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17/12/15
Résumé:  Dans un pays imaginaire, au siècle des Lumières, les aventures de Caroline, invitée à l'orgie mouvementée organisée par un prince.
Critères:  f fh ff ffh grp fbi couplus prost amour dispute fmast fellation cunnilingu anulingus sandwich fsodo jouet partouze conte humour
Auteur : Calpurnia            Envoi mini-message
Caroline, libre et libertine

Nonchalante, laissant traîner au sol les pans de sa longue robe écarlate, Caroline vagabonde dans les couloirs du château qu’illuminent les deux mille bougies que le Prince a fait allumer dès que le crépuscule a fait de même des étoiles d’un ciel d’automne frais et sans nuages. L’orchestre joue dans le grand salon, mêlant clavecin, bassons, violons et violoncelles. Mais personne ne semble prêter attention à la musique.


En supplément des courtisanes qui résident à demeure et des servantes, jeunes et moins jeunes, toutes mises à contribution à cette occasion, le maître des lieux a fait venir du port et des bas quartiers de la ville plus de cinquante professionnelles du sexe, dont certaines sont parmi les plus recherchées, de sorte que ses invités sont tous entourés d’une petite cour féminine, chacune dévolue aux plaisirs exclusifs d’un hôte. Dans cette abondance de chair rose destinée à la concupiscence des convives, les grandes dames ne sont pas oubliées : de superbes éphèbes aux muscles saillants et à la peau ointe d’une huile parfumée au musc de cerf ont pour unique mission de distraire et satisfaire les nobles amies du souverain, gourmandes de sensualité masculine.


L’heure est donc à la fête charnelle, donnée en l’honneur d’Épicure, manière de tourner le philosophe en dérision devant l’immensité de la débauche qui n’en est pourtant qu’à son commencement. La luxure est à l’honneur et la nuit y est consacrée tout entière. Dans le domaine vénérien, le Vice, sous toutes ses formes excessives et lascives, doit régner en maître absolu, d’un règne qui se doit éclatant. Le Prince a décidé qu’aucune perversion ne doit faire désertion, aussi bizarre soit-elle. Les préparatifs ont été soignés et les gens de l’intendance se sont longuement appliqués à ce que tout soit parfait.


Ainsi, par exemple, le sous-sol du donjon dispose du matériel nécessaire pour se faire fouetter de toutes les manières possibles, suspendu au plafond par les poignets ou bien les chevilles, livré nu aux mains de maîtresses dominatrices qui sont uniquement revêtues de longues bottes noires étroitement lacées jusqu’aux cuisses, toutes expertes en voluptueux supplices, l’œil sévère et virtuoses dans le maniement de cet instrument dont le claquement sec sur la peau des « victimes » – toutes très consentantes – résonne sur les murs gris jusque sous les toits où l’on coïte en petits groupes au rythme de la flagellation.


Ailleurs, Bacchus n’est pas oublié : un grand bassin rempli de vin chaud autorise les plongées conduisant à l’ivresse – immersions à plusieurs, bien entendu, afin que lubricité et soûlographie soient intimement mêlées. Partout, les plus insanes débordements des sens sont encouragés. De vastes miroirs accrochés aux murs donnent lieu aux contemplations narcissiques des bacchantes et des bacchants aux visages dévastés par le stupre omniprésent. On peut également admirer de nombreux tableaux érotiques et colorés, aux personnages fort peu vêtus s’adonnant à la débauche sur des thèmes généralement mythologiques : nymphes aux chairs délicatement teintées de rose exposées jusque dans leurs plus intimes détails anatomiques, déesses aux cuisses légères, seins voluptueux de naïades émergeant des flots tempétueux, verges de satyres érigées aux tailles peu banales, entre autres illustrations destinées à inspirer les ébats des commensaux du Prince. Afin de compléter cette superbe collection, un peintre réputé est chargé de fixer sur la toile, pour la postérité, les ébats qu’il sélectionnera comme les plus remarquablement esthétiques. Cette tâche fait de lui le seul homme à ne pas avoir le temps de forniquer.


Car, depuis son accession au trône, le souverain a un leitmotiv : si les révolutions sont pénibles pour tout le monde, elles le sont particulièrement pour ceux qui gouvernent. Il faut éviter qu’elles surviennent, autant que faire se peut. En effet, pour ne pas devoir affronter un soulèvement populaire, il est préférable que les gens soient contents : comme cela, ils restent tranquillement chez eux au lieu d’aller crier dans la rue des slogans hostiles au pouvoir en place. À cet effet, il y a certes la solution d’accorder à tous des libertés et des droits, d’abolir les privilèges voire d’instaurer la démocratie, mais elle est compliquée et surtout, présente l’inconvénient de devoir renoncer au pouvoir absolu. Son idée est plutôt la suivante : pour que le peuple soit heureux, il faut qu’il foute joyeusement, souvent et de toutes les façons possibles. En cela, il faut l’encourager en donnant l’exemple, notamment en transformant régulièrement son château en grand lupanar où ses sujets se retrouvent pour y baiser – et pas seulement la haute société. D’où le nombre important d’hôtes en son palais princier.


Au début, quelques esprits grincheux ont tristement objecté des arguments moraux contre cette politique qui est pourtant largement populaire et fait du Prince un souverain aimé de son peuple : spécialement à l’intention de ces rabat-joie, le château est pourvu d’oubliettes, afin que, justement, on les oublie. Mais pour que cette nuit soit pleinement une nuit de fête, une amnistie a été décrétée, et les geôles vidées, à la condition que les prisonniers libérés aillent baiser avec les autres, ce que tous ont accepté, à l’exception d’un seul intransigeant ayant refusé ce marché : il se contentera d’entendre, au fond de sa cellule, les lointaines rumeurs de la partie fine partiellement étouffées par les épaisses murailles.


