n° 17482 | Fiche technique | 26800 caractères | 26800Temps de lecture estimé : 19 mn | 21/07/16 corrigé 06/06/21 |
Résumé: Pierre tombe en panne. Une âme charitable vient à sa rescousse, est-ce vraiment pour son bien ? Un drame en dix étapes, sans automobile, en musique et en couleur. | ||||
Critères: fh jeunes caférestau hdomine fellation nopéné humour | ||||
Auteur : Igitur Envoi mini-message |
Concours : Twist final |
Je ne voulais pas, mais finalement ça m’avait plutôt fait du bien de tout raconter à Jean. J’ai continué à profiter du beau printemps dans les rues de Paris. Je regardais les jolies femmes qui commençaient à porter des robes et des chemisiers légers, parfois j’en suivais une, je humais son parfum, je caressais du regard les courbes de ses jambes ou la naissance de ses seins, ses bras tendres. Je les trouvais belles, attirantes, mais rien ne se produisait dans mon pantalon. Il restait en moi des souvenirs du désir physique, des traces, des réflexes, mais le désir lui-même m’avait quitté.
Ce désir-là ne faisant plus obstacle, sans doute, je percevais une multitude de liens complexes qui s’établissait dans mon esprit lorsque j’observais une jolie donzelle. Celle-ci m’évoquait une toile de Rubens, celle-là un personnage de roman japonais, une sonate de Donizetti ou un lac d’Écosse sous la pluie. Les femmes m’avaient toujours inspiré de telles associations, des sortes de métaphores si on veut, mais de manière un peu floue. Or ces fulgurances étaient devenues d’une précision redoutable, avec des complexités et des audaces qui défiaient mon imagination. C’était tellement troublant que je me remis à hanter les galeries d’art, les librairies, les concerts pour essayer de comprendre les ressorts de ces associations. Trouver des indices. Enquêter sur mon inconscient, auto-analyse à deux balles en quelque sorte. Je ne compris rien évidemment, mais j’alimentais considérablement la matière première de ces associations.
Ainsi les jolies femmes que je rencontrais me plongeaient-elles à leur insu dans un monde de couleurs, de musiques, de mots d’une richesse incroyable.
Ces associations spontanées ne souffraient pas de contestation. Un jour, en apercevant une jeune femme longiligne qui marchait un livre sous le bras m’est venu le mot limonaire et un vieil air nasillard sur un parfum de thé fumé. Ça n’allait pas du tout avec la gracile gazelle qui traversait ma savane. Alors j’ai suivi la fille en me disant que quelque chose de plus cohérent allait venir. Elle faisait de grandes enjambées, ses jambes longues et fines semblaient s’immobiliser un instant en l’air avant de se ruer vers l’avant, ça donnait à sa démarche comme un tempo de tango envoûtant. La courbe de ses mollets scintillait au soleil comme du satin qu’on fait jouer dans la lumière. Elle était chaussée d’escarpins à hauts talons qui maintenaient sa cheville dans une tension terriblement sensuelle et les mouvements de cisaillement de ses jambes coupaient l’air qu’elle traversait en volutes qui tourbillonnaient lentement sur son passage. Et le parfum de thé fumé se fit plus intense. Persistait dans le lointain la musique du vieux limonaire un peu à contretemps.
Elle portait une robe bleue légère qui voletait autour d’elle, ses petits seins sautillaient. Au détour d’une rue, une bourrasque souleva sa robe suffisamment haut pour que j’aperçoive une délicieuse petite culotte en dentelle bleue. Limonaire et thé fumé ça ne lui allait vraiment pas. Elle rencontra un homme à la terrasse d’un café sur la bouche duquel elle colla ses lèvres avec ardeur. En lui rendant son baiser, il lui caressa les fesses négligemment, mais avec insistance. Naguère, j’aurais pu être à sa place. D’ailleurs limonaire et thé fumé me faisaient penser à Laetitia. Aucune autre association plus pertinente ne me vint.
