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n° 17060Fiche technique32746 caractères32746
Temps de lecture estimé : 20 mn
10/10/15
Résumé:  La routine d'un RER pour se rendre au travail. La routine d'une vie sans but, perturbée par une rencontre improbable.
Critères:  fh hplusag hotel train amour revede pénétratio mélo -regrets
Auteur : Tito40      Envoi mini-message
Voiture 3, dans le sens de la marche

Voiture 3, bas, côté quais, dans le sens de la marche. Je monte chaque matin dans le RER à Saint-Rémy pour prendre place toujours au même endroit. Il est 6 heures. La ville s’éveille. Ça grouille à chaque arrêt. Des gens pressés, stressés, encore endormis. J’observe, ça me rassure. Je ne suis pas la seule à vivre chaque jour en attendant le suivant, sans objectif particulier, sans envie, sans projet. Aller bosser, faire ce j’ai à faire, puis revenir à la maison. Préparer le repas pour Martial qui rentre plus tard que moi. Le laisser déposer un baiser fugace sur mes lèvres sèches. Le servir, discuter de la météo et des nouvelles fraiches. Se détendre devant un film pourri devant lequel il va s’endormir. Aller me doucher. Mettre mon réveil pour le lendemain. Recommencer.

De temps en temps, mon mari me rejoint avant que je ne m’endorme. Il a une envie. Alors il me caresse un peu. J’essaie de me détendre. Je sais qu’il va me pénétrer rapidement, sans se préoccuper de mon plaisir. Il va me prendre par derrière et s’agiter quelques minutes. Il va dire des choses un peu crues pour s’exciter, et peut-être me glisser un doigt dans l’anus. Il aime ça. Moi pas trop. Puis je vais l’entendre râler quand il jouit. Je lui dirai que c’était bon. Je retournerai à la douche. Il dormira déjà quand je reviendrai au lit. J’aurai du mal à dormir tellement je serai triste de cette vie sans but.


Quand j’ai rencontré Marc, à la fac, ce fut un véritable coup de foudre, une fusion des sens, un partage total. Nous avons vécu durant 4 ans ensemble dans le plus parfait bonheur. Nous ne faisions qu’un. Il n’y avait guère que mes parents pour nous perturber. Ils ne supportaient pas le côté extraverti de Marc, son toupet en toutes circonstances, son courage, sa verve, son intelligence, et peut-être par-dessus tout la fascination que le lui vouais.


J’avais été terrassée par une migraine massive un samedi soir. Marc est sorti pour aller chercher des médicaments à la pharmacie du coin. Je ne l’ai jamais revu. Un camion l’a fauché alors qu’il traversait la route. Il a été projeté à plusieurs dizaines de mètres, mort sur le coup. J’ai su le soir même que ma vie serait à jamais triste et morne sans lui, que jamais je ne rencontrerais quelqu’un comme lui, que toujours je serais fidèle à sa mémoire.


Les années ont passé. Mes parents, très présents au début, le sont devenus un peu moins. Ils avaient cherché à me divertir, à me faire rencontrer des gens, mais je n’en avais pas envie, pas le cœur, et ils se sont lassés. Comme se sont lassées mes amies pourtant fidèles, mais la tristesse est contagieuse et à mon âge, il aurait fallu que j’oublie, que je vive, que je bascule.


J’ai fini par me laisser aller à une aventure avec un collègue de travail, un type sympa et jovial, mais peu disert et surtout tellement peu empathique qu’il ne remarquait même pas mon vague à l’âme, et ne posait aucune question sur mon passé, sur mes envies, sur mes projets. Il était bien avec moi, m’avait-il dit, et se voyait bien fonder une famille. Il était simple et direct. Il n’y a jamais eu entre nous la moindre passion, juste une communauté de vie. Nous nous sommes mariés sans chichi. Martial est plus un copain qu’un mari, pas même un ami.


