n° 17369 | Fiche technique | 63129 caractères | 63129Temps de lecture estimé : 39 mn | 07/05/16 |
Résumé: Ils s'aimaient. Ils auraient pu être heureux, avoir des enfants, et tout et tout. Mais ils étaient jeunes. Et la brune avait une brèche en elle. Le Con, avant lui, l'avait perçu. Alors, l'étudiant a tout perdu. | ||||
Critères: fh fhh jeunes hplusag jalousie double fsodo | ||||
Auteur : Xavier2 Envoi mini-message |
Paloma ? La baby-sitter ? Bien sûr que je me souviens. Une petite brune, pas beaucoup de formes, mais un bon coup. Un beau cul aussi. Ça ne se devinait pas quand elle était habillée, mais à poil, bonne surprise ! Je n’ai pas à rougir de ce qui s’est passé. Quand je l’ai connue, elle s’habillait comme une lycéenne, faisait l’amour comme une lycéenne. J’ai fait d’elle une femme. Et quand elle est partie, je n’ai pas cherché à la retenir. J’étais même soulagé. Mon rôle était terminé. Il était temps qu’elle revienne à des garçons de son âge. Mais je pense sincèrement l’avoir aidée. L’apprentissage de la sexualité, c’est toujours un passage délicat pour une jeune fille si elle tombe sur des garçons inexpérimentés, qui ne savent pas faire. Je lui ai fait gagner du temps. Je ne dis pas que les garçons qu’elle a connus après moi devraient me remercier, mais presque. Alors où est le mal, puisque ma femme ne l’a jamais su et que tout le monde a été content ?
Et c’est elle qui est venue vers moi. Elle aurait été vierge, je ne l’aurais pas fait. Un pucelage, ça se respecte. Mais elle lisait notre collection d’Union quand elle gardait notre fils : ça veut bien dire que ça la chauffait, non ? Dans la voiture, elle me dit qu’elle n’a jamais eu d’orgasme avec les garçons avec qui elle a couché : le message est clair. C’était une fille intelligente, instruite. Son père était professeur à la faculté. Elle savait ce qu’elle voulait, et elle l’a eu.
C’est vrai que je me suis pris au jeu. C’est excitant de faire l’éducation sexuelle d’une jeune fille. Dès la première fois où on a couché ensemble, je l’ai fait jouir. Le premier orgasme de sa vie. Après, elle m’a fait confiance, et elle a eu raison. Je lui ai tout appris : les pipes, la sodomie, les positions, mettre des talons et des sous-vêtements sexy, porter un plug, caresser avec les pieds, les jeux érotiques. Et elle est toujours revenue, je ne l’obligeais pas, preuve qu’elle appréciait.
La seule chose que je regrette, c’est Régis. Peut-être qu’elle était un peu jeune pour faire l’amour avec deux hommes. Mais elle ne s’en est pas plainte, au contraire même. Et Régis nous prêtait son appartement. Elle en profitait bien, elle aussi. À un moment, un service, ça se rend. En plus, elle commençait à confondre plaisir physique et sentiments. Il fallait bien que je lui montre que ce n’était que du sexe, même si on était bons amis, et qu’elle pouvait avoir du plaisir avec un autre homme que moi.
À force de faire l’amour, ça lui était monté à la tête. Je l’ai compris lors du seul week-end qu’on a passé ensemble. Un médecin de l’hôpital avait un bateau, sur la Côte. Il me donnait une enveloppe, au noir bien sûr, pour nettoyer la coque avant la saison. Cette année-là, j’ai dit à ma femme que j’y allais seul, et j’ai emmené cette fille. Elle était vaillante. Elle m’a bien aidé à récurer la coque. Mais elle a eu sa récompense : je l’ai bien récurée, elle aussi pendant ce week-end, si je peux me permettre cette expression. C’était agréable de la voir pour la première fois au grand jour, de la sentir se frotter contre moi sur la plage avec ses petits seins, dormir la nuit serrée contre mon corps. J’avais amené le sac des affaires que je lui avais achetées et que je laissais chez Régis : sandales à talons hauts qui faisaient un peu salope, mais lui allaient très bien, jupe vraiment mini, chaîne de cheville, bague de doigt de pied, string. Elle en jetait habillée comme ça quand on est allés sur la plage, ou en boîte le soir. Ça la rendait plus femme.
C’était bon de la voir danser pour moi en boîte. Moi, la danse, c’est pas mon truc, je préfère rester au bar. Elle, elle bougeait vraiment bien, en me regardant, comme je le lui avais demandé. Ça me faisait bander de penser qu’elle dansait nue sous sa jupe, avec mon odeur entre ses jambes. On avait fait l’amour en rentrant de la plage. Ça l’avait surprise que je ne veuille pas qu’elle prenne de douche après, ni qu’elle remette une culotte. Mais j’avais ajouté que plein de femmes faisaient ça, alors elle m’avait cru. C’était l’avantage avec elle : comme c’était moi qui l’avais fait jouir pour la première fois et formée sexuellement, je la tenais à ma main, elle croyait tout ce que je lui disais.
Bien sûr, je n’aurais pas demandé ça à Sylvie. Elle est ma femme, la mère de mon fils. Mais cette fille, c’était différent : une histoire de cul. Ça m’a fait rire quand elle m’a dit en marchant vers le restaurant qu’elle sentait mon sperme couler entre ses jambes. Je lui ai répondu que c’était mieux qu’il coule maintenant, qu’elle ne tacherait pas sa jupe quand elle serait assise. Ça l’a rassurée.
Mais le lendemain, sur la route du retour, ça s’est compliqué. Son discours, elle l’avait certainement préparé, elle devait y penser depuis un moment. Elle parlait vite, ses phrases s’enchaînaient. Des mots d’amour, elle m’en avait déjà dit. Mais juste après l’orgasme, comme beaucoup de filles, et dans ces moments ça ne compte pas. Comme j’aimais bien lui faire dire des mots cochons quand je la baisais, c’était sans doute pour elle une manière de compenser.
Là, elle m’a dit qu’elle m’aimait, mais à froid. Elle m’a dit aussi qu’elle avait beaucoup de sympathie pour Sylvie, ne lui voulait aucun mal, alors qu’elle avait imaginé une solution : un couple à trois ! On pourrait partir tous ensemble au camping en août, elle garderait notre fils la journée, ce qui me laisserait des moments d’intimité avec Sylvie. Le soir, je leur ferais l’amour à toutes les deux. Elle était même d’accord pour faire l’amour avec une femme, si Sylvie en avait envie. Et au retour des vacances, elle viendrait vivre chez nous. Ça ne l’empêcherait pas de poursuivre ses études à la fac, elle était majeure, ses parents seraient bien obligés d’accepter. Elle a même ajouté qu’elle savait qu’on avait des difficultés à avoir un second enfant, et que si j’en voulais un autre, elle arrêterait de prendre la pilule…
J’ai bien été obligé de la faire redescendre sur terre. Mais je me suis dit que mes mots ne suffiraient pas, qu’il faudrait un acte fort pour qu’elle se détache un peu de moi. C’est là où j’ai pensé à Régis. On s’entend bien, et je savais qu’il assure : on a baisé quelques fois ensemble des infirmières de l’hôpital. L’idée lui a beaucoup plu. Il m’a dit que ce serait une bonne solution pour lui faire comprendre.
