n° 17279 | Fiche technique | 36048 caractères | 36048Temps de lecture estimé : 21 mn | 26/02/16 |
Résumé: Dans un univers apocalyptique, il ne reste plus que trois personnes pour sauver l'humanité de la disparition, et pour cela, les protagonistes devront se résoudre à un choix radical. | ||||
Critères: ff freresoeur amour cunnilingu fantastiqu -fantastiq | ||||
Auteur : Calpurnia Envoi mini-message |
Nous avons tous été surpris par l’extrême rapidité avec laquelle la civilisation s’est effondrée autour de nous. En seulement quarante-huit heures, toute émission de télévision ou de radio a cessé ; même Internet, pourtant conçu pour résister à la guerre nucléaire avec son réseau de routeurs maillés, est devenu totalement muet. Plus de transports ni d’électricité. Sans aucun signe avant-coureur, le monde a sombré dans les ténèbres.
Car en une nuit d’encre, oui, une unique nuit qui semblait ordinaire à son commencement, la terre s’est ouverte en deux, saignant d’une ultime et terrible blessure que des savants aux rêves fous lui avaient infligée, s’imaginant ainsi dominer le monde. Elle a dégueulé en une seule fois tous les poisons des sévices du passé. Blessée mortellement, elle épanchait un sang qui était le cauchemar des hommes, soudain devenu réalité. Les cris d’épouvante ont résonné dans tous les lieux habités, partout suivis d’un lourd silence. Lentement, les poussières de la catastrophe retombaient sur des ruines
Jusqu’à hier, nous n’étions qu’une poignée de rescapés, affamés, terrorisés, livrés à nous-mêmes, réduits à nous organiser en espérant chaque jour une aide extérieure qui n’arrivait pas. Peu à peu, à mesure que nos effectifs fondaient, nous avions cessé d’espérer.
Surtout, il nous faut craindre l’heure obscure qui suit le crépuscule. Car, ne supportant pas la lumière du soleil, ils attendent que celui-ci ait disparu derrière l’horizon avant de passer à l’attaque. Ils, ce sont ceux que nous appelons les zombies. Ils sont parfois des gens que nous connaissions, avant de subir, après avoir été contaminés par le virus, la plus effrayante des transformations. Sous la lueur lunaire, leur peau prend un aspect gris foncé, comme de la cendre après un incendie. Leurs paupières, leurs cheveux et leurs muqueuses tombent d’elles-mêmes : ainsi leurs yeux apparaissent exorbités, leurs gencives sanguinolentes, leurs dents à moitié déchaussées, mais toujours redoutables, en un sourire de dément.
D’une manière terriblement efficace, la salive est le moyen de propagation de la maladie : tous ceux qu’ils mordent se transforment rapidement à leur tour de cette façon. Ils semblent sourds : on ne peut plus leur parler ; du moins, ils n’écoutent pas ce qu’on leur dit. Parfois, nous les gardions prisonniers dans l’espoir qu’ils finissent par guérir. Mais ils ne mourraient pas et leur état ne s’améliorait pas non plus ; en outre, ils pouvaient nous contaminer à la première erreur. Alors, nous les libérions et ils finissaient par rejoindre la meute qui grossissait de jour en jour. Quant à nous, il nous fallait nous barricader dès le coucher du soleil, et monter la garde avec notre seul et précieux fusil, le jour étant dévolu à la recherche d’eau potable et de nourriture.
Au départ, nous étions une vingtaine de rescapés occupant une petite maison des faubourgs. Nous étions entassés les uns sur les autres, dormant à quatre ou cinq par chambre, afin de nous rassurer entre nos tours de garde. Mais rapidement, nos rangs se sont clairsemés, au fur et à mesure que les nôtres tombaient sous les assauts répétés des zombies. Un temps nous nous demandions ce que mangeaient nos adversaires et rapidement nous fûmes glacés par la réponse à cette question : ils dévoraient certains de ceux qu’ils capturaient, tout simplement, avec une nette préférence pour les jeunes femmes. Comme nous deux…
Iris et moi – je m’appelle Candice, mais tout le monde m’appelle Puce, un peu par dérision, parce je mesure 1,85 m pour quatre-vingt-dix kilos toute mouillée, toute en muscles et en rondeurs ; nous avons chacune vingt-deux ans. Elle est blonde, je suis brune ; elle est aussi fine que je suis forte. Avant que tout bascule, elle et moi vivions une existence que nous remplissions d’action, exaltées d’aventure et d’adrénaline, et surtout d’amour et de désir l’une pour l’autre.