Mademoiselle Caroline, invitée en tant qu’une des maîtresses attitrées du maître de ces lieux, traîne en ce château sa douce mélancolie causée par les éternels errements de son cœur assoiffé d’aventures. Il lui faut honorer sa réputation de libertine, que les mauvaises langues prétendent intéressée. Mais en réalité, son esprit n’est pas animé ni par l’or ni par le pouvoir, mais par l’attrait de la nouveauté comme un papillon l’est par une flamme, et de nouveauté, dans cet immense étalage de dévergondage charnel, elle n’en trouve guère. Elle est pourtant disposée à s’offrir toute entière à des rencontres de hasard en risquant son cœur aux dés parmi les myriades de combinaisons qu’Aphrodite a pour elle composées dans l’ombre, quitte à tout perdre sur un coup du sort et se relever juste après en se forçant à toujours sourire à la vie.


Sous ses yeux officie Ishtar, petite brune aux longs cheveux ondulés et au teint hâlé, parée d’un long collier de pierres colorées et de perles précieuses, somptueux cadeau d’un sultan ayant beaucoup apprécié ses services. Elle prétend venir de Babylone, après un parcours aventureux et compliqué, afin que succombent à ses petits pieds aux ongles peints au henné les hommes du monde occidental. Pour mieux envoûter ses clients, elle s’est fait tatouer, non sur le front comme dans l’Apocalypse, mais sur les grandes lèvres de son sexe épilé avec soin et abondamment parfumé d’ambre gris, le mot MYSTÈRE en lettres de feu disposées en demi-cercle, arc de triomphe à sa féminité, autour du trou noir vaginal – astre occlus du désir sans espoir de retour. Elle a cruellement souffert sous les aiguilles avant que l’artisan, comme convenu, se soit payé sur sa personne en inaugurant l’énigmatique message. Mais elle est très fière de ce tatouage qu’elle montre impudiquement à quiconque veut l’admirer ; cependant, pour en explorer charnellement les arcanes, les messieurs doivent soulager leur bourse de quelques pièces d’argent.


Complètement nue, mis à part son précieux collier, assise en tailleur, elle déguste lentement le long phallus courbé vers le haut d’un officier de marine encore fièrement vêtu de son uniforme, mais seulement au-dessus de la ceinture, ses bas morceaux étant accessibles à l’hétaïre à la gorge profonde. L’homme appuie de ses mains sur la chevelure sombre afin d’enfoncer toujours plus profondément la chair épaisse de son membre viril dans le gouffre de la bouche humide, jusqu’au fond du gosier, ce qui provoque des haut-le-cœur bien qu’elle titille courageusement, en même temps, les bourses avec sa lèvre inférieure. Après quelques minutes d’enfournement actif, d’excès d’effervescence, il éjacule profusément, en trois salves énergiques, rugissant à pleins poumons comme un lion vainqueur. Elle avale plusieurs gorgées de sève, mais l’orifice déborde du trop-plein pour s’écouler sur sa gorge en larmes nacrées et luisantes, petites perles de stupre, jusqu’entre les seins et sur son ventre. Prudente, elle fait barrage de ses doigts pour empêcher la rivière séminale de venir féconder son antre mystérieux. Ses mains jointes forment une coupe remplie du produit de sa fornication, le liquide qui donne la vie, qu’elle s’étale sur les seins rendus brillants à la lueur cinabre des chandelles, comme des petits soleils couchants. Écœurée de cette irrumation, Caroline se détourne de la scène et passe son chemin. Parmi toutes ces obscénités, elle ne trouve décidément pas l’excitation que sa sensualité recherche.


Au beau milieu d’une salle voisine trône la statue d’un Minotaure, un corps d’homme plus grand que nature avec la tête d’un taureau furieux aux cornes pointues. Une jeune femme s’emploie, esseulée, à s’empaler sur l’ithyphalle de pierre éternellement dur que possède la sculpture, les jambes enroulées autour de celles de la créature dont elle baise le torse musclé avec ferveur. D’une grande beauté, elle se fait appeler Léda, pour son long cou de cygne, pâle et gracieux, ses gestes élégants et sa féminité raffinée, de sorte que ses prétendants sont nombreux. Tout à son étreinte, elle ne remarque pas tout de suite la présence de la femme à la robe rouge qui s’est avancée en silence et lui souffle à l’oreille :



Caroline remarque alors que la vulve est ensanglantée. Ce ne sont pas les menstruations, non, car le liquide est clair : la demoiselle s’est déflorée elle-même sur le vit de pierre !



Elle gémit de plus en plus fort, tout en balançant son bassin, puis elle jouit en poussant des cris à déchirer l’âme, en s’enfonçant encore plus à fond le grand phallus d’albâtre, suspendue par le sexe à son amour monumental. Son vagin écartelé saigne de plus belle et n’est plus qu’une blessure grande ouverte sur sa folie. Puis elle se tait, dans une sorte de transe, la tête renversée en arrière, le souffle coupé, le cœur chaviré d’amour, aveugle et détachée du monde. Plus rien n’existe autour d’elle. À regret, Caroline l’abandonne à sa passion pour ce monstre inerte et grimaçant qui lui a toujours paru hideux, depuis la première fois qu’elle l’a remarqué. Elle aurait bien aimé, par de douces caresses, réconcilier cette charmante demoiselle avec les vivants. Mais la bête et la fille sont maintenant unies par leur étrange mariage : il faut les laisser tranquilles et quitter la pièce sur la pointe des pieds.