J’ai dit à Paloma que Régis voulait connaître, par curiosité, la fille à qui il prêtait chaque semaine son appartement depuis plus d’un an. Elle ne s’est pas méfiée, elle a trouvé ça normal. Régis a été un peu déçu quand elle est arrivée. Habillée normalement, elle ne payait pas de mine. Mais quand je lui ai dit d’aller se changer dans la salle de bains et qu’elle en est ressortie en mini-jupe, maquillée, avec ses talons, sa chaîne de cheville et sa bague argentée à un doigt de pied, son regard a changé.
Je l’ai emmenée dans la chambre, et j’ai commencé à la chauffer : baisers dans le cou, mots coquins, petites torsions du bout des seins. J’étais dans son dos, elle ne pouvait rien faire. Quand j’ai senti en mettant la main dans son string qu’elle était à point, je lui ai dit pour Régis. Je lui ai expliqué que c’était une expérience que toute femme devait faire dans son parcours initiatique, que c’était important pour elle de voir qu’elle pouvait jouir avec un autre homme que moi. Au début, elle ne voulait pas, mais comme je continuais à bien à l’affoler avec mes caresses, elle a fini par accepter et j’ai appelé Régis.
Elle n’a pas eu à le regretter. On l’a bien travaillée. On lui a même fait une double pénétration, une vraie, pour qu’elle connaisse : moi derrière, et Régis allongé sur nous. Pas jusqu’au bout, parce que je n’aime pas trop. Ça limite les mouvements, et je trouve que ça fait un peu gymnastique suédoise. Après, on l’a prise à tour de rôle. Et comme c’est excitant de baiser la même femme à deux, il y a un côté émulation, on l’a prise deux fois chacun. Pendant plus d’une heure, elle a tout le temps eu une bite en elle. Régis a même joui une fois dans ses fesses. Je les avais ouvertes pendant la double pénétration, il m’a dit après qu’il était entré très facilement et qu’elle avait un cul délicieux, très tendre. Là aussi, je l’avais bien formée, bien assouplie. Et puis, la résistance à la sodomie, chez les femmes, c’est psychologique : quand la tête veut, le reste suit. Je lui avais expliqué que toutes les femmes faisaient ça quand elles avaient leurs règles. Elle me faisait confiance, je la préparais bien, alors c’était devenu pour elle une pratique naturelle.
Sans me vanter, je peux dire qu’on l’a bien défoncée, dans le bon sens du terme. Quand on a arrêté, elle ne savait plus où elle habitait. On est allés boire une bière avant de revenir dans la chambre. Elle était toujours là, dans la même position, couchée sur le dos, bras écartés, jambes ouvertes, yeux fermés. Seuls ses petits seins bougeaient : ils se soulevaient au rythme de sa respiration. Elle avait vraiment pris sa dose. Chez une femme, serrer ou croiser les jambes, c’est un réflexe acquis dès le plus jeune âge. Mais on l’avait tant baisée qu’elle n’en avait plus la force. On voyait notre sperme suinter de sa chatte ouverte. On était fiers de nous. Quand elle a repris ses esprits, elle était toute câline. On se la passait, elle venait dans nos bras, encore nue, se frotter, se faire embrasser. Quand elle est partie à la fac, Régis m’a rappelé dans la chambre : il y avait deux grosses taches sur le drap, l’une à l’endroit de sa chatte, l’autre un peu plus haut. Il m’a fait rire en me disant qu’il allait encadrer le drap.
Après, elle a eu les idées plus claires. D’ailleurs, ça lui a certainement servi, parce quelques mois plus tard, elle m’a dit qu’elle avait rencontré un garçon de son âge, que c’était sérieux, et qu’elle ne pouvait plus continuer avec moi. Ce que j’ai très bien compris.
Je l’ai croisée une fois dans la rue, sans doute avec ce garçon. Ils allaient bien ensemble, le même âge ou presque. Ma femme et notre fils étaient contents de la revoir. Moi, je me disais que j’aurais bien aimé la tirer discrètement de temps en temps, une sorte de droit de suite après lui avoir tout appris. Mais c’était juste l’émotion de la revoir. Son projet de couple à trois prouvait qu’elle pouvait devenir envahissante. Il valait mieux que ça se soit terminé comme ça, et que ce garçon profite de ce que je lui avais enseigné : c’est la vie.
À part ça, elle était gentille, s’entendait bien avec ma femme et notre fils quand elle venait faire du baby-sitting. Elle était jolie, dans son genre, et un très bon coup, une fois formée. Elle aimait ça, je peux vous le dire ! Après cette rencontre dans la rue, je ne l’ai jamais revue. Je ne vois pas ce que je peux dire d’autre, sinon que je lui souhaite le meilleur. Régis, il m’en reparle parfois, puisqu’on est toujours collègues à l’hôpital. Il dit qu’elle était bonne. Ce n’est pas méchant, ça nous fait rire.
Paloma ? Un immense regret, une blessure. Mon premier amour, et même la femme que j’ai sans doute le plus aimée dans ma vie. On était jeunes. C’était il y a longtemps. J’embellis, peut-être. Mais je ne crois pas. On a passé sept ans ensemble. À cet âge, ça compte : on a grandi ensemble, on s’est construits ensemble. J’ai tourné la page, je suis marié, j’ai deux enfants. Je ne lui en veux plus du mal qu’elle m’a fait. Moi aussi, je lui en ai fait. Elle avait des problèmes. Et moi, pas la maturité suffisante pour les surmonter. L’amour, c’est un cadeau empoisonné quand il vient trop tôt dans une vie.
Elle n’était pas d’une beauté qui se frappe au premier regard. Un peu garçonne, mince, cheveux courts, hanches étroites, petits seins. Mais une fois que vous l’aviez vue nue, impossible de ne pas tomber sous le charme. Une harmonie parfaite : des longues jambes, des fesses musclées, les reins creusés, le ventre plat. Vive, beaucoup d’humour, aussi.
Je la connaissais vaguement, la petite sœur d’un copain, quand on s’est croisés en boîte, un été sur la Côte. C’est allé très vite. Elle avait l’air timide, mais était résolue. Pareil pour la manière dont elle faisait l’amour. J’avais vingt et un ans. Elle dix-neuf, à un mois près. Je n’ai pas honte de le dire, elle avait de l’avance sur moi : ma première pipe, ma première sodomie, c’est elle. Mais tout semblait naturel et pur, avec elle. Ça me fait bizarre d’employer le mot « pur », avec le recul. C’est pourtant l’image que j’avais d’elle, à nos débuts. Et que j’ai gardée d’ailleurs.
Je me souviens lui avoir posé des questions sur la manière dont elle faisait l’amour, car elle était vraiment experte pour son âge, et ça ne s’apprend pas dans les livres. Rien à voir avec les filles que j’avais connues avant elle. Elle était restée évasive, et comme on s’aimait, ça ne m’avait pas paru important.
Notre première année ensemble a été magique. La plus belle année de toute ma vie. J’étais en troisième année de droit, elle en première année de lettres classiques. Elle faisait du latin, du grec. Ça m’impressionnait. Tous les matins, elle prenait son vélo et s’arrêtait chez moi sur le chemin de la fac. Je laissais la porte de mon studio ouverte. Elle se déshabillait pendant que je dormais encore, se glissait dans le lit, on faisait l’amour, et on arrivait à la fac vers midi. Vous vous rendez compte ? Tous les matins… Chaque fois qu’on faisait l’amour, elle dessinait une petite marguerite sur son agenda. À la fin de l’année, elle me l’a montré : un champ de marguerites. Il y en avait partout, à chaque page ou presque. Ça m’émeut encore aujourd’hui d’y penser.
