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Temps de lecture estimé : 20 mn
08/04/16
Résumé:  Dans la vie, il faut savoir laisser une place à l'imprévu.
Critères:  fh poilu(e)s campagne anniversai amour strip ffontaine cunnilingu pénétratio confession nostalgie humour
Auteur : Radagast      Envoi mini-message
Une vie

Livre 1




Toute la famille s’active dans le jardin ; mes enfants, aidés de mes petits-enfants, mènent un joyeux raffut. Ma chère et tendre épouse ne doit pas traîner bien loin, bien que l’ordre nous ait pourtant été donné de regarder mais de ne pas nous mêler à cette agitation.


Assis sous la tonnelle, je contemple ce petit monde s’ébattre dans la pelouse. Nos neuf petits-enfants, de 5 à 20 ans, viennent de déclencher une féroce bataille d’eau. Bombes, bouteilles, seaux, tuyaux, tout y passe ; le soleil tape encore très fort en cette fin d’après-midi dans notre petit village d’Ardèche.


Mes deux filles et deux belles-filles dressent la table ; mes fils et mes gendres aident le traiteur à installer les plats sous un petit chapiteau, le tout agrémenté de rires et de plaisanteries. Les belles-familles respectives arrivent en un groupe compact, les bras chargés de fleurs, de bouteilles de vin et de confiseries diverses et variées, arrivée ponctuée de cris de joie et d’embrassades.


Il faut dire que nous ne vivons pas une journée ordinaire : nous fêtons en même temps mes 70 ans et nos quarante ans de mariage.


Hier déjà, le maire est venu nous voir avec le Conseil municipal au grand complet, des amis et d’anciens collègues pour nous décerner la médaille d’honneur de la commune. De beaux discours furent ânonnés ; dans quelques jours notre photo ornera le journal.

Nous en avons profité pour boire un coup, même deux.

Aujourd’hui, la fête est strictement familiale. Quarante années, ce n’est pas rien comme on dit de par chez nous, surtout de nos jours où des unions ne durent que le temps d’un été.


Ma chérie dépose un baiser sur mon front et me passe les bras autour du cou. Je ne l’ai pas entendue approcher. Mes tympans se font vieux, à moins que le vacarme ambiant n’atteigne son paroxysme.



Mélodie, la plus grande de nos petites-filles, vient nous tirer de notre rêverie ; elle est trempée de la tête aux pieds, essoufflée et souriante.



Elle fronce les sourcils, faussement irritée.

Je sais que je ne vais pas m’en tirer par une simple pirouette, d’autant plus que je manque de souplesse !





Lui



Originaire d’un plat pays où les terrils tentaient d’imiter les montagnes, vingt-cinq ans à peine, frais émoulu de l’école, je venais de recevoir ma première nomination dans la Meuse, dans un petit bourg que Maupassant ou Balzac seuls ont dû savoir décrire ; à part les automobiles, l’électricité et la télévision, rien de changé depuis le XIXème siècle. Mêmes regards en coin quand un étranger s’installait dans le village, un étranger étant un gars venant du village voisin. Alors moi, je devais ressembler à un extraterrestre !


Deux cents et quelques habitants perdus au milieu des bois et des prairies.

Saint-Maurice-sur-Mézidon, que ça se nommait. Le Mézidon était une petite rivière qui traînait par là.


Je prenais mon premier poste et allais m’occuper d’une forêt communale, celle de Saint-Maurice, de quelques petites forêts sectionnales et de deux domaniales.


Dans notre administration, on pouvait changer de département et même de région ; pour cela, il fallait faire une demande de mutation.


Lors du départ d’un collègue – ou s’il faisait valoir ses droits à la retraite – son poste se libérait et se retrouvait sur la liste des postes vacants. Tu sélectionnais ceux qui t’intéressaient et en obtenais un en règle générale ; mais certains d’entre eux ne plaisaient à personne : trop loin de tout, isolés, boulot et environnement peu intéressants, ils étaient refourgués aux jeunes qui sortaient de l’école.