À nouveau seule dans un couloir peu éclairé, Caroline se regarde de la tête aux pieds dans un miroir au cadre doré où une image sombre d’elle-même se détache. Bien que cela menace, point encore de véritable déchéance : à trente ans, quelques rides encore discrètes lui sont apparues au coin des yeux, avec tout autour un épiderme diaphane. Malgré cela, elle conserve un précieux pouvoir de séduction auprès des hommes. Ceux-ci restent attirés par le caractère farouche de la belle qui n’écarte pas facilement les cuisses pour quiconque la désire autant que par ses yeux clairs et brillants et ses deux seins confortables où elle accueille les baisers de ses amants, et de ses amantes aussi, car lorsqu’elle se laisse instinctivement porter par les inclinations de son cœur, le genre de ses partenaires lui importe bien peu.


Elle est la fille bâtarde d’un roi et d’une servante de palais, conçue un jour de printemps où l’air était si doux que le pouvoir a rencontré l’innocence et la grâce pour une éphémère fusion, au retour d’une chasse. Sa mère est morte en la mettant au monde et l’orpheline a été élevée par des religieuses. Adolescente, elle s’est enfuie du terrible et austère couvent où elle était enfermée et où on voulait l’obliger à prendre définitivement le voile. S’en suit un parcours mouvementé de bohème et d’aventures, d’insouciance et de violence, de rencontres et de révoltes, de misère et de liberté. Pour survivre, elle a pratiqué différents métiers, d’abord celui qu’on dit le plus vieux du monde et dont elle est parvenue à s’échapper, ensuite successivement marinière, sage-femme, voleuse de bijoux et détrousseuse de grand chemin, ce pourquoi sa tête est mise à prix dans certaines contrées qu’elle doit absolument éviter, puis courtisane. Elle ne s’est jamais fixée plus d’un an au même endroit.


Le couloir le plus sombre du château : une seule bougie l’éclaire. C’est l’endroit convenu pour satisfaire certains besoins naturels, le Prince n’ayant pas jugé utile d’installer des lieux d’aisances dans sa demeure. Après avoir vérifié qu’il n’y a personne alentour, Caroline en profite pour se soulager. C’est un cul-de-sac dans lequel il faut faire attention où l’on met les pieds, puis il lui suffit de relever sa robe et de s’accroupir. Elle ne porte aucun autre vêtement. Soudain, dans la pénombre, il lui semble que quelqu’un l’observe, mais elle ne voit rien. C’est seulement une intuition qui la met mal à l’aise. Peut-être est-ce un trou dans le mur, par lequel regarde un voyeur ? Elle se relève et quitte rapidement le lieu nauséabond.


Ishtar était partie à sa recherche ; l’ayant enfin trouvée, elle vient tendrement se blottir dans ses bras. Celui dont elle vient de s’occuper, amateur fort peu délicat de gorges profondes, est surnommé « l’amiral », mais n’est en rien officier de marine et la tenue qu’il porte n’est qu’un déguisement de carnaval : il n’a jamais commandé personne sur un bateau. Pour autant, il a beaucoup navigué, de retour du Nouveau Monde où il était parti poursuivre un rêve où coulaient des rivières d’or qu’il ramasserait à pleines poignées, avant de revenir triomphalement au pays pour s’acheter un vaste domaine et se marier.


En fait d’or, il a surtout erré des mois et des années dans des forêts si denses qu’on y voit à peine au pied des grands arbres, rencontré de redoutables araignées venimeuses aussi grandes qu’une main, des serpents aux anneaux gigantesques qui étouffent leur proie durant leur sommeil avant de l’avaler toute entière, des petits poissons aux dents acérées qui attaquent en groupe pour dévorer ceux qui ont le malheur de tomber de leur pirogue, des singes qui ressemblent à des hommes et des hommes vivant nus qui sacrifient sur l’autel de leurs étranges dieux les prisonniers qu’ils ont capturés en leur arrachant le cœur de la poitrine, le tout dans une chaleur humide à crever dès le matin et le bourdonnement incessant des moustiques accompagné par la peur et la fatigue omniprésentes. Après avoir vu mourir ses compagnons de toutes les façons possibles, il est revenu, misérable et délirant des fièvres qui le regagnent de temps en temps et le rendent fou. Depuis son retour, d’une voix hallucinée, il raconte son parcours pendant des heures à qui veut bien l’écouter, attablé dans les tavernes, en bégayant devant son verre de rhum, les yeux agrandis par les souvenirs comme s’il y était encore, et sans doute en rajoute-t-il un peu sur les dangers qu’il a rencontrés. Il a surtout besoin qu’une femme lèche ses plaies, des plaies qu’il a dans sa tête et qui ne se voient pas beaucoup, mais qui le laissent tourmenté et se soignent juste en dessous de la ceinture. Alors, partout où il traîne, il ne met plus de pantalon et la Babylonienne, douce et patiente, s’occupe gratuitement de lui entre deux clients, car elle s’est attachée à lui et lui à elle, qui traîne également ses propres meurtrissures de l’âme. Mais parfois, elle n’en peut plus de cet homme.


Alors Caroline la console tendrement de ses lèvres humides et de ses bras câlins, quatre mains jointes communiant silencieusement deux à deux, puis repart déambuler dans l’immense château.