Depuis ce matin, nous ne sommes plus que deux à défendre notre bastion. Tous les autres ont été progressivement contaminés et ont rejoint les rangs de l’armée d’en face, sauf certains, devenus fous de terreur, qui se sont suicidés. Il nous a fallu tout notre amour, Iris et moi, et nous tenir très fort la main pour ne pas perdre à notre tour la raison.
Ensemble, nous grimpons sur le toit de l’immeuble le plus élevé du quartier, afin d’observer si, dans les environs, nous pourrions trouver d’autres survivants que nous pourrions rejoindre. Dans ce genre de situation, on comprend intuitivement, et très vite, que le groupe est synonyme, non pas de sécurité – ce mot n’a plus de sens – mais de moindre danger. Mais rien. La ville est effroyablement déserte. Le seul mouvement est celui de quelques goélands venus de l’océan humer l’air nauséabond d’une métropole où les humains, décimés, pourrissent sous forme de cadavres à moitié mangés, ou, pire, se sont transformés à cause d’un virus en une effroyable parodie d’humanité.
Les innocents, les non-violents, les sans expérience de la bagarre, sont morts en premier. Car il faut avouer que nous avons, toutes les deux, un certain avantage sur le commun des mortels : notre « métier » nous a, en quelque sorte, préparées à cette situation. Professionnellement, nous sommes des braqueuses de banques, habituées à nous servir d’armes à feu afin d’attaquer des salles des coffres et faire main basse sur des liasses de billets de toutes devises. L’attaque des zombies s’est produite alors que nous étions en cavale après une évasion réussie au cours de laquelle nous avions pris des matonnes en otage. Depuis deux ans que nous nous sommes aventurées dans le circuit criminel, le milieu a eu le temps de bien nous connaître : l’audace est notre carte de visite et nous ne reculons devant rien.
Puisque les autres ont disparu, le stock de provisions nous laisse largement de quoi vivre pour nous deux, pendant au moins un mois. Après ? Il nous faudrait un miracle. Nos silences se font pesants et progressivement le désespoir nous gagne. Chaque nuit sera un défi pour survivre à des légions d’adversaires hallucinés vêtus de haillons et affamés de chair humaine. En attendant de trouver une solution, nous faisons l’amour en pleine rue, là où le mois dernier passaient chaque heure des milliers de voitures, avec le fusil chargé à portée de main au cas où. Si les zombies veulent se rincer l’œil, ils n’ont qu’à venir : nous les accueillerons à notre façon. Mais sous le soleil, ils se font invisibles. En attendant, sans craindre les voyeurs, nous nous léchons frénétiquement la chatte, en des accouplements qui durent des heures, et en vivant chaque spasme comme le dernier.
Ensuite, lorsque nous sommes provisoirement repues d’étreintes saphiques, nous nous mettons en quête d’un meilleur abri, en direction du centre-ville. Même si la ville est déserte, il y a tant de véhicules abandonnés, pour la plupart accidentés ou incendiés, que cela gêne notre progression. Notre intuition est qu’il nous faut prendre de la hauteur : nous explorons méthodiquement la tour dont nous décidons de faire notre dernier bastion. Nous avançons lentement, attentives et prêtes à ouvrir de feu à chaque instant, car il faut se méfier des endroits sombres où des zombies pourraient se dissimuler.
L’immense assemblage de béton et de verre est l’arrogant siège d’une multinationale qui naguère brassait quotidiennement des milliards de dollars sur la totalité de la surface de la Terre, océans et déserts compris. Si aujourd’hui, on n’y voit plus aucune trace de vie, elle a été une impressionnante fourmilière de cadres, de secrétaires et de gens du marketing. Tout s’est arrêté subitement. Les tasses sont renversées ou bien encore remplies de café froid, les tableaux blancs sont couverts, aux feutres de couleurs, de graphiques orientés vers le haut et autres considérations financières qui sont maintenant dérisoires.