Chaque administration jouait le même refrain ; « jouait », car depuis quelques années mes semblables suivaient le même chemin que les dinosaures : l’extinction, grâce à nos chers dirigeants.


Je débarquai début janvier dans la commune de Saint-Maurice-sur-Mézidon, à l’écart du bourg, dans le hameau des Espanchettes.

Dans le village tu trouvais une boulangerie, une poste, une gendarmerie, une épicerie pour le ravitaillement courant, en sachant qu’il te fallait hypothéquer ta maison pour acheter ne serait-ce qu’un paquet de café. Pour le reste – médecin, pharmacie, cinéma ou restaurant – tu devais aller à la ville voisine et te taper 30 kilomètres.


La maison forestière, sans ressembler à un château, n’était pas trop désagréable, à part une isolation très perfectible ; si l’été, l’automne et le printemps restaient supportables, l’hiver l’était beaucoup moins. À l’origine ancienne commanderie des Hospitaliers, elle avait été récupérée par l’État à la Révolution pour finir entre les pattes de l’administration forestière.


Elle possédait des murs aussi épais que le portefeuille d’un banquier suisse, un moignon de tour, et certainement quelques fantômes. Une chaudière bois/fuel me donnait surtout de l’eau chaude ; la cheminée dans le salon me convenait beaucoup mieux. Elle trônait au milieu d’un grand mur, énorme, avec un âtre où tu pouvais empiler des rondins ; j’aimais cette cheminée, sa lumière, son odeur. Il ne fallait pas penser à une cheminée de citadin, un de ces petits machins préfabriqués, mi-plastique mi-papier, mais plutôt à une énorme cheminée de pierre de taille avec de petits bancs de granite autour de l’âtre sur lesquels tu pouvais t’asseoir, juste au ras des flammes, pour passer une veillée avec des voisins ou la famille en grignotant quelques pommes, bardes de lard ou châtaignes grillées en se racontant des histoires.


Gros ennui de ce type de chauffage, seule la salle à manger possédait une température acceptable ; les autres pièces restaient glaciales, sauf la cuisine où une cuisinière à bois récupérée de ma grand-mère me permettait de faire cuire ma soupe.

Si tu savais la quantité de bois qu’il me fallait rentrer pour l’hiver, tu en aurais des courbatures !


À part les agriculteurs, très peu d’habitants travaillaient au village : quelques-uns dans une petite scierie, d’autres bûcherons ou débardeurs ; il existait aussi une petite société de transports. Quelques femmes faisaient caissières dans la grande surface de la ville voisine, ou bossaient dans des administrations diverses. Les autres, femmes au foyer.


Le petit hameau des Espanchettes se composait de trois maisons. Outre la mienne, tu trouvais une ferme où vivait un couple d’agriculteurs à la retraite. Ils élevaient des poules, canards, lapins et une vache pour passer le temps et mettre un peu de beurre dans les épinards.

Et enfin un jeune couple et leur toute petite fille dans une bâtisse retapée.


J’allais parfois voir les retraités pour acheter des œufs ou du fromage ; les autres, je ne les voyais guère : un simple bonjour de temps à autre. Le gars travaillait à la scierie, elle restait à la maison. Je la croisais parfois promenant son bébé.


Les distractions étaient plutôt rares dans le village. Pas de cinéma, mais deux bistrots. J’y fis une ou deux apparitions, pour faire acte de présence en quelque sorte, m’intégrer au village. Dans ces rades, tu n’y entendais parler qu’un peu de foot, beaucoup de cul, et surtout de la chasse.


La chasse : le seul loisir des gars du coin ! La chasse à la bête noire, au sanglier.