Elle traverse le donjon où l’on entend claquer le fouet, mais passe son chemin. Le bondage ne l’inspire pas, que ce soit pour soumettre ou être soumise. Les sévices qu’elle a subis lorsqu’elle était enfermée au couvent lui reviennent en mémoire. D’un esprit inaltérablement rebelle, jamais elle ne s’est courbée sous l’autorité de la redoutable mère supérieure, quitte à être cravachée encore et encore. Ses fesses et dos s’en souviennent encore, indélébilement. On lui reprochait autant son esprit vif et sa scandaleuse beauté, pour laquelle elle ne manifestait pourtant aucune fierté, mais censée l’empêcher d’accéder aux valeurs spirituelles, que sa désobéissance consciente et répétée à l’implacable règlement. Dès que l’occasion se présentait, elle faisait le mur, juste pour découvrir le pré fleuri qu’il y avait derrière, ou s’adonnait sans honte à l’abus d’elle-même, dans son lit, la nuit venue, ainsi qu’au lesbianisme qu’elle découvrait innocemment avec les jeunes novices. Cachées sous les draps, les jeunes filles se contaient fleurette et découvraient le plaisir. À chaque fois qu’elle était surprise, la lanière de cuir labourait la peau blanche de son corps dénudé, devant toutes les autres réunies afin de donner un exemple dissuasif – ce qui ne l’empêchait pas de recommencer, ne serait-ce que pour éprouver la simple joie de désobéir, quitte à devoir serrer les dents pendant la punition.


Mais ce qui ne tue pas rend plus fort : durant ces années d’insoumission carcérale, elle a acquis un caractère en acier trempé qui lui sera, par la suite, fort utile. À vingt-cinq ans, à la tête d’une bande de hors-la-loi qui attaquaient les voyageurs afin de les détrousser, outre ses poings, le couteau et l’épée, elle savait manier le fouet pour faire avouer à ses riches prisonniers où leur or se trouvait caché. Elle ne plaisantait pas, et ils parlaient toujours. Sa part du butin servait toujours à nourrir les miséreux. Plus rien ne l’effrayait. Plus tard, devenue courtisane, elle n’a plus manié cet instrument qu’une seule fois : c’était pour le Prince, qui l’avait suppliée de le dominer ainsi, et auquel elle avait choisi de céder. C’est un homme aussi fragile qu’attachant, intelligent, instable, infidèle en amour, mais pas en amitié, extrêmement gourmand de tout ce qui porte jupon, et encombré d’une charge héréditaire de chef d’État dont il se serait bien passé.


Arrivée dans le grand salon, Caroline erre parmi les invités comme une abeille butine de fleur en fleur. Un jeune homme à l’aspect puéril l’aborde. Fils d’un comte parmi les plus hauts dignitaires du pays, il est tristement connu pour son manque de manières. Son visage, laiteux et couvert d’acné – à moins que ce soit la vérole, car malgré les bougies on distingue peu ce genre de détail dans la nuit –, arbore un rictus dénotant la veulerie de ceux qui n’ont jamais désiré sans obtenir rapidement tout ce que leur caprice du moment exige, pour abandonner presque aussitôt l’objet de leur convoitise, celui-ci ayant perdu les vertus de l’inassouvi. Filles, bijoux, chevaux, etc. : tout lui a toujours été accordé sans délai par un père aimant et faible pour lui, mais à la fortune considérable. Lassé des jouvencelles et autres pucelles aimables, mais sans relief, car trop obéissantes, il a décidé de s’attaquer aux femmes plus matures, afin de s’assurer de l’épanouissement de sa virilité naissante.


Considérant que nul vêtement n’est utile pour le rut, qu’il ne connaît que dans sa version la plus animale, tout entier absorbé par la satisfaction de sa pulsion, il est entièrement nu et il bande, quoique mollement. Il n’estime pas non plus avoir besoin de mots pour une galante entrée en matière, car il a toujours ignoré cela et ne connaît que la brutalité de ses désirs charnels. Moins d’une minute après l’avoir croisée, il décide que Caroline est la personne idéale pour ses nouveaux projets et s’avance donc pour une fornication immédiate et sans préliminaires, oubliant de s’enquérir de l’avis de la belle. Prière d’ouvrir les cuisses en le voyant approcher. Voici l’œil borgne, tendu en avant, de son appendice phallique qu’il décalotte d’un geste habitué, le goupillon soudain raffermi par la vision de son égérie à l’ample robe rouge, fin prêt pour la pénétration.


Mais quelle n’est pas sa surprise lorsque Caroline le repousse, certes avec le sourire, mais non sans fermeté, de ses deux mains ! Car, tout en connaissant la position sociale de son prétendant, elle possède en elle la hardiesse qu’autorise son habituel détachement. Incroyable : il a failli tomber sur son derrière ! Cela l’aurait bien humilié, qui plus est devant une femme, et avec des gens autour qui auraient bien ri, ce qui serait la pire chose qui puisse lui arriver. Non, sa réputation ne saurait souffrir ce scandale.


Le désir se fait rage, bave aux lèvres. La verge est à présent totalement dressée, aidée par la colère. Il n’est disposé à n’accepter aucun refus, considérant que nulle femme ne doit se soustraire à un personnage de son rang. Pour punir, il gifle, à toute volée, de toutes ses forces.



Impassible, elle encaisse sans un battement de cils ni reculer d’un pas, montrant que cela ne lui fait rien. Elle le regarde dans les yeux, dans la pénombre, d’un air de défi. Un regard cependant calme et lumineux, sans excès d’agressivité.



