n° 17557 | Fiche technique | 22879 caractères | 22879Temps de lecture estimé : 14 mn | 12/09/16 |
Résumé: Pour comprendre qui je suis, il faut entendre mon histoire. | ||||
Critères: fh ff confession -couple -f+medical | ||||
Auteur : Tito40 Envoi mini-message |
Je cherchais mon téléphone dans mon sac à main posé sur le siège passager. Quand j’ai relevé le nez pour regarder la route, une lumière rouge intense a pénétré mes pupilles et j’ai entendu un bruit sourd, le bruit de la tôle qui se froisse, le bruit qui précède la nuit.
L’airbag a explosé, empêchant sans doute ma tête de heurter le volant. J’ai senti une vive et brève douleur, puis plus rien. Le néant.
* * *
J’ai voulu parler en me réveillant. Si vous me connaissiez, vous sauriez qu’il ne vaut mieux pas m’adresser la parole. Je suis une infatigable bavarde. Mais avec ces tuyaux dans la bouche, impossible de parler. Les larmes sont arrivées sans crier gare aux coins de mes yeux. J’étais incapable d’émettre le moindre son.
Quand j’ai voulu bouger, je me suis sentie paralysée et très faible. Si vous me connaissiez, vous sauriez que je bouge beaucoup, que je suis incapable de rester en place, que je danse plus que je ne marche, que je saute plus que je ne cours. Les larmes sont devenues flot, le désespoir m’avait gagnée.
Et les bip-bip qui me perçaient les oreilles n’avaient rien de rassurant, pas davantage d’ailleurs que ces gens en blouse blanche que je voyais s’affairer, comme si chaque geste était une urgence absolue.
Entre ce stupide accident – mais ne sont-ils pas tous stupides ? – et mon réveil sur ce lit blanc, j’ai compris après qu’il s’était écoulé une longue semaine. Huit jours pendant lesquels on m’avait plongée dans le coma pour préserver mes fonctions vitales.
Enfoncement de la cage thoracique, multiples fractures de la jambe gauche, luxation d’une épaule, traumatisme crânien… tout ça pour un téléphone. J’avais simplement heurté un véhicule qui me précédait et qui s’était arrêté pour laisser passer des piétons. Le conducteur du 4x4 n’avait subi que des dommages légers, contrairement à sa voiture dont j’avais défoncé le cul. Mais après coup, on se dit qu’il valait mieux, finalement, défoncer sa voiture que rouler sur ces pauvres gens qui voulaient juste traverser. On peut se dire aussi, après coup, que j’aurais dû me faire défoncer le cul moi-même ce matin-là.
Oui. Ce matin-là. Tout allait de travers. Ma fille avait renversé son bol de lait chaud, m’obligeant à lui trouver des vêtements propres ; mon chien avait chié partout et j’avais dû passer la serpillière ; j’avais dû appeler le médecin pour prendre rendez-vous pour mon fils qui toussait comme jamais ; j’avais cherché mes clés pendant 10 minutes alors que je les avais dans la poche… Et mon mari m’avait regardée m’exciter en rigolant comme si tout ça n’avait pas d’importance, et quand j’étais venue lui faire un bisou avant de partir, il m’avait forcée à m’asseoir sur ses genoux, m’avait passé une main sous la jupe et m’avait adressé sur un ton sarcastique l’une des tirades dont il a le secret. Vous savez, ce genre de phrase auxquelles les intellectuels ont longuement réfléchi : « Je te bourrerais bien le cul ; ça me rend dingue quand tu transpires. »
Ah, c’est poétique ! Mais je n’avais pas la tête à ça. Encore moins le cul, d’ailleurs. Je me suis écartée brutalement avant de partir en courant. En paf, le 4x4.
Le personnel de la clinique était plutôt sympathique, bien qu’assez froid. Ma famille était assidue, mais voir leurs têtes dépitées était souvent une souffrance de plus. Elles me rappelaient que j’étais cassée de partout, moche comme une malade, que je leur inspirais sans doute de la pitié, que je leur faisais perdre de leur temps à venir à l’hôpital, à garer leurs voitures, à arpenter les couloirs interminables pour venir jusqu’en traumatologie, attendre l’ascenseur, tourner à gauche en arrivant et aller au fond du couloir, dernière chambre à droite. Les uns et les autres arrivaient les mains chargées de fleurs ou de chocolats dont je m’empiffrais. Non seulement j’étais moche, mais en plus j’étais grosse, de plus en plus grosse.