Et puis notre histoire s’est assombrie. Je n’ai rien vu venir. On avait passé quatre jours ensemble, comme des grands, à aller d’hôtel en hôtel dans des petits ports de la côte basque espagnole. Je repartais chez mes parents. Elle rejoignait les siens dans leur maison de vacances, au-dessus de la baie de San-Sebastian. C’était un matin de juillet. Il faisait beau. Elle m’a demandé de la laisser sur la plage de San-Sebastian. J’ai appelé chez elle, le soir. Elle n’y était pas. Sa mère m’a dit qu’elle lui avait téléphoné dans la journée, avait rencontré une de ses amies sur la plage et dormait chez elle. Même chanson le lendemain.
Paloma m’a rappelé le jour suivant. Sa voix était joyeuse. C’est quand on s’est revus, quinze jours plus tard, qu’elle m’a tout dit. Un homme sur la plage. Un peintre. C’est avec lui qu’elle avait passé ces deux jours. Elle m’a parlé de Gilles aussi, de leur liaison pendant près de deux ans. Je me souvenais avoir croisé ce type, dans une rue. Sa femme et son fils étaient heureux de revoir Paloma. Lui, moins. Un type banal, pas très grand, un peu gros, qui me regardait bizarrement. Maintenant, je comprenais pourquoi. Quelle merde, ce type ! Il n’avait pas le droit de faire ça. Si j’avais su quand je l’ai croisé, je lui aurais éclaté la gueule. Mais ça n’aurait servi à rien. C’était déjà trop tard.
Quand elle m’a parlé de l’homme de la plage, j’étais au-delà de la colère ou de la jalousie : dévasté. Elle pleurait, disait qu’il y avait quelque chose d’anormal en elle, qu’il fallait que j’attende, qu’un jour tout rentrerait dans l’ordre. Je lui ai répondu que j’attendrais. Que vouliez-vous que je fasse d’autre, face à la fille que j’aimais et qui pleurait devant moi ?
Elle a recommencé, un peu moins d’un an plus tard. On était partis étudier à Paris, mais on ne vivait pas ensemble. Pas de portables, à l’époque. Nos rendez-vous étaient flous. Elle devait venir me voir, un soir. Elle m’a appelé depuis une cabine, elle n’avait pas le téléphone dans son studio, pour me dire qu’elle avait trop de travail. C’est après que je me suis inquiété. Elle ne rappelait pas. J’allais chez elle, elle n’y était pas. Trois jours comme ça ! Le lundi soir, enfin de la lumière chez elle. Dès qu’elle a ouvert la porte, j’ai su à son visage qu’elle avait recommencé. Un chauffeur de taxi… Elle vient chez moi, le chauffeur la fait monter devant en prétextant qu’il a fini sa journée, la baratine, et elle le suit ! Les mêmes larmes, les mêmes mots. Et toujours le même genre d’homme, tombé à l’improviste. La quarantaine, pas spécialement beau disait-elle. Il y en a eu d’autres : un chanteur espagnol venu se produire à sa fac, un vendeur de chaussures qui avait caressé ses jambes en lui faisant essayer des escarpins, un contrôleur de train. Ces types-là, c’était Gilles, encore Gilles, toujours Gilles. Ce salaud, sans le savoir, il nous a détruits.
Des rencontres fortuites, à chaque fois. Des hommes qu’elle ne revoyait jamais. Quelques jours d’absence, et elle revenait, en larmes, désespérée d’avoir cette bête, tapie en elle, qui se réveillait sans prévenir quand elle croisait un homme de ce genre. Elle me suppliait de l’attendre, répétait que ça allait forcément lui passer. Ses promesses étaient devenues plus précises : quand elle aurait des enfants, disait-elle. Et elle en voulait beaucoup, peut-être pour se prémunir contre ce danger qu’elle portait en elle.
Moi, parce que je l’aimais, je l’attendais. Mais je la trompais, ostensiblement, sans rien lui cacher. Pour me venger, bien sûr. Mais il y avait autre chose, de pire encore. Ces hommes de quarante ans, ils avaient un talent que je n’avais pas, puisqu’elle recommençait. Ils ne la faisaient pas rire comme moi. Elle ne les aimait pas comme moi. Ne restait qu’une hypothèse : ils la baisaient mieux que moi. En la trompant, je me rassurais.
Si on avait été forts, ou intelligents, on se serait dit :
Une année à Pâques, on part en vacances en Algérie. J’avais pris mon premier poste en province, Paloma préparait son agrégation à Paris. On arrive un soir à Ghardaïa, après une journée de bus depuis Alger. On a l’adresse d’un type qui fait hôtel dans sa grande maison. Il nous invite à prendre un thé dans son salon. Je suis flatté par son accueil. J’accepte. Il est face à nous, à moitié allongé sur de grands coussins, très volubile. Nous dit qu’il aime beaucoup la France, les Françaises surtout. Qu’il a une petite amie à Marseille. Il devient égrillard, lourd même, à donner des détails sur la manière dont il la baise. Un con, comme on en rencontre parfois dans les bars.
J’étais gêné, pas pour moi, mais pour Paloma. Je me suis tourné vers elle. Et là, je l’ai vue. Elle le regardait fixement, comme hypnotisée, respirait fort. J’ai compris que c’était pour elle que ce type parlait de cul, en la regardant lui aussi, qu’il avait flairé la bonne affaire, le coup d’un soir, et que moi je n’existais plus pour eux. J’ai craqué. Ce type représentait pour moi tous les hommes qui l’avaient baisée, Gilles et les suivants. Il leur ressemblait, était l’un d’eux, et allait payer pour tous.
Pas facile de frapper un type à moitié allongé. Il a pris ma droite, mais l’a accompagnée en se jetant en arrière dans ses coussins, et a appelé au secours. Des employés de sa maison d’hôte sont arrivés, et nous ont jetés dehors. J’ai pris des coups, j’en ai donné. Je saignais de la bouche, j’avais mal à une main. J’entendais Paloma pleurer derrière moi dans la nuit pendant qu’on cherchait un hôtel. On est revenus à Alger le lendemain. Le voyage en bus a été interminable. Le reste de la semaine aussi. On a fait l’amour, mais je n’étais plus là. Je l’avais vue, j’avais vu son visage quand elle avait envie d’un homme. Et je savais que je ne pourrais jamais l’oublier.
Quand on est rentrés, on n’a pas arrêté tout de suite. Elle traversait la France en train pour venir me voir. Sans doute pour se faire pardonner l’histoire de Ghardaïa. Mais dans ma tête, c’était terminé. Deux mois après l’Algérie, j’ai rencontré une fille normale, saine, en qui je pouvais avoir confiance. Et j’ai dit à Paloma que c’était fini.
Voilà. C’est tout. J’ai des nouvelles d’elle, de temps à autre, puisqu’on a gardé des amis communs. Je sais qu’elle vit à Bordeaux, avec le même homme depuis des années, qu’ils ont trois enfants. Un ami m’a dit l’avoir croisée dans une rue, elle conduisait une Espace avec ses trois enfants à bord. C’était l’incarnation du bonheur, pour elle, quand on était ensemble : une Espace avec plein d’enfants. Ça me faisait rire, elle me disait que j’étais un idiot, que je comprendrai plus tard. Elle l’a eu, son rêve. Pas avec moi, mais elle l’a eu quand même. Alors, j’espère qu’elle est heureuse, c’était vraiment une fille bien, elle le mérite.