Déstabilisé, le garçon éructe. La face pivoine, il vomit sa haine et se jette en avant pour tenter d’étrangler Caroline à deux mains et la violer en même temps, afin de simultanément jouir et punir l’effrontée. Mais il est maladroit et lorsqu’il tente de soulever le tissu, vive comme la foudre, la belle se saisit du couteau qu’elle cache en permanence sous sa robe, le fourreau fixé en haut de sa cuisse droite. La longue lame brille, aiguisée, à la lueur des bougies, ce que chacun alentour remarque aussitôt. C’est un éclair dans la nuit. Un silence épais accompagne l’effroi des témoins de la scène. Les messieurs cessent de pilonner, les dames de sucer, chacun de baiser. Enfin du nouveau, se disent les convives. Pourvu que l’on ait du sang pour nous distraire : ce serait passionnant.


Une goutte – une seule, issue de la peau à peine entamée – perle sous l’acier et glisse sur la poitrine jusque sur le ventre et se perd dans les poils pubiens, comme le sperme sur Ishtar tout à l’heure. L’autre liquide de vie. Le tranchant de l’arme menace la gorge du malheureux jeune homme juste au-dessus de la carotide. Il suffirait qu’elle accentue à peine la pression de son bras et… lui se demande encore comment elle est parvenue à le maîtriser avec tant de facilité : elle possède un art mystérieux, venu de l’extrême Orient, permettant de mettre quelqu’un hors de combat par quelques manipulations physiques contre lesquelles il est difficile de se défendre. Un maître de Cipango, avec lequel elle a un temps partagé sa couche, lui a enseigné son art qu’elle pratique à merveille après plusieurs années d’un dur entraînement.


Sorcellerie, magie noire, science de Satan acquise au cours d’immondes sabbats sous la pleine lune que tout cela, pense-t-il ! Que soit maudite cette harpie de salon ! La place de cette traînée qui l’a tourné en ridicule est sur un bûcher, pour une lente combustion précédée de multiples tortures dont il se verrait bien le bourreau inquisiteur afin de lui arracher des aveux détaillés en même temps que les yeux. Les regards se croisent dans la pénombre, et l’œil du jeune comte est si obscur et chargé d’hostilité que Caroline ne peut le soutenir. Quelques applaudissements saluent l’exploit de la belle, tant il est vrai que le jeune homme n’est pas très populaire, de sorte que personne ne songe à le défendre. Dépité, honteux d’avoir été vaincu et ridiculisé par une femme, il se rhabille à la hâte et quitte à grands pas le château accompagné de son fidèle valet, en marmonnant de sombres promesses d’implacable vengeance.


Ce genre de perspective n’est pas à négliger, se dit-elle. Lorsqu’on se fait un ennemi mortel, il faut s’assurer de l’isolement de celui-ci en le privant de ses alliés les plus fidèles. En l’occurrence, le père du jeune homme, malheureusement susceptible de prêter l’oreille à son rejeton dont les sinistres projets pourraient bien se concrétiser prochainement. Il vaut mieux prendre les devants que d’attendre d’être attachée sur la table de vérité pour de très pénibles ébats.


Monsieur Père, géniteur du garnement, est fort occupé à récurer avec soin, dans la position de la levrette, le conduit vaginal d’une fille de joie qui pourrait être la sienne. Cela se produit sous les yeux complaisants de Madame Mère qui s’ennuie, n’ayant toujours pas trouvé de partenaire à son goût. Pour tuer le temps, conformément à son habitude, elle s’emplit la gaine des plaisirs féminins au moyen d’un précieux godemiché d’ivoire sculpté et à la taille généreuse. Cependant, pratiquer l’onanisme avec application ne l’empêche pas de rester attentive à la technique fornicatrice de son époux sur la péripatéticienne, en enviant celle-ci pour la finesse de sa taille et le grain impeccable de sa peau. L’adultère est pour elle un spectacle plaisant et son mari lui aurait volontiers prêté sa partenaire, mais, si elle avoue un penchant particulier pour les femmes, elle n’apprécie guère les jouvencelles qui s’effarouchent trop vite devant ses appétits lesbiens. Connaissant ses préférences, Caroline s’approche et lui sourit.



La comtesse glisse coquinement une main sous la robe de celle qui se laisse faire en observant, sous la perruque poudrée, un regard superbe et tout rempli de désir. Dès le premier contact, Caroline frissonne, puis soupire sous ces tendres mignardises et gazouille de ces délicates blandices. L’autre main continue d’actionner l’objet de plaisir, toujours profondément enfoui entre les cuisses. Bientôt, le vêtement rouge tombe sur le plancher, révélant un corps parfait aux puissants parfums femelles. Voici qui met à son comble l’excitation de sa partenaire, ravie d’avoir enfin trouvé une compagne à son inclination pour ses jeux sybaritiques extra-conjugaux. La seule vue des seins élégants, exposés sous ses yeux, la plonge immédiatement dans une jouissance qui se traduit par de petits cris aigus, la bouche grande ouverte comme pour rechercher désespérément un air trop rare, et les yeux clos, dans une petite mort sublime à contempler.


