n° 17296 | Fiche technique | 31631 caractères | 31631Temps de lecture estimé : 18 mn | 15/03/16 |
Résumé: On aurait bien tort de concevoir l'écriture comme un jeu innocent. Elle peut parfois conduire à de bien singuliers incidents. | ||||
Critères: fplusag profélève école exercice nostalgie | ||||
Auteur : Laure Topigne Envoi mini-message |
Avertissements : D’une façon générale, j’évite au maximum de promouvoir dans mes textes des marques dites déposées. Il en est pourtant d’incontournables ainsi Éclair (pour les fermetures de ce nom) par exemple. Dans ce qui suit, on me pardonnera d’en citer plusieurs, mais pour la plupart liés à des gloires passées et aujourd’hui presque totalement oubliées (Baignol & Farjon, Sergent-Major, Pélikan ).
On notera aussi que ce texte publié dans la catégorie verte de Rêvebébé ne prétend pas distiller un érotisme torride. On évitera ainsi de se tromper de lecture pour lui reprocher à la fin de ne pas être ce qu’il n’ambitionne nullement.
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Dans ce texte, je ne parlerai pas de l’écrit lui-même, mais de l’acte d’écrire et évoquerai en scène introductive Faust écorchant son bras avec un stylo à bille pour signer un contrat imprimé par une laser.
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La question claque sur notre petit peuple terrorisé à l’égal d’un coup de fouet au-dessus d’un essaim d’esclaves ! Enfin un copain téméraire d’oser répondre :
Le regard sombre de l’institutrice s’arrête sur l’intrépide.
Hélas… la réponse n’était que partiellement exacte. Fut-elle validée par les yeux noirs ? Je ne m’en souviens plus.
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Nous sommes en 1963, dans une classe de CM2 d’une école primaire de province qui affiche l’égalité à son frontispice bien que n’autorisant pas encore la mixité et supposant qu’il s’agit là de valeurs distinctes. 1963 qui fut l’année des décès d’Édith Piaf et de Kennedy et celle, bénie, de l’introduction de la mini-jupe en France.
Les époques où écrire consistait à graver dans l’argile des signes cunéiformes (entendez ce mot comme vous voudrez, mais je le trouve délicieux !), à buriner les granits durs des carrières d’Assouan, à égratigner des papyrus avec un calame effilé, ou à enluminer des peaux de mouton avec des lettrines décorées de tous les charmes de l’enfer étaient depuis fort longtemps révolues.
On venait en outre d’abandonner pleins et déliés, second acte d’une longue reddition effectuée par paliers. Le premier avait été le renoncement à la plume d’oie au profit de celle d’acier. Fallait-il y trouver un sens ? Assurément oui, elles proclamaient les victoires de l’industrie naissante sur l’agriculture (je me demande d’ailleurs ce qu’on fait aujourd’hui des milliards de plumes dont on écorche les pourvoyeuses de foie gras). Écrire était désormais à la portée de tous et d’une simplicité enfantine, aussi fallait-il que tout bambin en subisse l’apprentissage.
Eh bien non ! Écrire, en dépit de ces réductions n’en restait pas moins une opération laborieuse soumise à une longue initiation qui, pour un potache d’aujourd’hui, serait vécue comme un acte de barbarie ou de sadisme caractérisé et ne manquerait pas de mobiliser toutes les bonnes âmes de nos communautés à commencer par celle des parents. En avons-nous bavé de ces plumes qui bavaient et se libéraient en gros pâtés d’un noir violacé à côté de la cible. Nous tentions ensuite de réduire ces souillures grâce au buvard qui, le plus souvent, ne faisait qu’étaler notre infortune. En avons-nous bavé de ces cahiers de brouillon au papier grossier, tavelé par des rognures du bois qui avait servi à leur confection. Ces aspérités accrochaient la plume qui, en se libérant tel un ressort, faisait gicler l’encre en gouttelettes minuscules. Les feuilles étaient si absorbantes que toute écriture, autre qu’au crayon, s’auréolait d’un réseau microscopique de fines veinules. Immanquablement, le dos de ces cahiers dit d’essais s’ornait des tables de la loi multiplicative, car écrire et multiplier constituaient alors les deux mamelles de l’école primaire.