J’espère surtout qu’elle a trouvé la paix, qu’elle n’a plus ces espèces de pulsions sexuelles qui ont tout cassé entre nous. Quand cet ami m’a parlé de Paloma en Espace, ça m’a fait plaisir pour elle, bien sûr. Mais en même temps, une brûlure au coin du ventre. Très longtemps après notre rupture, j’ai continué à rêver d’elle. Impossible de la chasser, c’était inconscient, je ne savais jamais quand ça allait se produire. Je m’endormais, même avec une fille à côté de moi. Et elle revenait dans ma nuit. Elle était là. En voyage aussi. Chaque fois que j’étais dans un bel endroit, ou que je voyais quelque chose de particulier, c’était à elle que je pensais. Je me demandais ce qu’elle en aurait dit, si on avait été d’accord.
Ça a fini par me passer, quand j’ai rencontré ma femme. Je ne m’en suis même pas aperçu. C’est au bout de six mois, un an peut-être, que j’ai réalisé qu’elle n’était plus revenue dans mes rêves. Ça m’a soulagé, libéré même. C’est revenu il y a quelques années. C’est bête, hein ? Je ne pense jamais à elle dans la journée. J’ai ma vie, j’aime ma femme. Paloma, c’est très loin maintenant. Mais elle revient de temps en temps dans mes rêves, sans s’annoncer. Et le matin, je suis heureux qu’elle soit revenue me voir.
Ah si, autre chose. Trois ou quatre ans après notre rupture, j’ai un coup de blues un été. Je me dis que je suis peut-être passé à côté de la femme de ma vie. Je prends ma voiture, vais à San-Sebastian. Je longe la plage à pied, me dis qu’elle y est peut-être, crois plein de fois la reconnaître. Après, je monte à la maison de ses parents. Elle n’est pas là, mais sa mère me reconnaît, m’ouvre la porte. On parle un peu. Et à un moment, elle a une phrase terrible :
Un peu raide, non ? Elle devait être aigrie, cette femme. Parce que je suis certain que Paloma était toujours aussi belle. Vous l’avez vue récemment ? Elle est comment ?
J’ai mal démarré dans ma vie. Ma vie de femme, je veux dire. C’est facile d’être lucide, des années après. Sur le moment, on ne sent rend pas compte. J’étais plutôt solitaire, enfant. Je lisais beaucoup. Quand mes parents sortaient, j’allais piocher dans leurs livres. Vers douze ans, je suis tombée sur une scène de sexe. Je me souviens d’une bouffée de chaleur en moi. À partir de là, j’ai épluché toute leur bibliothèque, surtout les livres rangés en haut. Je cherchais les passages qui décrivaient l’orgasme féminin. Je m’en délectais, il me tardait de connaître les mêmes émois que les femmes qui faisaient l’amour dans ces livres.
Ça m’a donné un goût précoce pour la sexualité. Ma virginité, je m’en suis débarrassée à quinze ans, avec le premier garçon convenable que j’avais trouvé. Déception. Pas désagréable, mais rien à voir avec ce que j’avais lu : pas de montée vers le plaisir, pas de vague qui déferle. Je ne m’en suis pas inquiétée. Je me disais que ça viendrait. Ça n’est jamais venu. Ni avec ce garçon quand on a recommencé, ni avec les autres. Est alors née en moi une immense crainte : et si j’étais frigide ?
Cette question, elle me poursuivait, me terrifiait, revenait chaque fois que j’avais fait l’amour, quand le garçon se retirait de moi. Et les jours d’après, encore plus. Ça me semblait être la pire des injustices, une malédiction : ne jamais connaître, de toute ma vie, ce plaisir dont j’avais lu mille fois la description dans les livres.
En terminale, une de mes amies de classe déménage. Elle habitait en centre-ville. Ses parents ont acheté une maison, sur les coteaux. Elle ne peut plus faire du baby-sitting chez le couple dont elle gardait le fils, et me propose de la remplacer. Elle me le présente : Sylvie, visiteuse médicale, Gilles, infirmier à l’hôpital. Elle a un beau visage, quelques kilos en trop, mais ça va. Leur fils, Patrick, a trois ans : une bonne bouille ronde, très souriant. Sylvie me fait la bise. Gilles, je préfère lui serrer la main, des copines m’ont raconté des trucs moches sur les maris chez qui elles faisaient du baby-sitting.
On s’entend bien. Ils arrondissent le décompte des heures à la somme supérieure. Je vais chez eux en bus, Gilles me ramène en voiture. Ça les épate que je fasse du latin et du grec. Pas des intellos, mais mieux que ça, des gens généreux, amoureux, qui savent vivre puisqu’ils sortent chaque semaine et m’appellent pour que je garde Patrick : un ciné, un resto.
Il y a en plus quelque chose qui m’impressionne chez eux : ils ne s’aiment pas qu’avec le cœur. Ils se touchent tout le temps, s’embrassent. Chez moi, c’est plutôt la Sibérie entre ma mère et mon père. Quand je regarde ma mère, je lui en veux. Je me demande si ce n’est pas elle qui m’a refilé sa frigidité. Sylvie, le grand frisson, elle connaît, ça se voit, ça se sent. Elle l’a même évoqué, une fois. Elle me disait qu’ils essayaient d’avoir un deuxième enfant, mais que ça ne marchait pas. Et a ajouté avec un rire complice :
Ça m’a fait rêver. Je l’imaginais au lit avec son mari, dans l’extase, feulant, griffant, comme dans les livres. J’avais de la tendresse pour elle. Et pour Gilles, du respect : il savait donner du plaisir à une femme, pas comme les garçons qui s’étaient succédés entre mes jambes. C’est idiot, je le sais maintenant, mais je me disais à l’époque que c’était peut-être parce qu’ils exerçaient une profession médicale : ils devaient savoir comment fonctionne un corps, forcément.
J’aurais bien aimé parler à Sylvie de mon problème de frigidité. Avec ma mère, impossible, pas le genre. Elle avait blêmi quand je lui avais dit que je prenais la pilule, m’avait dit de faire attention, mais ne m’avait posé aucune question ensuite. Mes amies ? Elles se vantaient, j’en étais certaine. Sylvie, ça aurait été bien. Elle avait le bon âge, pas trop éloignée de moi. Et elle savait. Mais je n’en ai jamais eu l’occasion, on se voyait très peu en tête à tête, c’était toujours son mari qui me ramenait.
Que fait une baby-sitter quand l’enfant dort ? Elle farfouille, c’est plus drôle que la télé. Dans la chambre de Sylvie et Gilles, j’ai trouvé une pile d’Union. J’avais vu des affichettes sur les kiosques. Mais je ne connaissais pas. Très instructif. Utile aussi. J’y repensais en me caressant avant de m’endormir. Là, j’y arrivais, facilement même, et depuis longtemps. C’était l’autre orgasme qui ne venait jamais, le grand, le vrai, celui qui part de l’intérieur et laisse une femme anéantie, Union le disait aussi.
Un soir, catastrophe. Le film ne leur a pas plu, ils rentrent tôt. Je lis Union assise sur leur lit quand j’entends la porte s’ouvrir. Je range en vitesse, me précipite vers eux. Ils vont dans leur chambre, mais ne s’aperçoivent de rien. Gilles me ramène, tout va bien. Feu rouge. Il s’arrête. Et là, honte de ma vie :
Heureusement, il fait nuit. Je dois être rouge comme une pivoine, mais il ne peut pas le voir. Je regarde fixement devant moi, essaie de trouver une réponse intelligente, d’éclaircir ma voix pour paraître naturelle :
Il rit :
Je suis coincée. Je ne trouve rien à répondre. Il me tarde qu’on arrive, mais Gilles roule lentement.