De mars à mai, ils parlaient de la chasse qui venait de se passer ; de mai à août, de la chasse à venir, et de septembre à février de la chasse tout court : des obsessionnels ! Évidemment, ces discussions se déroulaient au bar de la Diane, avec force bière et vin blanc.

Mon jeune voisin faisait partie de la société de chasse de Saint-Maurice ; tous les samedis et dimanches il participait aux battues. Il se sentait plus chasseur que mari ou père.


Juste avant la Toussaint, ils firent une véritable boucherie : je crois bien qu’une trentaine de sangliers furent tués le samedi, et autant le dimanche. Je ne te raconterai pas la beuverie qui se déroula dans leur cabanon de chasse, dans un décor d’épouvante. Ils dépecèrent, étripèrent et découpèrent le gibier à grands coups de hachoirs et autres couteaux. Le sang et les viscères giclaient partout, le tout accompagné des jappements furieux de leurs chiens faméliques.


À lui seul, mon voisin en tua dix : raison de plus d’arroser le truc tant et plus, à la bière, au vin blanc et à la mirabelle. Ses collègues le chambraient un peu : dix sangliers en deux jours, on pouvait définir cela comme une chance de cocu !

Il n’en fallut pas plus pour allumer la mèche, introduire un peu de doute dans son esprit confus.


Le dimanche soir, je traînaillais toujours un peu ; je savourais le repos avant de reprendre le boulot le lendemain. Et ce soir-là, juste avant d’aller rejoindre Morphée, j’entendis gueuler au loin. Peu habitué au tapage nocturne dans ce coin de cambrousse, j’allai à la porte jeter un œil.

Je vis venir vers moi une petite silhouette qui courait. Au loin, dans le jardinet de la maison d’en face, mon jeune voisin se démenait. Il tenait, me sembla-t-il, un bâton ; il titubait fortement et beuglait des insanités.


La petite silhouette se rapprocha de moi ; je reconnus ma jeune voisine qui serrait son bébé contre elle. À bout de souffle, elle me demanda :


  • — S’il vous plaît, Monsieur, aidez-nous : il veut nous tuer !

N’écoutant que mon courage, je la laissai entrer. Et là, elle m’expliqua.

Dans la tronche avinée de son mari, une idée s’imposait : s’il avait une chance de cocu, c’est qu’il était cocu ! Il la coursait depuis un quart d’heure dans la maison, une carabine 22 LR à la main, avec la ferme intention de lui faire la peau. Comme il titubait de plus en plus, elle avait réussi à se faufiler par la porte de derrière.


Une seule chose me vint à l’esprit : appeler les gendarmes. Prudent, je sortis discrètement mon arme de service, à tout hasard.


Les pandores arrivèrent dix minutes plus tard dans leur 4L de compétition.

Elle leur expliqua la situation ; ils allèrent voir l’énergumène, qui les traita d’abrutis en voulant leur mettre un pain. Évidemment, ils n’apprécièrent guère et l’embarquèrent vite fait.

Elle fut invitée à passer à la gendarmerie le lendemain, et elle resta plantée là, devant moi, les bras ballants. À l’époque, il n’existait pas de cellule psychologique ni de foyer quelconque où se réfugier, surtout dans ce bled ; démerde-toi, et le Ciel t’enfoncera.

Elle ne voulait pas retourner chez elle ; pas non plus de parents proches où se faire rassurer.

Elle me regardait avec ses grands yeux apeurés.


J’allai chercher une cagette de pommes, vide, dans laquelle je tassai un oreiller ; j’y déposai la gamine et je recouvrai le tout d’une couette, au coin de l’âtre.

Le bébé s’endormit en serrant son doudou.


Elle s’assit dans mon canapé défoncé ; je lui donnai un bol de soupe chaude.

Elle semblait perdue dans ses pensées, parfois secouée d’un frisson. Elle finit par s’assoupir ; je posai une couverture sur ses épaules. Installé à l’autre bout du fauteuil, je la regardais dormir ; je ne tardai pas à la rejoindre au pays des rêves.