Étions-nous malheureux pour autant ? Absorbés par l’auguste tâche de calligraphier des lignes d’e dans l’o (œ) (1) nous pressentions sans doute que cela nous servirait dans un avenir lointain et indistinct à écrire cœur sans trop de rancœur. D’autres plaisirs étaient plus immédiatement afférents ainsi le catapultage d’encre dans le dos du félon qui avait dénoncé votre ignoble forfait consistant à dérober un morceau de craie pour tracer une marelle dans la cour, celui de noyer des mouches dans l’encrier ou la cérémonie du nettoyage trimestriel de ces derniers dont nous sortions barbouillés de pied en cap.
Au reste, savoir manipuler la Baignol & Farjon sans trop vous maculer et en préservant votre entourage immédiat vous faisait accéder à une première majorité. Tous les fantasmes étaient permis et l’un de mes amis m’avoua en fin du collège que s’il tentait le concours de l’école normale c’était, outre d’autres avantages, pour obtenir le privilège d’utiliser l’encre rouge, en principe réservée à souligner nos errances ou à condamner nos ignorances.
En ce qui me concerne, l’aventure la plus mémorable m’advint au CM2 avec mon institutrice que nous appelions entre nous, la Sergent-Major.
Ce soir-là, je ne sais plus quel forfait me valut une retenue durant laquelle j’étais censé laver mes fautes à l’encre noire en recopiant quelques fables de La Fontaine. Maladresse ou rage, je cassai ma plume et ne parvins pas en retirer le talon du porte-plume.
J’en informai la maîtresse omnisciente qui me demanda de lui apporter l’objet récalcitrant. Je ne tardai pas à le lui tendre ainsi qu’une nouvelle Sergent-Major extraite de mon plumier (nous n’avions en ces périodes reculées ni trousse, ni fourre-tout). Ma fébrilité m’en fit renverser tout le contenu devant le bureau. Pendant qu’armée d’une pince, elle tentait vainement la délicate extraction, moi accroupi, je glanais les petites piques que j’avais dispersées sur le sol. Nous n’étions pas dans la salle qui lui était ordinairement dévolue et elle n’avait pas dû remarquer l’absence de la planche qui d’habitude fermait l’avant du bureau. Je me trouvais ainsi juste face à elle ou plus exactement face à ses jambes sur lesquelles une divine providence avait remonté la jupe très haut, ce qui en ces temps restait d’une rare indécence.
Je contemplais un mollet splendidement galbé, serré dans un bas couleur chair presque transparent. Au-delà des genoux, s’ouvrait une royale perspective : deux superbes cuisses qu’encadrait la jarretelle qui tendait la soie. J’en distinguai nettement le téton en caoutchouc coinçant le tissu dans l’œilleton métallique et le petit bout d’élastique servant à en ajuster la longueur qui rebiquait légèrement. Plus loin, la chair nue dont je soupçonnais la tiédeur puis, tout au fond de l’entonnoir, un peu dans l’ombre un voile noir dissimulait le tabernacle inconnu et son divin mystère. À la maison, j’avais pu observer ces objets qui, même vides de contenu, n’en avaient pas moins excité mon imaginaire. Devinez quels furent alors mes émois, devant mon affriolante institutrice.
Je regrettais fort de n’avoir pas mieux garni mon plumier ce qui m’aurait permis d’éterniser cette situation. Soudain, dans un élégant mouvement, elle croisa les jambes et m’en présenta la face extérieure, barrée elle aussi par le liseré tendu du bas. Hélas, déjà le rêve s’achevait et j’entendis comme un glas :
Je m’étais agenouillé encore enfant et me redressai préadolescent, écarlate et abasourdi par cette transmutation. Je venais simultanément de découvrir que si l’enfer est souvent pavé de bonnes intentions, le paradis se gagne parfois grâce à de sévères punitions. Heureusement madame Sergent-Major s’était replongée dans la correction de ses cahiers sans quoi mon trouble ne lui aurait pas échappé.