Je ne sais pas pourquoi j’ai précisé ce détail. Sans doute pour lui prouver que je ne suis pas une oie blanche, que moi aussi je sais des choses.
Sa voix est douce, rassurante. C’est la première fois que je parle de sexualité avec un adulte. Il est amoureux de Sylvie, aucun risque. Et si je lui disais ce qui me ronge depuis deux ans ?
Je ris avec lui. On est arrivés. Il se gare le long du trottoir, mais pas devant le portail de mes parents, juste avant, et coupe le moteur.
Finalement, c’est simple de parler de sexualité. Il suffit de trouver quelqu’un qui écoute, qui sache, ne se moque pas. Je suis surprise d’en dire autant. Mais j’aime bien la manière dont Gilles en parle. Il ne dit pas des mots vulgaires, explique bien. C’est intime, une voiture. On se sent protégée. Personne ne peut entendre. Et la nuit, on en dit davantage. Ça reste secret, pas comme au grand jour.
Il se penche pour ouvrir ma porte. Son bras passe devant mon corps, tout près. Son visage se tourne vers le mien. Je le regarde aussi. On reste comme ça quelques secondes. Je repense à ses mots : caresses, baisers, être prête, avoir envie. Ils dansent dans ma tête, m’étourdissent. Ses lèvres sont devant les miennes.
Il n’attend pas ma réponse. Sa bouche se rapproche. Je ferme les yeux, mais ne détourne pas le visage.
Oui, c’est différent. Sa langue n’est pas intrusive, ses mains ne vont pas partout. Il me tient, plutôt fermement, mais je suis bien dans ses bras. C’est lui qui interrompt ce baiser. Il me regarde, me sourit gentiment. Il ouvre ma portière, me souhaite bonne nuit et me demande de penser à ce qu’il m’a dit. J’y pense, en me caressant dans mon lit, et je jouis très vite, très fort.
J’étais quand même gênée quand je suis revenue chez eux. D’ailleurs, j’y étais allée à vélo, pour que Gilles ne me raccompagne pas. Il m’a accueillie le plus naturellement du monde, Sylvie aussi. Ça m’a rassurée. Ils sont rentrés tard ce soir-là, ils avaient pris un verre après le film. Sylvie se frottait contre Gilles. Lui, ne regardait qu’elle. Il leur tardait visiblement que je m’en aille pour se jeter dans leur lit. Je suis partie contente pour eux, pour Sylvie surtout, en me disant qu’un jour je serai comme elle.
La semaine suivante, vacances de Pâques. C’est Gilles qui a appelé pour que je vienne garder Patrick. D’habitude, c’est Sylvie. Mais je n’y ai pas prêté attention. Je suis allée chez eux à vélo, pour la même raison que la fois passée. Gilles m’a ouvert. J’ai trouvé curieux qu’il soit en chemise, et pieds nus. Tout de suite, il me dit que nous sommes seuls, que Sylvie passe la semaine chez ses parents, avec Patrick. Il m’embrasse. Ses lèvres ont le même goût que dans la voiture quinze jours plus tôt. Je le suis quand il m’emmène dans la chambre.
C’est plus lent qu’avec les autres, plus méthodique aussi. Son corps est plus lourd, plus dense. Un corps d’homme. Il embrasse longuement, en étire la pointe avec ses lèvres et ses dents, passant de l’un à l’autre. Je ferme les yeux pour oublier où je suis, et avec qui. Je commence à frissonner, à cambrer mes reins pour avancer mes seins vers sa bouche, à sentir des fourmillements dans mon vagin. Je veux le retenir quand sa bouche descend sur mon ventre, puis plus bas. Je ne veux rester seule, je veux qu’il reste dans mes bras. Il éteint la lumière, me dit de me laisser faire et de ne penser à rien. Sa langue est précise, se pose exactement là où il faut, insiste. Je mets une main sur ma bouche pour étouffer mes gémissements. Je ne me sens pas partir tellement c’est doux. Un tressautement du corps, un petit cri, le relâchement, une sorte de plénitude. Je l’attire sur moi. J’ai besoin de sentir sa chaleur, son poids, de le serrer dans mes bras, d’embrasser sa peau. Son sexe est dur sur mon ventre. J’écarte les jambes. J’ai envie, je suis prête.
Dès qu’il me pénètre, je sais que je vais y arriver. Son corps pèse sur le mien, son sexe me remplit. Il va paisiblement en moi, régulièrement, comme s’il avait l’assurance de me faire jouir. J’enfouis ma tête dans le creux de son épaule, en sentant grossir une boule de plaisir en moi. Elle grossit, grossit, et explose, partout. Une déflagration, jusqu’au bout des doigts de mes pieds. Et d’autres encore, comme une houle qui revient et agite mon corps. C’est beaucoup plus fort qu’avec sa bouche, moins localisé. Violent même. Là, j’ai crié, vraiment. Et la houle s’apaise, progressivement. Des vagues de plus petites amplitudes, toutes gentilles à la fin. Je me relâche. Les muscles de mes bras me font mal, tant j’ai serré Gilles pendant le plaisir. J’écarte les jambes encore plus, les noue autour de ses reins. Je veux l’aspirer au plus profond de moi, m’ouvrir pour lui, pour lui rendre le plaisir qu’il m’a donné. Quand il jouit, je suis heureuse de penser à son sperme qui inonde mon vagin. Il prononce une courte phrase, que je n’ai jamais oubliée :
Là, je réalise. Et j’éclate en larmes. Le contrecoup du plaisir, l’émotion, le soulagement de n’être pas frigide. Je ne sais pas. Mais j’ai pleuré longtemps. Mon vrai dépucelage : je suis devenue une femme.
Je devrais sans doute penser à Sylvie. Je suis dans son lit, avec son mari. Mais je ne me sens pas coupable. Ce n’est rien, je ne lui ai rien pris. Son mari m’a juste appris le plaisir, en ami. Ce ne sera qu’une fois. Le cap est franchi, pas besoin de recommencer. Je suis dans les bras de Gilles, j’ai son sperme en moi, mais je pense à Damien, mon petit copain de l’époque. Lui, il est beau, son corps est souple et net, mes parents le trouvent sympathique. Ça va être bon de faire l’amour avec lui, de jouir avec lui, maintenant que je sais. Au besoin, je lui dirai de ralentir un peu, de peser davantage sur moi, comme Gilles. Mais il ne saura jamais, comme Sylvie. Je n’ai donc rien fait de mal.
À l’égard de Gilles, je n’éprouve que de la reconnaissance. J’ai envie de lui dire merci. Mais je ne trouve pas les mots. Alors, j’embrasse sa peau, respectueusement. Et me lève, pour me rhabiller. Il me raccompagne jusqu’à la porte. Je ne peux pas m’empêcher de regarder son corps. Je ne comprends pas. Il a du ventre, plein de poils sur le torse. Son sexe pend, épais, mais court. Comment ce corps, et ce sexe, ont pu émouvoir le mien ? Ça va être encore meilleur avec Damien. J’en chantonne de joie en rentrant chez moi à vélo dans la ville endormie. Et j’ai dormi tranquillement cette nuit-là, comme un bébé.