Dans le courant de la nuit, je m’éveillai ; sa tête reposait sur mon épaule. Elle était venue se blottir contre moi. Le bébé dormait paisiblement.

Ce fut la première nuit que nous passâmes ensemble, certainement une des plus belles.


Après avoir fait la toilette de sa fille et donné le sein, je l’ai accompagnée à la gendarmerie le lendemain matin ; je devais témoigner moi aussi. L’autre n’était pas encore en état de réfléchir ni d’aligner deux mots.


Ensuite, elle s’installa dans un petit appartement au-dessus de l’épicerie où elle trouva un emploi, mi-caissière mi-femme de ménage.


Et mes emmerdements commencèrent.


Son jules n’était autre que le fils du maire, lui même président de la société de chasse, La Diane du Mézidon. Ces abrutis m’en voulaient d’avoir aidé la petite ; heureusement qu’elle attendait déjà son bébé avant que je ne prenne mon poste, sinon je passais pour l’amant de madame.


Les relations entre la mairie et moi relevaient de la guerre froide : Kennedy-Khrouchtchev, c’était de la rigolade à côté ! Elles emmerdaient aussi mes supérieurs ; mise très vite au courant, ma hiérarchie décida de m’exfiltrer.

Il me fallait rester théoriquement encore deux ans dans ce poste avant de poser un formulaire de mutation ; étant donné les circonstances, je reçus l’ordre de demander mon affectation ailleurs, et de suite. Le ailleurs en question étant les Vosges, je n’avais pas le choix : mon voisin revenu, je craignais qu’il ne me cherche des embrouilles.

Je quittai ce village sans regrets.


Rectification : un seul regret, et de taille : je ne revis jamais cette jeune femme durant ces sinistres mois. Nous nous croisions parfois, avec juste un signe de tête : je ne voulais pas lui créer d’autres problèmes. D’après ce que je savais, elle faisait la même chose de son côté.

J’aurais bien aimé la revoir de plus près. Sa tête posée sur mon épaule me manquait.


Je n’eus que trois mois pour me carapater. Je ne possédais pas grand-chose comme meubles ; un ami m’aida à tout enfourner dans une camionnette. C’est ainsi que je partis par un froid matin de janvier ; un pâle soleil luisait à peine dans le ciel voilé. Dans le Nord, on nomme ce temps « le soleil des leus », un temps tellement froid que seuls les loups osent sortir.


J’ouvrais le chemin avec ma vieille R5.

Au sortir de la petite route qui menait au hameau, je la vis : elle m’attendait au croisement, un bonnet enfoncé sur la tête, son bébé dans les bras et un gros sac à ses côtés ; et son petit nez tout rouge.

Jamais je ne compris comment elle avait su pour mon départ.


Je dus tout de même réfléchir un gros millième de seconde.

Je me suis arrêté, j’ai enfourné son sac dans le coffre, elle s’est assise à mes côtés, son bébé serré contre elle ; tant pis pour la sécurité.

Nous partîmes ainsi pour les Vosges.

Dans la vie, il faut savoir laisser une place à l’imprévu.




Livre 2



Il est difficile de raconter une histoire de cette longueur par cette chaleur. Je souffle et bois un verre de jus de fruit ; ma langue doit ressembler à un vieux paillasson.



Elle savoure cette déclaration avec la moue qu’elle fait lorsqu’elle déguste un calisson d’Aix, sa friandise favorite.




Elle



Depuis cette fameuse nuit, je pensais souvent à lui. Je me faisais un petit cinéma. Je le trouvais gentil et mignon ; je me souvenais aussi de ses attentions envers moi ou ma fille, de ce bol de soupe chaude ou de sa délicatesse lorsqu’il avait étendu la couette sur mon bébé.