Le lendemain, toute la journée, dans quelque position qu’elle adoptât, je m’ingéniais à lui retirer mentalement sa jupe pour la voir et revoir, ne fût-ce qu’en songe, si délicieusement accoutrée. Je pense que ce fut le jour où elle traita de la concordance des temps au passé, car c’est là un point que je n’ai, hélas, jamais assimilé. Bien que n’ignorant rien des courroux que cela me vaudrait de la part de mon père, je fus insupportable jusqu’à ce que je sois affligé d’une nouvelle retenue, mais tant pis, puisque c’était le prix à payer pour assister à l’attrayant spectacle. Le soir, je constatai, honteux et confus, mais un peu tard, que c’était un instituteur qui assurerait la surveillance des chenapans qui s’étaient distingués. Il ne m’en reste pas moins un indéfectible attachement à la Sergent-Major qui m’avait valu mes premiers émois lors de cet exercice d’écriture punitive, à La Fontaine aussi qui, plus tard, sut en induire d’autres. Comment voudriez-vous que j’honore le « stylo à bile » qui fit son entrée officielle dans les écoles en 1965, avec lequel cette grisante aventure eût été impossible ?
Vinrent les années collège qui sonnèrent pour moi la fin du règne sans partage des encriers. L’usurpateur se nommait stylo à plume et résolvait nombre de problèmes anciens. Il restait néanmoins fragile et se bouchait régulièrement aux moments les plus inopportuns. Dans ses premières déclinaisons destinées aux populations scolaires, il n’utilisait pas encore de cartouches et se rechargeait en utilisant une pompe située dans le corps de l’appareil. Cela impliquait le transport d’un flacon d’encre et quelques belles scènes en noir et blanc au moment du remplissage. Il devint le principal partenaire de notre écriture, le « stylo à fiel » restant proscrit par la majorité de nos professeurs. Cette domination resta inchangée au lycée malgré une concurrence de plus en plus rude des rejetons du baron Bic.
Pour ma part je préparais un bac maths et technique et ce fut sur le terrain du dessin industriel que je participais à l’une des ultimes batailles. Le tire-ligne, sorte de plume à débit réglable, permettant d’obtenir des traits à l’encre de chine d’épaisseurs variables était alors menacé par le Rotring (2) constitué d’une batterie de pointes de stylo à encre, calibrées chacune pour une largeur donnée. Il relégua le tire-ligne au rang des antiquités pour occuper seul ce créneau pendant quelques années avant que ne fleurissent les traceurs et autres outils informatiques qui allaient bientôt lui succéder.
J’étais en terminale et venais de me battre longuement avec mon Rotring. J’avais dû en déboucher et nettoyer les buses et étais sorti du combat vainqueur, mais affublé de mains de charbonnier. Ce fut l’instant où ma copine me rejoignit. En fait de copine, je n’en étais encore qu’à espérer la conduire à ce titre, mais la belle me faisait subir des atermoiements propres à exaspérer bien plus sage que moi et après plusieurs semaines d’intense fréquentation, je n’étais guère parvenu qu’à butiner ses lèvres qu’elle m’avait parcimonieusement abandonnées deux ou trois fois. Elle était ce jour vêtue d’enfer, je veux dire que depuis la reine de Saba s’exhibant devant Saint Antoine (3) on n’avait pas dû faire plus torride. Une mini-jupe masquait difficilement sa culotte et un débardeur s’arrêtant juste au-dessous du nombril ouvrait un décolleté plongeant presque jusqu’à celui-ci. Et c’était tout ; ah non j’oublie la paire d’escarpins échasses. Elle s’affala sur mon lit ce qui mécaniquement rehaussa sa jupette de quelques centimètres me dévoilant le nylon blanc presque translucide qui couronnait le haut de ses cuisses.
Je me précipitai sur elle, prêt à m’approprier ces trésors et, à mon plus grand étonnement, elle condescendit aussitôt à me livrer sa lippe pour un échange de langue frénétique.
Autorisé par ce déchaînement, je glissai une main espiègle dans son décolleté pour saisir ce sein fier et mutin que, jusqu’à ce jour, elle avait dérobé à mes empressements. Je redoutai très fort une gifle qui ne vint pas. Tout à l’encontre, je sentis le téton se renforcer et se gonfler tandis que sa propriétaire redoublait les ardeurs de sa langue. Au bout d’un moment, pour me signifier qu’elle acceptait de pousser ces jeux plus loin, elle palpa l’enflure qui distendait mon pantalon. Évidemment ravi par cette aubaine inattendue, j’assurai la réciproque et m’emparai de son entrejambe. Je fus étonné de la moiteur qui baignait ces parages et qui s’accrut au fil d’attouchements auxquels ma nervosité m’empêcha de conférer la délicatesse requise.