Mon mari, entre les enfants et son travail, me faisait sentir sans le vouloir qu’il m’en voulait. Il avait toujours quelque chose à faire avant de venir qui le faisait arriver tard, et il avait toujours quelque chose à faire après, qui le faisait partir tôt. Le plus difficile pour moi finalement, c’était quand même de voir dans son regard l’horreur qu’il éprouvait devant mes blessures. Les cicatrices, les changements de mon corps, ma peau blanchie, tout ça semblait le dégoûter. Je me sentais moche et j’aurais aimé qu’il me rassure, mais c’est tout le contraire qu’il faisait ; pas par ses mots, rares, mais par son attitude, distante. Entre-temps il m’appelait au téléphone pour prendre de mes nouvelles – toujours les mêmes – et me donner des siennes, toujours les mêmes également. Les jours étaient longs, pénibles, et le début de la rééducation fut la bienvenue pour me changer un peu de rythme.
Et évidemment, psychologue comme il est, il n’avait pas manqué de me rappeler que si j’avais accepté ses avances ce matin-là j’aurais peut-être eu mal au cul quelques jours, mais ma voiture eût été intacte et mes neurones aussi. Délicat, non ?
J’ai eu une vie avant lui, une vie trépidante, excitante, devenue ennuyeuse et monotone, routinière et délétère. J’avais épousé un ami, un vrai. Un ami avec lequel nous partagions tout. On s’était connus jeunes, et seule sa période d’armée nous avait séparés. Nous avions fait nos études au même endroit, et très tôt nous avions décidé de vivre ensemble. La fête chaque jour, chaque soir, chaque nuit ; c’est cette vie-là que j’aimais. Que nous aimions. Puis nous nous sommes mis en tête d’avoir un enfant. C’était devenu notre projet, notre priorité. Nos relations se sont petit à petit limitées à des tentatives de procréation, usant et abusant des recettes que nous donnaient les différents médecins que nous avons vus. En vain. Nous n’avons pas trouvé d’explication rationnelle. Peut-être – et c’est la conclusion à laquelle nous étions arrivés petit à petit – la Nature nous signifiait-elle que nous n’étions pas faits pour être parents.
Après une énième fausse-couche, j’ai décidé de ne plus essayer. J’ai. Mon mari de l’époque, lui, était prêt à continuer, à passer si besoin par une FIV. Je pense qu’à ce moment-là il a pris une claque. Son ego ? Sa masculinité ? Sa virilité ? Tout ça en même temps ? Il s’est senti remis en cause, exclu, bafoué. Et je ne l’ai pas compris. À ce moment-là, je pensais sincèrement qu’il partageait mon avis, que c’était plus raisonnable, que c’était plus sensé.
Je me suis remise à faire la fête. Pas chaque soir, mais souvent. Je sentais bien qu’Alain avait moins d’entrain, moins d’envies. Mais il ne disait rien. Au mieux, il faisait semblant. Au pire, il me laissait danser toute la nuit en restant dans un coin.
Nous faisions encore l’amour de temps à autre, mais nous n’étions plus le couple « d’avant ». C’était une évidence, même si nous n’en parlions pas. J’avais de plus en plus de mal à trouver mon plaisir, et j’avais plus l’impression d’exécuter une formalité que de partager quelque chose. Ça devait être la même chose pour lui. Nos étreintes étaient devenues rares, plates, rapides, mécaniques, silencieuses, et pour tout dire, ennuyeuses.
Je n’ai compris tout ça que longtemps après, quand il était déjà trop tard.
J’avais fini une nuit avec un jeune exalté qui n’avait pas arrêté de me chauffer toute la soirée, avec la bénédiction tacite d’Alain qui avait fait comme s’il n’avait rien vu. Le gars m’avait accaparée pendant tous les slows, ne s’était pas gêné pour me peloter les fesses, et n’arrêtait pas de me faire des compliments en même temps que des allusions plus ou moins marquées aux choses du sexe. Je m’en étais ouverte auprès d’Alain plusieurs fois mais il avait laissé faire, feignant de ne pas être incommodé. Et vers 2 heures du matin, alors que le même gars venait me tirer par la main pour me conduire sur la piste de danse, je l’ai senti détaché. Nous dansions depuis quelques minutes seulement quand je me suis laissé embrasser. Je pensais qu’Alain allait réagir, mais non. Rien. Alors j’ai laissé ce type fourrer sa langue dans ma bouche, caresser mon dos, me complimenter, presser sa virilité contre mon ventre, me mordiller les oreilles, me raconter des saloperies en même temps.
