fraternité. Liselle des Grieux craignait moins les trimardeurs, les vagabonds et galvaudeux que les bourgeois opportunistes avides de pouvoir, et qui, entre eux, s’appelaient « citoyen ».
Après les dures épreuves de la cérémonie, de la mise en terre et des condoléances, l’abbé de Bruneville isola la jeune baronne.
Mademoiselle Liselle figea son grand regard noir.
L’ecclésiastique ne voulut pas tourmenter davantage l’orpheline en révélant ce qu’il savait des rumeurs qui entachaient le marquis, mais sa question choqua tout de même la fille.
Elle baissa la tête :
Il l’avait appelée par son prénom. Il ne s’adressait plus à la baronne, mais à la petite fille.
Elle ouvrit de grands yeux.
Les opinions sur le compte de Robin Morel étaient aussi variées qu’équivoques. Il habitait un manoir isolé, duquel il occupait la partie non effondrée. Les rentes gagnées pour ses prouesses martiales sous les ordres de Rochambeau durant les batailles de Chesapeake et Yorktown dans le Nouveau Monde lui avaient valu, outre de belles cicatrices, des rentes capables de maintenir un cheval de sang, une domestique et un garçon d’écurie. Morel occupait son temps à la chasse. Du moins le croyait-on. La rareté de ses visites dans les bourgs du diocèse faisait naître des suspicions autant que ses apparitions provoquaient la méfiance. On craignait sa taille, celle de son cheval et les armes qu’il portait. À grands yeux, les enfants regardaient passer, tantôt un chevalier de noble cause, tantôt un cavalier de l’apocalypse. En tout cas un personnage de mythe. Les bigotes, de leur côté, couraient se réfugier chez elles ou se signaient sur son passage, ce qui n’empêchait pas Morel de les saluer. À chaque occasion, pourtant, l’abbé de Bruneville qui disait le connaître, faisait éloge de la droiture de l’homme énigmatique.
Un décret de la Convention qui ordonnait la saisie des biens et l’embastillement des gens à particules circula de bouche-à-oreille jusque dans celle de mademoiselle des Grieux. Cela précipita sa décision. La Bastille, c’était l’enfer : la torture, la souffrance, l’oubli, la mort. Tout, mais pas cela. Elle repensa à Vairon, pendu au lustre. Terrorisée, elle accepta la proposition de l’abbé.
Quelques personnes parmi ses proches, les quatre témoins et l’abbé de Bruneville, s’étaient réunis autour de la pauvre baronnette sous la charmille de glycine du promenoir pour attendre celui qui devait lui sauver la vie en précipitant son destin dans un abîme sans fond. Un landaulet vert, modeste, coiffé de malles cloutées et attelé de deux chevaux, attendait à l’ombre d’un orme son départ pour Rouen. Le couvent des dominicaines qui avait accepté tant de bienveillances de feu la baronne mère devrait accepter à son tour d’héberger la fille. En dépit du caractère semi-clandestin de la cérémonie, Liselle, le buste baleiné, la taille serrée dans une robe à la Mantua coussinée aux hanches, avait tenu à signaler sa vertu en s’habillant de blanc, et exprimer son deuil en se voilant de noir. Son regard égaré lui donnait un air de colombe vulnérable qui la rendait tragiquement fragile et belle à la fois.
Bruneville tendit soudain le doigt au-delà du mur d’enceinte. Un nuage de poussière dévalait le chemin de la Colline aux Loups.
On fit ouvrir la porte de vénerie qui donnait accès aux forêts. Liselle gonfla son décolleté pour laisser de l’espace à son cœur qui ruait en tous sens. Elle était en panique.
Le cavalier réduisit son galop pour franchir bruyamment le pont de planches de l’archivolte du porche, puis, sur l’herbe rase du parc, approcha en un petit trot silencieux épaule en dedans, pour finir par une cession à la jambe avant de démonter. C’était faire étalage abusif de sa science équestre. On ne fait pas le bravache devant une dame de rang. En revanche, la beauté extraordinaire du lusitanien gris pommelé n’échappa point à la jeune baronne, pas plus que la taille du cavalier qui retira son tricorne pour une courbette excessive. Il portait son uniforme de lieutenant de cavalerie, redingote bleue à revers rouges, culottes garance et bottes à genouillères qui raclaient des fers sur les dalles alors qu’il s’avançait.