Mais il ne s’est rien passé avec Damien quand on a refait l’amour. Ça m’a déçue. Ça m’a surtout agacée de le voir content, repu, sans se soucier de savoir si j’avais pris du plaisir. Le problème ne venait pas de moi, Gilles m’en avait donné la preuve. Donc, il venait de Damien. Et je lui en voulais. C’était une réaction idiote, je le sais maintenant. Si j’avais été courageuse, j’aurais dit à Damien que ce n’est pas ainsi que les hommes font l’amour. Mais ce n’est pas facile à dire à dix-huit ans. Je me suis tue. J’ai même été malhonnête, j’ai triché avec moi-même. J’ai préféré croire que ce serait bien pour moi de recommencer un peu avec Gilles, pour qu’il m’apprenne vraiment, plutôt que de m’avouer que j’avais envie de lui.
C’est comme ça que je suis devenue sa maîtresse. Ce mot m’effrayait. J’en avais inventé un autre : son élève secrète. Mais dans les faits, j’étais la maîtresse d’un homme marié chez qui je faisais du baby-sitting. Pas glorieux, à dix-huit ans. Très vite, il m’a parlé d’un de ses collègues, célibataire, qui pourrait nous prêter son appartement pendant ses heures de travail. Gilles a calqué ses périodes de récupération sur mes horaires, de lycéenne d’abord, d’étudiante ensuite.
Dans cet appartement, j’allais chaque semaine, le mercredi après-midi avant le bac, le vendredi matin après. Je disais à mes parents que je partais pour la fac. Là-bas, je me changeais, mettais les affaires que Gilles m’avait offertes et qu’il laissait dans l’appartement de son copain. La veille, je vernissais mes ongles de pied, en rouge carmin, couleur choisie par Gilles. À sa demande, j’avais aussi taillé ma toison. Il la trouvait trop épaisse. Une fois apprêtée, je m’examinais dans la glace de la salle de bains avant de le rejoindre, et j’aimais ce que je voyais. Je n’étais plus lycéenne ou étudiante. Il avait fait de moi une femme, à l’intérieur, à l’extérieur. Les sandales à talons hauts allongeaient mes jambes à peine masquées par une mini-jupe, creusaient mes reins, faisaient saillir mes fesses. Le vernis qui clignotait au bout de mes pieds, ma chaîne de cheville et ma bague de doigt de pied ajoutaient une note « salope » au tableau. Il m’avait expliqué que ce mot n’a pas toujours une connotation péjorative, que c’est un hommage rendu à une femme qui aime faire l’amour.
Je l’avais cru. Je croyais tout ce que Gilles me disait. En classe, j’avais toujours été bonne élève. Avec lui aussi, je l’étais. Dans une autre matière, mais avec la même conviction, et les mêmes satisfactions qui me donnaient envie d’aller encore plus loin. En classe, c’était des notes. Avec Gilles, c’était le plaisir. Non seulement il m’avait appris que je n’étais pas frigide, mais il me faisait aussi monter au ciel à chaque fois. Je ne sais pas l’expliquer, aujourd’hui encore. J’avais une totale confiance en lui, et même de l’admiration pour son savoir sexuel, puisque tout ce qu’il m’avait dit lors de notre première discussion dans sa voiture s’était avéré. Je faisais ce qu’il me demandait, grimpais quatre à quatre les échelons de la sexualité : les pipes, le faire jouir avec mes pieds, les mots crus pendant l’amour.
La sodomie, je ne voulais pas. Je lui ai dit que je m’étais promis de garder cette virginité pour mon futur mari. Il m’a répondu qu’il respecterait ce vœu, mais que l’anus était une zone érogène, et s’est proposé de me l’enseigner, rien qu’avec des caresses. Il m’a mise à genoux sur le lit, a écarté mes fesses, posé sa langue sur mon anus. Dix minutes plus tard, je le suppliai de me sodomiser. Tant pis pour mon futur mari, la démangeaison était trop forte… La semaine suivante, quand je suis revenue, Gilles m’a offert un plug, en m’expliquant à quoi ça servait.
Rien ne me choquait avec lui. Il disait que les préjugés bourgeois entravaient la sensualité des femmes, qu’en amour rien n’est sale du moment qu’on y prend du plaisir. Et comme du plaisir, il m’en donnait beaucoup, je pensais qu’il avait raison et acceptai l’étape suivante. Mais dès que je quittais l’appartement de son copain, pendant une semaine, je redevenais lycéenne ou étudiante. Aucune incidence sur le reste de ma vie : la clandestinité de nos rendez-vous dans un lieu clos préservait tout débordement. Je n’avais aucune gêne à faire la bise à Sylvie quand je revenais chez eux garder leur fils. J’y allais désormais à chaque fois en bus pour que Gilles me ramène et me fasse jouir en me caressant dans sa voiture. Comme il me disait que ça lui donnait envie de faire l’amour à sa femme une fois revenu dans leur appartement, j’avais le sentiment de ne rien prendre à Sylvie.
De mon côté, j’ai eu quelques petits copains, pour faire comme mes amies, meubler le reste de la semaine. Ce n’est pas drôle d’être la fille qui dit toujours non dans une soirée. Physiquement, je n’attendais rien d’eux. J’ouvrais les jambes et attendais qu’ils aient fini. Pendant l’amour, Gilles me faisait que je lui appartenais. À force de le répéter, et de jouir avec lui, j’en étais convaincue. J’ai fini par faire un pacte avec un garçon. Il était homosexuel, mais le cachait. En public, on se comportait comme un couple. Au lit, on ne se touchait pas, même quand on passait la nuit ensemble.
Amorale ? Je ne crois pas. J’étais dépassée. C’était trop pour moi, mais je ne m’en rendais pas compte : Gilles me faisait vivre une sexualité de femme alors que j’avais 17 ans. J’en avais perdu tous mes repères. Je ne savais plus ce qui était bien ou mal.
Manipulateur, lui ? Je ne crois pas non plus. Peut-être que ça m’arrange de penser ça. Pour qu’il y ait un manipulateur, il faut qu’il y ait une manipulée, et ça serait encore plus difficile pour moi aujourd’hui si j’admettais l’avoir été. Mais, sincèrement, je ne lui en veux pas, même s’il a saccagé ma vie. Lui aussi, il a été dépassé. Ça doit être grisant pour un homme de son âge de former sexuellement une fille de 17 ans, de la rendre docile et sensuelle. Il était sans doute sincère quand il disait qu’il faisait ça pour mon bien. Il ne se rendait pas compte du mal qu’il me faisait. Et j’ai ma part de responsabilité. On était dans une spirale ascendante, tous les deux. L’amour entre les seins, on a essayé, comme tout le reste. Sans succès. Je n’avais pas la taille requise. Il m’avait dit qu’un jour, il faudrait que je me fasse refaire les seins, pour gagner en volume. J’avais trouvé que c’était une bonne idée. Voilà où j’en étais…
Mais il n’était pas pervers. Quelque part, il me respectait. Jamais il n’a éjaculé sur mon visage, comme ça se fait dans les films pornos. Et quand je l’ai quitté pour Xavier, il l’a accepté, sans chercher à me retenir. Ça lui aurait été pourtant facile, puisqu’il me tenait physiquement.
