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n° 17383Fiche technique83907 caractères83907
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19/05/16
corrigé 19/11/21
Résumé:  Reims en 1910, la fin d'un âge que l'on appela la Belle Époque, qui fut, à défaut d'être vraiment belle, pour le moins fort licencieuse.
Critères:  f fh amour cérébral revede fmast fellation cunnilingu pénétratio champagne fouetfesse -coupfoudr -tarifé
Auteur : Asymptote  (Un point de fuite là haut, au ciel de ces tendres coquines.)            Envoi mini-message
Une courtisane ou Belle Époque

Atteindre à la majorité civile ! Ce fut, pour moi, l’accession à un palier attendu depuis plus de six interminables années, autant dire une éternité. Une période à l’issue de laquelle j’avais imaginé… non, j’avais la certitude que mon univers exploserait.


Je m’étais amusé parfois à élever des libellules, pauvres larves rampantes au fond des eaux avant que soudain, un matin, elles ne fracturent le miroir dormant puis leur cuticule, ne passent d’une vie aquatique à une autre, aérienne et ne se trouvent brutalement là, insectes resplendissants de toutes leurs couleurs, à l’orée d’une existence nouvelle. J’avais cru alors, devoir à l’aube de mes vingt-et-un ans, déboucher de la même manière, dans une ère radicalement différente, sans lien ni comparaison possibles avec l’ancienne.


Hélas… accéder à ses vingt-et-un ans, en 1910, au sein d’une famille bourgeoise et cossue dans une bourgade triste et rébarbative comme Reims, fait tomber sur vous une chape de plomb. Elle vient clore au lieu de les fracturer ces horizons étriqués et lointains en lesquels vous entrevoyiez une perspective d’évasion qui semble maintenant s’évanouir définitivement.


Avoir vingt et un ans quand tout vous porte à la rêverie, que vous êtes un brin sentimental, que vous distillez en votre cœur, dans vos veines, des laves en lieu et place du sang et que vous ne trouvez comme seul répondant à ces élans que l’opacité du pire ennui, vous fait sombrer dans un spleen épouvantable. Spleen, voilà l’abominable mot lâché. Je n’ignore pas qu’il est de mode et peut vous faire une coquetterie. Ce n’est malheureusement pas avec l’intention de céder au bon ton que je m’en prévaux et mon dégoût absolu de tout, pour tout, est torture sans équivalent. Ah ! S’il était quelque objet qui vaille que je fixe sur lui mon attention ! Ah ! Si seulement, à l’instar de tout un chacun, j’étais sujet aux caprices du désir et parvenais à ambitionner… mais ambitionner quoi ? On me dit pourtant intelligent, fringant et séduisant, j’ai la moustache fière, le port distingué, le verbe concis et le propos plaisant, autant d’avantages qui devraient m’assurer une brillante carrière.


Notre vieille ville vit déjà dans l’attraction de la capitale et le train la place à présent dans l’orbe de celle-ci. Il ne s’y passe plus rien d’intéressant et les événements majeurs qui pourraient l’animer se sont tous déportés vers Paris. La misère qui résulte de cette situation nous voue à l’accablement aussi sûrement que la vigne est vouée au mildiou. La grande affaire, l’unique affaire, ici, c’est le champagne et si vous n’êtes pas enthousiasmé par ce qui y touche, de près ou de loin, vous avez de fortes chances de périr d’affliction. Il en va ainsi des adultes, comment pourrait-il en être autrement de ceux qui débordent des fougues de la jeunesse et souhaitent s’ouvrir à la vie. Une noire mélancolie bientôt vous dessèche, vous racornit et vous transforme en mèche d’amadou prête à s’enflammer à la moindre étincelle.


De ce néant, de ce désœuvrement du cœur tant que de l’esprit n’émerge qu’une seule illusion, gonflée d’espérances folles et qui se résume en un vocable unique, d’autant plus retentissant qu’il est vide de sens : l’amour. Dès lors, fort d’une inexpérience que vous vous plaisez à dédaigner, vous vous croyez éperdument amoureux du premier sourire qui vous entreprend. Aimer devient la grande affaire, l’unique affaireet les ardeurs ravageuses qui vous emportent, entre une semaine et trois mois selon qu’elles trouvent ou non satisfaction, vous font conjecturer à chaque fois, avoir atteint à l’apogée de la passion.


Mon père, viticulteur, négociant et éleveur en vin de champagne, selon la meilleure des traditions, a développé sur la base de la fortune de son épouse une petite entreprise familiale qui a vite pris de l’ampleur et assuré de confortables revenus et bénéfices. Nous habitons Reims où se situent aussi nos bureaux tandis que le domaine établi sur le banc d’Aÿ est tenu par mon oncle paternel. Il assume là-bas le rôle de gestionnaire et y vit avec ma tante et leurs filles, mes cousines Hortense et Émilienne, toutes deux mes aînées, mignonnes comme des cœurs, toujours prêtes à accepter qu’on leur conte fleurette ou même à se laisser embrasser mais sans néanmoins tolérer d’autres fredaines. Malgré cette solide implantation locale, mon père qui, en vrai bourgeois de notre époque, adore la bamboche, délaisse notre ville et passe le plus clair de son temps à Paris sous prétexte d’y conduire nos affaires et il est indéniable que, grâce à ses relations, nous exportons jusqu’en la lointaine Russie et que notre étiquette pare nombre de tables licencieuses de la cité.


Je voue à ma mère, la plus honorable et adorable des femmes, une dévotion sans borne. Elle occupe ses journées entre missel, œuvres pieuses et ce fils unique qui lui occasionne bien des tourments : moi. Elle porte à cette tâche une douceur et une patience dont elle ne s’est jamais départie. Conçoit-elle l’étendue de mon chagrin ? Par moment, quand elle me couve de son regard douloureusement pensif, je ne doute pas de sa compassion. Je prends alors un air enjoué qui ne la trompe pas plus que moi. Elle semble tout ignorer des frasques de son époux mais est bien trop intelligente et perspicace pour ne pas se rendre compte qu’il entretient une cocotte en la capitale, ce dont au demeurant, il ne fait mystère que devant elle. En outre, sous la houlette de son notaire, qui lui tient office de second confesseur, elle suit les états de notre patrimoine avec la rigueur d’un contrôleur du fisc. Est-elle belle ? Je l’ignore ! Gentille, affectueuse et conciliante, elle a la bourse lâche et généreuse à l’égard de son rejeton selon les vœux et besoins de celui-ci.


Voilà un an que je ne suis plus puceau car, notre cuisinière, une matrone qui doit approcher la cinquantaine, las de se faire tripoter et pincer les fesses subrepticement, m’a déniaisé considérant cela, sinon comme un honneur, au moins comme une tâche relevant de sa charge. Encouragé par cet apprentissage, j’ai enrichi cette initiation dans les bras aimables et avenants de Doris, la camériste de ma mère, une grande et solide demoiselle qui m’a sensibilisé aux envoûtements du corps féminin. Il me faut avouer que le sien disposait de naturels avantages, de superbes rondeurs et d’une propension aux extases vibrantes et moites.

Ces deux premières expériences avec la domesticité de la maison, me furent dictées plus par ma timidité qui m’interdisait encore d’accoster des inconnues, qu’à un goût des amours ancillaires et je détestais m’entendre appeler « monsieur » au sortir de mes ébats.


Depuis l’obtention de mon baccalauréat, je seconde mon père côté rémois ce qui lui permet d’être un peu moins au bercail, un peu plus en la capitale. Dans nos bureaux, œuvre une gentille secrétaire éminemment serviable, d’une beauté rustique mais incontestable, blonde d’un joli blond pâle et vaporeux. Abandonnée par son compagnon, la sémillante Violette règne sur un monde de paperasses, déclarations, bordereaux, factures et comptes en tout genre dont elle s’acquitte avec une rare virtuosité sans rechigner jamais devant une tâche supplémentaire. Je devine très vite que je ne déplais pas à cette attrayante jeune femme qui avoisine la trentaine et cultive les élégances.