Pour autant, je ne regrette pas de l’avoir épousé. Nous savons tous deux que notre vie n’est pas idéale, mais nous n’aspirions pas à autre chose. Il nous reste le partage d’un espace commun à la fois confortable et rassurant, et des week-ends longs, si longs.


Voiture 3, c’est toujours la même routine. Je quitte notre petite maison en banlieue pour aller travailler. Martial travaille de nuit. Il a déposé un baiser sur mes lèvres pour me réveiller alors que lui allait dormir. Il se lèvera vers 13 heures et m’enverra un SMS pour me dire que tout va bien. Nos journées se ressemblent, elles ne s’additionnent pas mais se suivent inlassablement.


Il n’est pas rare que des hommes cherchent à entrer en contact pendant le trajet. J’ai l’habitude. Ils commencent par me parler sous un motif futile, puis rapidement se montrent lourds et pressés. C’est à la fois rassurant de se dire qu’on peut encore plaire, et quelque peu incommodant d’être ainsi la cible d’homme mariés qui vous prennent pour la salope de service qui leur viderait volontiers les couilles dans les toilettes de la rame.


Depuis plusieurs semaines, un homme d’âge mûr parfaitement quelconque s’installe chaque matin face à moi au premier arrêt. Il me salue poliment, paré d’un sourire un peu triste, puis se plonge dans la lecture de la presse matinale. Quand je quitte la rame à Nanterre, il baisse son journal pour me souhaiter une bonne journée et me sourit en me regardant comme un cocker triste. J’en ai croisé un paquet des mufles, des mecs qui cherchent à lorgner sous ma jupe ou qui me font des avances à peine voilées. Lui n’est pas de cette espèce. Ce n’est pas un prédateur. Peut-être est-il homo, ou heureux en ménage, ou blasé. En tout cas il n’est ni agréable ni désagréable, juste insignifiant, transparent. Toujours fringué comme au 19ème siècle, une coupe à papa, des chemises trop grandes, des lunettes qui lui mangent le visage, il a tout du beauf. Mais un beauf discret.


Au moins quand il est assis là, face à moi, personne d’autre ne vient s’y mettre. Je peux être tranquille.


Il y a trois semaines, un jeune s’est assis en même temps que lui, juste à ma droite. Quelle plaie ! Il voulait absolument engager la conversation, m’envoyait des compliments bidons du style « Vous êtes très jolie madame ». Profond non ? Avec sa casquette à l’envers et son jean troué, il pensait sans doute me donner une envie folle de lui secouer la bite. Quel con !


Ça a duré une vingtaine de minutes avant que je ne lui montre mon agacement et lui disant de rester sage, que j’étais concentrée sur ma lecture. Ça ne l’a pas calmé, bien au contraire. Il s’est empressé de m’expliquer que quand les femmes disent non, elles pensent oui. Et il a posé sa main prestement sur ma cuisse et a essayé de la remonter sous ma jupe. Je me suis débattue. L’homme en face s’est levé et sans colère apparente il a saisi le jeune con par le col. Je ne m’étais pas rendue compte qu’il pouvait être aussi fort. Le jeune a littéralement décollé du sol avant de se retrouver le nez collé contre celui de l’homme qui le soulevait, lequel lui a dit d’un ton très calme :



Le ton était calme et posé, mais le message assez clair. Le trouduc est devenu tout pâle. Quand ses pieds ont à nouveau touché le sol, il a saisi son sac à dos pour changer de rame, sans oublier de hurler un « sale pute » de garçon courageux, une fois hors de portée.


L’homme s’est assuré que j’allais bien avant de reprendre sa lecture. Je ne savais même pas quoi dire. Il m’a fallu quelques instants pour remettre de l’ordre dans mes idées et lui demander d’abandonner son journal un instant, pour le remercier.



Il aurait pu saisir l’occasion pour me faire du gringue. Même pas. Il aurait pu rouler la caisse, me raconter des bagarres, faire le fier. Même pas. Décidément, je l’ai trouvé très gentleman malgré son air de rien.