Mais j’anticipe. Avant, il y a eu un week-end sur la côte. C’était la première fois que je pouvais l’embrasser au grand jour, sortir avec lui au restaurant ou en boîte, me frotter contre lui sur la plage, dormir avec lui. Et faire autant l’amour, deux jours de suite. Ça m’a donné le tournis. Pour être honnête, j’y avais pensé avant. Quand il m’avait sodomisée pour la première fois, juste après sa jouissance, je lui avais dit des mots d’amour. J’étais émue : la douleur, la perte de ma dernière virginité. Ils étaient sortis tout seuls. Ensuite, j’ai continué à lui en dire, mais toujours après l’orgasme : furtivement. Je trouvais que ça allait en harmonie avec le plaisir. Une manière de le remercier, aussi. C’est long, c’est alambiqué de dire « j’aime le plaisir que tu m’as donné ». « Je t’aime », c’est plus court, plus simple.
Là encore, à force de lui dire des mots d’amour après l’orgasme, je me suis posé des questions. Et si c’était ça, l’amour ? Est-ce que le corps n’en est pas le baromètre, avant le cœur ? Mais j’avais un problème : Sylvie. Je ne voulais pas lui prendre son mari et qu’elle en souffre. Elle était tendre avec moi, laissait la main sur mon épaule quand elle me faisait la bise. Je me suis demandé si elle n’était pas bisexuelle. D’après Union, toutes les femmes l’étaient. C’est ainsi que m’est apparue la solution, lumineuse : un couple à trois. Comme ça, chacun y gagnerait. Je m’imaginais vivre avec eux, continuer à garder Patrick, tomber enceinte de Gilles avec le plein accord de Sylvie, poursuivre mes études avant de contribuer aux frais de notre ménage. J’avais même trouvé la bonne occasion pour débuter. Chaque année, ils partaient en vacances dans un camping. L’été approchait. J’y serais allée avec eux, en disant à mes parents que Gilles et Sylvie m’avaient embauchée pour garder Patrick. Et au retour, me serais installée chez eux.
Je sais, c’était stupide, irréaliste. Mais ça dit combien j’étais paumée. Au retour de ce week-end sur la côte, j’ai pris mon courage à deux mains, et j’en ai parlé à Gilles dans la voiture. Il m’a répondu gentiment que jamais il ne quitterait sa femme, ni ne voulait d’un couple à trois. OK, mauvaise pioche. Quinze jours plus tard, il m’a fait coucher avec Régis, son copain qui nous prêtait son appartement. Ce n’était pas présenté comme ça : Régis voulait soi-disant me connaître, par curiosité. Mais ça a dérapé. Gilles me caressait, m’embrassait, disait que toute femme devait connaître l’amour à trois, au moins une fois. Que ça me serait salutaire, pour ma vie amoureuse future, de réaliser que je pouvais jouir avec un autre homme que lui. Je l’ai cru, comme d’habitude.
J’ai aimé ce qu’ils m’ont fait. Je serais hypocrite si je disais l’inverse. Mais quand j’ai quitté cet appartement pour aller à la face, une lumière rouge s’est allumée dans ma tête. Après le plaisir qu’ils m’avaient donné, j’étais dans un tel abandon physique que je n’avais plus aucune volonté. Si un troisième homme était entré dans la chambre, je n’étais pas certaine que je l’aurais refusé. J’avais 18 ans, un faux petit ami homosexuel pour donner le change, un amant marié qui me faisait coucher avec un de ses copains. J’allais où comme ça ?
Heureusement, les examens sont arrivés. Ils m’ont occupé l’esprit. Je voyais toujours Gilles une fois par semaine dans l’appartement de Régis, c’était toujours aussi fort physiquement, mais je savais que c’était sans issue. J’y ai repensé pendant les vacances. Gilles était parti faire du camping avec sa femme et leur fils. Moi aussi, mais ailleurs, avec mon frère et sa bande. C’est là où j’ai rencontré Xavier.
Je le connaissais depuis longtemps, de vue. Un copain de lycée de mon frère. Il était beau, mais pas pour moi. Un grand, en troisième année de droit. Et sa petite amie était superbe. Ils formaient l’un des plus beaux couples de la fac. Ça m’a flattée qu’il s’intéresse à moi. Gilles était loin, je me sentais disponible. Il y est allé doucement, sans doute pour ne pas froisser mon frère. Le soir où il m’a embrassée en boîte, il m’a sagement ramenée au camping. Les soirs suivants aussi, alors que j’aurais été d’accord. Cette attente a avivé mon désir. Quand on a fait l’amour, j’ai eu du plaisir. Pas aussi fort qu’avec Gilles, mais un orgasme quand même. Déjà un immense progrès, par rapport aux autres garçons que j’avais connus.
Je n’ai pas éprouvé de déception quand Xavier est parti. Je m’y attendais. J’ai même trouvé honnête de sa part qu’il me dise qu’il allait rejoindre sa petite amie, sur le bassin d’Arcachon. Face à elle, je ne faisais pas le poids. J’étais revenue chez mes parents quand il m’a appelée, quinze jours plus tard. Il voulait me voir, et m’a donné rendez-vous dans un café. J’y suis allée en traînant les pieds. J’avais déjà une histoire clandestine. Je n’allais pas en rajouter une seconde. Mais telle n’était pas son intention : Xavier avait rompu avec sa petite amie et voulait sortir avec moi, vraiment, au grand jour, rien qu’avec moi !
Jusque-là, je m’étais refusée à le regarder, à penser en lui. Je me protégeais : je n’étais pour lui qu’un flirt d’été. Dans ce café, subitement, je l’ai trouvé encore plus beau. Gilles était toujours là, les vendredis matin. Je savais que c’était mal, mais m’en accommodais : le reste de ma semaine était pour Xavier, entièrement. Physiquement, c’était plus fort avec Gilles. Ou plutôt, avec Xavier, c’était différent. Plus tendre, plus gai. J’aimais me promener à la fac en lui tenant la main, discuter et rire avec lui. J’aimais qu’on nous voie ensemble, partout. J’avais le sentiment de vivre ma première histoire avec un garçon. Et je me trouvais belle, puisqu’il me le disait. Jamais je ne pensais à Gilles, sauf quand j’allais le rejoindre.
Début novembre. Je suis dans son studio. On vient de faire l’amour. Xavier me dit qu’il m’aime. Là, je ne peux plus tricher. Je ne peux pas non plus lui répondre, pas encore. Mais je le serre dans mes bras, de toutes mes forces. Deux jours plus tard, je retrouve Gilles dans l’appartement de son copain. Je lui dis que j’ai rencontré un garçon qui m’aime, que je l’aime aussi. J’essaie d’être ferme en prononçant ces mots, mais je suis morte de trouille. Si Gilles s’approche de moi, m’embrasse, m’attire vers la chambre, je sais que je n’aurai pas la force de dire non.
Il me répond qu’il comprend, qu’il est content pour moi. J’ai envie de me jeter dans mes bras, pour le remercier. Je ne le fais pas, j’ai peur de moi, peur d’avoir envie de lui. Je suis soulagée de quitter cet appartement en le laissant derrière moi. Ce n’est pas simplement une porte que je referme. C’est une partie de ma vie, trouble, malsaine. Je me sens libérée d’un immense poids. Je cherche Xavier à la fac, l’attends devant son amphi. Il est surpris de me voir. Je me jette à son cou, lui dis que je l’aime, devant tout le monde. C’est comme si une vanne s’était ouverte en moi : je l’aime, je l’aime, je le lui répète, je l’embrasse. Je lui demande de m’emmener dans son studio. Il ne peut pas, il a un TD. Je lui réponds que ce n’est pas grave, que je peux attendre puisqu’on a toute la vie.