L’avant-dernier étage héberge un appartement d’habitation, assez petit mais luxueusement aménagé. Il semble que soit la garçonnière où le président de la compagnie emmenait discrètement ses nombreuses conquêtes féminines, entre deux réunions stratégiques. Assurément, le pouvoir excite la libido. Les murs sont couverts de peintures, contemporaines pour la plupart, sur l’inépuisable thème du nu féminin ; il y a aussi quelques œuvres classiques, dont un superbe Renoir, Jeunes femmes à la campagne, connu pour avoir été volé au Louvre en 1999. Apparemment, il n’a pas disparu pour tout le monde. Dans la chambre, on trouve également de nombreux et vastes miroirs, soulignant le caractère narcissique du propriétaire des lieux. Témoins des coquines activités, les draps sont défaits et quelques préservatifs usagés jonchent l’épaisse moquette.
Les placards sont remplis d’une incroyable collection de jouets sexuels en tous genres, godemichés durs et parfaitement lisses, en bois de merisier, ou bien tout doux, en silicone, certains de forme phallique et d’autres au profil improbable, vibromasseurs, lapins, canards et autres objets vibrants non identifiés dans la ménagerie coquine, pompes à seins suceuses de tétons, boules de geisha, aspirateurs à clitoris, plugs anaux, poupées gonflables et masturbateurs pour homme. Des menottes et des bâillons parmi les accessoires de bondage, également. Il y a même un « Sybian », la Rolls des engins de plaisir vibrants, mais sans électricité, il est inutilisable, au cas où il nous prendrait la fantaisie de l’essayer. L’armoire à pharmacie contient des aphrodisiaques sous différentes formes. Des gélules d’amphétamines, aussi. Ces dernières sont pour nous, pour nous donner de l’ardeur au combat qui se prépare.
Dans la salle de bains, nous découvrons une impressionnante collection d’huiles de massage de tous parfums. Nous prenons le temps de découvrir ces fragrances variées. Iris aime les senteurs capiteuses de violette ; je partage son goût et nous gardons la bouteille.
En parlant de bouteille, le réfrigérateur est garni d’un Jéroboam de champagne – trois litres de petites bulles. Même à température ambiante, il nous fournira généreusement nos derniers verres de condamnées. Il entre dans le sac et nous l’emportons avec nous.
Puis, nous déménageons nos affaires à l’air libre, au sommet de la tour qui nous servira dorénavant de poste d’observation. L’endroit est balayé par tous les vents et domine largement les autres immeubles, nous offrant un point de vue unique sur les alentours. Nous nous installons là. Jusqu’au crépuscule, rien ne bouge. Comme d’habitude. Iris profite de ce moment de répit pour s’offrir une sieste. Je veille pour surveiller les environs. De toute manière, il serait imprudent de dormir ensemble : nous risquerions d’être surprises dans notre sommeil, ce serait trop bête de finir contaminées ainsi.
Longuement, je la regarde dormir : elle a une extraordinaire capacité à s’assoupir à l’endroit où elle se trouve en oubliant tout, simplement. Son visage est détendu et merveilleusement paisible. Sa bouche exprime en même temps la gourmandise et la douceur – elle dit que sur ce point, nous nous ressemblons, et que la mienne possède aussi une légèreté qui fait chaque jour son bonheur. Sous son corsage, sa charmante poitrine se soulève en rythme régulier. Son corps est mon pays de lait et de miel. Mon cœur s’enflamme de désir pour elle, mais je me retiens de la toucher.
Alors je me caresse moi-même, après m’être complètement déshabillée. Même en l’absence de contexte érotique, sa seule présence à mes côtés suffit à m’émoustiller. Les jambes légèrement écartées, je palpe mes seins d’une main et de l’autre, humectée de salive, je titille le clitoris que j’ai en feu en le pinçant à travers son fourreau entre index et majeur. Les doigts glissent rythmiquement sur la petite colline ; cela fait un joli petit bruit de sexe moite : slurp, slurp. Nous sommes en plein soleil : à cause de la chaleur, je suis imbibée de transpiration qui ruisselle entre mes seins et sur mon ventre. Est-ce la perspective de mourir bientôt, l’aspect désespéré de la situation ? En tout cas, il se trouve que je suis particulièrement excitée, de sorte qu’il me faut peu de temps pour atteindre une intense jouissance, et je mouille en abondance le béton de cette humeur féminine dont je n’ai jamais été avare. Quelques gouttes giclent et atterrissent sur le beau visage de mon aimée qui s’éveille aux parfums des sucs de mon intimité, la liqueur de joie dont elle a toujours été friande. Elle sourit : peut-être lui ai-je suscité un joli rêve, rempli de tendresse charnelle et de l’insouciance qui n’a plus cours aujourd’hui, avant de retourner dans notre cauchemar commun, hélas bien réel. Au plus fort de la volupté, une pensée soudaine émerge dans ma conscience : si j’avais à choisir entre notre situation présente et une vie tranquille mais sans Iris, je choisirais sans hésiter la première option.