L’histoire s’est terminée de la manière la plus banale qui soit avec Laetitia. Nous avons omis de nous rappeler mutuellement. Le silence s’est installé, il est devenu opaque, inamovible. Rien n’a été dit, mais, sans doute, la vérité cachée était-elle trop palpable pour qu’elle prenne le risque de me recontacter. Pour moi, tant que mon entrejambe ne me faisait pas signe, silence radio.
Mais avant cela, j’avais pris le risque de la revoir. Je m’étais dit que ma libido perdue avec elle pourrait me revenir d’elle. J’avais tellement fantasmé cet instant, mais rien ne s’est produit. Je l’ai tenue dans mes bras, j’ai très lentement ôté tous ses vêtements, j’ai exploré sa peau avec les mains avec les lèvres avec la langue, je l’ai humée, je l’ai goûtée, j’ai mis tous mes sens en action, chacun d’eux s’émerveillait de la beauté parfaite, du chef-d’œuvre fait femme que j’avais entre les bras, je ne bandais toujours pas. Elle était la sixième légende pour orchestre de Dvorak dans un ombrageux paysage de mer avec une odeur de terre après une pluie d’été, tout ce qui pouvait me transporter. Elle soupirait, gémissait, je la laissais sans repos toujours une main, un doigt, une langue à la recherche de son plaisir. J’ai dressé ainsi deux heures durant la carte exhaustive et précise de ses zones érogènes, de ses parfums, de ses saveurs. Elle a joui plusieurs fois. Elle m’a même écrasé les oreilles entre ses cuisses. Elle a bien failli m’étouffer contre son sexe. Mais jamais elle n’a cherché à mettre la main sur le point sensible de mon anatomie, mon drame, j’avais affaire à une vraie pure clitoridienne, ma chance. Elle a dû s’étonner, bien sûr, qu’un homme ne cherche pas à aller plus loin, mais ça semblait la satisfaire et elle est tombée de fatigue sans chercher à élucider le mystère. Moi, pendant qu’elle dormait, heureuse, j’ai été suffisamment lâche pour m’éclipser sans mot dire, mais en maudissant cette putain de panne récalcitrante ! J’avais posé entre nous ce silence dont nous ne sortirions plus.
Il m’en a fallu du courage pour déballer mon infortune à ce médecin que je connaissais à peine. Il écoutait les récits picaresques de ma vie sexuelle d’avant la panne avec une neutralité professionnelle tellement sérieuse. Parfois pourtant, au fond de son regard, il me semblait voir émerger la petite lueur d’un souvenir de corps de garde, alors j’en rajoutais. À la fin de cette longue et pénible anamnèse, son auscultation, ses palpations ne révélèrent rien de pathologique, alors pendant que je me rhabillais, il dressa la liste impressionnante des examens biologiques qu’il me prescrivait. En me serrant la main, il eut des paroles rassurantes et me suggéra d’aller consulter un psychologue spécialisé.
J’avais un répit.
L’infirmière qui me préleva quatre fioles de sang eut l’air surprise de la liste interminable des dosages à effectuer. Mais elle ne fit aucune remarque, ne posa aucune question. C’était une femme comme on en croise des centaines sans se retourner sur elle, ni belle, ni laide. Elle s’occupait de me vampiriser avec beaucoup de douceur et à l’observer travailler avec précision et lenteur, je me pris à lui trouver beaucoup de charme, elle était une sonate de Bach dans un tableau coloré de Kandinsky. Alors qu’une de ses fioles se remplissait de mon sang, j’ai un peu déplacé mon bras de sorte qu’il lui effleure le sein. Elle ne s’est pas échappée. C’était malheureusement la dernière fiole et notre aventure s’est arrêtée à ces quelques secondes d’effleurements légers. Avait-elle seulement compris l’intention érotique de mon geste ? Rien n’avait bougé entre mes cuisses.