Un soir, je la raccompagne chez elle et elle m’invite à monter. Sur le pallier, avant même d’entrer dans son logis, elle m’étouffe d’un baiser dévastateur. J’y réponds avec empressement tout en fourrageant hardiment sous ses jupes, ce dont elle se garde de me dissuader. Le seuil franchi, je me précipite sur elle poursuivant mes investigations, l’embrassant à nouveau et tentant de dégrafer son corsage, tandis que sans hésitation elle déboutonne ma chemise. Je m’agace sur les minuscules nacres noires qui ponctuent le jabot de sa robe mais cette tâche est si délicate que ma fébrilité me la fait bientôt remettre à plus tard. Tant pis, j’accède partiellement à deux sublimes globes ivoirins malheureusement toujours emprisonnés dans le double carcan de son corset et de sa chemise. Je suçote et caresse en me grisant des effluves de violette embaumant ces divins parages, mais m’impatiente aussi d’examiner ce que je n’ai auparavant qu’à peine palpé. Je me jette à ses genoux et, remontant très haut sa robe, descendant l’ample culotte aussi bas que me le permettent les jarretelles, libérant sous les replis de son cotillon un pubis duveteux, je m’extasie devant les merveilles que je découvre. J’y porte mes lèvres et Violette, prise de panique, laisse alors retomber ses volants, m’emprisonnant sous une cloche d’étoffe. Je visite de ma langue l’amoureux bouton qui se raidit et que je titille à l’envi. La belle vibre sur ses fondements et envahit ma bouche d’une liqueur exotique, escortant cette émission d’un tremblement réjoui, cadencé par des secousses si intenses que je crains qu’elle ne se disloque. J’essaye de me dépêtrer de sa robe et de ses dessous afin de reprendre haleine et lorsque j’émerge de cette obligeante prison, je la trouve toute congestionnée et le regard hébété.


Elle veut me gratifier du même traitement et me dépouille de mon pantalon. Je n’ai pourtant plus qu’une seule hâte, la dévorer nue de mes yeux, refermer mes bras sur son corps dévêtu, splendidement offert. Lors de mes amours précipités avec la gracieuse Doris, je n’ai pu ébaudir mon œil de la nudité de celle-ci et la peur d’être surpris nous forçait à limiter au strict minimum notre déshabillage. Saisissant ma revanche, je m’applique à lui retirer un à un ses vêtements, dégustant avec ferveur sa peau blanche et frissonnante. Je titille de ma moustache chaque pouce de chair dévoilée, faisant fuser des rires cristallins et elle me houspille :



Je la sens encline à des initiatives plus délurées mais comprends qu’aussi, ces caresses sont loin de lui déplaire, et que certaines prières sont une injonction à persister dans ce qu’elles nous intiment de cesser. Je veux maintenant la dessangler de son corset et m’attaque au laçage dorsal.



Bientôt elle ne porte plus que sa chemise qu’elle m’interdit de lui enlever, dans une ultime pudeur. Une succession de petits baisers coulés sur ses épaules en font glisser les bretelles et ce sont à présent ses seuls tétons qui épinglent le linge fin avant qu’il ne finisse par s’enfuir sur le sol. Enfin, elle se pavane radieuse, complètement dénudée et je m’éblouis de sa gorge magnifique, du triangle de duvet blond ornant le bas de son ventre, de la merveille opalescence de sa peau. Je dorlote et masse les stigmates que le rigide harnachement a incrustés en boursouflures tuméfiées dans ses chairs. Je ne sais plus où donner des lèvres et elle apprécie beaucoup mes attouchements, bien que probablement encore davantage, l’air ravi et égaré dont je les conduis. Roucoulante, elle s’y abandonne follement, puis se saisit à nouveau de ma bouche tout en me branlant vigoureusement. Finalement, elle avale ma verge si gonflée qu’elle semble sur le point d’éclater. Après quelques succions dispensées avec art, je crains d’exploser dans son gosier. Elle doit partager cette appréhension car elle vient s’installer à califourchon sur moi. Ma trop prompte éjaculation ne lui permet pas d’atteindre, elle aussi, son plaisir. Penaud et embarrassé, je la guette du coin de l’œil tandis qu’elle me console d’un large sourire :



En effet, c’est dès le lendemain que je compense cette insuffisance. Nous filons quelques mois un amour parfait qui me distrait de mes noires pensées jusqu’à ce qu’une langue bien intentionnée se fasse devoir d’avertir mon père de notre liaison. Ce lundi matin, retardant son départ vers Paris, dire que l’affaire est d’importance, il surgit dans mon bureau. Sans circonlocutions inutiles, en véritable pragmatique, rodé aux affaires qu’il se targue de mener rondement, il me déclare :



Je reconnais bien mon père associant dans une même fin de semaine mes intromissions au bordel et parmi des notables en vue de m’y fiancer. Sans être un claque à soldats, le Moulin Galant est très loin de rivaliser avec des établissements au renom international qui assurent, ainsi que le Chabanais ou le Sphinx, la sulfureuse réputation de notre pays en cette Belle Époque. Il y règne une ambiance étouffée, un peu écrasante. Dans le grand salon ruisselant de fausses dorures encadrant de fausses gravures de Boucher ou de Mignard, sous un lustre en faux cristal, une dizaine de professionnelles s’activent autour de clients endimanchés dont les redingotes exhalent parfois de vrais relents de naphtaline. Je suis étonné de voir mon père accueilli avec déférence. Il ne fréquente donc pas uniquement les lupanars parisiens et tout le monde le connaît et l’estime ici. Je constate d’ailleurs bientôt que l’on y consomme surtout du vin de notre domaine. J’imaginais les maisons de passe avec un peu de trouble et beaucoup de curiosité. Je suis horriblement déçu ! Il n’est pas une attitude qui ne semble convenue et très vite cette monotone désolation me suffoque. Les malheureuses pensionnaires sont bien là pour le divertissement et le plaisir mais celui des autres et elles s’y échinent, en camouflant difficilement leur lassitude sous des sourires dont les fards s’écaillent.


Les filles, quasiment dénudées, ne s’habillent que de quelques grands châles en laine à larges mailles, négligemment jetés sur leurs épaules. Des bas noirs qui glissent inévitablement sur l’entonnoir de leurs cuisses dodues et qu’elles retendent inlassablement d’un geste las et machinal complètent cette tenue. J’assiste à un monstrueux étalage de viandes adipeuses, totalement dépourvues de chaleur, insipides, inaptes à l’éveil du désir et dont l’emballage de quelques guipures et de vains falbalas ne parvient pas à relever l’apathie.


J’y suis surpris par une odeur ténue, désagréable, combinant rance et moisi, qui me fait comprendre qu’à l’air et au soleil, la maison est close aussi. Mon père me paye les faveurs d’une demoiselle Coralie qui porte surnom de Tétine car elle n’arbore qu’une poitrine très réduite par rapport aux masses plantureuses de ses consœurs. Je monte derrière elle, les yeux rivés sur ses mollets, sachant que cet escalier obscur ne débouchera sur aucun paradis. Parvenus dans la chambre, elle transvase un peu d’eau d’un broc ébréché dans une cuvette douteuse.



C’est elle qui ouvre et abaisse mon pantalon, suivi de ma culotte et s’empare de mon pénis dont l’avachissement exprime la morosité du propriétaire.



Je ramasse culotte et pantalon, me réajuste et me précipite dans l’escalier, puis, triste à pleurer, sans même repasser par le salon, je gagne l’obscurité apaisante de la rue. Dire que c’est ça, cette accablante bouffonnerie, qu’on me propose de substituer aux grâces juvéniles et affables de Violette.