Ma vie n’était pas folichonne. Une partie du village m’en voulait ; les autres m’aidaient surtout pour emmerder le maire, comme l’épicière qui m’hébergeait. Des clans se livraient une guerre de tranchées, avec moi au milieu.

Je réalisai bien vite que l’avenir ne me réservait rien de bon si je restais dans ce trou perdu. Je savais inconsciemment que si je voulais m’en sortir, lui seul pouvait m’aider.


Je sus très vite qu’il allait partir. Tout se sait dans ce genre de village : une amie, l’épouse d’un de ses collègues, m’en avait informée. Je connaissais le jour, mais pas l’heure exacte de son départ ; alors ce matin-là je suis arrivée tôt, et j’ai attendu au croisement. Il faisait un froid épouvantable. Toutefois, je me sentais prête à rester plantée là toute la journée s’il le fallait. Je tenais mon bébé serré contre moi, emmitouflé sous plusieurs couches de vêtements ; pour rien au monde je ne voulais le rater, ni que quelqu’un du village ne me voie.


Je n’en menais pas large : il aurait pu tout aussi bien me laisser là sur le bord de la route ; j’espérais ne pas lui être indifférente.


J’ai vu sa voiture ralentir, s’arrêter. Sans un mot, il nous a embarquées toutes les deux. Nous ne nous sommes rien dit tout au long du trajet, mais je me sentais bien. Même la petite restait calme.


Arrivés à destination, il a acheté en catastrophe un lit pour bébé et un autre pour moi. Nous avons installé ensemble le peu de meubles qu’il possédait, et après un repas dans un restaurant nous sommes revenus à la maison.


Je me trouvais dans la chambre d’amis ; ma petite fille dormait dans une chambre voisine.

Je ne savais que faire. Rester là ? Aller le rejoindre ? J’hésitais… Je pensais qu’il allait peut-être venir ; je ne voulais pas non plus passer pour celle qui payait avec son corps, une Marie-couche-toi-là. La raison en était beaucoup plus simple : c’est qu’il me faisait de l’effet, ce grand machin silencieux.


Comme je ne le voyais pas arriver, je pris mon courage à deux mains et je suis allée dans sa chambre. Un homme et une femme, seuls dans une maison ; un homme, qui de plus venait de m’enlever… Perdue pour perdue, autant perdre ma réputation pour de bon.


Il était assis sur son lit, torse nu. Nous nous regardions tous deux, comme des idiots, aussi indécis l’un que l’autre. Il fallait bien que quelqu’un fasse quelque chose ; alors, avec des gestes malhabiles, j’ai voulu me déshabiller. Il m’en empêcha.


  • — Non, m’a t-il dit en se levant.

Je me trouvais au bord des larmes, humiliée, prête à me sauver.

Avant que je ne puisse le faire, il m’a caressé la joue et déposé un tout petit baiser sur la bouche.


C’est lui qui m’a dévêtue.


Moi qui n’avais connu que trois choses dans l’acte sexuel : pénétration, coups de piston et éjaculation – jamais de caresses – je ne savais pas à ce moment-là que j’allais découvrir un monde inconnu, la Terra Incognita, la quatrième dimension.

À chaque vêtement retiré, il me caressait. Agenouillé devant moi, il a baissé mon pantalon et j’en eus la chair de poule.


Il laissait traîner ses doigts et sa bouche sur ma peau. Il revenait régulièrement chercher mes lèvres ; je mordillais les siennes. Sa langue fouillait ma bouche, et je répondais à ses baisers.

Je caressais son dos, son torse tout doux, car monsieur possédait la toison d’un grizzly.

Il régnait une température caniculaire dans cette chambre ; moins j’étais vêtue, plus j’avais chaud.


Il batailla un peu avec mon soutien-gorge : n’est pas Arsène Lupin qui veut ! Quand il découvrit mes seins, j’ai ri : il ressemblait à un petit garçon qui découvre ses cadeaux le jour de Noël. Et j’ai cessé de respirer quand il les a pris dans ses mains. Mes tétons et mes aréoles sont devenus tout durs, sensibles quand il y posa ses lèvres ; je ne pouvais m’empêcher de gémir. Toute ma peau semblait entrer en fusion.