Le baisemain maladroit, plaqué plutôt que suspendu, aurait, en d’autres circonstances, amusé Liselle qui reprit sa main avec un rictus obligé :
La barbe, jaune, retenait le soleil en fils solides, comme une brosse de crin d’or. Le front haut, large, buriné, barré d’une cicatrice, tombait en surplomb sur des yeux embusqués. Derrière les plissures des paupières se cachaient les yeux d’un guerrier, d’un chasseur et d’un stratège qui savait dissimuler son regard à l’adversaire. Le nez, en contrepartie, se voyait de loin.
Morel offrit sa barbe à la rafale. Les yeux embusqués repérèrent, à l’ouest, un troupeau de nuages noirs qui galopait vers eux tête première.
« Acceptez-vous de prendre pour légitime épouse… » Le premier coup de tonnerre couvrit le « oui » de Morel et le second, celui de Liselle.
Au sortir de l’église, la pluie mitraillait la place. Sous le tympan, Morel préparait sa révérence d’adieu quand il vit son cheval tirer sur sa bride comme s’il flairait une menace. Le cavalier fit un pas sous la pluie et ajusta ses oreilles. Dans le fracas des gouttes, il décela une rumeur lointaine, syncopée par mille sabots de bois et de fer qui battaient le pavé : «… Les aristocrates à la lanterne, ah, ça ira, ça ira… » Cela venait de la route de Rouen. On venait exécuter le décret de la Convention ; on venait chercher la baronne des Grieux.
Morel courut libérer son cheval, l’enfourcha et le piqua des deux vers le parvis de la chapelle. Au galop, il empoigna la mariée sous l’aisselle. Elle s’envola littéralement en poussant un long cri. Comme s’il maniait un pantin de paille, le cavalier tenta de lui faire chevaucher la selle entre son ventre et le pommeau, mais, hymen oblige, la jouvencelle serra les jambes. Faute d’alternative, il la traita comme un daim abattu et la jeta en travers de l’encolure en franchissant la porte de vénerie au triple galop. Arrivé au sommet de la Colline aux Loups, il tira sur la bride, démonta, et rétablit la demoiselle sur ses pieds, dans la boue. Elle avait perdu ses escarpins, sa coiffe s’était écroulée et sa robe détrempée, souillée de poils, collait à la peau. Elle était indignée, furieuse, horripilée, hérissée ; elle n’avait jamais conçu qu’on la traitât de la sorte. Cet enlèvement n’était pas prévu. Bruneville l’avait-elle trahie ? Vendue ? Les yeux en braise, la main haute, de toute sa force, elle gifla le géant :
Robin Morel ne broncha pas. Il était campé comme une stèle de granit, grave, le regard tourné vers la plaine. Liselle voulut voir ce qu’il regardait et, se massant le poignet, se figea à son côté. Dans les voiles de pluie, on distinguait des volutes de fumée s’élever pour former un énorme champignon anthracite. C’était le château des Grieux qui montait au ciel. Dans la cour, deux autres foyers bravaient la pluie : la chapelle des noces et, à l’écart, le landaulet avec ses valises pour Rouen. Comme des cancrelats ivres, des petits bonshommes, couraient en tous sens. On entendait leurs cris. La baronne des Grieux, dans son évanouissement, fut secourue par un bras de fer. Vulcain observa son maître soulever la proie inerte et la tenir dans ses bras. Il la détaillait, il hésitait. Enfin, de son large tricorne, il couvrit le buste exposé au déluge glacé et, le fardeau porté comme une offrande, s’engagea sur le chemin du manoir.
Sous l’averse torrentielle, le cheval, tête basse, emboîta le pas à son maître.
Liserons, coquelicots, papillons, c’est devant vous finalement que nous cédons.