Lentement, précautionneusement, je fis glisser l’élastique vers le bas et palpai le mont dodu. Ses embrassades s’amplifièrent, mêlées parfois à de petits cris de satisfaction. J’osai alors égarer mon index dans l’antre tiède de ses voluptés ce qui me valut de tendres roucoulades avant que je ne sente ma braguette s’ouvrir et des doigts impatients y fourrager pour en extraire un pénis triomphant. Nous jouâmes ainsi à touche-pipi pendant un grand moment, nous dévorant du regard et des lèvres. Ma fougue allait grandissant lorsque ma partenaire soudain se redressa pour s’appliquer à abaisser mon pantalon et achever de retirer sa culotte. Savourant mon plaisir, je me laissais faire les yeux fermés dans l’attente de quelques voluptueuses gâteries qui n’allaient pas tarder. À leur place, c’est un hurlement qui déchira cette douce et prometteuse détente.
Je m’assis pour voir ce qui me valait une telle admonestation et découvris, éberlué, que j’avais effectivement nettoyé mes phalanges dans son linge le plus intime et que ces humeurs secrètes dissolvaient parfaitement l’encre Rotring. Elle agitait maintenant le tissu noirci et souillé sous mon nez, vitupérant de plus belle et soudain s’interrompit, un doute affreux venant de lui traverser l’esprit. Elle alla se camper devant le miroir, remontant sa robe sur ses hanches et écartant largement les cuisses pour examiner son vagin avec une attention médicale.
Évidemment, celui-ci était empreint de quelques traces de mon passage. Sentant les plus lourdes menaces s’accumuler, j’essayais de la calmer en lui expliquant :
Elle n’apprécia pas du tout cet humour et je compris que je n’en menais pas large surtout quand elle discerna mes empreintes digitales sur le corsage de sa robe. Sa fureur redoubla et me valut quelques noms d’oiseaux charognards que je me suis gardé de retenir. Enfin ayant épuisé l’inventaire de sa volière, elle me jeta sa culotte à la tête et me quitta en claquant violemment la porte. Je voulus lui écrire un mot d’excuse et devinez : je m’aperçus que j’étais en panne d’encre. Je ne l’ai jamais revue et imagine que, traumatisée, elle doit examiner les mains de tous ses amants avant de leur permettre l’accès à ses dessous.
Si alors cette aventure m’affecta fort, aujourd’hui elle me remplit de nostalgie surtout quand je me retrouve avec des doigts maculés d’encre, car je n’ai jamais complètement renoncé à ces outils, n’ai jamais su me résoudre à l’usage de la pointe Bic. Une dernière péripétie qui m’advint quelques années plus tard devrait vous convaincre des raisons de cet inéluctable attachement.
Je terminais alors mes études à Strasbourg et logeais dans un petit studio coquet et confortable aménagé dans des combles non loin de la cathédrale. Ma logeuse, accorte veuve approchant la quarantaine, qui avait perdu son mari dans un accident de la route me faisait fantasmer bien plus que les midinettes qui peuplaient les bancs de la fac. C’était une blonde, un peu fluette, merveilleusement proportionnée, affichant des rondeurs exquises là où je les souhaitais. En dépit de mes convoitises, son âge respectable, son air sévère qu’accentuait une indéfectible tristesse, ne m’invitaient pas à la courtiser. Face à elle, une immanquable timidité, qui n’était en rien ma qualité majeure, m’envahissait et je ne me risquais guère qu’à la couver de la fièvre de mon regard. On devine d’autre part aisément les rapports qui peuvent unir un jeune étudiant plutôt fêtard et dépensier à une veuve austère plutôt économe. J’avais ainsi trois mois d’arriérés auprès de ma propriétaire que je m’efforçais d’éviter, ce qui ne présentait pas trop de difficulté, vu qu’elle résidait dans un autre immeuble. Après déjà plusieurs mots de relance que j’avais impudemment ignorés, je rentrai chez moi un soir et la trouvai campant à ma porte.