Percevant cela, le comte tourne la tête et voit son épouse sous l’emprise des joies sensuelles en compagnie d’une autre femme, ce qui le fait aussitôt décharger à longs traits blancs sur les reins de la fille qu’il sodomisait à ce moment-là. Une fois libéré de la mentule qui le culbutait sans ménagement, le cul dilaté, béant, répand de fortes odeurs organiques se mêlant à l’intense transpiration de l’homme. Celui-ci, épuisé comme on peut l’être à son âge par trop de luxures agitées, comme un guerrier aspirant à un repos bien mérité, s’affale dans un fauteuil de velours afin d’observer comment celle qu’il a épousée vingt ans plus tôt se fait gentement gousser par une amante aux courbes douces et sympathiques qui lui font redécouvrir les charmes de la maturité féminine. Voyons si cette mignonne manie aussi bien la langue que le couteau, se dit-il.


Autour d’eux, en plein cœur de la nuit, l’orgie bat son plein. Les corps s’enchevêtrent ; membres et sexes indistincts s’agitent en tous sens et en toutes positions, tandis que la rumeur des gémissements alternativement enfle puis s’apaise, comme le vent d’une tempête mugit sur un océan de chairs en sueur, peaux dénudées aux reflets rougeoyants de la lueur tremblante des bougies à demi consumées. Parfois, une femme sous l’emprise de l’allégresse que lui procure son clitoris émet un hurlement qui se distingue dans la confusion ambiante.


À l’horloge du salon, il est minuit passé : les messieurs les moins vaillants ont déjà vidé leurs testicules, la prostate épuisée et le vit en flanelle, de sorte que les dames, dont la libido n’est pas encore complètement assouvie, se consolent de ces redditions en série avec les plus jeunes et les plus fougueux. Ceux-ci mettent un point d’honneur à ne point succomber sous le nombre de leurs amazones, donnant au hasard de grands coups de leur sabre viril dans tous les orifices qui se présentent devant eux, sans distinction d’âge ni de rang, ni ménager leurs forces, embrochant l’une puis empalant l’autre et derechef transperçant une troisième dont la croupe passe opportunément à leur portée, sans pause aucune, courageux dans l’assaut et intrépides au combat, attentifs à n’en laisser aucune irrassasiée, prenant garde également à ne pas glisser sur les flaques de semence répandues sur le sol, car on risque ainsi de se rompre les os dans la bataille, voire exceptionnellement y perdre la vie en cas de mauvaise chute. Parfois aussi le cœur démissionne en pleine action, mort glorieuse et sans agonie à l’acmé du plaisir. Déjà, l’un des invités est couché sous un drap blanc sans qu’aucun des prêtres présents sur place n’ait eu le temps de délaisser ses pieuses cavalières afin d’offrir au malheureux l’extrême-onction et le pardon des péchés.


Marotte de vieux satyre, le comte a toujours aimé voir des belles se gougnotter devant lui. Les plaisirs de Gomorrhe ont pour lui un charme spécial. Il lui est arrivé de payer des prostituées pour cela, tant il trouve ce spectacle distrayant, que ce soit pour se mettre en appétit avant l’orgie ou bien se détendre après. Certes, son épouse ne lui a jamais fait mystère de son goût pour les personnes du même sexe qu’elle. Mieux encore, elle ne perd jamais une occasion pour lui faire admirer ses ébats lesbiens dans lesquels elle avoue trouver plus de volupté que dans les unions traditionnelles avec un mâle, notamment en s’acquittant du devoir conjugal.


Lui, d’ailleurs, ne dédaigne pas de temps en temps qu’un jeune page de sa maison, ou bien prêté par un ami, se mette nu sous ses yeux puis vienne à genoux, sous son bureau, agrémenter ses laborieuses séances de travail administratif par quelque délicate succion génitale, à condition toutefois que le suc, dont l’émission ne tarde pas à s’en suivre, soit jusqu’à la dernière goutte décemment avalé afin de ne point tâcher les tapis précieux. Cependant, ce sont là seulement des luxures apéritives, mises en bouche récréatives, amuse-sceptre comtal, et non le plat de résistance de son appétit de chair, pour lequel il lui faut des femmes, de préférence assez jeunes : il ne goûte pas aux manières sodomites des gitons, laissant cela à son fils adoré, avide de petits culs dociles et bien étroits qu’il enfile en série comme des perles.


La comtesse, bien que n’étant plus dans sa prime jeunesse, a conservé la plus grande partie de sa vénusté que feu sa mère lui a léguée à la naissance, de sorte que lorsqu’elle se couche nue, sur le dos, bras et jambes largement écartés, à même le plancher, Caroline la trouve plutôt séduisante et s’allonge également, mais sur le ventre, les membres également en X afin que le tableau soit esthétiquement symétrique aux yeux du mari. Elle est toujours attentive à ce genre de détail : l’élégance de sa posture aux yeux indiscrets qui se délectent de son image. Il s’agit naturellement de faire minette à petits coups de langue dans la toison brune et abondamment herbue, tout en activant le godemiché dont la mère de famille se laboure continuellement le vagin depuis le début de la soirée.


La maman possède des parfums hauts en couleur, épicés, corsés, violemment féminins, loin des fragrances timides et délicates d’une pucelle, ce qui n’est pas pour déplaire à sa partenaire fervente d’exhalaisons relevées. Ainsi, commence la partie de broute-minou, muscle buccal agile dans le chat mouillé et bouillant d’envie, longue ballade sur la colline turgide des voluptés féminines extraite d’une pichenette de son fourreau carmin. Le tout est arrosé d’un miel liquide, salé, poivré, relevé, tout sauf insipide, plaisant au goût de celle qui pratique, et, détail qui ne gâte rien, particulièrement copieux. Il coule en mince filet jusqu’au sol où il se mêle au sperme que Monsieur le Comte vient d’abandonner à la suite, souvenons-nous, d’une randonnée dans l’anus accueillant d’une fille vénale. Le mari est remarquablement émoustillé par la scène que les deux bougresses lui présentent complaisamment. Il avait rarement vu son épouse prendre autant de joie communicative à s’adonner à l’étreinte saphique, et bien qu’il connaisse Caroline de réputation, il est proprement émerveillé par ce soudain et splendide enchevêtrement de grâces impudiques en un ballet de belles accouplées.