Le lendemain soir chez le notaire, je découvre avec stupeur que l’affaire, car c’est bien de cela qu’il s’agit, est déjà arrangée et qu’il n’est que ladite petite Adèle qui en sache moins que moi sur les projets de nos familles. On nous colle quasiment dans les bras l’un de l’autre, nous laissant seuls afin qu’elle me montre ses broderies et aquarelles. Au-delà, elle me cause peinture et musique, ce à quoi je ne connais pas grand-chose. Je lui rétorque vins et terroirs, littérature et poésie, ce qui l’indiffère profondément. Elle est certes accorte et mignonne, se décore d’un regard de biche humide et émouvant, mais m’apparaît telle une stupide oie blanche qui parviendra à développer mon ennui jusqu’à la neurasthénie. Au physique, elle ressemble singulièrement à sa mère qui doit avoir aux alentours des trente-cinq ans et célèbre dans une resplendissante maturité ce qui n’est qu’ébauche chez la fille.


Cette maîtresse femme est étourdissante de distinction, ne manque ni de charme, ni d’allant et pourrait se faire l’égérie de mon idéal féminin, moi qui préfère les fruits automnes aux bourgeons printaniers. Ses courbes et ses rondeurs, bien marquées quoique que sans exagération, me ravissent. Elle allume par instant son visage d’une ironie malicieuse qui me fait conjecturer que si elle tient son rôle, elle ne cède cependant pas à la fatuité ambiante et garde beaucoup de lucidité. Elle me séduit si fort que, sous la table, je me risque à frôler sa jambe… par accident, bien sûr. Elle s’enfuit hâtivement, mais point assez pour que je n’imagine que c’est à regret, et que mon geste ne l’a, ni fâchée, ni seulement froissée. Elle me concède un sourire ambigu conjuguant reproche et pardon. Est-ce invite à récidiver ? J’hésite, puis cherche son pied sans le retrouver. Je sens qu’à l’avenir, c’est cette gracieuse dame qui occupera mon cœur et escortera mes rêves. Après tout, en épousant la fille, je me rapprocherais de la mère et pourrais peut-être aspirer au rang d’amant. En nous quittant, madame Blancrupt m’enjoint à revenir les visiter prochainement, ce dont je n’ai nulle intention de la priver.


Voilà comment en deux jours, je suis désillusionné par les lieux qui devaient me combler et ensorcelé par ceux dont je n’espérais rien mais qui viennent entretenir mes songes les plus voluptueux. Bien sûr, il est impensable que j’oublie les effluves de violette mais je n’en retourne pas moins au Moulin Galant trois jours plus tard et y appointe bientôt en tant que régulier de Tétine.


Un soir, alors que je m’apprête à me retirer j’y croise Félix Plessis dans le couloir. C’est un ancien camarade de lycée qui s’y plaisait tellement qu’il n’avait pas hésité à redoubler plusieurs fois avant de renoncer définitivement au titre de bachelier. C’est le fils du maquignon le plus important de la Champagne et il en a le parler haut ainsi que la palette intégrale des manières pour le moins rustiques.



Nous nous quittons sur ces affriolantes perspectives. En arrivant chez lui le lendemain, je présume qu’il me présentera une plantureuse paysanne, une de ces natures fortes et fécondes qui abondent dans nos campagnes. Au contraire, sa jeune épouse, Lucinde, est une femme élégante et jolie, vive et fraîche, cultivée et capable de soutenir une conversation subtile. Elle est aussi étonnamment fine, non pas de cette finesse pateline composée de roublardises paysannes, mais de celle qui associe justesse et acuité d’esprit. Ce ne sont pas là, d’évidence, des qualités que Félix prise beaucoup. En véritable maquignon jusqu’en sa vie privée, il la rudoie et la rabroue sans façon. Elle ne semble pas s’en offusquer et obtempère sans protestation. Est-elle amoureuse du rustre ? J’en doute, car elle n’accompagne sa soumission d’aucune dévotion notoire, pas plus que du moindre geste de tendresse. Je pense qu’elle se comporte selon les canons de son éducation et de son tempérament qui la veulent obéissante, attentive et soumise.


Elle m’apparaît poupée fragile égarée dans un monde primitif, indélicat et brutal. J’essaye de la questionner sur ses intérêts et elle confesse une passion dévorante vouée aux belles-lettres. Elle aime le théâtre, les spectacles et les jeux de société, tout ce dont son mari la prive. Elle raffole de la nature à condition que celle-ci n’englobe ni vignobles, ni vaches ou chevaux. Je tente de m’entretenir avec elle des « Fleurs du mal », que nous avons lues tous deux, ou de Nerval mais invariablement Félix nous coupe revenant à des sujets plus concrets, de vraies valeurs, bien mercantiles, telle que le prix exorbitant des bouteilles vides, les cours de la viande ou même ceux du fumier. Excédé, je finis par lui dire :



À ces paroles, elle s’empourpre délicieusement.



Dès lors, je m’empresse discrètement autour d’elle, multipliant les compliments et les regards admiratifs. La pauvrette est si frustrée de ce genre d’hommage qu’elle les déguste avec un plaisir timide et rougissant qu’elle a bien du mal à dissimuler. Elle n’est pas bégueule mais c’est si imprévu qu’elle hésite à répondre à ces badinages malgré ses envies et qu’elle se borne à de sages boutades qui parfois sont néanmoins fort équivoques. J’ai l’impression que Félix s’en moque éperdument et il va jusqu’à me dire :



Qu’entend-il, lui, par éducation ? Je doute que nous comprenions la même chose. Le dîner se termine et le voilà qui nous hâte :



Je prends congé de Lucinde la félicitant pour son accueil, cette excellente soirée, sa conversation et sa beauté mais déjà l’impatient trépigne et me refoule vers l’extérieur.



Je l’embrasse sur les deux joues tandis qu’il s’éloigne d’un pas vif. Prolongeant mon second baiser, j’entreprends de le faire glisser vers ses lèvres. Je la sens se raidir sans qu’elle ne s’écarte ou se rebiffe toutefois.



Elle ne répond rien, me jette un regard chagrin puis baisse tristement les yeux. Rattrapant mon hôte je lui déclare :



Je me demande lequel d’entre nous divague. Une vingtaine de mètres plus loin, il reprend :



Tirant un loup de sa poche, il me le tend et poursuit :



Tout en acquiesçant ainsi je ne puis m’empêcher de me moquer intérieurement du ridicule et de la forfanterie qui l’ont poussé à se doter d’un pareil pseudonyme. Enfin, quand on est petit-fils, fils de maquignon et qu’on a soi-même embrassé cette carrière, on ne se corrige pas aisément.


Nous parvenons rapidement dans une rue à peine écartée du centre où s’alignent les grandes demeures fastueuses précédées de leur cour intérieure et fermées aux regards par des porches monumentaux. Avant de pénétrer en cette abbaye, il faut montrer patte blanche à un gardien musclé qui fait office de concierge et s’enquiert de nos véritables noms, filtrant les entrées auxquelles il a le droit de s’opposer. Ensuite, tout est somptuosité feutrée. Deux salons en enfilade accueillent les clients, pardon, les hôtes de la maison. Meublés avec raffinement, ils font l’apologie du sentir juste, du bon goût et proscrivent, par exemple, les gravures trop lascives qui proclameraient ostensiblement ce qui nous conduit ici.


Le premier rassemble, en principe, plutôt des personnes de ma génération et on y rencontre notamment les jeunes filles de cet univers interlope que Félix m’avait annoncées. Le second, à l’éclairage moins vif, reçoit essentiellement un public dont l’âge s’étend entre maturité et vieillesse. Quand je dis vieillesse, je vise spécialement les messieurs car les dames, même si elles ne sont plus de prime jeunesse, s’évertuent à n’en rien laisser paraître.