La médecine du corps s’est finalement déclarée incompétente face à ma débandade. Quant à la médecine de l’esprit, je préférais pour l’heure la laisser à l’écart des méandres de ma conscience, y penser m’évoquait la troisième symphonie de Gorecki avec un portrait de Bacon sur des relents de sulfure d’hydrogène, ce qui me paraissait très injuste pour Gorecki, mais je ne discutais plus ces fulgurances associatives. Quoique ! Cette fois-là, de retour chez moi, j’ai bravé mes propres règles en mettant mon ampli à pleine puissance pour ne rien manquer des violoncelles et contrebasses émergeant des profondeurs de néant et je me suis laissé porter par la lente montée en puissance de l’œuvre musicale la plus merveilleusement triste qu’il m’ait été donné d’entendre, et ça m’a rendu heureux comme un enfant insouciant. C’est alors que les voisins ont failli défoncer le mur pour me faire comprendre que maintenant la soprano déchirait leur tranquillité de ses chants plaintifs sur un enfant mort.
En me levant pour éteindre la musique, j’ai eu la fugace vision d’un visage de femme, rien de connu, rien d’identifiable, juste peut-être le sentiment d’une femme évoqué par cette soprano. Mais un sentiment de tranquillité.
L’évocation d’un psy m’avait conduit à la symphonie des chants plaintifs, la symphonie à un visage mystérieux, le visage a une tranquillité apaisante, décidément mon inconscient suivait des chemins insoupçonnables, c’eut été un gâchis que de laisser piétiner tout cela par un freudolâtre de quelque école que ce fut.
Comme on se sent léger lorsqu’on a pris avec fermeté une décision difficile. J’avais désormais la certitude tranquille que je ne laisserais aucun psy déambuler dans ma folie.
Lorsque j’ai fait part de ma résolution à Jean, sa réaction a été conforme, conforme à l’air du temps, à l’injonction normative.
En quittant Jean, j’avais le sentiment d’être un héros de tragédie marchant tranquillement vers une mort acceptée. Rideau.
J’ai vécu seul en moi-même pendant encore plusieurs jours. J’ai profité des livres et des CD que j’avais achetés au cours des dernières années, sans jamais les avoirs vraiment lus ou écoutés. J’ai écrit un peu mes impressions sur la vie, des notes sans suite, comme un vieux qui radote. J’ai eu peur d’avoir identifié mon mal, vieillerie précoce, alors j’ai cessé d’écrire.
J’ai finalement accepté la nième invitation de Jean à venir faire la fête. Rendez-vous dans un bar bonne musique et jolies filles, me disait-il, « du côté de la contrescarpe c’est plein de jolies étudiantes, le barycentre du triangle Sorbonne, École Normale, Jussieu, tu ne peux pas rater ça ! »
Je me les rappelais bien les plans foireux, les super-bars malheureusement désertés ce jour-là, quatre potes seuls devant une bière. Pour une fois, ce n’était pas ça. Une foule, deux fois plus de filles que de mecs, et de la jolie étudiante prête à l’aventure !
Jean et les autres retrouvaient une bande de copines, un « coup » sur lequel ils « travaillaient » depuis plusieurs nuits. Pendant qu’ils dansaient, qu’ils frottaient, qu’ils fumaient sur le trottoir, je suis resté au fond de la salle, dans l’ombre à jouer les éthologues derrière ma pinte.
