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Temps de lecture estimé : 7 mn
20/05/16
Résumé:  Un critique s'est permis d'insulter Brodsky ; il va lui en cuire !
Critères:  pastiche humour -revebebe -poésie -théâtre
Auteur : Brodsky      Envoi mini-message

Poésie
Brodsky de Bergerac


Pastiche en 1 acte et en alexandrins


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Acte I, scène 1


(Zorg, Nafilo, Zabora)


(Les trois compères devisent devant la cour d’un célèbre éditeur parisien.)





Zorg :


Avez-vous lu, Messieurs, le dernier libellé ?

Brodsky est de retour.


Nafilo :


Vous m’en voyez navré !


Zorg :


Et pourtant son public attend depuis des mois

De nouvelles histoires…


Nafilo :


Ne comptez pas sur moi !

Faudrait-il se réjouir ou frapper dans ses mains

À chaque parution de ce sombre crétin ?

Rien dans sa prose qui ne donne envie de rire,

Juste des mots grossiers ; et puisqu’il faut tout dire,

Pour définir Brodsky, le seul mot qui me plaît,

Le seul que je retiens sera… vulgarité.


Zorg :


Nafilo, mon ami, quelle sévérité !

Par beaucoup de nos gens, Brodsky est bien jugé :

Il se montre bonhomme et il a l’art de plaire

À tout le petit peuple et aux gens ordinaires.


Nafilo :


Donc, il incarne bien cette vulgarité

Qui ronge la culture dont nous sommes chargés

De préserver la lettre, et l’esprit, et le corps.

Zorg, bientôt nous devrons mettre Brodsky à mort.


Zabora :


Il est temps en effet, car il publie beaucoup,

Et des histoires pourries où je comprends pas tout.


Nafilo :


Rassurez-vous, Madame : personne ne comprend

Ni vraiment ce qu’il est, ni pour qui il se prend.

C’est un fait : c’est un fat. Il s’applaudit sans cesse

Entouré de sa cour, il tortille des fesses,

Frétille de la queue devant n’importe qui

Qui lui fait les yeux doux ou a un mot gentil.

On le prétend génial, mais son style est balourd ;

Pour tout dire, je dirai qu’il est « lourd de chez lourd ».



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Acte I, scène 2


(Zorg, Nafilo, Zabora, Brodsky, Lilas)





Brodsky :


J’ai entendu un mot qui m’a fait sursauter ;

Un mot fort peu aimable, et pourtant prononcé

Deux fois en une phrase. Le désir de blesser

Sans doute en est la cause. Me voilà offensé ;

Il faut que je réponde, et j’ai le choix des armes.

Non, Lilas, je t’en prie, tu retiendras tes larmes :

Mon honneur est atteint, ne sois donc pas cruelle,

Tu ne peux m’empêcher de courir au duel.

Ce mot est insultant. Il prétend à la fois

Que mon style est nul et que je suis en surpoids :

« Lourd de chez lourd » dit-on ! Ce qui veut dire pour l’heure

Que les mots sont pesants autant que leur auteur.

Voici que l’on me traîne dans le caniveau

Puisque lourd signifie médiocre et gras et gros.

Et il faudrait pourtant rester sans réagir ?

Non, Madame, Brodsky va se mettre à rugir !


Mais tout d’abord il faut que j’explique pourquoi

Cette acerbe critique m’a mis en émoi.

Écrire est ma passion, et j’écris bien des choses :

Des contes pour enfants, des vers ou de la prose,

Des romans historiques, des tracts syndicaux,

Des chansons, des poèmes, parfois de la philo.

Ici pour toi, lecteur, quand je dépose un texte

J’y mets beaucoup d’humour ; le cul n’est qu’un prétexte.

Croit-on que c’est facile d’écrire pour un public ?

Qu’il me suffit de boire direct à l’alambic ?

Qu’il ne faut point penser aux mots que l’on choisit ?

Qu’il ne faut pas parfois y sacrifier sa nuit ?

Nul ne m’a jamais vu accabler un auteur

Pour une histoire mauvaise ou un texte mineur ;

Je sais tout le travail qu’il a dû déployer,

Alors tout texte offert mérite mon respect.


L’écrivain doit toujours se remettre en question,

Savoir changer de peau, de style, ou de nation.

Gentilhomme le jour et crapule la nuit,

Parfois je suis Siorac, parfois je suis Brodsky.

Écrire ou faire l’amour exige des notions

D’adaptabilité : toutes les positions

S’étudient tour à tour ; on jouit des caresses,

Des morsures ou des coups offerts par sa Déesse.

Brodsky est donc grossier, prétentieux et vulgaire.

Personnage d’Audiard sorti de son bestiaire,

Il m’apparaît parfois sous les différents traits

De Lino Ventura ou de Bernard Blier ;

Il peut tout aussi bien revendiquer les mots

Qu’offrait Frédéric Dard à son San-Antonio

Sans oublier non plus – je n’en ferai pas grâce –

Les perdants racontés par le Vieux Dégueulasse.


« Lourd de chez lourd », dit-on ! En m’affublant ainsi,

On s’en prend à ceux qui ensoleillent ma vie :

C’est un affront cruel à François Rabelais,

À John Fante, à Céline et à Bernard Dimey.

C’est vouloir reléguer les amoureux des mots

À la cour des miracles, au bûcher, au poteau.

Depuis deux ou trois jours ma plume me démange ;

Elle sort de l’encrier : il faut que je la venge.

Voilà pourquoi, Monsieur, je vous jette mon gant !

Acceptez ce duel, vous serez élégant.

Les armes sont choisies : c’est en alexandrins

Que j’entends vous navrer. Vous ne risquez donc rien

Si, comme le prétendent vos puissants commentaires,

Vous savez mieux écrire que « Brodsky le Vulgaire ».