Impatiente de plonger à nouveau avec elle dans l’union de nos corps, je l’embrasse sur la bouche avec avidité, tout en glissant une main coquine sous ses vêtements, sur ses généreux attributs féminins qu’elle laisse flotter librement, sans soutien-gorge. L’une de mes mains s’insinue sans plus attendre dans sa culotte, caressant les doux poils de sa toison pubienne. Elle me laisse la dévêtir. Ses contours sont sublimes et m’éblouissent sans aucune accoutumance. Le fait qu’elle ait survécu au milieu du torrent mortifère qui nous entoure et qui a déjà emporté tous ceux que nous connaissons est proprement miraculeux. D’un simple regard, elle me fait signe qu’elle désire un cunnilingus que je lui prodigue aussitôt avec passion, la langue délicieusement plongée dans son épais buisson doré fendu au milieu d’une raie de chair rouge. Je voudrais tout oublier et fusionner en elle. À défaut, je sais lui procurer un orgasme qui lui provoque un hurlement, sans retenue, résonnant en écho sur les façades des autres tours, mêlé aux pleurs des goélands.
Après l’ébat, le cœur serré, nous regardons ensemble le soleil descendre. Autour de nous, il n’y a aucune trace de vie. Nous ne reverrons sans doute jamais l’astre du jour, car j’ai la conviction que cette nuit, les zombies vont passer massivement à l’attaque. Finalement, cette journée fut plutôt belle, mais c’est probablement la dernière. Nous sommes peut-être les deux dernières représentantes de l’humanité, qui est par-là même irrémédiablement condamnée à n’être plus que l’ombre d’elle-même avant de disparaître dans un ultime et monstrueux soubresaut, sous la forme corrompue et déliquescente de ces êtres à la fois morts et vivants, probablement dépourvus de toute conscience.
Plutôt mourir que devenir comme eux. Tout autour de nous, un vide de cinquante étages nous propose une mort indolore et rapide, après quelques secondes d’impesanteur et d’ultime étreinte, car si l’une de nous est mordue et donc contaminée, nous nous promettons de sauter ensemble, sans hésiter. Quoi qu’il arrive, ils ne nous auront pas vivantes. Il n’y a plus de fossoyeur. Nous n’aurons pas de sépulture : le monde entier n’est plus qu’un immense cimetière où les cadavres pourrissent à l’air libre, livrés à l’appétit des charognards qui pullulent.
Iris, qui avait gardé son corsage ouvert, finit également par se déshabiller d’une manière complète. Tout comme Cortés brûlant ses vaisseaux pour ne pas que ses conquistadors soient tentés de rebrousser chemin, nous jetons nos vêtements dans le précipice, puis nous recouvrons généreusement nos corps de l’huile délicieusement parfumée : le flacon y passe entièrement. Toute la surface de nos corps est enduite, jusqu’aux zones les plus intimes. Nous allons mourir armes en mains, en combattant nues et ointes de parfum, comme des gladiateurs sacrifiées dans une arène sans aucun spectateur. À défaut de la victoire qu’il n’est pas raisonnable d’espérer, nous aurons la bravoure, et périrons avec panache. S’il y a un ciel, nous nous y retrouverons sans avoir démérité.
Dès que les premières étoiles s’allument, les zombies commencent à se rassembler, en grappes serrées, comme des fourmis noires organisées d’une manière rigoureuse. Comment savent-ils que nous sommes là ? Dans la journée, ils devaient nous observer depuis leurs cachettes obscures. Ils sont plus nombreux que jamais. Des dizaines, peut-être des centaines de milliers. Ils sont comme une mer ignoble de presque cadavres grouillant de toutes parts. Leur rumeur grandissante nous fait frémir. Je sens une fièvre parcourir ma colonne vertébrale. Notre combat contre les ruines de l’humanité sera dérisoire, nous le savons. Mais nous allons le mener, ne serait-ce que pour nous sentir encore vivantes, pour une nuit. Nous comptons nos cartouches : environ deux cents, pas plus, ce qui nous interdit tout gaspillage. Il nous faudra tirer à coup sûr.