Une jeune femme désignait les places à côté de moi, laissées vacantes pour cause de drague intense par les potes. Avec cette lumière tamisée, derrière les verres épais et gras de ses lunettes rondes, je devinai à peine ses yeux. Elle avait les cheveux plaqués tirés en arrière par une queue de cheval hors d’âge, quant à la façon d’habiller ses hanches trop larges, ses seins tombants, ses cuisses potelées, elle était indescriptible, avec des formes et des couleurs improbables. Mais avec son grand sourire, l’ensemble formait une petite bonne femme touchante. Un peu comme une cousine de province perdue dans la capitale. Je l’ai invitée à prendre la place la plus proche de moi et je lui ai demandé ce que je pouvais lui offrir. Elle a dit :
Bon point pour elle, j’ai horreur des filles qui dédaignent la bière pour des cocktails sophistiqués et colorés. En passant pour reposer son verre vide, Jean ma glissé à l’oreille :
Ça m’a piqué au vif, mon nouveau vif, cette façon de traiter une inconnue qui paraissait avoir bravé sa timidité pour venir jusqu’à moi. Alors, par contrecoup, je me suis intéressé à elle.
Christine, c’était son nom, était étudiante en littérature, russophone, elle rédigeait avec passion une thèse sur la poésie russe de l’époque de la révolution. Elle m’avait annoncé cela comme à regret avec l’air désabusé de qui a l’habitude de voir après cet aveu s’étioler et mourir la conversation sur son sujet préféré. J’ai souri en citant :
Voulez-vous que,
Rempli de viande et de rage
Je change, ainsi qu’un ciel, sans arrêt tous mes tons !
Voulez-vous que
Je sois impeccablement sage ?
Un homme – non : « rien qu’un nuage en pantalon ! »
(Vladimir Maïakovski, 1915)
Son visage s’est illuminé et nous avons passé la moitié de la nuit à évoquer Maïakovski, Akhmatova, Mandelstam, Pasternak et tant d’autres que je ne connaissais pas ou peu. Elle m’a appris une foule de choses. Je l’écoutais avec ravissement, sans aucune idée sexuelle. Parfois je la contredisais, juste pour le plaisir de l’obliger à approfondir son argumentation, à m’abreuver de nouvelles citations.
Lorsque Jean est revenu, il m’a murmuré à l’oreille :
J’ai ri, pour faire croire à une bonne blague et j’ai ajouté :
Sur ma poitrine, encore vivante
Comme la stèle d’un tombeau
Voici la parole écrasante…
J’étais déjà dans son attente
J’en viendrai à bout : nitchevo ! (ce n’est rien)
(Anna Akhmatova, 1917)
Je me suis ensuite levé et j’ai annoncé que je rentrais dormir. Le ton, la forme de mon discours, mon regard même ne laissaient clairement aucune place à Christine dans le reste de ma nuit. Je me suis éclipsé rapidement. Pendant les jours qui suivirent, je ne pensais plus à Christine, mais me procurais, à grand-peine d’ailleurs, les œuvres de Michel Lermontov qu’elle m’avait conseillé de lire.
Puis l’absence de ma libido recommença à me tarauder. J’avais intellectuellement l’envie de baiser, mais rien ne faisait frémir le grand chauve. J’ai tenté une nouvelle approche thérapeutique, le sport, les effets secondaires ne pourraient être que bénéfiques si cela ne me redressait pas. Une à deux heures de salle par jour sur toute sorte d’instruments. Malheureusement pour ma libido, la salle n’était fréquentée que par des mâles et quelques femmes à la musculature surdimensionnée qui regardaient parfois le gringalet que je paraissais auprès d’elles avec un petit sourire narquois, voire un air méprisant. J’avais le sentiment que le sport me rendait encore plus inopérant. Après deux semaines, j’ai laissé tomber pour retourner hanter les soirées auxquelles Jean me traînait.
Un soir, j’essayais une nouvelle fois mon pouvoir de séduction sur une jeune blonde tout émoustillée quand mon regard glissait sur la courbe de ses seins et qui s’arrangeait pour m’ouvrir son décolleté à chaque mouvement. Elle m’évoquait le premier trio de Schubert, un portrait de Filippo Lippi et une odeur de lilas. Sa jupe trop courte et ses cuisses légèrement ouvertes étaient une véritable invitation à la spéléologie et je ne me suis pas fait prier. Mes doigts sous sa jupe cherchaient à deviner le modelé de son sexe à travers le tissu de sa culotte lorsque Christine apparut. Elle sembla heureuse de me revoir, mais remarqua immédiatement ma main plongée dans le bonheur d’une autre.