Alors qu’au Moulin Galant le buste, fièrement brandi, constituait l’enseigne de sa propriétaire, se découvrait outrageusement et que les pensionnaires faisaient assaut de tétons, ici, dans l’intimité d’une douce pénombre, on pourrait les croire, au premier abord, vêtues normalement. À y regarder mieux, on remarque que les convives s’efforcent de décliner toute la palette des transparences et plus les dessous, quand elles en portent, sont opaques, plus les robes sont diaphanes. Les organdis, les mousselines, les gazes les plus légères, les soies les plus vaporeuses, les dentelles aux mailles les plus découpées s’affrontent dans une concurrence effrénée. La règle n’est pas tant de montrer que de suggérer. Les robes aussi sont béantes jusqu’à la taille et on prend des postures savantes afin qu’elles s’écartent suffisamment et exhibent une jambe déliée comprimée dans la soie du bas, un genou bien conformé, une jarretière tendue puis la peau blanche au-dessus.


Les décolletés ouvrent à d’impressionnants abîmes ou s’évasent insolemment, soulignant la lisière d’une aréole friponne. Bref, tout concourt à la plus charmante et charmeuse immodestie, mais furtive, distinguée et dépourvue de vulgarité. Je suis immédiatement séduit par cette nonchalance affectée, cette hypocrisie de bon aloi qui fleure si fort l’érotisme.


On conserve son chapeau, les dames du moins car la voilette s’y amarre, elle, qui à l’inverse des autres pièces du vêtement, est de la plus forte opacité. Enfin, certaines s’affublent d’un masque soit complet, soit sous forme d’un loup noir ou blanc, moins dans le but de dissimuler une identité connue des habitués, que dans celui de contribuer à la note baroque et festive de ces réceptions. Cette touche de mystère entretient toujours au moins un doute qui ajoute aux sortilèges de ces audacieuses libertines. D’autres cependant cultivent le secret de leur physionomie avec un acharnement farouche et les spéculations les plus insensées s’emparent de ces impénétrables étrangères susceptibles d’être quelque Assaki égarée. Ils en sont qui affirment avoir croisé ici Mata Hari sous l’un de ces travestissements. Les hommes sont moins nombreux à utiliser ces artifices et surtout à les conserver tout au long de la soirée.


Dans le premier salon, Félix me présente à plusieurs de ces dames. Autour d’une table Ève et Galatée jouent aux cartes. La première maigrichonne, la seconde modérément pulpeuse et plus âgée est, j’en jurerais malgré son domino, la femme du recteur de mon ancien lycée. Elles m’invitent à partager leur jeu et confessent bien vite leur soif. Je commande du champagne dont nous nous régalons en évoquant des voyages extraordinaires. Galatée m’avoue sa fascination pour l’Orient et les harems où les odalisques vivent nues dans une sereine indolence. Je la mets en garde :



Nous poursuivons quelques instants ces minauderies et bientôt six jambes s’entrelacent sous la table, proclamant des concupiscences partagées.

C’est Ève qui, sans embarras, me demande :



Nous sortons bras dessus, bras dessous et je les quitte deux heures plus tard, harassé. Ces bacchantes aussi vives que passionnées n’ont, en effet, épargné ni leurs efforts ni les miens.


Je retrouve Félix qui, à mon instar, s’apprête à partir. Dans la rue, nous échangeons nos impressions.



Il m’interrompt brutalement :



Il se lance alors dans l’apologie de la déesse.



Tu ne saurais imaginer silhouette plus gracieuse, plus harmonieuse et si Vénus se cherchait modèle, c’est elle qu’elle imiterait. Ses jambes et ses bras sont d’un modelé admirable, quant à ses seins et ses fesses, ils sont tout de rondeurs fermes et divinement proportionnés. Son teint est d’une blancheur exquise et elle enflamme ce qu’on découvre de sa figure d’une longue chevelure rousse, rutilante comme les blés au soleil couchant, bien que certains prétendent qu’il ne s’agisse là que d’une perruque.



Il se récrie horrifié :



Je ne parviens à concevoir ce qui fonde son effroi : l’idée que sa femme puisse se livrer à ces pratiques ou le sacrilège d’une telle comparaison. Il est vrai que l’herbe pousse toujours plus verte et drue chez le voisin et qu’on lui attribue des qualités que dispense celle que l’on a journellement sous les yeux, sans seulement les lui soupçonner.


Très peu confiant dans les goûts de Félix qui n’apprécie même pas les perfections et talents de son épouse à leur juste valeur, j’oublie bien vite sa chimère. Je prends mes habitudes à l’abbaye que je hante désormais deux à trois fois par semaine et où je fréquente assez régulièrement la pétillante Galathée. Un soir, dès l’entrée, je décèle une effervescence inaccoutumée. J’interroge Ève qui, un rien boudeuse, me répond :



Tandis que je me dirige vers la seconde pièce, je l’entends qui, morose, récrimine :



Je me glisse dans le salon des anciens et constate tout de suite que celui-ci présente des airs inaccoutumés de ruche. Tous les mâles ou presque s’y agglutinent et plastronnent à l’envi, déposant aux pieds de la reine leur offrande de gelée royale, c’est-à-dire de compliments et révérences. Les femelles les ont suivis sachant qu’un seul s’accouplera avec elle, qu’il leur faudra calmer la déception des autres et qu’elles constitueront dès lors autant de lots de consolation. Quelques-uns, à ma façon, ne sont là qu’à des fins d’observation et se donnent une contenance en s’épuisant en discussions oiseuses qui ne les intéressent nullement.


Je reste tapi dans l’ombre du fond de la salle et épie la scène, aussitôt fasciné par celle qui se pavane majestueusement, entouré de son peuple courtisan. Félix n’avait aucunement exagéré et l’aura de cette Comtesse est bien exceptionnelle ! Au moment où j’entre, elle se tient debout, accoudée au manteau de la cheminée, entourée par quatre flatteurs qui doivent lui réciter leur boniment.


Sans être grande, elle est élancée et expose un buste sublime qui se resserre progressivement avant de s’étrangler à la ceinture et s’évaser à nouveau sur des hanches ni trop larges, ni trop étroites et une croupe rebondie selon les canons de la perfection. Elle découvre ainsi, dédaignant tout recours aux sévices d’un corset, une ensellure qu’on ne peut contempler sans y voir un tremplin vers le septième ciel. Sa robe d’un bleu nuit profond, lamée de quelques fils d’argent, est intermédiaire entre la tenue bienséante et le tentateur déshabillé coquin. Trop diaphane pour dérober l’élégance du corps qu’elle abrite, trop opaque pour permettre de le détailler mais laissant augurer du satin délicat de sa peau. Elle est fendue très haut sur la cuisse, entrebâillée par la position de l’une de ses jambes qu’elle replie en l’appuyant contre la cloison. Elle dévoile un mollet fuselé au galbe parfait, modelé par le bas noir ajusté par une jarretière de dentelle. Au-dessus, un éclair de chair frissonnante, s’enfuit vers des contrées bienheureuses, au-dessous un pied menu et ravissant se chausse de bottines cramoisies aux talons démesurés.


Félix me l’avait décrite trop pâle et je l’avais imaginée blafarde. En réalité, pour tant que j’en puisse juger dans cette pénombre, elle est certes très blanche mais se colore d’un incarnat subtil qui lui confère un teint de pêche et la carmine délicieusement. Cette peau lactescente pare des bras adorablement potelés à l’issue des longs gants, puis des épaules somptueusement dénudées, un cou gracile dominant une gorge fière et conquérante. Une cascade de boucles ambrées déferle sur celle-ci et l’enveloppe d’une tendre caresse.


Ce soir-là, elle se cache derrière un loup ténébreux en taffetas moiré, prolongé par une voilette artistement festonnée qui dissimule entièrement sa face. Et ces obscurités sur son visage déployées, transpercées par l’éclat ardent de ses yeux, loin de lui nuire, la rendent encore plus désirable en augmentant son mystère. Tantôt, elle écarte le crêpe, portant une coupe à ses lèvres écarlates, divulguant le bas d’une frimousse enjouée et avenante.


Son port, son attitude, ses formes, son vêtement, exhalent et exaltent la volupté, non pas en provocations grossières et tapageuses, mais en discrètes incitations, en promesses nébuleuses qui sans rien assurer laissent tout présager par des suggestions raffinées. On comprend que même si elle est là afin de se satisfaire, accessoirement vous satisfaire il vous faudra avant tout la subjuguer. Aucune arrogance cependant n’entache sa personne et sa distinction sait se passer de la morgue qui souvent accompagne nos belles bourgeoises, abusivement adulées.