Comme chaque fois qu’elle faisait un cauchemar, Liselle, à son réveil, eut du mal à rajuster son esprit. Elle émergea précisément d’un songe où il avait été question de parents tués, de noces avec une bête et d’un château dévoré par le feu. Un souffle frais, chargé d’odeurs inhabituelles de bois, de terre et de cuir, flottait dans l’air. La couche où elle se trouvait était tendue de gros drap, lavandé, certes, mais un peu rêche. De même, la chemise qu’elle portait n’était pas la soie de Chine de ses robes de nuit. Le sombre plafond à caissons la surprit autant que le baldaquin de bois brut au dais de jute. Au fond de la chambre, des souches agonisaient dans un vieil âtre. Elle tourna la tête vers la source de lumière jaune qui éclairait la pièce et tressaillit. Debout dans la profonde embrasure d’une fenêtre à meneaux, se tenait la silhouette à contre-jour d’un géant habillé d’une simple chemise de drap blanc et des hauts-de-chausses de coton noir. Le dos tourné, les mains appuyées sur l’allège de pierre, il semblait observer, par un carreau ouvert, le coucher du soleil. La pluie avait soulevé une nappe de brume qui flottait devant la lumière du couchant, une nappe chargée de senteurs d’humus, de terre et de foin.
« Robin Morel » : le nom reparut dans la mémoire de la jeune femme. Que s’était-il passé ? Elle l’observa clandestinement pendant tout le temps que le soleil mit à décliner. Quand il se retourna, il faisait presque nuit. Il s’approcha du lit. Par peur, ou embarras, elle feignit de dormir. Il s’assit et se pencha sur elle. Le souffle d’une respiration lente passa sur les paupières closes. Il sentait le savon, le suif et le cuir. Il la dévisagea longuement, puis s’allongea sur le dos à son côté. Les grillons, au dehors, célébraient la tombée de la nuit. Le monde était calme. Les braises crachotaient des escarbilles.
L’homme prit sa petite main molle dans son énorme patte. Entre ses cils, Liselle observa le profil du géant ; le nez insolent, la barbe en broussaille, la puissante forge du thorax qui montait et descendait, l’abdomen courbe et les cuisses énormes. Il était olympien. Elle voulut signifier qu’elle était éveillée, mais n’osa parler. Alors, elle remua imperceptiblement ses doigts dans la paume calleuse. Comme s’il eut entendu une voix ténue, Hercules cessa de respirer. Il replia son index sur le dos de la petite main. Un ongle timide lui répondit en grattant une phalange. Comme ours et chatons, les doigts firent connaissance, codifièrent un langage occulte, tacite, secret. Cette timide ébauche de complicité amena la main mâle à se risquer sur l’avant-bras, le serrer, le caresser et s’enhardir jusqu’à l’épaule.
En dépit de la rugosité des cals, Liselle laissa la grosse paume se promener sur le satin de son épiderme et l’encouragea même en passant son autre main dans les poils du puissant bras. Un gros index dégagea la bretelle de la chemise pour parcourir les clavicules et s’aventurer dans l’échancrure du décolleté. Liselle aurait dû l’arrêter, mais, à son propre étonnement, n’en fit rien ; elle avait basculé dans un autre monde, elle était dans un rêve et pouvait en profiter. Et puis, sa mémoire lui rappela qu’elle avait dit oui à cet homme.
Mais, en était-ce vraiment un ? Il était si peu ordinaire ; mi-ange, mi-bête ; à peine lui avait-elle dit oui, qu’il lui avait sauvé la vie. Le lacet de fermeture de la robe fut tiré et le pan de tissu tomba pour découvrir la poitrine. Il faisait sombre, mais les aréoles des tétines faisaient contraste avec la blancheur des belles collines nourricières. Du bout de l’ongle, le gros doigt joua à la mouche égarée et, après une promenade chatouilleuse, aborda un sommet boulu, ambré, qui poussait son bourgeon grenu hors de sa gousse. Le souffle de la belle s’altérait. Durci par l’exaspération, le téton accepta d’être écrasé entre le pouce et l’index, roulé de droite à gauche, étiré et encore vrillé jusqu’à ce qu’un gémissement annonce non pas la limite du supportable, mais au contraire la poursuite de la douce torture, car la victime avait agrippé le bouton homologue pour, de son côté, imiter les manœuvres de la patoche mâle. La nuque renversée sur les coussins, la gorge offerte, la jeune biche haletait aux effets de ce traitement. Le chasseur passa la langue plusieurs fois des clavicules aux oreilles, tentant de satisfaire ses papilles avec la chair lactescente de l’agnelle en frissons. Il avait basculé sur elle et son ventre écrasait les petites cuisses encore protégées par la chemise. C’est dans cette gentille vallée des jambes serrées par la pudeur que l’homme laissa enfler son appétit.