De plus, si vous sortez vainqueur de ce combat

Vous deviendrez l’icône de Télérama.


« Lourd de chez lourd » ? Allons, c’est un peu court, bonhomme !

Il eût fallu écrire bien d’autres choses, comme

« Professoral : Monsieur, vos mots sont mal choisis

Et sont cause, pour sûr, de l’aérophagie

Qui fait enfler ce ventre aux airs de potiron

Et déborde parfois de votre pantalon. »

Campagnard : « Hé, l’ami, v’là des phrases et des mots

Qui sont pas bien jolis dans la bouche d’un gros… »

Moqueur : « Brodsky, avec sa queue en tire-bouchon,

Se répand en bêtises, écrit comme un cochon. »

Lyrique : « Juste du vent ! C’est mauvais, ce n’est rien.

Chacun l’aura compris : pour moi, ce n’est pas bien. »

Intello : « C’est Brodsky… Le néant absolu

Sans rien de consistant si ce n’est le mot ̏cul˝. »

Narquois : « C’est bien écrit, et il nous dit qu’il aime ;

Mais on l’aura compris : il n’adore que lui-même. »


Vous auriez pu, Monsieur, me lancer tant de traits

Et avoir les rieurs ainsi à vos côtés :

« S’il fallait cuisiner pour devenir auteur,

Brodsky pourrait tout juste cuire un hamburger ! »

Ou encore plus cruel : « Quand il parle de baise,

On sent bien que notre homme n’est pas très à l’aise.

Que doit-on en déduire ? Que c’est un inverti ;

Que pour masquer son vice il fait beaucoup de bruit. »

Vous auriez pu user de la caricature

Afin de souligner un peu mes impostures :

« Il se prétend le fils de Charles Bukowski ;

Pourtant, lorsqu’il est saoul, il n’est plein que de lui… »

Voilà, mon bon Monsieur, vous auriez dit tout ça ;

Mais il aurait fallu de l’esprit pour cela !

Car pour manier l’injure il faut un peu de cœur,

Mais surtout de l’esprit. Moi, j’ai l’esprit frappeur ;

Mes colères sont terribles, et je suis rancunier :

Voilà pourquoi, morbleu, il me faut vous défier.

Allons, en garde !


Nafilo :


Au secours, Zorg, le voilà fou !


Zorg :


Je n’ai rien dit, rien fait, aussi démerdez-vous…


Brodsky :


Allons, prends ton épée ; moi, je tire… ma plume

Et tu verras comment l’écrivain qu’on allume

Par d’infâmes critiques se révèle parfois

Sans pitié et bien peu respectueux des lois

De cette bienséance qui, d’un ton feutré,

N’a d’autre occupation que de l’assassiner.

J’écrirai un poème tout en te corrigeant,

Et arrivé au bout, toujours intransigeant,

Je te découperai en tout petits morceaux.


Nafilo :


Par les dieux de l’enfer, désormais c’en est trop !

Pour ta sale arrogance je te ferai punir :

Sache que j’ai le grand pouvoir de te bannir !


Brodsky :


Bannissez-moi, mon Père, puisque je vais pécher

Et refuser la grâce qu’on pourrait m’accorder.

Je pèche par orgueil et nie la vérité ;

Je dis qu’à cent kilos on est encore léger :

Quand la plume est alerte, on n’est pas un balourd,

Et qu’il est insultant de dire « lourd de chez lourd » !

Puis c’est par gourmandise que je continuerai ;

Celle des mots, bien sûr, dont j’aime me goinfrer.

La luxure est un vice, et la mienne est sans fin :

J’aime tant quand le fouet me lacère les reins,

Quand mon corps entier saigne à force de griffures,

Qu’à belles dents ma Dame m’inflige ses morsures.

Et puis vient la colère… mais elle est légitime :

Vous l’avez provoquée ; tant pis si c’est un crime.


Quatre péchés sur sept – et quatre capiteux –

Voilà qui est assez pour que quelques envieux

Me destinent à l’enfer… Et c’est le cœur léger,

Et c’est d’un pas alerte que je monte au bûcher.

Enfin, pour vous maudire, je prendrai pour exemple

Messire de Molay, le Chevalier du Temple.

Bannissez-moi, mon Père, puisque j’ai tant péché

Et que mon cœur de bronze n’y trouve aucun regret.

Je vous attends, Monsieur ; battons-nous, ai-je dit.


Nafilo :


Soit, tu l’auras voulu ; et moi, je te maudis !


Brodsky :


Deux secondes, un instant, je cherche quelques vers…

Voilà, je suis fin prêt.


Nafilo :


Tu vas mourir, pervers !


Brodsky :


« Poème d’un balourd (c’est le titre) écrit pour Nafilo

Avant un grand duel, en sortant du bistrot ».


Je vous envie, Monsieur, qui êtes si léger

Puisque c’est dans les cieux que vous vous permettez

De juger les auteurs d’un ton sentencieux :

Il faut pour cela faire être semblable aux dieux…


Vos jugements sont forts et font beaucoup de bruit.

On reconnaît, dit-on, le bon arbre à ses fruits :

C’est pourquoi j’ai voulu savoir qui vous étiez ;

J’ai cherché vos écrits mais je n’ai rien trouvé.


Vous êtes si léger que vos textes s’envolent

Emportés par le vent, tout comme mes paroles,

À moins que Nafilo soit un pseudo de paille

Protégeant son porteur des coups dans les batailles.


Moi, mes noms sont connus, et mes vices, et mes frasques.

J’avance en honnête homme, et sans porter de masque.

Je conclus par ces mots qui sortent de ma bouche :

« À la fin de l’envoi, cher Nafilo, je mouche ! »