C’est un ange ! Non pas ! Cet ange-là est bien trop femelle, bien trop charnel et convie à des paradis bien trop sensuels, n’évoque d’autre lieu qu’un enfer où l’on souhaite griller pour et par lui. Dès que je l’aperçois je sais que c’est vers elle que désormais vont converger mes vœux et qu’elle va détrôner ces beautés qui m’ont tour à tour séduit, les temps derniers. Elle constituera, je le pressens, m’en effraye et réjouis déjà, le cœur énigmatique de mes heurs et malheurs, le pôle d’attraction de toutes les fibres de mon être. L’univers à l’entour se ternit ne laissant scintiller que cet unique fanal qui va m’appâter aussi sûrement que la flamme captive le papillon et l’entraîne dans une spirale fatale jusqu’à le consumer.


Heureusement que, bien trop occupée par sa cour galante, elle ne me porte pas la moindre attention. Je reste médusé un grand moment, étourdi par sa prestance, absorbé dans sa contemplation, tandis que conjointement un terrible étau enserre mon cœur et qu’un souffle libérateur balaye mon esprit, générant un immense soulagement. Ça y est, l’objet de mes désirs m’est enfin révélé et ceux-ci si vagues et veules jusqu’ici se font immédiatement impérieux. Je frémis de jalousie, moi qui n’ai jamais éprouvé ce sentiment, quand je la vois accorder son bras à ce gredin d’Arsène Jolivet, le colonel de la gendarmerie, et s’éloigner avec lui.


Je me renseigne à son sujet et apprends qu’elle ne fréquente l’abbaye que rarement et qu’en cours de semaine. Dès lors, je reviens tous les jours ou presque et quand elle daigne paraître, je me statufie, hypnotisé, sombrant dans une muette exaltation qui se transmue à chaque fois davantage en amoureuse brûlure. J’en perds le boire et le manger et ne tarde guère à négliger mes activités professionnelles. Embusqué dans le recoin le plus obscur du salon qui me sert de refuge, je n’ose pas l’approcher car je redoute de l’affronter face à son cercle courtisan. Je ne pourrais lui déclarer sans gêne ni embarras la véhémence de mes enthousiasmes qu’en la rencontrant seul à seule.


Ce jeudi, arrivant un peu plus tôt, je la trouve isolée. Elle s’enlumine d’un superbe masque vénitien blanc, bleu et or s’entourant d’une couronne de feuilles d’érable mais cachant sa bouche derrière des lèvres en carton maquillées d’azur. Sa voix prend ainsi une résonance grave et un brin caverneuse. Je m’approche dissimulé sous mon loup :



Elle tressaille et se recule, s’abritant dans l’ombre de la pièce.



J’insiste et pose ma main sur son bras.



Se méprenant sur le sens de ma phrase, elle réplique plus irritée que précédemment :



Deux messieurs viennent de se rapprocher et ont entendu sa dernière réplique.



Surpris par ses réactions et ne voulant pas provoquer d’esclandre, je me penche sur elle et lui murmure :



Je me retire et elle ne réapparaît plus durant la quinzaine qui suit. Je suis ensuite obligé d’accompagner exceptionnellement mon père à Paris pendant une semaine car il veut me mettre en contact avec des clients anglais dont il ne parle pas la langue que je baragouine vaguement. Nous ne rentrons que le samedi matin très tôt pour assister aux incontournables comices agricoles.


Dès le lundi ma première visite est réservée à l’Abbaye de Thélème. Elle n’est pas là. Le mardi, nouvelle déconvenue, par contre j’y croise Félix, l’air morne et dépité. Je m’enquiers et de son épouse et de ce qui le chagrine.



Nous nous attablons au milieu d’une foule dense et bruyante.



Il me déclare cela d’un ton aussi lugubre que s’il avait été victime d’une catastrophe. La jalousie m’aiguillonne si puissamment que j’ai envie de le gifler mais me retiens car je grille plus encore d’avoir le récit circonstancié de son aventure.




  • — J’ai l’impression Comtesse que vous vous morfondez, permettez-moi de tenter de vous distraire même si je ne brille guère dans l’art du badinage.
  • — Tiens, voici un loup que je ne connais point encore. A-t-il vraiment les dents aussi longues qu’il semble s’en vanter ? Quel est donc son surnom en ces lieux ?
  • — On m’y appelle Étalon et je cherche une monture pure race, souhaitant que cette cavale m’emporte vers des horizons ignorés.


En même temps, bien plus pour me donner confiance que la provoquer, je l’ai gratifiée d’une légère tape sur les fesses.



  • — J’aime votre côté cavalier et c’est à lui que je cède. Étalon ! Voilà qui paraît prometteur et j’espère que vous honorerez ce titre en prenant de la hauteur et en me montant. Je ne vous soumettrai pas plus longuement à la torture, vous forçant à me débiter des phrases creuses dont vous ne penserez pas un traître mot. Vous espériez une course d’obstacle, voyez, j’abaisse la barre du premier, attention cependant, je n’en relèverai que davantage les suivantes.



Je m’attendais à tout sauf à cela.




  • — Vous me l’enlèverez quand vous aurez mérité cette privauté.


Faisait-elle allusion à sa rétribution ou à ses satisfactions ? Dans l’incertitude, je décidai d’éliminer déjà l’aspect vénal et déposai sur le guéridon une somme triple de celle que nous laissons ordinairement, ce qu’elle fit mine de ne pas remarquer. Je revins vers elle et tentai à nouveau de soulever le domino.



  • — Je crains que vous ne m’ayez comprise, votre argent m’intéresse infiniment moins que vos couilles.



Une fois de plus, sa déclaration avait le mérite d’être précise.



  • — Eh bien ma toute belle, vous saurez dans ce cas leur faire démonstration de vos talents !



Elle vint s’accouver devant moi et, visiblement rongée d’impatience, sans la moindre hésitation, cédant à la véhémence de ses impulsions, rabattit mon pantalon sur lequel elle abaissa ma culotte avec des gestes vifs et secs mais dénués de toute bienveillance. Mon pénis affreusement comprimé jaillit comme un diable de sa boîte, violant les lois de la pesanteur avec une vigueur inaccoutumée. Il me faut admettre que je bandais depuis nos premiers mots échangés, depuis que je l’avais approchée. Ah ! le bonheur de voir si fringante maîtresse tomber à mes pieds. Jamais, je n’en avais fréquenté de cette classe et suis sûr que la Belle Otero en personne ne m’aurait ni plus excité, ni davantage intimidé. Triomphante, elle dégrafa ensuite son corsage avec tant de brusquerie qu’elle manqua en arracher les boutons puis exhibant des jumeaux gonflés de convoitise et saisissant mon organe sans ménagement, elle en promena le gland sur ses aréoles sombres et des tétins étonnamment dilatés, attestant de leur enthousiaste émulation. La surplombant, j’avais une vue imprenable sur la gorge la plus somptueuse : deux hémisphères radieux, encadrés par les vagues rousses de sa longue chevelure, nimbés d’une couronne foncée surmontée d’une pique dardée.

Tu me connais, j’ai plus l’habitude d’apostropher des haridelles que de nobles dames et je me montrais terriblement timoré face à cette aubaine. Ainsi que je l’aurais fait en d’autres endroits avec d’autres partenaires, je voulus lui crier « Suce-moi catin », mais ne parvins qu’à lui dire :



  • — Messire se languit d’une caresse plus accentuée.
  • — Tu veux que je te tète pareillement à la dernière des salopes ?


Ce contraste entre une voix charmante, empreinte de noblesse et la verdeur du propos fut, à lui seul, déjà hautement jouissif.



  • — Seras-tu en état de décharger plusieurs fois, monsieur Étalon ?
  • — Avec vous, pour vous, je me sens capable de tous les exploits !