Les sortilèges du désir peuvent-ils congédier la conscience ? Croyons-le car la petite biche qui pensait ses trésors bien gardés, ne comprit pas comment sa chemise s’envola en même temps que les tissus de l’ogre qui, tout comme elle, se retrouva nu. Il l’écrasa de tout son poids pour bâillonner la bouche frissonnante d’un profond baiser. Le pilon ardent s’étira cette fois du mont de Vénus jusqu’aux côtes. Pour en vérifier la nature, la petite glissa une main timide sous le ventre de l’homme qui se souleva pour faciliter l’accès. Elle saisit la chose. Ses doigts n’en faisaient bien entendu pas le tour, mais encore s’étonna-t-elle qu’un tel monstre puisse, sur ses réseaux de veines turgides, être si doux, si chaud et si soyeux. Malgré cette opinion plutôt favorable, elle garda les jambes bien serrées car il n’était pas question qu’un tel objet s’insinue en elle.
Les codes qui obligent à la déférence ne touchent pas tous les êtres de la même grâce. Aussi, ignorant les usages mondains, l’ogre se dressa à genoux et empoigna la biche par les jambes pour la soulever et la laisser pendre la tête en bas. Écartant largement les petits cuisseaux, il y plongea la face. Liselle eut un cri. Sa résistance fut celle d’un fil d’araignée tendu sur le passage d’un éléphant. Se débattre aurait été vain, mais pourquoi se débattre ? Elle préféra ramollir dans un état proche de celui de l’évanouissement.
En dépit de son éducation singulière, l’ours mal léché sut se montrer ours bon lécheur. L’écartelée succomba vite aux glissades de la langue dans ses chairs. Elle mettait, cette langue, du désordre dans les voilettes intimes, allait débusquer la perle de nacre dans son étui et plongeait dans le pot à miel comme un tamanoir fouillant une fourmilière. La pilosité délicate qui ourlait l’écrin de chair s’accrochait à la brosse de barbe.
Ointe à souhait, la petite baronne qui décidément se laissait déposséder de tous ses titres de noblesse, fut disposée sur son séant, face au python blanc, pour honorer la réciprocité. Sur le seuil des lèvres, la tête cyclopéenne implora l’hospitalité. Le palais aristocrate plutôt habitué aux framboises qu’aux pastèques avait davantage les dimensions d’une chapelle que d’une citadelle. Aussi, la novice dut-elle distendre le maxillaire pour accueillir son hôte et charitablement lui offrir le meilleur confort entre la voûte gustative et le matelas de la langue. L’invité ne laissa pas de tenter une visite plus approfondie, mais n’alla pas très avant. En compensation, stoïque et vaillante, la petite sœur de la charité s’appliquait à téter le pruneau turgide avec ferveur et s’essaya même à des manœuvres de langue qui dénoncèrent une réelle bonne volonté de débutante, et pour preuve : elle prit le cierge à deux mains et le lissa consciencieusement pour accompagner sa tétée. Le bâton était aussi dur qu’un de ces ébauchons de bruyère dans lesquels, précisément, on taille les pipes, et aussi étiré que la trompe de l’éléphant qui barrit. Craignant enfin qu’elle ne s’asphyxie, le mâle libéra la bouche de la mignonne qui agita sa poitrine en spasmes précipités. Le bilan positif de ce premier examen commanda le second. C’était l’heure d’honorer le créateur. Avant qu’elle n’ait repris haleine, le chasseur bascula sa biche sur le dos et, demeuré à genoux, écarta les jolies jambes de part et d’autre de son abdomen ouvrant ainsi le petit nid rose brodé de fils de soie qui luisait dans la pénombre à peine rougie par les braises. Deux mains pudiques tentèrent de défendre l’entrée du mausolée, mais elles furent capturées et tenues à l’écart par une forte poigne pendant que l’autre paluche conduisait la guivre raide dans des glissades préliminaires le long des rideaux d’ouverture. Enfin, le monstre ajusta son museau dans les tentures basses et poussa la narine frissonnante de son méat contre le fragile hymen.