J’aurais été enchanté de l’accueillir, surtout que j’avais rangé la veille, pour tout autre motif que celui que je devinais l’amener. À peine fûmes-nous enfermés que je me hâtai de désamorcer son irritation supposée en déclarant :
Je la conviai à s’asseoir face à moi en la reluquant effrontément pour me donner une contenance et lui laisser entendre qu’en rien, je ne me sentais coupable. Je m’emparai de ma plus belle plume, à cette époque un stylo à encre Pélikan pour établir un chèque… en bois. Grand prince et sans vergogne, je lui demandai s’il convenait d’y ajouter le loyer du mois suivant. Et voilà que l’instrument, sans doute prévenant de mes intentions frauduleuses, refusa tout usage et se borna à griffer le papier sans y déposer d’autre marque. Très agacé, j’en démontai le corps pour constater que son réservoir était correctement rempli à l’encontre de ce que je présumais. Je tentai alors d’effectuer une légère pression qui resta sans effet sur la pompe. Excédé, j’appuyai plus fort et l’encre gicla… sur le chemisier blanc de la jeune femme dessinant une tâche mauve en forme de cœur à l’emplacement du sien. Bien qu’utilisant de l’encre parfumée pour femme (eh oui, cela a bien existé), je redoutai que ce détail ne suffise pas à calmer ses ressentiments. Sans lui laisser le temps de donner libre cours à son animosité, je lui proposai d’ajouter le prix de son chemisier au montant des loyers. Elle n’eut qu’un mot qu’elle lâcha dans un sourire teinté d’embarras :
Je me penchai sur elle armé d’un buvard et tentai d’absorber la trace tout en ne parvenant qu’à l’étaler. Ce faisant, je perdis mon regard dans son décolleté qui m’offrait des jumeaux superbement dilatés qu’une respiration oppressée soulevait selon un rythme haletant un peu précipité. Je n’osai m’éterniser en ces parages et je me retirai en lui faisant observer le piètre résultat de mes efforts. Elle tendit le tissu de son chemisier devant elle, mais ne parvenant pas à apprécier l’étendue du désastre, elle en ouvrit les trois premiers boutons et réitéra la manœuvre. Je vous laisse deviner l’état de ma transe, car debout à son côté, je profitai d’une vue plongeante et de plus en plus dégagée sur sa poitrine.
Toujours aussi prolixe, elle se contenta d’ordonner :
J’approchai timidement ma bouche de l’étoffe, déplorant ne pas nourrir d’appétit excessif pour l’encre Pélikan, fut-elle parfumée pour dame. Le support toutefois sur lequel celle-ci était déposée compensait le goût exécrable du produit. Je léchai donc, pourléchai et suçai, salivant à l’envi, mais quelle que fut l’application minutieuse que je portais à cette exaltante tâche, je ne sus contenir ma langue qui dérapa une seconde pour laper aussi la peau blanche. Je dus me méprendre, mais il me sembla que cet écart de langue fut salué par un frisson de désarroi, accompagné d’un bref soupir étouffé. Je revins à mon ouvrage tout effaré par mes audaces et regrettant mon efficacité qui trop tôt dissipa la marque encrée. Je m’apprêtai à me retirer et me reculai déjà quand prenant ma tête entre ses mains, elle l’appliqua à nouveau sur son buste en balbutiant :
Elle sourit, ne saisissant peut-être pas ces mots selon le sens que je leur avais donné.
J’hésitai toujours à comprendre. À ce jour encore, je me demande comment je pus être aussi candide. Certes, elle m’impressionnait et me troublait fabuleusement, surtout, elle me tenait par mes arriérés et je ne pouvais me l’aliéner par un geste inconsidéré. Je m’exécutai toutefois fiévreusement, dégrafant les derniers boutons de son corsage afin de me dévoiler les vertiges de sa gorge. Une minuscule souillure ornait le bonnet gauche que je m’apprêtais à nettoyer selon la procédure à présent rodée. Vexée et presque exaspérée par tant d’incompréhension, elle me tança :
Il aurait fallu être sourd pour ne point entendre. Je m’agenouillai donc face à elle, plongeai ma tête entre ses genoux et tout en faisant remonter lentement sa jupe sur ses jambes, célébrai force doigts et lèvres les charmes envoûtants qu’elle me livrait, m’attardai longuement à cette orée de la chair qui surmonte le bas et parvins enfin au slip que marquait en effet une auréole odorante qui n’était point d’encre.