L’emportement propre à la fellation qu’elle m’infligea et les émois qui en résultèrent me demeuraient inconnus. Je ne te parle pas du geste technique mais de cette sorte de rage avec laquelle elle absorba mon phallus entier tout en pressurant mes testicules. Tantôt elle le compressait entre ses lèvres, tantôt le léchait avec délice, tantôt l’agaçait à petits coups de dents. Placé ainsi que je l’étais, je ne voyais de la scène que son gant lustré qui fourbissait ma hampe s’enfonçant sous la voilette de son masque, et, par intermittence, lorsqu’elle quittait des yeux son ouvrage, les braises de son regard qui transperçaient le tissu noir, scrutant l’escalade de ma félicité.

En-dessous s’ouvrait la perspective émoustillante de son buste. Pour la première fois, je découvris une femme, et dieu laquelle, qui me gamahuchait avec une réelle volupté en m’étourdissant des chuintements de son effarante succion. N’eussent été les gants, ses doigts crispés sur mon postérieur m’auraient griffé sauvagement tout en me poussant vers son masque que mon bas-ventre venait écraser tandis qu’elle m’aspirait. Mon excitation atteignit rapidement son comble et, le comprenant, elle se calma quelques secondes, se borna à triturer mes bourses et mes fesses avant de me ré-emboucher en augmentant son rythme. Tremblant, je déchargeai bientôt abondamment dans sa bouche. Elle pourlécha soigneusement l’extrémité baveuse de ma verge, puis se redressant, me fit face et je vis mon foutre dégouliner le long de son menton, et tomber en gouttes de lait onctueux sur ses seins admirables où elle les étala en s’en frictionnant avec délice. De la sorte, t’en rends-tu compte, elle magnifiait jusqu’à mon sperme. Représente-toi le tableau : cette poitrine découverte et le gant noir pataugeant dans les perles nacrés disséminées sur la peau opalescente, s’en massant comme avec un onguent salvateur.

Lentement, en me fixant effrontément, elle acheva de déboutonner sa robe qu’elle fit glisser sur ses épaules, entravant néanmoins subrepticement sa chute afin de la ralentir et de conférer de l’ampleur au mouvement. Elle m’apparut vêtue de ses seuls loup, gants et bas, tous noirs, des fameuses bottines rouges que tu n’as pas manqué de remarquer, et du triangle de son pubis décoré d’un crin foisonnant et sombre qui m’obligea à penser qu’il ne s’agissait pas d’une vraie rousse. Quel spectacle ! J’en fus éperdu d’admiration. Un corps divin, mature et épanoui, des grâces pleines et fermes, à l’apogée de leur gloire. Ce n’était ni un tendron encore en bouton, ni les chairs avachies des hôtesses du Moulin Galant. J’y lisais la fierté de s’exposer, magnifique et séduisante, doublée d’une subtile honte, pas de se présenter dévêtue, mais de ne pas savoir déguiser combien cela l’aguichait. La belle, qui ne cherchait nullement à s’assurer un complément de ressources, se caressait avec frénésie et cédait à des démons intimes qu’il lui fallait assouvir. Je la sentais tendue vers moi, frémissante d’inavouables concupiscences, aiguillonnée par sa volonté d’atteindre à l’extase. Je demeurais stupide et immobile face à elle, à la regarder craignant toute action qui aurait pu l’effaroucher ou la dissiper comme un songe. Tentant d’apaiser sa nervosité, elle tordit ses avant-bras toujours gantés qu’elle enroula sur eux-mêmes, comprimant son poitrail dont les seins roides et exubérants jaillirent comme une invite aux plus exquis tourments de la chair. Elle s’ébroua, agitant sa crinière et lâcha :



  • — Déshabille-toi enfin !


Toujours halluciné, je m’exécutai fiévreusement en la dévorant des yeux. Certes, je la désirais follement, toutefois, ce qui me dominait à cet instant c’était une sorte de terreur de n’être pas à la hauteur, une peur aussi de la profaner. Tu n’ignores pas que je ne suis guère coutumier de ces états d’âme mais là ils me submergeaient avec tant de virulence que j’en restai presque paralysé. Il me fallut essuyer un nouveau rappel à l’ordre :



  • — À ton tour !


Je m’approchai pour la prendre par la main et la conduire vers le lit. Elle s’accrocha à moi et je la sentis flageolante, étonnamment faible, accablée par l’aveu du plaisir qu’elle cherchait ainsi et frissonnante de celui-ci, déjà.

Je l’assis au bord de la couche et elle écarta immédiatement, impudemment et largement les jambes m’offrant un sexe dégoulinant des sucs de son ivresse. Je m’agenouillai entre elles et dévorai le haut de son entrecuisse de baisers incandescents tandis que mes mains pétrissaient son buste. Du pur velours, mon cher, d’une suavité et d’un moelleux incomparables, tels que tu n’en saurais imaginer. La déesse se contorsionnait en soubresauts escortés de plaintes émouvantes. Tantôt mes lèvres remontaient sur son ventre que j’embrasais de mon souffle court et torride, tantôt redescendaient jusqu’à l’orée du buissonnement pubien. Petit à petit, je les ai conduites au cœur de sa brûlure, j’ai ouvert les portes du temple tout en ayant les plus grandes difficultés à maintenir ma bouche au contact du sanctuaire. Bouillante, elle balançait sa tête renversée en arrière, piaffait véhémentement en éructant des borborygmes et des cris inarticulés, tambourinait de ses poings fermés ou le lit, ou mon dos. Quel bonheur de susciter un réel émoi en lieu et place des simagrées certes plaisantes quoique fort peu convaincantes des petites catins qui font notre ordinaire. Non, il ne s’agissait pas de jouissances sur commande, proportionnées à leur tarification, mais d’un authentique orgasme, mûri au cours d’une longue et incontestable diète, renforcée par les ardeurs spontanées d’une nature lubrique et heureuse, stimulées par les incongruités de la situation. Elle se lovait sous mes caresses et plusieurs fois elle emplit mon gosier de son miel en glapissant :



  • — Oh, oui, oui, oui… je jouis.


J’eus l’impression qu’à ce jeu, j’aurais pu m’acharner toute la nuit sans tarir les ressources de la princesse. Quand je parvins à happer son clitoris entre mes lèvres, je déclenchai le plus violent des orages - des éclairs secouèrent son corps qui s’abandonna dans un déluge de mouille accompagné d’un tonnerre de vociférations. L’explosion la roula longuement pâmée dans des convulsions si puissantes que je craignis qu’elle ne perde conscience puis elle s’abattit sur le lit, figée. Seuls des petits tremblements nerveux courraient sur sa peau en ondes concentriques à partir d’un épicentre que je te laisse deviner.

Elle se releva, fit quelques pas au travers de la chambre tandis que je demeurai accroupi, hébété par tant de débordements. Elle se posta derrière moi, pendant que je reprenais haleine à mon tour et soudain, une douleur cinglante me déchira l’échine. Retenant un cri de douleur, je me retournai pour la découvrir majestueuse et tyrannique, face à moi, armée d’une badine de cuir tressé ornée d’un pommeau de jade à forme phallique.

Me menaçant toujours de sa cravache, elle porta la main dans sa nuque afin de défaire le nœud qui attachait son domino. En cet instant, ma vie entière était suspendue à son geste et ce fut la seconde révélation de la soirée.