Jésus est mort crucifié, moi aussi, je suis prête au sacrifice, pensa courageusement la petite martyre. Le voile de mousseline résista à l’audace de l’officier qui montrait des ardeurs de conquistador. Cette hardiesse toutefois, n’empêcha pas qu’il garde certains égards envers sa captive. De ses cinq doigts il fit un nid et comme on recueille un œuf de fauvette, il disposa la tête désorientée de l’oiselle dans sa main. Beaucoup plus militaire, l’autre patte glissa sous les brioches fessières pour garder un meilleur contrôle de la manœuvre.
En avant ! Oui, mais au pas de parade. Comme le serpent de mer forçant l’écoutille d’une épave de goélette, le pilon, doucement, força le voile d’Artémis jusqu’à la déchirure. Le long gémissement qu’il provoqua émut l’homme qui n’avait jamais entendu plaine aussi résignée. Il ne savait des femmes que les façons grossières des gourgandines de cabarets. Cependant, il n’était pas question de battre en retraite, d’autant moins que les soies qui s’ouvraient devant son bélier à tête foreuse étaient baignés des huiles de la bienvenue. Mais, se délivrer des contraintes de la pudeur, ne délivre pas de celles de la douleur. Les sourcils en ogive, la mignonne émettait des gémissements qui disaient non, mais qui laissaient faire. Les hanches parfois reculaient, mais se laissaient rattraper. Le refus s’accommodait de bonne volonté, et le plaisir confondait le tourment. Ainsi la progression inéluctable accomplissait-elle son office. Pendant l’invasion, la belle garda les yeux fermés.
En suspens au-dessus de la récipiendaire, Morin éprouvait des émois inédits. Jamais, en dépit de ses dimensions, son bourroir n’avait connu écrin plus serré, plus brûlant, plus soyeux, plus délicat. Le champ de bataille était un jardin de pâquerettes. Le militaire évitait les dégâts.
Enfin, il fut accueilli par le pétale de buttoir. Il était arrivé, ravi de ce que son membre se fut immergé sur une telle longueur, pas toute, certes, mais tout de même, en dépit de ses appréhensions, la petite dame était de nature profondément accueillante. Il fit une marche arrière, puis revint forcer la guimauve du fond. Elle eut un cri. Parfait : désormais conscient des limites, il entama des manœuvres de va-et-vient, lentes et mesurées.
Pénétrée, envahie, possédée, asservie, enclouée, la gazelle gémissait. Le mâle augmenta ses débattements et constata un redoublement des manifestations du plaisir. Il passa alors à la vitesse supérieure. La mignonne agita les hanches et commença à se tordre et miauler comme un chaton. Elle se donnait, elle venait à sa rencontre, elle collaborait ; elle passa d’ailleurs ses bras autour du cou taurin et serra. Elle se livrait, s’abandonnait… Elle lui appartenait. Ne voulant pas perdre le moindre recoin du territoire conquit, l’envahisseur, de sa main croupière, glissa un doigt dans ce retrait de jardin où d’ordinaire on n’est pas invité. Le petit cratère de muscle durcit sous la phalange. Aussi osée qu’elle fut, la manœuvre s’avéra un succès. La mignonne gigota de plus belle. Le débordement des liqueurs clandestines permirent à l’inquisiteur un barbotage digital autour du terrier défendu.
Taïaut, taïaut, le braconnier lança sa monture au galop pour embrocher la chatte et son chaton contigu d’un même élan. Comme un hauban de grand-voile au cœur de la tempête, la baronne des Grieux se mit à vibrer. Atteint à son tour par des foudres jupitériennes, le grand mât de misaine cracha une première salve d’écume. Les fosses de grands fonds ne pouvant accueillir le raz-de-marée, le débordement de lave fut reflué le long du pilastre provoquant des ondes brûlantes à chaque convulsion éjaculatoire. Huilée à souhait, la tête ongulée du mât d’artimon imita son grand frère de misaine dans ses délires de bélier entêté. Le baldaquin tourna plusieurs fois sur lui-même, avant que Poséidon ne prît congé. La tempête s’apaisa. L’ours s’effondra sur la colombe, l’écrasant de tout son poids, de tous ses poils, de tous ses muscles et de tout le reste de son être. Son souffle était décoiffant. Deux petites mains lui caressaient le dos. Pour sauver la belle de l’asphyxie, le minotaure se souleva, mais les petites mains s’y opposèrent. La mignonne voulait profiter de ce qui était encore en elle. Joueuse, avec ses muscles intimes, elle massa avec reconnaissance l’arme assouvie jusqu’à l’expulsion.