Ce soir-là, il m’a véritablement envoûtée ; en y songeant, avant ce jour je n’avais jamais connu le plaisir. Puis ma culotte disparut elle aussi. Il fourrait son nez dans ma toison et y soufflait dedans ; il avait de quoi s’amuser car à l’époque, l’épilation n’était pas à la mode.


Quand il passa sa langue sur mon petit ourson, j’ai sursauté.

Certes, je connaissais cette pratique, mais seulement par ouï-dire ; sur le coup, je me suis demandé ce qu’il voulait faire, mais j’ai très vite compris. Ce genre de truc, il ne faut pas te l’expliquer longtemps.


Il m’allongea sur le lit, jambes écartées, et il se déchaîna.

Il m’embrassait, me léchait, me mordillait les orteils, caressait ma poitrine ; il était partout à la fois : sur ma bouche, mes seins ou mes pieds. Quand il embrassa mon abricot, je dus recevoir une décharge électrique, un peu comme celle d’un Taser. Ce vieux fond de pudibonderie que l’on t’inculque au catéchisme tenta bien de refaire surface ; d’abord tétanisée, je me laissai aller : nul ne résiste au grizzly !


Il glissa un doigt dans mon ourson et dénicha un point – je ne sais trop où – en même temps qu’il passait sa langue sur mon sillon. Je ne connaissais presque rien à la sexualité ni au plaisir ; je savais juste comment on faisait les enfants : j’en avais eu un. Mon clitoris, comme personne ne s’y était intéressé, je savais à peine qu’il existait. Sur le moment, je m’en foutais : j’avais chaud, froid, les deux ensemble, mes cheveux et mes poils se hérissaient.


Il m’avoua plus tard qu’il avait un peu triché en me faisant un broute-minou avec un bonbon à la menthe glaciale dans la bouche ; il appelait ça « faire La Pie qui Chante » ; j’ai entendu Les Quatre Saisons de Vivaldi et vu le feu d’artifice du 15 août à Gérardmer !


Je mis quelques minutes à me remettre de mes émotions. Je crus ensuite avoir fait pipi, puis non : c’était simplement la première fois que je faisais ce genre de chose. J’en avais foutu partout, les grandes eaux de Versailles !


Tu ne devineras jamais comment il nomma mon petit jardin privé : Iguaçu. Quelques mois plus tard je compris le jeu de mot en regardant un documentaire ; ton Grand-Pounet a toujours été un grand coquin.

Heureusement, je ne faisais pas ça à chaque fois, sinon je ne te cause pas des frais de matelas !

Il était trempé lui aussi.


  • — La prochaine fois, je mettrai un ciré ! m’a t-il dit.

Notre grande spécialité a toujours été de piquer des fous-rires pendant nos ébats.

Un jour, je discutais avec ma gynécologue ; elle m’a expliqué qu’il avait trouvé mon point G, et que ma réaction « humide » était peu fréquente mais naturelle.


Après, à peine remise de mes émotions, il vint sur moi et me pénétra tranquillement. Sentir un sexe d’homme m’investir sans heurts, sans forcer, était une nouveauté pour moi ; je dirais même que ce n’est pas lui qui m’a pénétrée, mais moi qui l’ai accueilli.

Il alternait les mouvements tantôt doux, tantôt vifs, vigoureux, puissants. J’ai joui pour la seconde fois en très peu de temps ; je ruisselais… Il m’embrassait, je gémissais, il me léchait.

Je rayonnais. Je venais de vivre un grand moment : je ressentais mes premiers orgasmes.


Après cette frénésie, profitant d’une accalmie, je partis en exploration ; je n’avais pas eu le temps de le détailler.