Avec les meubles qui nous tombent sous la main, nous nous barricadons de notre mieux, en bloquant la trappe d’accès au toit avec une armoire métallique que nous hissons avec difficultés. Sans illusions : cela ne fera que les ralentir, car ils parviennent toujours à franchir les obstacles. Je ne sais pas comment ils font. Individuellement, leur corps est délabré, mais ils ont la force que donne leur nombre.
Pendant nos travaux de fortification, Iris fait une découverte intéressante : deux haches d’incendie au long manche et très bien affûtées, cachées dans un boîtier dont nous brisons le cadenas. Cela pourra nous être utile, surtout lorsque les munitions viendront à manquer. Un court entraînement nous prépare à l’usage de ces armes de fortune. Galvanisées par le vent du soir qui gonfle nos longs cheveux, nous sommes fin prêtes pour livrer l’ultime combat. La nuit sera longue : nous prenons les amphétamines.
Un dernier baiser à pleine bouche avant le baroud d’honneur. Nous trinquons dans des verres en cristal : quelques gorgées de champagne pour se donner du courage, cela ne nous fera pas tourner la tête. Malgré la tombée de la nuit, il fait au moins trente degrés. Nos peaux sont couvertes de sueur et d’huile mêlées. Nous nous étreignons de toutes nos forces, pour nous exalter de nos odeurs de transpiration. L’obscurité est maintenant presque totale : le ciel est dégagé et seul un fin croissant de lune nous éclaire. Notre ville est lugubre. Avant, elle était comme une rivière de diamants sur le cou d’une reine, avec mille feux multicolores et clignotants, lampadaires et enseignes lumineuses, phares et fenêtres éclairées. Elle avait toute l’année un air de fête, celle de l’abondance et de l’optimisme. Gâtées par trop de spectacles, nous en étions blasées jusqu’à ne plus le voir. Jusqu’au bord du gouffre, les gens riaient, insouciants, et s’enivraient de produits de consommation d’une manière qui semblait sans limites. Avec la fin de la civilisation, les ténèbres ont tout recouvert d’une manière uniforme.
Nous entendons l’inexorable progression des zombies dans les étages. Leur souffle est court et leurs pas sont lents, lourds, irréguliers. Ils ne parlent jamais : à peine s’ils émettent de vagues grognements. C’est le grondement sourd d’une marche malhabile. Ils n’éprouvent pas la fatigue, ni la douleur, même lorsque leurs membres sont mutilés par nos balles. Encore moins la pitié face à un ennemi submergé : ils vont en premier vers ceux qui leur semblent les plus vulnérables. Leur bruit se fait plus net : ils approchent. Notre dernier rempart sera bientôt attaqué. À mes côtés, Iris tient nerveusement le fusil ; j’entends sa respiration saccadée et pose ma main sur la sienne pour la calmer. Ce n’est pas le moment de perdre les pédales.
Ils ont dû unir leurs forces pour parvenir à faire basculer l’armoire qui leur barrait le passage. Celui-ci est étroit et ils doivent le franchir un par un : c’est notre chance. Le premier assaillant à tenter de ne nous atteindre est abattu d’une balle soigneusement ajustée, en plein cœur. Un second, puis un troisième le rejoignent presque aussitôt. Bientôt, un tas de cadavres gêne leur passage, mais leur offre également un rempart qui les rend difficiles à repérer à cause du manque de lumière. Il est plus que jamais indispensable d’économiser les munitions, en essayant le plus possible d’en abattre deux en enfilade, d’une seule balle. Il faut recharger le plus vite possible, pour ne pas se laisser déborder.
Plus qu’une cinquantaine de cartouches. Plus que vingt. Que dix. La dernière cartouche est pour une femme qui devait être jolie avant d’être contaminée par le terrible virus, et vient enfin la libérer du fléau qui emprisonnait son esprit. Elle s’écroule sur les corps inertes de ses prédécesseurs, dans un bruit de chair flasque et répugnante. Restent les haches, qui nous imposent un dangereux combat au corps à corps.