À son réveil, Liselle était d’humeur égale à celle des oiseaux en euphorie dans les arbres. Elle était seule. Des fers de sabots sur le pavé de la cour et la voix de Morel s’adressant au palefrenier l’attirèrent jusqu’à la fenêtre. Dieu que ce cheval était grand. Il rendait à Morel une taille humaine. La bête forçait ses naseaux contre le ventre du maître qui la gratifiait de compliments. Quelque chose d’autre que de l’asservissement animait cette affection spontanée du cheval. Les animaux sont des êtres sensibles, avait toujours pensé Liselle à l’inverse des palefreniers, des curés et des instructeurs de toutes catégories qui n’attribuaient d’âme qu’à l’homme (et quelquefois aussi à la femme). À considérer le ton avec lequel il s’adressait à sa monture et la main qui glissait sur l’encolure, Liselle imagina que Morel partageait avec elle cette idée de l’animal comme un alter ego.
Une odeur de pain cuit flottait dans la maison. La petite baronne se risqua hors de la chambre. Dans une vaste cuisine avec un âtre à la mesure de l’ogre qui l’habitait, une femme s’occupait à brasser de la pâte. Elle accueillit la visiteuse avec cette politesse distante des domestiques aguerris, et lui indiqua un fauteuil de vieux cuir devant un bol en bout de table. Liselle remercia et, plutôt que s’asseoir, fit le tour de la cuisine, moins comme si elle était chez elle que comme une petite fille pétillante. Elle avait rarement eu l’occasion de visiter des cuisines. Curieuse de certains objets, elle posa des questions : poêle à châtaignes, manche à gigot, pelle à tison, chauffe-plats, elle passait le doigt sur chaque ustensile. Sur le manteau de cheminée, en soulevant un moulin à grain, elle découvrit une bourse de cuir jaune qui lui fit froncer les sourcils. Quiète, la gouvernante l’observa alors que la visiteuse détachait en silence le lacet de fermeture comme si l’objet lui avait appartenu. Elle plongea son regard dans le contenu. Ce n’était que bijoux, qu’hélas elle reconnut. Elle releva des yeux démesurés… Elle était chez l’assassin de ses parents ! Un hurlement sortit de sa gorge comme voulant jeter hors des orbites les yeux qui avaient constaté l’horreur. Cherchant à s’échapper, elle bouscula les chaises, arracha les rideaux fuyant devant la domestique qui cherchait à l’attraper.
Robin Morel fit irruption et immobilisa l’affolée. Voyant les bijoux répandus partout, il comprit et la traîna dans la chambre pour la jeter sur le lit.
Elle continua d’hurler jusqu’à manquer d’air et de voix.
Liselle, en haleine, cria :
C’était la première fois qu’elle entendait parler Robin Morel. Sa voix grave, profonde, était comme un vieux velours éraillé. Il reprit avec calme.
Liselle prit le bout de tissu qu’il lui tendait. Il était effectivement brodé J.J.D.R sous l’écusson des Roquevaire.
Liselle se calmait.
Elle hésita, comme on hésite avant d’admettre une méprise et baissa les yeux.
Liselle retrouvait sa sérénité, mais, encore renfrognée, demanda :
Alors qu’elle l’écoutait, la jeune femme fut prise d’un soudain bouleversement. Le chasseur avait déplissé ses paupières et l’incidence de la lumière éclairait ses iris qu’elle n’avait pas encore vus. Elle pensa à son chat, son chat Vairon. Comme lui, Morel avait un œil au printemps et l’autre en automne. Cela ne pouvait pas être une coïncidence. L’idée que le marquis avait signé son crime s’imposa brusquement. Il lui revint que son fiancé détestait les chats et particulièrement le sien dont il était jaloux. Plus que toute autre preuve, l’animal pendu au lustre accablait Roquevaire. Les autorités supérieures ayant changé son chaton en gros lion, Liselle se sentit moins orpheline. Les correspondances du destin ne sont-elles pas déchiffrables aux cœurs purs ? La belle enlaça le géant en souriant et sanglotant à la fois. La domestique sortit sur la pointe des sabots lorsque la jeune femme poussa l’homme à la renverse sur le lit. Feignant une mine tristounette, elle se pencha sur lui :