Elle ne s’approcha pas et me fit, avec l’air un peu fâché, un bref signe de salut puis se dirigea vers un garçon du même gabarit qu’elle, accoudé au comptoir. Tout en poursuivant mon enquête sous la jupe de la blonde, je l’observais discrètement. Elle aussi me gardait sous surveillance du coin de l’œil tout en laissant le gros garçon s’essayer à des caresses maladroites sur son corps. Il eut l’air surpris de ne pas se faire rembarrer en promenant ses doigts sur l’énorme postérieur de Christine. C’est à ce moment-là que j’ai senti quelque chose à l’entrejambe. Une érection ? Non, malheureusement, seulement la blonde qui avait envoyé sa main en reconnaissance vers ma bite et qui paraissait très mécontente de sa découverte. Elle se leva brutalement et quitta la boîte en maugréant qu’elle n’aimait pas les saucisses « cocktail ». Je venais de faire un impair, désormais mon impuissance deviendrait légendaire dans ce quartier-là. J’ai fuis.
Cette nuit-là, j’ai fait d’affreux cauchemars, une Christine avec une poitrine gigantesque chevauchait sauvagement un cochon en faisant tournoyer une longue bite molle au-dessus de sa tête. Une blonde ouvrait ma braguette d’où sortait une nuée de chauves-souris affolées. Christine entièrement nue arrivait alors, piétinait la blonde, la rouait de coups avec la longue bite molle et plongeait dans ma braguette. Après un long moment, elle ressortait triomphante à cheval sur un énorme sexe en érection. Je me suis réveillé en sueur le cœur battant, je bandais, une érection douloureuse tant elle était violente, j’ai allumé la lumière et rejeté les draps. Elle se dressait là devant moi, fière, tendue. Elle ne faiblissait pas, je l’ai caressée du bout des doigts, incrédule. Je l’ai saisie à pleine main, elle résistait. Ma bite était dure avec un gland bien gonflé. Je me suis rallongé, j’ai fermé les yeux et j’ai continué de me caresser lentement, sans penser à rien, sans volonté d’aller jusqu’à l’orgasme, juste pour profiter de ma virilité retrouvée. Et je me suis endormi. Au matin, sous la douche en quelques manipulations une belle bandaison est revenue. J’étais réparé, la vie reprenait, j’allais conquérir le monde !
J’allais pouvoir montrer à cette blonde affriolante que son impression de la veille était erronée. Elle allait y goûter au gourdin qu’elle cherchait dans mon pantalon. J’avais rôdé mon discours sur les préoccupations d’un homme qui a des responsabilités, bref tout ce qui m’avait perturbé la veille alors que j’avais un si fort désir d’elle. J’avais bien construit l’image de fragilité et de tendresse qui séduirait la femme, quand la vigueur de l’érection qu’elle pourrait vérifier à pleine main affolerait l’amante.
Le soir, j’étais tout excité, j’avais vérifié au moins dix fois dans la journée mes capacités érectiles retrouvées, j’avais presque le sentiment de pouvoir bander sur commande comme un acteur de film porno. La blonde est enfin arrivée, plus belle plus aguicheuse encore que la veille, la poitrine provocante dans un chemisier de soie qui ne demandait qu’à s’ouvrir, la cuisse accueillante à peine couverte par une jupe largement fendue, la lèvre boudeuse étincelante. Avant elle, je n’avais jamais saisi tout l’érotisme du premier trio de Schubert. Bien sûr, elle m’a regardée d’un œil torve. Mais elle m’a laissé jouer ma grande scène, jusqu’à la fin de la représentation. Elle a même eu l’air d’apprécier l’acteur et en guise d’applaudissement, elle a directement posé la paume de sa main sur mon entrejambe avant de me la propulser violemment dans la figure en lâchant un « pauvre con » méprisant. Saloperie de pénis.