À l’arrêt de Nanterre, je me suis montrée un peu plus courtoise qu’à l’habitude en le remerciant à nouveau alors que je me levai. J’ai même fait l’effort de lui tendre la main. Il a semblé surpris avant de la prendre et de la serrer fermement mais sans excès. La sienne était chaude et douce. J’en ai presque été troublée. À moins que ce ne soit le bleu acier de ses yeux. Il avait enlevé ses lunettes de lecture et m’avait fixée. L’air toujours aussi triste, il y avait dans son regard une profondeur surprenante, quelque chose de mystérieux, de fort, de désespéré.


Je suis sortie de la rame et au moment où j’ai touché le quai, j’ai compris que ça allait être une mauvaise journée. Le jeune que mon voisin avait chassé était là, mais plus seul. Ils étaient sept ou huit, tous du même club visiblement puisque tous habillés pareil, tous avec les mêmes gueules de voyous. Ils me regardaient en rigolant ostensiblement, et semblaient prêts à me faire payer cher ma rébellion dans le train.


J’en suis restée pétrifiée, incapable de faire le moindre geste. Ils s’approchaient de moi et le plus évident aurait été de courir, de hurler, de m’échapper. Mais j’étais comme tétanisée, acceptant presque de recevoir une dérouillée sur ce quai lugubre.


Une voix derrière moi m’a sortie de ma torpeur. L’homme du train était descendu derrière moi pour venir à ma rescousse. Le jeune, entouré de son clan, n’avait plus peur de rien. Ils ont continué de s’approcher, convaincus qu’ils allaient nous coller une rouste et nous passer l’envie de les déconsidérer.


L’homme s’est mis devant moi, et sans se départir de son calme, s’est adressé à celui qui ressemblait à un leader.



Le jeune leader de pacotille s’est avancé d’un pas décidé en sortant un couteau de son blouson. Ses compères ont avancé en même temps vers nous. J’ai cru que nous allions y passer. Je n’ai ensuite pas bien compris ce qui arrivait. L’homme a saisi le premier au cou, d’une seule main, son autre main avait déjà pris le poignet qui tenait le couteau. Le jeune s’est retrouvé tête-bêche, avant de basculer en avant et de faire un gros « boum » comme une tête creuse qui percute le béton. Un autre jeune a pris un pied dans la glotte, avant lui aussi de se retrouver à plat ventre. Les autres ont dû comprendre que les choses se compliquaient et ont hésité à avancer d’avantage. La police est arrivée, les faisant fuir. Les deux qui se trouvaient au sol se sont retrouvés menottés les mains dans le dos. Ça n’a duré que le temps d’un éclair.


Le plus âgé des policiers s’est adressé à nous pour nous demander si nous souhaitions porter plainte. Il nous a précisé que tout avait été filmé par les caméras de surveillance et que nous n’aurions aucun mal à établir les preuves de l’agression à main armée. Mon sauveur a cherché mon regard ; il avait l’air d’hésiter. Je lui ai retourné un signe lui laissant l’initiative. Il a décliné, indiquant au policier que nous en resterions là.



J’ai dicté lentement, prenant soin de vérifier que ce qu’il écrivait ne comportait pas d’erreur.



Il a donné son adresse et son numéro de portable.



Les policiers ont évacué les voyous couverts de sang. Ils étaient salement abimés ces cons. Ils nous regardaient d’un air méchant, vociférant, insultant les policiers, la société, la « tepu », le vieux con, et la terre entière. Ernesto aurait pu encore la ramener, persifler, rouler des épaules. Il n’en a rien fait. Il est resté stoïque et calme, me prenant par le bras pour me conduire vers un banc.