Ton grand-père a toujours été bel homme ; et surtout, il ne possédait pas que la toison d’un grizzly : il en avait les… attributs. Pas quelque chose de monstrueux, mais quand même impressionnant. Heureusement qu’il a toujours été attentif, délicat et a toujours veillé à me mettre dans de bonnes… dispositions, sinon – sans vouloir te choquer – je l’aurais senti passer !


Plus tard, blottie dans ses bras après une seconde séance torride, je lui ai demandé pourquoi il n’était pas venu me rejoindre.


  • — Parce que je suis timide, m’a t-il répondu.

Je me suis très longtemps posé cette question : que se serait-il passé s’il n’avait pas été timide ?


Pour la première fois, j’éprouvais de l’amour et du désir pour un homme ; sa gentillesse, ses caresses, son humour, sa prévenance me faisaient tourner la tête. Je venais de me rendre compte que je n’avais jamais aimé, et 40 ans plus tard je l’aime toujours autant, ce vieux nounours…


Tu comprends bien que jamais nous n’avons utilisé le second lit.

Pour « La Pie qui Chante », je lui ai rendu la pareille ; tu peux imaginer comment…


Sans jamais consulter de sexologue ou autre gus de ce genre, nous avons testé nombre de positions différentes pour éviter de tomber dans la routine, mais surtout pour rigoler, et par plaisir. Toutes avec succès. De plus, ton grand-père possède une imagination débordante ; j’avoue ne pas être en reste…


Bien sûr, nous eûmes des engueulades, des chamailleries, mais jamais rien de bien grave. Je savais qu’il y avait une épaule où poser ma tête.


Aux personnes qui, comme toi, nous demandaient des précisions sur notre rencontre, il répétait « Comme Romulus, j’ai enlevé ma Sabine. »


Voilà l’histoire de notre vie.


Mélodie nous regarde tous les deux.


  • — Tu ne diras pas à ta mère que nous t’avons raconté tout ça : elle va dire qu’on radote et qu’on dit des horreurs.
  • — Ne vous en faites pas, cela restera entre nous trois.
  • — Tu nous rassures !
  • — C’est ça, votre grand secret ? Grand-Pounet n’est pas le papa de maman ? Elle le sait ?
  • — Bien évidemment ; quand elle eu l’âge de comprendre, je le lui ai dit.

Ce n’était pas vraiment un secret, mais nous évitions de le crier sur les toits.

Ton grand père est un homme comme on en fait peu. Pour lui, il a eu quatre enfants ; il les aime tous autant les uns que les autres, sauf quand ils le faisaient tourner en bourrique, surtout les jumeaux.


Si tu en parles à ta mère, elle te dira n’avoir qu’un seul père : lui ! Le père n’est pas forcément celui qui ensemence : c’est celui qui se lève la nuit pour te tâter le front si tu as de la fièvre ou pour calmer tes cauchemars.

Celui qui te raconte une histoire le soir avant de t’endormir, qui t’aide à faire tes devoirs, qui t’engueule quand tu fais une connerie.

Celui à qui tu racontes tes chagrins d’amour.

Celui qui hurle de joie quand tu obtiens ton bac.

Celui qui, fier et heureux, t’emmène à son bras devant le monsieur le curé le jour de ton mariage, ou qui pète les plombs quand il devient Grand-Pounet d’une petite Mélodie.


  • — Désolée, je ne voulais pas…
  • — Ce n’est rien, ma chérie.
  • — Je voudrais savoir ; le furieux, qu’est-il devenu ?
  • — Tout d’abord, il ne fut pas trop inquiété pour m’avoir poursuivie avec une arme ; juste quelques remontrances pour ivresse et insultes envers agents de la force publique. Il existe encore trop de cas comme le mien, même de nos jours ; j’ai simplement eu de la chance.