Rouge de honte, au bord des larmes, je suis parti une fois de plus la queue basse, une fois de trop.
Je marchais au hasard, hagard, ruminant les pensées les plus noires dans les rues de Paris, quand j’ai entendu le petit cliquetis des pas d’une femme derrière moi, secs, rapides, comme si on voulait me rattraper. Je me suis retourné quand Christine arrivait à ma hauteur. Pour une fois, elle était sobrement habillée, légèrement maquillée, je la trouvais presque séduisante dans l’état d’abattement dans lequel je pataugeais.
Elle m’a caressé la joue, s’est haussée sur la pointe des pieds et a posé ses lèvres sur ma bouche pour me voler un rapide baiser.
Et nous sommes partis d’un éclat de rire disproportionné.
Christine m’a emmenée chez elle, nous avons parlé longtemps, bu deux bouteilles de chardonnay, assis par terre. Petit à petit, elle s’est approchée de moi. S’est lovée dans mes bras. Elle a enlevé son grand pull, son pantalon, elle m’a enlevé ma chemise, mon pantalon. C’était calme plat dans mon caleçon. Elle n’y prêtait pas attention. Elle m’a demandé de la caresser, de l’embrasser, de la lécher. Elle a guidé tous mes gestes. Je la laissais faire, je me laissais faire comme un débutant, je lui prodiguais toutes les douceurs qu’elle demandait. Elle a joui, puis, après un long moment d’immobilité, serrés l’un contre l’autre, elle m’a invité à l’accompagner au lit. Nous tombions de sommeil, nous avons dormi.
Le lendemain lorsque je me suis éveillé, le petit déjeuner était prêt elle m’a couvert de baisers, de caresses, d’affection, de tendresse.
Mon érection ne revenait pas.
Dans la journée, j’ai rencontré Jean.
J’ai bien senti qu’il avait sur le bout de la langue quelque chose comme « ce boudin », mais il a murmuré :
J’ai juste dit un truc qui laissait planer le mystère :
Parmi les potes ma réputation était restaurée. Il avait suffi d’une seule parole de Christine, parole solide d’une intellectuelle romantique, incapable de mentir.
Le soir, j’ai retrouvé Christine. Je l’ai remerciée pour les mensonges qu’elle avait diffusés pour sauver ma réputation. Elle a souri tendrement et sans rien dire a commencé à me dorloter, à me déshabiller et à m’offrir son corps à caresser, à lécher. Ma langue une fois encore l’a fait jouir en jouant longuement avec son clitoris et ses lèvres, en s’aventurant aussi dans ses paysages périnéens. Je ne bandais toujours pas, mais j’avais une femme près de moi qui se contentait des capacités qui me restaient pour la satisfaire, et qui m’offrait la vie sexuelle la plus intense qu’il m’était possible d’avoir dans ces conditions. L’existence s’est organisée comme cela, petit à petit. Nous avons emménagé ensemble. À l’extérieur, elle entretenait ma réputation de sacré baiseur. À l’intérieur, elle me couvrait de tendresse et me laissait lui faire du bien aussi souvent que possible, ce qui m’entretenait dans l’illusion d’une sexualité normale. Certains enviaient notre bonheur, notre accord sexuel. Nos exploits érotiques devenaient légendaires. Même Jean ignorait que je ne bandais toujours pas.
Le jury m’en a collé pour dix-sept ans. Il faut dire que Christine n’a pas survécu aux vingt-sept pilules que j’avais mises dans son hachis parmentier, tout son stock d’acétate de cyprotérone. Je me demande encore comment elle avait fait. Maintenant, à chaque fois que j’entends le trio de Schubert, je bande.