Quel éblouissement, jamais je n’avais contemplé physionomie plus affable. Aucun trait anguleux, rien que des lignes fluides, douces et rondes qui exprimaient la plus délicieuse aménité. Rien, de saillant ni d’outré, qui la caractériserait mais une subtile harmonie de tous les détails. Bien que par moment sillonné par les derniers éclats de la jouissance qui venait de la transporter, un visage serein, tout en finesse qui ferait le désespoir des caricaturistes incapables d’y dénicher le trait proéminent qui le subsumerait. L’ovale parfait de sa figure s’encadrait de mèches rousses d’un acajou brillant et soutenu. Elle présentait un front haut et lisse sur lequel retombaient quelques frisottis bouclés, des joues pleines sans être le moindre peu rebondies, un nez bien proportionné, légèrement relevé et fendu en son extrémité par une adorable petite fossette. Ses lèvres, un brin charnues, étaient vermeilles sans qu’elle n’use des secours d’un fard et ses sourcils foncés dessinaient un arc envoûtant. Ses yeux enfin… ses grands yeux, marrons pailletés de reflets dorés, ouvraient à des perspectives infinies. À leurs commissures, quelques pattes d’oie presqu’imperceptibles, à peine esquissées, semblaient les agrandir et apparaissaient comme une rémanence des ailes de son masque. Ces signes discrets me la firent toutefois juger plus âgée que ce que j’avais jusqu’alors estimé. En contrepoint de cette allure éthérée, le reflet sporadique d’une ardeur féline et brutale détonnait et immergeait la déesse dans un monde d’inquiétantes bacchanales.

Quand elle se pencha sur moi me tendant la badine, je constatai que sa lèvre tremblotait insensiblement : désir, crainte ou honte de sa dépravation. Et encore, je la sentis dépassée par les contradictions qui la déstabilisaient, l’affaiblissaient en combinant ses fragilités et ses forces dans une synthèse impossible mais terriblement aguichante.



  • — Montrez-moi maintenant comment vous traitez les pouliches récalcitrantes ?
  • — Couchez-vous sur le lit.


J’aurai aimé ajouter « ignoble salope », mais n’y parvins.


Elle s’étendit sur le ventre pointant bien haut son postérieur, me le désignant, cible privilégiée. Je la fustigeai, timidement, esquissant cependant une marque cramoisie sur les hémisphères blancs.



  • — C’est avec de tels amusements que vous vous faites obéir ?


Je récidivai donc plus vigoureusement.



  • — C’est mieux, sans être vraiment convaincant.



Je lui portai alors deux ou trois coups nettement plus rudes et vis les marbrures sanguinolentes zébrer sa neigeuse croupe. S’adonnait-elle ainsi à une pénitence afin d’expier ses infamies et sa capitulation face aux exigences de ses sens, ou, tout à l’inverse voulait-elle accéder à des sommets de dépravation ? Elle se lovait sous la flagellation avec de petits trilles de jouissance qui précisément ne ressemblaient pas à l’expression d’un remords. Subitement, elle pivota sur le lit se présentant de face, m’exposant la délicatesse de son ventre, la tendresse de ses seins en un défi insensé. C’est moi qui tenais la cravache et c’est elle qui me défiait. J’ai parcouru dès lors son épiderme du bout de celle-ci. Chaque parcelle de chair que j’effleurais se hérissait en proie à une incoercible fièvre, se contractait comme si elle subissait une décharge électrique qui, se propageant jusqu’à moi à travers la badine, me galvanisait en retour. Quand j’en vins ainsi à taquiner aréoles et tétons, elle les tendit vers la menace, sollicitant cette périlleuse caresse. D’un geste, je levai la houssine faisant mine de m’apprêter à la frapper et les gants noirs vinrent s’emparer des magnifiques jumeaux, non pour les protéger, mais au contraire les offrir à l’instrument du supplice. Je ne sus m’y résoudre et laissai retomber mon bras impuissant.

Une lueur d’insatisfaction sillonna son visage et elle m’arracha la trique, puis, la retournant vint en flatter sa vulve avant de l’y introduire progressivement. Tout en cajolant son poitrail d’une main, elle activait de l’autre le pommeau phallique d’un va-et-vient frénétique. Elle avait escorté le début du mouvement de courts gémissements tandis que maintenant sa plainte roulait continue et s’amplifiait jusqu’à se faire mugissement rauque.

J’étais aussi fasciné que pétrifié et portais mon regard alternativement sur son visage révulsé et son sexe dans lequel elle enfonçait de plus en plus profondément l’infâme godemiché. Atteignant au comble de la jouissance, elle le rejeta et me fixa de ses yeux mourants de martyre aux abois et lourds d’une muette supplique, en criant :



  • — Achevez-moi !


Je la retournai sur le lit et vint lécher les traces saignantes de mes sévices. Je ne pensais pas avoir frappé aussi fort. Puis, peu à peu, je la tirai vers moi, la mettant à genoux. Elle était molle et alanguie, épuisée et humiliée par ses excès. Quand je glissai entre ses cuisses une main, qu’elle arrosa de ses humeurs secrètes, la déesse tressaillit et se cabra immédiatement. Percevant l’empressement de mon sire au seuil de son vagin, elle se porta en arrière, me percuta de ses fesses afin que je la pénètre jusqu’en ses tréfonds. Je la limai furieusement et elle accompagnait mes impulsions avec hargne se reculant à chaque fois violemment pendant que, dans un bredouillis indistinct et haletant, elle psalmodiait quelque indicible prière. Je l’accablais de coups de reins brutaux et elle se cambrait, faisait valser sa croupe pour accentuer ses sensations. Quand je la sentis tendue à se rompre, au bord d’un nouvel orgasme, je me retirai brusquement ce qui lui arracha une exclamation de dépit. Sans aucune préparation, je pressai mon gland au seuil de sa porte la plus étroite tentant un assaut sodomique mais une imploration surprenante m’arrêta.



Cette réaction m’étonna d’autant plus qu’elle m’avait paru prête à endurer tous les outrages. Je ne sus toutefois outrepasser son injonction. Elle se révolta et s’enfuit à quatre pattes sur la couche, puis, s’allongeant à plat, sur le dos, elle enleva, un à un, avec une lenteur calculée ses gants qu’elle me tendit.



  • — Attachez-moi, faites-moi votre jouet et votre chose !


J’enroulai l’un de ses gants autour de son poignet droit, y fis un nœud autour du cadre en fer du lit puis recommençai la même manœuvre avec l’autre bras. Éberluée, elle me dévora d’un œil gourmand, luisant des plus louches convoitises pendant l’opération. Je m’éloignai de deux pas ensuite pour déguster une fois encore l’extraordinaire tableau : cette femme divine, à présent si vulnérable et si lascivement offerte, effarée de sa propre audace, émue de ce don d’elle-même, totalement nue, ou plus précisément habillée uniquement de ses bas noirs et de ses bottines vermillon, convulsant son corps ivoirin avec rage sur la soie rose du drap, dans l’impatiente attente d’être prise.

Je me couchai à son côté et essayai de m’approprier ses lèvres. Elle fit mine de me les refuser. Je saisis alors son visage de mes deux mains et la contraignis à me les abandonner. Ce fut un baiser de feu, farouche et carnassier qui s’acheva lorsqu’elle mordit férocement les miennes. Je roulai sur elle et, l’immobilisant de mon poids, je conduisis mon boutoir plus rigide que s’il avait été de pierre aux auspices de Cythère, qui, poisseux de sa mouille, l’accueillirent avec un soulagement empressé. Je l’empalai impitoyablement mais même dans cette position, l’écrasant de ma forte corpulence, et bien qu’elle fut attachée, il me sembla être son jouet.

Avec un ahanement de satisfaction, la dame happa mon sexe du sien et l’engloutit jusqu’à la garde dès le premier abordage. Elle avait une manière de se lover sous moi, de tortiller du bassin qui me faisait agréablement ressentir toutes les constrictions de son vagin sur ma hampe. Ses jambes s’agitaient, tantôt s’enroulant autour de mes reins, tantôt se relâchant inertes sur le lit avant d’être ébranlées par des spasmes nerveux. Sa poitrine se soulevait, haletante, et je sentais ses tétons dardés, très durs, contre mon torse. La gradation de nos allégresses fut rapide et violente. Elle se débattait si impétueusement que l’une des ligatures céda bientôt. Elle put dès lors m’étreindre de ce bras libéré et vint planter les banderilles de ses griffes acérées dans mon dos. Oh non pas superficiellement, mais résolument, et elle laboura mon échine si profondément qu’il me fallut bien comprendre que c’était elle qui me donnait de l’éperon. J’intensifiai mon pilonnage tout en la noyant d’embrassades ignées et en pétrissant énergiquement ses chairs.