La suite n’ayant pas de rapport à l’écriture et à ses supports, je ne voudrais pas ennuyer d’éventuels lecteurs avec des hors propos. Je me contenterai d’ajouter qu’il ne fut plus question de loyer entre nous et que quelques semaines plus tard, sur l’oreiller, elle me confia que leur récupération n’avait été que prétexte pour entrer en contact (c’est là un euphémisme) avec moi. Que pourtant elle ne savait comment faire et que mon stylo l’avait tirée d’un cruel embarras. C’est ainsi que, pour la première fois, je gagnai de l’argent et d’autres agréments grâce à ma plume et j’en suis, au grand Pélikan, reconnaissant.
Dans ma carrière amoureuse qui suivit, j’ai toujours submergé mes amies de missives lascives écrites à l’encre et j’aurais dérogé en confiant la noblesse de mes sentiments à un ignoble stylo ou, pis encore, à un traitement de texte et une imprimante, fut-elle à jet d’encre. Faut-il voir dans les épisodes rapportés les prémices de cette toquade ? Et si vraiment l’inspiration sourd de dessous les jupes des filles celle de mon institutrice amorça-t-elle mes effusions ? Je ne peux m’empêcher de penser que oui.
L’une de mes tendres maîtresses se montrait si friande de ces billets gribouillés selon l’instinct du moment qu’un jour je lui ai demandé ce qu’elle préférait de mes gestes ou de ma geste d’amour. Sans ambages, elle m’a rétorqué que c’était là, deux aspects d’un unique bonheur. Certains l’auraient vécu comme un terrible affront, moi, j’y ai perçu une émouvante louange.
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Des lettres, j’apprécie toujours l’ensorcelante calligraphie : à quels démons convient les jambes largement écartées du A, à quels rêves porte le poitrail vigoureusement pointé et conquérant d’un P, quel abyme secret dissimule le triangle sacré de l’Y et sur qui, sur quoi, se refermeront les bras écartelés du T ? Quelle tendresse entrelace deux V dans l’étreinte d’un W et de quels vœux l’embonpoint généreux d’un B appelle la raideur ithyphallique du I. J’imagine le jet puissant d’un J qui asperge les nues de son extase et compatit à la douleur d’un adolescent boutonneux qu’un X crucifie au seuil de son plaisir tandis qu’un M lui ouvre des perspectives décolletées. J’invoque l’O lubrique, à la géométrie variable tantôt enclos sur ses timides pudeurs, tantôt découvrant indécemment son mystère, tantôt encore enserrant de son nœud coulant l’E complaisant pour sous notre œil complice animer un cœur aimant. Reste le Q, plus sonore que graphique, décorant la fastueuse rotondité de sa croupe d’un appendice caudal discret ou d’un sombre frisson. Le Z enfin appelé pour conclure qui zozote entre zob et zizi dont il raille et brise les prétentions.
J’assemble ensuite ces licencieuses pattes de mouche pour en tirer des éclats sonores sur la flûte de Pan en accord parfait (c’est du moins mon souhait) arpégés ou les égrener en contretemps subtils sur l’aulos d’une troupe de joyeux satyres et ménades. Naissent ainsi ces vocables vibrants, farfadets follets, un instant composés, sans rime ni surtout raison et à la signification incertaine. Des assonances perverses et délicieuses me feront distinguer de moelleux nuages précurseurs d’orages comme des cunnilingus et j’ai toujours conçu la guêpière comme le féminin d’un guêpier où l’on brûle de fourrer sa main. Les mots, quand même ils s’appliquent à un effeuillage, je les souhaite accoutrés d’adjectifs chamarrés, d’adverbes prodigues et généreux ou s’évoquant dans les effluves d’une périphrase énigmatique. Il m’amuse d’en recombiner les atomes pour extraire de vulgaires couilles une envolée de lucioles phosphorescentes ou d’ériger un Priape de papier. L’opération est indolore même sur un organe endolori.