Encore quelques minutes comme ça et il allait vraiment m’exciter. Alors poliment, je me suis écartée pour aller me rasseoir vers mon mari. J’ai tenté de l’embrasser mais il a tourné la tête. J’ai voulu me coller contre lui mais il s’est reculé. Je l’ai menacé de retourner danser avec le type qui était debout, devant nous, me tendant la main. Il m’a répondu sur un ton dédaigneux que je pouvais « aller me faire mettre ».
C’était on ne peut plus clair. Furieuse, je me suis levée et j’ai rejoint mon cavalier. Cette fois, je n’ai pas attendu qu’il s’enhardisse. Je me suis collée contre lui et je l’ai embrassé. Alain a quitté la boîte, sans doute furieux lui aussi. J’ai failli le suivre, mais je vais vous avouer quelque chose d’inavouable pour une femme mariée : j’avais envie à cet instant précis de me faire baiser. Oui. Me faire baiser. Pas par quelqu’un qui me respecte, pas par quelqu’un de tendre, pas par quelqu’un qui veut me voir heureuse. Non, par n’importe qui, du moment qu’il bande assez longtemps pour me faire jouir.
Pour la première fois de ma vie, j’ai accueilli les propos graveleux de mon cavalier avec envie. Il m’a traitée de salope, de chaudière, et même de pute. Il s’en excusait à chaque fois, me disant que ça l’excitait de dire des choses crues. Je lui ai demandé d’arrêter. D’arrêter de s’excuser. Alors il s’est lâché, me disant qu’il allait me défoncer comme une salope. J’ai posé ma main sur son sexe, et en le regardant dans les yeux lui ai répondu « T’as que la gueule… »
Une demi-heure plus tard nous étions chez lui, dans un petit appartement miteux et bordélique. Ça puait la clope, il puait la sueur, son lit couinait, mais je n’en avais rien à faire. Il était tellement excité qu’il a joui avant de me pénétrer. J’ai dû le réanimer pour avoir ma part en le suçant et en écoutant ses insultes jusqu’à ce qu’il bande enfin. Ce soir-là je me suis offerte sans retenue. J’ai gueulé mon plaisir, sucé comme une folle, écarté les cuisses et réclamé du sexe. J’ai été servie. Pas assez ; j’aurais pu épuiser une armée tellement j’avais envie.
En rentrant à la maison, j’avais mal entre les cuisses et mal au cul. Il m’avait effectivement défoncée, et moi aussi je puais maintenant. Je puais la sueur et le sperme. Mon maquillage avait coulé, mes cheveux en bataille étaient ridicules, et je n’avais même pas remis ma culotte. Alain était assis dans le salon, l’air hagard. Il m’a regardée dans les yeux et m’a asséné une vérité absolue : « Nous ne nous aimons plus. »
Aucun grief, aucun reproche, juste un constat. Il n’avait plus envie, plus de projets, plus de joie, plus la foi. Je venais de me faire baiser, ce qui ne m’était pas arrivé depuis bien longtemps, et mon seul projet, ce matin-là, c’était le même que le sien.
Quelque temps après notre divorce, j’ai épousé Xavier. C’était un gars un peu autoritaire, directif, rassurant, terriblement intègre, mais pas très original. Oh, ça n’a jamais été le grand amour, mais c’était assez pour envisager la vie ensemble. Nous n’avons formé aucun projet d’enfant, mais très rapidement je me suis retrouvée enceinte. De femme, je suis devenue mère, et je me suis un peu oubliée.
Notre intimité est vite devenue usuelle, presque utilitaire, mais nous n’avons jamais remis en cause notre couple. Et ce satané accident, finalement, n’a pas fait que me casser les os.
Le regard de Xavier m’a profondément meurtrie. J’en étais venue à souhaiter qu’il ne vienne plus à l’hôpital pour me confirmer que je ne ressemblais plus à rien. Je me suis repliée sur moi-même, avec pour seul projet de rester là, dans le cocon médical, loin de ma vie antérieure. Et finalement il ne manquait que mes enfants pour être à peu près heureuse.