Quelques mois après mon départ, j’entamais une procédure de divorce. Qui n’aboutit jamais : un jour de battue, mon premier mari se fit tirer dessus par un de ses collègues de chasse encore plus bourré que lui ; il l’avait confondu avec un sanglier. Je devenais veuve à 23 ans. Nous nous sommes mariés quelque temps plus tard. Mon ventre s’arrondissait : j’attendais tes oncles, les jumeaux terribles. Plus tard vint ta tante, la gentille Noémie ; nous nous sommes arrêtés là.


  • — C’est beau de vous voir toujours aussi amoureux.

De l’admiration transparaît dans sa voix.


  • — Tu disais que vous vous étiez engueulés parfois. Pourquoi ?
  • — Ton papy en fait toujours des tonnes. Par exemple, aujourd’hui j’ai presque dû l’attacher pour l’empêcher d’aller installer le chapiteau. Le jour où tu es née, il courait partout en hurlant qu’il était papy, puis il s’est rendu compte de ce que cela impliquait : grand-père, Grand-Pounet, il venait de prendre selon lui un coup de vieux. Ça lui a flanqué un tel coup au moral qu’il en avait le zizi en berne, ne voulait plus me faire de gros câlins : il se sentait trop âgé, disait-il. Cette facétie dura plusieurs semaines. Trop vieux à 50 ans ? Quelle connerie ! Moi, je ne me sentais pas trop vieille pour les câlins, alors j’ai utilisé les grands moyens. Un jour qu’il jardinait, je l’ai rejoint et j’ai commencé à faire un strip-tease.
  • — Mamy !
  • — À la guerre comme à la guerre. Tu sais, le truc très chaud comme dans les films, avec jupe fendue, porte-jarretelles et toute la panoplie. Au début, il me regardait bouche bée. Petit à petit, son œil s’éclaira ; une lueur lubrique y frémissait. Une fois nue, je lui ai couru après en criant « Fais-moi l’amour ! » Il n’a pas trop fait d’efforts pour m’échapper. Nous nous sommes aimés là, sur la pelouse, dans un gros tas d’herbe fraîchement coupée. Ça sentait bon !
  • — Quand ta grand-mère a une idée en tête, elle l’a aussi ailleurs…
  • — J’avais tout de même réussi mon coup : tu étais guéri, mais nous étions tout verts !
  • — Mais, Mamy, tu as pensé aux voisins ?
  • — La belle affaire ! Ils auraient vu une bonne femme de 45 ans à poil, et alors ? Surtout que, sans me vanter, à l’époque les hommes me trouvaient encore appétissante, « voluptueuse » comme il dit. Et puis l’affaire me semblait trop grave : je ne pouvais le laisser comme ça. Aux grands maux les grands remèdes ! Je dois te dire un secret : il nous arrive encore de faire l’amour, beaucoup moins souvent qu’avant il est vrai. Mais j’aime toujours autant ses caresses et ses baisers sur mon corps. Surtout, j’aime me savoir à ses côtés. Il reste en moi un peu de cette jeune femme un peu perdue qui est venue poser la tête sur son épaule.


Il y a un grand silence tout à coup dans le jardin.

Alignés en rangs d’oignons derrière nous, toute la famille nous écoute religieusement. Tout à notre récit, nous ne les avons ni vus ni entendus s’approcher. Des femmes – dont nos filles – écrasent une larme.


  • — Il y a longtemps que vous êtes là ?
  • — Encore assez… répondent les jumeaux en chœur.

Et tous deux de nous embrasser à nous étouffer.


  • — Venez, tout est prêt ; nous n’attendons plus que vous.

Alors que nous nous levons, mes gendres m’entraînent à l’écart.


  • — Dis, Pierre, tu pourrais nous donner quelques conseils sur « la Pie qui Chante » ?




Épilogue



Nous rejoignons le petit chapiteau en nous tenant par la main.



Tandis que nous buvons une coupe de champagne, j’ai une soudaine révélation.