Leurs os sont rendus fragiles par leur transformation. Il est possible d’en décapiter trois d’un seul mouvement continu, ou d’en trancher un en deux parties verticales, du sommet du crâne jusqu’au sexe. Leur sang ne gicle pas : c’est une sorte de pus épais et vaguement rougeâtre à l’odeur immonde. Malgré leurs pertes considérables, les zombies nous attaquent sans répit ni stratégie particulière. Lors du face-à-face, ils semblent ignorer la peur – de toute façon, ils sont déjà morts tout en semblant vivants. Les heures passent, et concentrées, nous ne sentons pas la fatigue, attentives avant tout à ne pas nous laisser mordre, ce qui serait fatal. Ils sont de plus en plus nombreux autour de nous, et bientôt, il est clair qu’ils nous submergeront. Notre combat se terminera bientôt.
Soudain, un cri nous surprend : une voix forte nous intime l’ordre de nous baisser. Sans réfléchir, nous obtempérons. Les morts-vivants ne parlent pas. Il y a donc d’autres rescapés qui ont fini par nous rejoindre.
Dès que nous sommes face contre terre, un déluge de feu passe au-dessus de nous. Les zombies s’enflamment immédiatement, errent au hasard, et la plupart tombent dans le vide ou bien s’écroulent sur place, carbonisés. Encore trois salves de flammes, et l’attaque est repoussée. Notre allié providentiel, un homme casqué et armé d’un lance-flamme, se montre enfin.
Nouvelle surprise : nous connaissons bien cet individu. C’est Johnny, alias Jérémie Loth, soixante ans environ et une petite barbe poivre et sel. Il se trouve qu’il est notre ex-complice de braquage qui nous a, semble-t-il, délibérément trahies en nous dénonçant à la police afin de ne pas avoir à partager le butin de notre dernière et fructueuse équipée, ce qui nous a valu un pénible séjour en prison, d’où nous nous sommes évadées. Ce traître vient de nous sauver.
Sentant la colère monter irrépressiblement en moi, je vais jusqu’à le menacer avec ma hache. Il pointe la buse de son lance-flamme vers nous.
C’est plus d’émotions que je ne peux en supporter, et j’éclate en sanglots, la tête dans mes mains. Faut-il vraiment abandonner toute espérance ? Sommes-nous vraiment les derniers ? Iris me prend tendrement dans ses bras pour me consoler. Johnny, goguenard, sans doute satisfait de son discours, s’allume une cigarette, malgré le danger que constituent les flaques de napalm qui traînent sur le sol.
Il devait être assoiffé, car en moins de temps qu’il n’en faut pour le dire, il s’offre en un seul trait, au goulot, tout ce qui restait de l’imposant flacon. Puis il nous gratifie d’un rot particulièrement sonore – le genre de détail qui nous fait « aimer » les hommes.
Du côté Est, l’aurore commence à nous envoyer ses feux. Johnny a raison : en bas, les zombies sont encore dans l’ombre, mais leur masse grouillante reflue prudemment vers leurs caves. Grâce à lui, nous sommes provisoirement sauvées.
Il marche jusqu’au bord du vide, abaisse sa braguette et soulage sa vessie d’une pluie sur les rues désertes. Puis il écrase sa cigarette, s’allonge sur le dos à même le béton, bascule son chapeau sur son visage pour ne pas être ébloui par le soleil levant, et s’endort aussitôt en ronflant bruyamment. Mais il garde son lance-flamme à portée de mains.
Toujours en larmes, je demande à mon aimée :
Elle reste un moment silencieuse, comme en proie à un dilemme, comme si elle hésitait à parler.
J’écarquille les yeux tant je suis troublée de raconter des horreurs pareilles.
Ce disant, elle abaisse délicatement le caleçon auquel la verge turgescente fait une belle bosse, et en extrait délicatement le membre viril et les testicules gonflés d’excitation par le rêve. Dans son sommeil, Johnny esquisse un léger sourire.
Elle aussi a les yeux humides de rosée et vient se blottir dans les grands bras. Lèvres à lèvres, immergées dans nos parfums charnels, nous tournons lentement comme en une valse, caressées par le flot rougeoyant du soleil levant. L’horizon ressemble à un flot de sang.
Je la soulève facilement : elle me semble aussi légère qu’une plume. Elle frémit en comprenant ma décision, mais elle sait qu’elle ne pourra pas m’en empêcher. Puisse-t-elle posséder en son cœur suffisamment d’amour pour me pardonner, ou du moins ne pas me maudire. Il suffit de quelques pas en direction du levant, et tendrement enlacées, sans un cri, nous basculons ensemble dans le vide.