J’en étais venue à ne plus ressentir ma féminité. Quelques fois, j’avais laissé mes doigts partir à l’aventure entre mes cuisses, mais sans jamais ressentir quoi que ce soit de plaisant. Ma pilosité abondante n’y était pour rien. C’est l’absence de sensations qui était un vrai calvaire. Au début, en tout cas. Puis j’ai arrêté. Mon corps n’avait pas plus d’envies que mon cœur, et je pense qu’à ce moment-là, c’est la dépression qui me gagnait petit à petit.
C’est pendant la rééducation que ma vie a basculé. Oh, pas d’un coup ! La kiné qui s’occupait de moi était assez rude, assez rustre, très mécanique. Elle me faisait un mal de chien à chaque exercice, comme si son objectif était de voir à quel moment j’allais craquer. Je n’ai pas craqué. Dure au mal, la fille. Mais j’avais terriblement envie de pleurer. Elle s’est montrée attentive, toujours, à me faire ressentir les moindres petites sensations le long des cicatrices enflammées, essayant de me rassurer. Ça allait revenir, lentement. Il me fallait de la patience, beaucoup de patience.
Mes séances étaient souvent le matin, mais à partir de mai, elle a décalé au soir. Autant le matin elle était discrète et presque silencieuse, autant le soir elle était prolixe. Peut-être la fatigue accumulée lui faisait-elle oublier sa réserve. En tout cas elle s’est mise à me parler d’elle en me faisant travailler, et tout naturellement nous en sommes venues à parler de moi. Jusqu’à ce que je lui avoue que j’étais inquiète de ne rien ressentir entre le dessus des genoux et, en gros, le nombril. Je n’avais jamais osé avant, je ne sais pas pourquoi. Ces parties de mon corps n’avaient pas vraiment été blessées, mais les nerfs qui les irriguaient avaient sans doute été abîmés, d’après elle.
Je ne sais pas ce qui m’a pris, lors d’une séance, de lui dire que j’avais peur de ne plus rien ressentir avec un homme, « après ». Elle en a ri, décontenancée. Ce que j’évoquais, c’était mon angoisse, rien de plus, m’avait-elle rétorqué. Mais en réalité je l’avais sentie gênée de m’entendre spécifiquement parler de sexe, parce que c’était bien de ça que je parlais.
Ses doigts se sont attardés sur mon ventre, palpant chaque millimètre, et je devais lui dire ce que je ressentais. Ça a duré longtemps, sans que je ressente quoi que ce soit d’agréable. Inexorablement, elle s’est approchée de mon sexe, mais sans le toucher. Je ne ressentais toujours rien, mais c’est dans ma tête que ça se passait. J’avais envie qu’elle me touche vraiment, qu’elle palpe mon sexe, qu’elle tente de me faire ressentir quelque chose, enfin. N’osant pas le lui avouer, j’ai guidé sa main vers ma vulve.
Rien. Pas le plus petit début de quoi que ce soit. Mon sexe me semblait fait de carton. Je sentais bien le contact, mais rien de plus. Me voyant terrifiée, elle a insisté, caressant mes lèvres avec application, s’aventurant même à effleurer mon clitoris. J’allais lui demander d’arrêter, lasse, quand elle a introduit un doigt dans ma vulve. Elle m’a regardé dans les yeux, captant sans doute la surprise qui éclairait mon regard, captant sans doute le fait que je venais de ressentir quelque chose. Elle a ôté son gant avant de mouiller ses doigts dans ma bouche, et sa main est revenue entre mes cuisses ; ses doigts se sont aventurés plus profondément. J’ai relevé mes genoux. Un besoin impérieux de la voir insister m’a submergée. Je sentais enfin quelque chose. Je sentais ses doigts en moi s’agiter, forcer le passage un peu sec, gratter, tourner, et j’ai perdu la tête. Ma kiné était simplement en train de me masturber, et j’aimais ça. J’aimais terriblement ça. Ce n’est pas tellement la sensation physique qui était agréable, mais le fait de me sentir pénétrée. Une sensation fulgurante d’être prise, d’en avoir terriblement envie, et de lui faciliter le passage sans y réfléchir.