L’homme est pris d’un retour d’âge : habituellement son mousquet n’est qu’à un seul coup, et ensuite il lui faut une nuit entière de sommeil pour recharger afin d’être en mesure de tirer à nouveau sans s’enrayer – n’est pas Priape qui veut en ce bas monde. Or, voici qu’au-dessous de son petit bedon, le bonhomme bande à nouveau ! Il faut dire que ce qu’il voit l’inspire hautement, car cela correspond à l’un de ses fantasmes de vieille date, surtout lorsque sa chère et tendre jouit une nouvelle fois de manière sonore, témoignant d’un plaisir hors du commun – quitte à ce qu’elle en rajoute un peu afin de mieux exciter son vieux complice. Mais il doit maintenant se satisfaire sans délai, sous peine de perdre le bénéfice du miracle, et pour cela, les fesses ravissantes de la maîtresse du Prince lui semblent particulièrement appropriées.


Cependant, pour en avoir été témoin lors de l’incident de son fils, il sait que Mademoiselle Caroline est gentille, mais n’admet pas qu’on lui force la main – ainsi que les autres parties plus intimes de son corps – et qu’elle est capable de réprimer par la force les goujats aux pulsions un peu trop impérieuses. Prudemment, il lui murmure donc à l’oreille :



Il se met à genoux et fait avec application et dévotion tout ce qu’il a promis, aidé de ma femme qui suçote devant tandis qu’il le fait derrière, pratiquant en trio ce que le comte de Sandwich vient d’inventer afin d’avoir plus de temps pour jouer aux cartes, en remplaçant les tranches de pain par leur personne et le jambon par la belle Caroline.



L’endroit commence, en effet, à être envahi par une épaisse fumée noire qui fait tousser tout le monde. Mû par l’instinct de conservation, le comte se retire hâtivement et court à toutes jambes vers la sortie, tout nu et toujours bandant, comme une nymphe poursuivie par un satyre, oubliant en un instant ses deux partenaires féminines dont il admirait tant la plastique une minute auparavant. Las, la lâcheté ne paie pas : il s’avère que la porte principale est verrouillée, ainsi que les issues de service. Les flammes commencent à dévorer tableaux et rideaux précieux, meubles et boiseries ouvragées, s’attaquant bientôt à la charpente, ce qui menace d’un écroulement imminent du toit. Parmi les invités, il n’est plus question de bagatelle et de joutes charnelles, ni d’orgie ni de sexualité débridée. On consacre désormais son énergie à survivre à court terme à cet incendie, de sorte que chacune, chacun, le plus souvent dans la tenue de sa naissance, court en tous sens et finit par constater, horrifié, que la partie fine est bien finie et risque de se terminer en partie de grillade.


À l’extérieur, un sourire mauvais accroché aux lèvres, le fils contemple le résultat de sa vengeance. En une seule opération, il est sur le point d’obtenir ce qu’il voulait : à la fois la mort horrible de cette femme, Caroline, qui a osé se refuser à lui, et aussi l’héritage immédiat de la fortune familiale qu’il compte bien dépenser sans compter dans de fastueuses réceptions, afin d’accéder facilement aux charmes des plus belles dames de la contrée. Avec un peu de chance, le Prince lui-même y perdra la vie, ce qui n’est pas pour lui déplaire, ayant également un différend avec lui pour une histoire de fille d’un duc dont il aurait soi-disant abusé… il paraît qu’on ne touche pas à ce genre de personne, cela ne se fait pas… bah, pourquoi faire pareil cas d’une petite gourgandine, comme toutes les autres… enfin, ceci est maintenant de l’histoire ancienne dont tous les protagonistes sont sur le point de mourir par le feu. Sauf lui, bien sûr. Tant pis pour l’instabilité politique qui s’en suivra. Peut-être même obtiendra-t-il une récompense de la part des royaumes voisins, n’attendant que cette occasion pour déclencher la guerre.


En attendant, il vient d’occire par surprise, d’un coup d’épée dans le dos, son valet qui aurait été un témoin gênant de cette affaire puisque celui-ci, sur son ordre, a condamné toutes les issues du château après avoir enflammé une tenture copieusement enduite d’amadou. Les cris qu’il entend à présent le remplissent d’une joie sadique, surtout lorsqu’il pense à la fin tragique de sa belle ennemie qu’il imagine se débattre dans les flammes. Malheureusement, il n’y a personne autour de lui qui puisse l’aider à assouvir sa pulsion, alors il entreprend de se soulager lui-même, tout en se disant que lorsque tous les invités auront péri et que l’incendie se sera éteint de lui-même, il irait bien se satisfaire sur le corps carbonisé de la belle Caroline, afin d’achever convenablement sa vengeance.


Cependant, à l’intérieur, notre héroïne ne cède pas à la panique, car elle sait que le donjon du château possède une porte secrète communiquant, via un tunnel, à une cabane située dans le petit bois. Non sans mal, elle parvient à rassembler les invités – y compris celui qui était resté enfermé dans les oubliettes – et à les guider, rampant au sol afin de pouvoir respirer malgré la fumée, à la lueur d’une torche, vers la seule issue possible, dont seul un petit nombre d’initiés, dont elle-même et le Prince connaissaient l’existence. Celui-ci regrette que le secret soit divulgué, car cette voie lui a longtemps permis d’entrer et sortir discrètement, mais il admet que nécessité fait loi. De la sorte, mises à part quelques brûlures sans gravité, l’incendie ne fait aucune victime – mais de grands dégâts matériels.