J’ai attrapé mon téléphone pour appeler le bureau et prévenir que je n’arriverais que l’après-midi. Sans explication aucune. J’ai rangé mon téléphone et ai regardé Ernesto avec un sourire. Ça valait réponse, s’il souhaitait me parler. Je lui devais au moins un peu d’attention.


Sans me quitter du regard, il s’est lancé.



Cet homme que je ne connaissais pas venait de me faire des confidences très déstabilisantes. J’en avais presque pleuré. Et si tous ces gens que je croise chaque jour avaient eux-aussi des vies minables et tristes ? On passe sa vie à croiser des inconnus qu’on ignore, mais chacun d’entre eux est plein de richesses insoupçonnées, de sentiments nobles, de ressources infinies pour peu qu’on les cherche. Même nos agresseurs ont une histoire. Ils ne sont pas arrivés là par hasard. Ce sont leurs histoires qui les ont réunis dans la voyoucratie. Si seulement on prenait le temps de se parler…

Ernesto me proposait maintenant de me confier à lui. Je suis restée silencieuse un instant, émue de pouvoir confier à une oreille amie le malheur profond qui me hantait moi aussi.



Ernesto a pris délicatement ma main, d’un geste amical et plein de tendresse. Sa chaleur m’a envahie, provoquant en moi un trouble inattendu. Je me suis écartée, gênée par ce soudain empressement. Pourtant j’aurais voulu qu’il garde ma main dans la sienne, sentir sa peau contre la mienne, lui que je ne connaissais pas et qui pourtant venait de se dévoiler et de me permettre de dire ce que j’avais sur le cœur. Il ne s’est pas offusqué, s’attendant sans doute à ma réaction. Il a posé ses mains sur ses genoux, me regardant tendrement.


Nous sommes restés silencieux, ne sachant que faire l’un et l’autre. Le plus gêné des deux se devait de prendre l’initiative, et ce fût moi. Il fallait que je me rendre au travail. Sans le vouloir je suis devenue glaciale en lui signifiant que je devais partir. En vérité je devais m’échapper, m’éloigner de lui, fuir, en ne voulant pas savoir ce que je fuyais réellement.


Il est resté doux et calme devant mon changement d’humeur et m’a tendu sa main en guise d’au-revoir. Je n’ai pas pu m’empêcher de me retourner alors que j’étais à quelques dizaines de mètres. Il n’avait pas bougé, sa tristesse était visible même de loin, j’ai eu mal pour lui. Mal pour moi aussi.


Voiture 3, le lendemain matin, après une nuit agitée, je me demandais si je le reverrais. Il aurait pu prendre la rame suivante après-tout. Mais non. Il est monté comme la veille. J’avais un peu peur de ce contact matinal, de l’embarras qu’il allait immanquablement susciter. À tort. Il s’est avancé vers moi en me souriant largement, la main tendue, la poignée franche et ferme. J’ai eu le sentiment de connaître cet homme depuis toujours, qu’un ami venait à ma rencontre. Sans familiarité aucune, il a pris place face à moi mais cette fois, il a laissé son journal dans sa sacoche. Il m’a regardée tendrement, l’air ravi de me revoir. Je sais qu’à ce moment passait dans mon regard l’amitié qui s’était établie pour cet homme et je dois le dire, peut-être autre chose de plus profond dont j’avais un peu peur.


Nous avons parlé tout le long du trajet, jusqu’à ce que nous arrivions à ma gare de destination. Il s’est levé pour m’accompagner. Je pense qu’il redoutait que les voyous de la veille soient là pour m’accueillir mais il n’en a pas parlé. Il est descendu sur le quai derrière moi. Je me suis retournée, sans rien dire. Allait-il remonter et me laisser là puisque manifestement aucun danger apparent n’était à redouter, ou allait-il laisser repartir le train et m’obliger à me décider ? J’espérais qu’il resterait et que j’aurais un problème à résoudre, mais en même temps, j’aurais trouvé plus simple qu’il remonte avant le départ du train et qu’il me laisse. Je voulais tout et son contraire. Ma gêne devait être aussi visible que la sienne, tant son air hésitant était patent.