On n’avait pas toute la vie. Mais on a eu un an, merveilleux, une bulle de bonheur. Je ne veux pas vous le raconter. Ça me ferait pleurer. Tout ce que je peux vous dire, c’est que chaque fois qu’on faisait l’amour, Gilles disparaissait davantage. Et on faisait beaucoup l’amour, de mieux en mieux. Mes parents étaient inquiets, ils trouvaient que cette histoire prenait trop d’importance pour moi. Pour les rassurer, je travaillais très tard le soir. Ça m’était facile : pour la première fois de ma vie, j’étais sereine, je me sentais forte. Ma deuxième année, je l’ai eue haut la main, avec mention.
Tout s’est écroulé en septembre. Xavier m’avait ramenée à Saint-Sébastien, après quelques jours passés ensemble. Il faisait beau. Trop beau pour rentrer chez mes parents. Je lui ai demandé de me laisser sur la plage. Un homme m’a abordée. Je l’avais vu à une exposition de peinture, avec mon père. Il se souvenait de moi. En me parlant, il regardait mon corps. Il était trapu, la quarantaine, un peu chauve. N’importe quelle fille l’aurait trouvé banal. Moi, j’ai vu autre chose : Gilles, la même virilité un peu vulgaire, le même regard que lui quand je sortais de la salle de bains de l’appartement de son copain. Je ne pouvais plus penser, mon cerveau s’était figé. Ses mots me paraissaient lointains. Il parlait d’une séance de pose dans son atelier, pas loin de la plage. Je l’ai suivi.
Je suis revenue chez moi deux jours plus tard. J’ai aussitôt appelé Xavier. C’est facile de mentir à distance, même au garçon qu’on aime.
Mais quand on s’est revus, quinze jours après, je lui ai tout dit : ma crainte d’être frigide, Gilles, ces dix-huit mois passés avec lui à le retrouver une fois par semaine dans un appartement. J’étais anéantie. Lui aussi. Je l’ai supplié de ne pas me quitter. Je lui ai dit que ce n’était pas important, que cet homme, je ne le reverrais pas, que l’important, c’était nous. Que j’avais un truc moche en moi, mais que j’allais grandir, guérir, et qu’ensuite notre vie serait magnifique. Il m’a répondu qu’il attendrait. Mais plus jamais notre relation n’a été si belle, si pure qu’en sa première année.
Il y avait un nuage au-dessus de nous, en permanence. C’est sans doute pour ça qu’on n’a jamais vécu ensemble. Quand on est montés étudier à Paris, on avait chacun notre studio. Quatre fois, j’ai rechuté, en cinq ans. C’était imprévisible. Je commençais à espérer, et ça revenait, sans prévenir. Toujours avec le même genre d’homme, toujours de la même manière. Je faisais mes saletés dans un coin, et repartais deux jours plus tard, parfois bien moins. Avec l’un d’eux, un commerçant, ça n’a duré qu’un quart d’heure, dans son arrière-boutique. J’ai consulté un psy, sans le dire à Xavier. Il m’a demandé si mon père manquait d’autorité, si mes relations sexuelles avec Xavier me satisfaisaient. Des conneries. Bien sûr qu’elles me satisfaisaient. J’ai arrêté au bout de deux séances. Tout ce qu’il aurait pu me dire, je le savais : Gilles, ce schéma sexuel qu’il avait inoculé en moi en m’apprenant le plaisir, et que je reproduisais.
Xavier me trompait. Je l’acceptais. Je suppose qu’il en avait besoin, que c’était sa manière de m’attendre. J’aurais dû lui demander de me faire un bébé. J’avais envie d’un enfant de lui. Et ça m’aurait peut-être de devenir enfin la femme que je rêvais d’être pour lui, de me débarrasser de ce mal qui me rongeait et nous menaçait. Je n’ai pas osé. Un enfant, ça ne peut être un remède. Si j’avais recommencé ensuite, ça aurait été encore pire.
Xavier a terminé Sciences-Po. Il a pris son premier poste, en province. Je suis restée à Paris préparer mon agrégation. J’allais le voir le plus souvent possible. Et je l’appelais tous les soirs, pour lui montrer qu’il n’avait rien à craindre. Depuis presque deux ans, je n’avais pas rechuté. Je comptais les jours, me disais que peut-être… Faux espoir. Un autre homme, lors d’une semaine de vacances en Algérie. Il ne s’est rien passé. Mais Xavier m’a vue quand cet homme me parlait, il a vu l’autre femme qui était en moi. Sa réaction a été violente. Pas contre moi, contre cet homme. Mais quand il l’a frappé, j’ai compris que c’était moi sur qui il aurait voulu cogner, et que quelque chose s’était cassé entre nous, définitivement.
Il m’a quittée deux mois plus tard. Il avait rencontré une fille. Ses mots m’ont brûlée au fer rouge. Je lui ai demandé s’il l’aimait plus que moi, la désirait plus que moi. Il m’a répondu non, mais qu’elle était normale, elle…
Après Xavier, j’ai fait n’importe quoi. C’est facile pour une fille. Je voulais me salir, me punir. Heureusement, Laurent est arrivé. Je ne sais pas où j’en serais aujourd’hui si je ne l’avais pas rencontré. Il m’a fallu encore un peu de temps pour guérir. Mais à Laurent, je ne disais rien. Puis, c’est passé, pour de bon. J’en étais émerveillée, j’en rendais grâce à Laurent. En fait, j’avais vieilli, physiquement. J’avais passé la trentaine, perdu mon aspect « Lolita ». À quinze ans. Je n’avais pas les atouts qui des filles plaisaient aux garçons : je n’étais pas blonde, n’avais pas les yeux bleus, ni de gros seins. Plutôt que de chercher vainement à les imiter, j’ai renforcé mon côté juvénile, presque androgyne : jean serré, ballerines, pas de soutien-gorge, chemisier ouvert, cheveux courts. Les garçons ne me regardaient pas beaucoup plus. Les hommes plus âgés, si. Ça me rassurait. Je n’y voyais pas danger : ils étaient vieux, mariés. Pourtant, c’était dangereux, destructeur. Mais je ne l’ai compris que bien plus tard, quand ils ont cessé de me regarder. Là, enfin, j’ai trouvé la paix. Mais Xavier n’était plus là.
J’ai trois enfants avec Laurent, dont une fille. Elle a douze ans. Bientôt, je lui parlerai. Je lui dirai d’aller avec des garçons de son âge, que ce n’est pas grave si ça ne vient pas tout de suite, mais que c’est avec eux qu’elle doit apprendre, même s’ils sont parfois malhabiles, et elle aussi. Je lui dirai qu’elle fera des erreurs, sera parfois déçue, mais de ne jamais croire ceux qui essaieront de la persuader qu’avec un homme plus âgé une jeune fille grandit plus vite. J’aurais aimé que ma mère me le dise. Mais elle l’ignorait, moi pas.
Xavier, je le garde dans un écrin. C’est fou le nombre de personnes, des femmes surtout, qui nous ont connus ensemble et me parlent encore de cette époque. Ça les a marquées, preuve que cette histoire, je ne l’ai pas rêvée. Je leur réponds que c’est le passé. Cet écrin, il est en moi, il m’accompagne, mais je ne veux pas le rouvrir. Un jour peut-être, quand je serai vraiment vieille. Mais rien que pour moi.
Si vous voyez Xavier, dites-lui que… Non, ne lui dites rien. Je lui ai fait trop de mal. Notre vie aurait pu être différente, mais je préfère qu’il ne sache jamais combien je m’en veux.