Comme le maître des lieux se doute qu’il ne s’agit en aucun cas d’un accident, consigne est faite de se déplacer sans parler et sans bruit afin de surprendre le ou les auteurs du forfait. Lui-même, accompagné de Caroline, a mené la troupe des invités jusqu’au bois où chacun est en sécurité. On découvre rapidement le pot aux roses en même temps que le fils du comte, en train de contempler son œuvre et accessoirement de se livrer au vice solitaire à côté du cadavre de son valet, ce qui en dit long sur sa responsabilité des flammes qui sont en train de ravager le château princier.


Point n’est besoin, dans ce pays et à cette époque reculée, de procès élaboré avec témoins, procureur et avocats : séance tenante, le Prince promulgue la condamnation et dicte la sentence. C’est la mort, bien sûr, exécutoire immédiatement comme il se doit. Il est souverainement décidé que le coupable sera publiquement dénudé, attaché, puis mortellement chatouillé, et qu’à cette fin, Caroline est officiellement désignée comme bourreau pour cette exécution capitale. Déjà, le condamné est lié nu, par poignets et chevilles, à la table qui sert habituellement pour les pique-niques des beaux jours.


À l’énoncé du verdict, chacun frémit et retient son souffle, excité, car le bourrèlement va bientôt commencer, et promet d’être impitoyable. Les plus sensibles parmi l’assistance font le signe de croix et comptent fermer les yeux pour ne pas assister à l’horreur. Nul ne doute que la belle, de ses jolis doigts agiles se promenant sur la peau, tels des milliers de petites fourmis, saura infliger d’incroyables souffrances au traître qui n’aura que ce qu’il mérite. Elle saura, en manipulant habilement vit et sacoches viriles, l’exciter jusqu’au bord de la jouissance, puis le laisser frustré, avant de ruiner son orgasme, et tout ceci encore et encore, de manière entrecoupée d’atroces chatouillements aux endroits les plus sensibles ; pendant des heures, il sera progressivement drainé de toute sa substance mâle, criera, suppliera, et enfin mourra d’épuisement. D’ailleurs, le jeune criminel pleure amèrement sur son sort, renonçant à sa dernière chance de périr dignement, avec un peu de panache. Il faut dire, à sa décharge, que comparés à ce supplice, la croix, le pal, la roue, le bûcher et l’écartèlement ne sont que d’aimables plaisanteries.


Caroline croise le regard de celui dont elle est chargée du supplice… et vient se jeter, sans craindre de salir sa robe, aux pieds du Prince pour le supplier de gracier le condamné ! Elle est à genoux et baise les orteils du souverain, lequel éclate aussitôt d’un rire très sonore, car il se souvient du jour où lui-même était ainsi courbé devant sa maîtresse dont il quémandait les faveurs charnelles. En effet, par principe, il s’est toujours refusé à user de son autorité dans le but d’introduire une belle dans son lit princier.



Le jeune homme, une fois libéré de ses liens, embrasse une dernière fois ses parents qui, même s’ils pleurent d’avoir perdu leur fils, sont quand même soulagés de ne pas devoir assister à son exécution capitale, et à ce titre, ils sont pleins de reconnaissance envers Caroline qu’ils sont disposés à reconnaître comme leur propre fille. Une fille un peu incestueuse, quand même… qui viendra souvent agrémenter leurs relations de couple, du moins lorsque les activités princières lui en laisseront le temps, c’est-à-dire entre deux orgies. Par miracle, elle a même pensé à sauver le précieux godemiché d’ivoire ! Puis l’ex-fils de comte part sans se retourner, accompagné pour cela d’un grand coup de pied au derrière assené par le Prince hilare, mais un peu dépité quand même d’avoir perdu son beau château idéalement aménagé pour ses joyeuses bacchanales. Cependant, tout n’est pas détruit, car les musiciens ont pu sauver du désastre au moins une partie de leurs instruments. Ils se remettent à jouer afin que la fête paillarde se poursuive malgré tout.


Dans le flot de cette musique, Ishtar et l’amiral, toujours revêtu du haut de son uniforme de marin tandis que plus bas il oscille visiblement en direction de la terre, entament un pas de valse. Au même moment, le toit fumant du palais achève de s’effondrer dans un tonnerre de tuiles fracassées et le vent transporte un nuage de poussière jusque sur les invités. Couverts de poudre grise, portés par un rayon de lune, les deux amants dansent et tournoient sur les cendres de leurs rêves morts, bientôt imités par Caroline et le Prince, le comte et sa chère et tendre, et Léda qui valse seule sur les souvenirs calcinés de son amour de pierre. La robe à volants tourne, tourne, tourne au tempo de la valse en un disque rougeoyant dont la nuit voit l’aurore d’un petit soleil joyeux. Que l’air est doux, que l’on est bien ensemble, murmure la Babylonienne à l’oreille de son élégant cavalier. Puis tous les autres convives les rejoignent, même l’ermite intransigeant récemment libéré des oubliettes et auquel une jolie bergère offre son bras, sous les étoiles impassibles et glacées qui observent avec étonnement, de leur ciel lointain, la fureur animant les passions humaines dans un inlassable bouillonnement des cœurs et des corps.