Nous sommes restés ainsi un long moment, à nous regarder sans bouger. Moi la tête tournée vers l’arrière pour le regarder, lui le dos à la rame, les bras le long du corps, comme figé dans un mouvement qui ne voulait pas se déclencher. Il penchait vers moi et vers l’arrière. Le temps s’était arrêté jusqu’à ce que l’un de nous décide, qu’il décide de notre vie.


Au moment où j’ai enfin fait demi-tour pour me retrouver face à lui, il a fait un pas en avant, comme si nous avions décidé ensemble, à la même seconde, que nous ne pouvions pas rester des compagnons de train. Et nos mouvements ne se sont arrêtés que quand enfin nous avons été face à face. Il a pris ma main pour la porter à ses lèvres et y déposer un doux baiser. Je me suis sentie vibrer, instable sur mes jambes, emportée par l’émotion. Il m’a prise dans ses bras pour me serrer contre lui, à m’en faire quitter le sol. J’ai tout oublié. Ma vie, ma détresse, ma culpabilité, mes principes. Il m’a embrassée dans le cou, a caressé mon dos et mes hanches. Il avait envie de moi autant que j’avais envie de lui. J’ai senti des papillons envahir mon ventre quand ses lèvres ont couvert les miennes et que nos langues se sont jointes, avides, impatientes et brûlantes.


Nous n’avons trouvé qu’un petit hôtel pour nous isoler, un petit hôtel qui devait servir de cinq-à-sept mais que le patron a accepté de nous ouvrir le matin. Il avait dû comprendre que nous étions pressés.


Ça n’a pas été si facile de me mettre nue devant un autre homme que mon mari. Martial m’avait déshabillée. Mon mari, lui, me laissait faire. Il ne me regardait même pas, ou seulement en coin, quand je quittais mes vêtements. Ernesto m’a laissée ôter mon manteau, puis s’est occupé d’abord délicatement de mes chaussures, puis de mon chemisier, ponctuant ses gestes de bisous chauds sur ma peau. Il me découvrait dans les deux sens du mot, l’air heureux de ce qu’il voyait. J’ai senti ses mains enfin sur mes bras nus, puis sur mes cuisses, sur mes seins qu’il embrassait, sur mes fesses un peu lourdes. J’ai senti mes barrières s’effondrer à mesure qu’il prenait possession de mon corps, comme si je ne l’avais pas réellement offert depuis si longtemps.


J’avais eu l’impression dans la rame de connaître Ernesto depuis toujours. Nue devant lui, j’étais toujours aussi confiante. C’était naturel, évident, nécessaire. Il a déboutonné sa chemise pour me coller contre lui. Peau contre peau, j’ai senti nos énergies se lier, nos cœurs fusionner. J’ai aussi senti la peur me prendre, la peur de ne pas être à la hauteur, la peur de me retrouver pétrifiée par la culpabilité, la peur aussi, je dois l’avouer, de ressentir des émotions que je m’étais interdites depuis la disparition de l’amour de ma vie.


Il avait une telle faim de moi que tout est allé très vite, m’empêchant de gamberger. Ernesto n’était plus un jeune homme, bien sûr, mais son corps était solide, fort, et le petit embonpoint apparent ne faisait qu’ajouter à l’aisance qu’il dégageait.


Nous n’avons rien fait d’extraordinaire ou de déjanté. Simplement, nous avons fait l’amour. Ernesto m’a allongée sur le lit et s’est allongé sur moi, soutenu par ses coudes. Nous nous sommes embrassés, longuement, fougueusement. Il s’est reculé un instant pour me dire à quel point il appréciait ce moment unique, à quel point il me trouvait belle, à quel point je sentais bon, à quel point il avait envie de moi. Je lui ai avoué partager chacune de ses sensations, et j’ai eu le dernier mot, ou plutôt la dernière consigne : fais-moi l’amour.