Je ne lui faisais pas simplement l’amour comme à d’autres femmes précédemment. J’étais soucieux du retentissement du moindre de mes gestes tant sur elle que sur moi et suivais tous les signes de son contentement sur sa face. Elle jouit plusieurs fois, écumant, les yeux fermés. Son visage si lisse se contracta reflétant le déferlement de son plaisir et sa bouche se tordit dans un rictus de bonheur. Étrangement, cette grimace l’embellissait étrangement. Elle avait d’abord geint faiblement puis son râle s’était accentué et prenait maintenant des allures de soufflet de forge, scandé par le rythme de mes pénétrations. Cette attention que je lui consacrai, retarda mon explosion et quand enfin je déchargeai ce ne fut pas mon sperme seulement mais mon être entier qui se dissipa et se perdit en elle.

Aussitôt après, elle fut à son tour emportée par un orgasme délirant qui la transforma, une fois de plus, en furie déchaînée. Elle se roidit et j’eus l’impression que, dans une tension formidable, arquée dans une suprême convulsion, elle se galvanisa soulevant mon corps entier. J’étais toujours en elle, toujours vaillant, et ce fut si fulgurant que je manquai d’éjaculer une seconde fois.

Je m’effondrai, tandis qu’encore sous moi, elle palpitait de plus en plus mollement. Il me fallut quelques temps avant d’émerger et de retrouver mes esprits tant elle m’avait désemparé. Hagard et défait, je me dégageai et détachai le bras resté prisonnier. Jamais, je n’avais subi pareils assauts et atteint à ce niveau de satisfaction sauvage. Au fond de moi persistait l’idée que c’était elle qui m’avait pris. Elle était couchée là, souriant à je ne sais quelle licencieuse évocation et ses mains se crispaient nerveusement sur l’oreiller dans lequel elle plantait la pourpre de ses ongles. Elle me jeta un regard d’abord triste qui s’altéra et devint presqu’haineux lorsqu’elle se redressa en me gratifiant d’un :



  • — Alors fougueux étalon, déjà hors service, puis me servit une diatribe bien inattendue : qu’avez-vous donc tous à me considérer telle une frêle porcelaine ? Vous, en qui je voyais un bouillant écuyer, vous confondez comme les autres, étrivière et étrière. N’y en aura-t-il pas un qui, à la fin, saura se conduire en brute et me prendre à la manière d’une pute. Il suffit que je susurre, non pas de sodomie, pour que vous en fassiez le onzième commandement et peut-être le seul que vous soyez prêt à respecter. Quand apprendrez-vous à distinguer non et non ? Lorsqu’une femme souhaite qu’on l’attache, c’est qu’elle espère subir des avanies inconnues autant qu’insolites sans pouvoir s’y soustraire, des férocités qu’elle n’ose ni suggérer ni clairement imaginer et qui perdraient moitié de leur piment s’il fallait les solliciter ou permettre.

Allez, laissez-moi. Ne nourrissez pas d’illusion cependant, je vous préviens, je ne vous reverrai plus.




En dépit des jalousies qu’il a d’abord éveillées, son récit me bouleverse et m’attise, mais surtout va me permettre d’ajuster mes futures stratégies afin d’éviter d’être éconduit ainsi qu’il l’a été lorsque la Comtesse se pliera à mes vœux.


Je sais aussi que dorénavant, je n’aurais de cesse de la convaincre de ma flamme. Malheureusement elle ne réapparaît pas à l’abbaye de toute la semaine. Mon père, hélas, exige ensuite que je le raccompagne à Paris estimant que j’ai fait des merveilles auprès de nos clients anglais qui lui en ont recommandé d’autres. Dès le mercredi, plus tôt que présumé, l’affaire est bouclée, et dévoré par mes impatiences, je rentre par le premier train. Dire qu’il y a peu, je ne rêvais que de la capitale et maintenant que j’y suis, pourrais y rester, je me hâte de rejoindre ma province. En raison de problèmes sur la voie, je n’arrive à Reims que tardivement et, abandonnant mon bagage à la consigne de la gare, me précipite à l’Abbaye de Thélème sans prendre seulement le temps de passer au domicile et d’enfiler une tenue de soirée.


Elle est là s’ébaudissant avec ce bellâtre de colonel et sursaute en découvrant ma présence. Ignorant le rustre, je m’adresse assez abruptement à elle :



Sans lui laisser le temps de me répondre, c’est le pandore qui riposte :



Je suffoque et ai envie de le gifler mais veux éviter à tout prix un scandale dont nous serions également victimes, elle et moi.



Sans attendre la réponse à cette abrupte et humiliante insulte, qui eut été prétexte à duel il n’y a que trente ans, je tourne les talons et me retire tandis que j’entends le butor s’esclaffer :



Le froid de la rue que balaye un vent glacial et qu’englue un crachin pénétrant, me dégrise complètement. Je regrette instantanément de m’être ainsi effacé. Que va-t-elle désormais penser ? Que je me suis résigné face à sa baderne. Il me faut remédier à cette balourdise sans tarder et je décide de patienter jusqu’à sa sortie, afin de m’expliquer et de lui confesser le désarroi de mon cœur. Caché dans l’ombre sous un platane, je les vois défiler tous les uns après les autres, puis c’est le tour des femmes. Elles s’enveloppent dans de grandes capes qui rendent leur identification délicate. Enfin, une silhouette qui peut être la sienne, impression que confirment les bottines rouges. Je me lance à sa poursuite et elle doit s’en apercevoir car elle presse le pas. À deux rues d’ici stationnent les fiacres et je sais qu’il me faut la rattraper avant qu’elle ne se glisse dans l’un d’eux. Pour la ralentir, je l’interpelle :



Elle doit comprendre car elle s’arrête net, me fait face et d’une voix assourdie par la voilette épaisse suspendue à la coiffe qu’elle porte à présent et essoufflée par sa course, elle me réplique :



Je la contourne, l’empêchant de se rabattre vers les attelages. Elle se tient à deux pas de moi et le chevrotement de sa voix maintenant étrangement fêlée me fait supposer que je ne la laisse pas insensible. Dans un souffle, elle me supplie encore :



Je fais un pas dans sa direction et tends ma main vers le voile qui la dissimule :



Elle reflue et geint :



J’avance. Farouche, tel un chat affolé qui se hérisse et découvre ses griffes, elle arrache une épingle de son chapeau.



J’aime cette détermination féline qui la pose dans l’attitude d’une panthère ramassée sur elle-même et prête à bondir. Elle me brave, c’est merveilleux, je vais pouvoir lui prouver la puissance de ma passion en me jouant de sa menace. Je me porte en avant, elle essaye de m’esquiver en reculant mais trébuche sur un pavé descellé.


Elle bat l’air de ses bras en grands moulinets désordonnés puis les replie vers elle tentant de retrouver son équilibre tandis que je me précipite essayant d’enrayer sa chute et de la soutenir en la serrant contre moi. Moment magique, seconde ineffable qui hélas ne dure pas car aussitôt je la sens qui s’affaisse, inerte. Si prompte et complète reddition n’est pas concevable. Dans le tumulte précédent, elle s’est enfoncé l’épingle dans la poitrine et j’ai achevé d’y enferrer son cœur en l’emprisonnant dans mon étreinte. Lentement, elle échappe à celle-ci, glisse entre mes bras et s’affale désarticulée sur le trottoir. Désespéré, je relève sa voilette et constate qu’un filet de sang s’écoule aux commissures de ses lèvres entrouvertes qui paraissent m’adresser un ultime baiser. Ma clameur irrépressible, démente, rugissante et gonflée de tous les désespoirs vrille le silence aqueux de la nuit et roule jusqu’aux confins de Reims qui l’entend et frémit :