D’opportunes fautes d’orthographe dépouilleront l’auréole d’une sainte (nitouche) de son U pour ne lui laisser que des attributs qui la rendront tellement plus femme ou ajouteront un Q à mes couilles pour les enluminer d’une coquille qui ne sera pas d’imprimerie.
Je me garde bien de couronner les mots d’identiques lauriers. Ils ne babillent pas tous avec semblable amabilité, ni ne tonnent avec le même panache et si je souffre les chuintements du slip mes déférences vont aux claquements de l’antique culotte toute de noble guipure façonnée, tandis que je suis sourd aux prétentions outrancières de l’innommable ficelle à couper la motte. À sacrifier aux sens, ils ne perdent que rarement leur charme, mais souvent leur décence. Je me dévoue aux cultes des anciens, lustrés de brillante patine et de préférence un brin ringards. Je crains si peu le ridicule que j’ai l’immense faiblesse de préférer un Priape obligeant visitant au cours d’un doux hymen les ombrages de Cythère d’une sublime nymphe, à une bite, fut-elle démesurée, défonçant la teuch d’une meuf.
Et c’est un régal que de les voir enfin s’épauler l’un l’autre sous la plume, s’arc-bouter dans une tension commune à l’érection d’une phrase qui, sous le joug de la copule, lestement les accouple, les transformant de vocales insignifiants en exclamations gonflées d’ardeurs équivoques. Ces expressions que je caresse et lisse en effleurements langoureux, me grisant des parfums que j’y répands et qui trop souvent s’évanouiront avant la prochaine relecture, me laissent pantois et enfiévré.
La phrase, je la vénère longue, lourde et tourmentée, rebondissante de surprises syntaxiques inusitées, la révère grasse et prospère comme les femmes de Rubens étalant leurs chairs heureuses et luxurieuses encadrées de mille putti joufflus. Je l’idolâtre empâtée, un rien pompeuse et emphatique comme les belles de Boucher exposant leur incarnat dans l’écrin de velours azurés ou nonchalante et lascive comme les déesses irréelles du Titien. Je la savoure de mille gemmes en son corps enchâssées portant en sautoir abondance de bijoux filigranés comme les héroïnes de Moreau, ou entrelaçant des volutes perverses, tentaculaire et médusante comme la Gorgone du Caravage. Je ne la hais point, retorse parfois comme les gravures d’Escher, dérobant leur fondement, ou à l’occasion, simple, gracieuse et élégante à l’instar des jeunes vierges de Puvis de Chavannes ornées du seul modeste apparat de leur pâleur. En un mot comme en dix mille (bien qu’en ce dilemme tout me porte à préférer la myriade) l’acte d’écrire n’est jamais pour moi dépourvu d’arrière-plan érotique.
J’ai toujours eu du mal à me plier aux caprices de la mode, qu’elle concerne mon vêtement, mes outils d’écriture ou ma langue. Vais-je en tout cela à l’encontre de mon temps, peut-être bien, tel un imbécile nostalgique de celui où il ramassait ses plumes aux pieds de la Sergent-Major. Quoi qu’il en soit, je ne compte pas en ces domaines notablement m’amender et à l’instar des condamnés de « La colonie pénitentiaire » (4), je souhaiterais exhaler mon dernier souffle sous la patte onglée d’une belle qui, du bout de ses griffes, écrirait sur mon dos, en caractères sanguinolents, une sentence immédiatement exécutoire : aime-moi.
(1) Il est vrai que l’arobase (@) et l’esperluette (&) déconcertent moins les microprocesseurs que l’e dans l’o (œ). Rares aussi, sont ceux qui savent écrire avec nos modernes outils leur curriculum vitæ sans commettre de faute.
(2) En 1953, le Rotring Rapidograph est devenu le premier stylo technique. Sa nouvelle technologie a quasiment remplacé le tire-ligne ou le stylo et le dessin technique fut grandement simplifié. (Source : Wikipédia).
(3) La tentation de Saint-Antoine (1849-1856-1870), poème en prose de Gustave Flaubert.
(4) La colonie pénitentiaire (1914-1919), nouvelle de Frantz Kafka.