J’ai écarté les cuisses et me suis cambrée, attendant qu’enfin il me prenne, ce qu’il a fait avec une infinie douceur. Je l’ai senti entrer en moi et me combler, écarter mes chairs en m’électrisant. J’ai griffé son dos, mordu son épaule, léché son visage et hurlé mon plaisir. Il m’a possédée lentement, profondément. Comme si mon cerveau refusait ce plaisir physique, je n’ai pas senti le plaisir monter. Je me refusais inconsciemment à jouir, même si je sentais que j’en étais toute proche. Il s’est figé un instant. J’ai compris qu’il était sur le point d’éjaculer, ou en tout cas qu’il se retenait. Je voulais que nous fassions l’amour totalement, comme si c’était la dernière fois. Je l’ai supplié de ne plus s’arrêter, de jouir au fond de moi, de me faire ce cadeau, c’en était un pour moi. Quand j’ai su qu’il ne s’arrêterait plus, que son sperme allait m’inonder, mes freins se sont levés et mon corps est sorti de mon contrôle. Mes fesses, mon ventre, mes cuisses, tout mon corps s’est crispé dans une sorte de tétanie fantastique. J’ai joui avec lui, mêlant mes cris aux siens.


Nous avons refait l’amour plusieurs fois ce jour-là, comme si c’était la première fois, comme si c’était la dernière. Et nous avons parlé, beaucoup, en nous caressant. J’ai avoué à Ernesto que j’avais eu peur, mais que j’étais heureuse. J’avais eu peur de trahir Martial, j’étais heureuse de m’être laissée aller. Il m’avait rassurée, me disant que du ciel, il continuait à me vouloir du bien et que sans doute, il était heureux pour moi. Il m’a fait part de ses doutes, de sa culpabilité envers son épouse et ses enfants. Il ne m’a rien promis. Je n’ai rien demandé.


Voiture 3, j’ai pris place comme chaque matin à « ma » place, dans le sens de la marche, côté quai. C’est la première fois que je monte dans ce train un samedi, un samedi spécial. J’ai posé ma valise dans le compartiment à l’entrée, une valise pour quelques jours, en attendant que je prenne le reste de mes affaires.


Mon mari ne m’en veut pas. Il a compris que mon bonheur n’était pas avec lui. J’ai eu de la peine pour lui et j’en ai encore, mais il faut que je vive, et il vivra lui aussi, sans moi.


Ernesto a, lui aussi, parlé avec son épouse, qui s’attendait à ce qu’un jour ou l’autre, il la quitte pour une aventure. Elle a presque été rassurée en sachant qui était sa rivale, si on peut parler de rivalité.


C’est le lendemain de cette journée passée à faire l’amour à l’hôtel que nos vies ont basculé. Nous nous étions quittés sans rien nous promettre, même pas de nous revoir. Nous avions tout de même échangés nos numéros de téléphone, comme par politesse.


En rentrant à la maison le soir, j’étais décidée à quitter mon mari, sans former aucun autre projet, mais je ne lui en ai pas parlé immédiatement. Je n’ai pas trouvé le sommeil. Je me suis levée vers 3 heures du matin pour aller boire et j’ai jeté un œil machinal à mon téléphone. Un message était arrivé, un message d’Ernesto.


Je cherche un appartement pour nous deux ?


Un message court, simple. J’ai répondu aussitôt :


Oui


Depuis, nous avons parlé à nos conjoints respectifs et lui à ses enfants. Nous avons loué un petit appartement, en attendant mieux, dans lequel nous allons dormir ce soir. Je ne prendrai plus la voiture 3 que pour des pèlerinages, et peut-être pour montrer à nos enfants où leurs parents se sont rencontrés. Vous trouvez que je vais vite en besogne ? Sans doute, oui, mais Ernesto a aussi compris que j’étais prête, maintenant, à fonder une vraie famille.