La suite a été d’un naturel désarmant. Elle s’est penchée sur mon visage pour m’embrasser, et j’ai adoré ça. J’ai adoré sentir sa langue dans ma bouche, toucher ses doigts en me caressant le clitoris devenu bouillant, sentir sa chatte mouillée quand j’ai passé une main sous sa blouse. Nous avons fait l’amour, nous nous sommes caressées, j’ai joui comme une folle.
Pourtant ça n’a duré que quelques minutes. Elle s’est reprise, visiblement gênée de s’être laissé aller, et s’est écartée de moi. J’ai eu beau tendre mes bras pour qu’elle se serre contre moi, elle s’est refusée, rouge comme une pivoine. « Excusez-moi… » m’a-t-elle lancé avant de quitter ma chambre comme une voleuse.
J’ai pleuré, perdue que j’étais. Pleuré de joie peut-être aussi. C’était la première fois qu’une femme me donnait du plaisir, la première fois également que j’avais ressenti de l’envie pour une femme…
Elle est revenue le lendemain soir me dire que j’aurais dorénavant affaire à un confrère. Elle s’en voulait terriblement de s’être ainsi égarée, et mes appels à changer d’avis n’ont pas été couronnés de succès. Elle était mariée, fidèle, ne comprenait pas ce qui lui était arrivé et ne voulait pas se trouver à nouveau dans une situation aussi embarrassante. L’histoire était terminée et l’incident clos.
J’avais au moins gagné d’être rassurée sur mes sensations et d’avoir vécu une expérience inoubliable. Elle m’avait ressuscitée. J’ai fait ensuite des progrès réguliers dans la rééducation et repris mes caresses intimes discrètement, me faisant jouir avec de plus en plus de plaisir chaque matin et chaque soir.
Mon mari était devenu un étranger, ou presque ; c’était mon seul malheur. Mais je reportais à après les décisions à prendre à ce sujet, sans imaginer d’ailleurs lesquelles.
La veille de ma sortie de l’hôpital, j’ai enfin eu la visite d’Alain, mon premier mari. Il avait entendu parler de mon accident mais n’avait pas osé venir jusque-là. Il m’a d’abord prise dans ses bras avant de prendre de mes nouvelles et de me donner des siennes. C’est drôle. À ce moment, j’avais l’impression que nous ne nous étions jamais quittés. Nous nous étions mis ensemble au début parce qu’on s’aimait. Puis on s’est séparés après avoir cherché en vain à avoir un enfant, et surtout après avoir perdu notre relation dans des écarts insensés. Il venait de divorcer à nouveau, mais ne s’est pas trop étalé sur les raisons…
C’est lui qui m’a proposé de venir me chercher pour ma sortie et de me raccompagner chez moi. Six mois déjà que j’avais percuté cette satanée voiture, mais je n’étais pas tant que ça pressée de rentrer. Rentrer chez moi, ça voulait dire affronter la réalité, l’échec de mon couple, l’échec de ma vie.
Il a garé sa voiture dans le parking souterrain de mon immeuble, et alors qu’il m’ouvrait la portière et me tendait mes cannes, j’ai éprouvé une drôle d’impression. J’ai vu ses yeux briller, senti son souffle, respiré son odeur, et j’ai eu envie de lui. Un regard nous a suffi pour nous comprendre. Il a repris sa place derrière le volant, sans un mot. Je le connaissais par cœur, mon ami, mari et ex-mari. Je savais qu’à ce moment précis il n’oserait pas, qu’il attendrait que je lui confirme. « On va chez toi ? » lui ai-je simplement dit. Quelques minutes plus tard nous étions garés dans la cour de sa maison. Il m’aida à parcourir les quelques mètres qui nous séparaient de l’entrée, puis il me prit dans ses bras. Je lâchai mes cannes ; il me porta jusqu’à son lit et nous fûmes nus l’un contre l’autre.
C’est avec une infinie délicatesse qu’il a pris possession de mon corps. Je savais qu’il allait me donner du plaisir. Je savais qu’il y mettrait tout son cœur. Je savais que j’allais éprouver de la gêne quand il toucherait mes cicatrices ou qu’il me regarderait. Je ne savais… rien du tout.
J’ai découvert un autre homme, plus mûr, plus viril, plus directif. Un autre homme moins musclé, un peu rond, plus attentif, plus patient. J’ai découvert un autre homme qui a su m’empêcher de jouir trop vite, maintenant mon excitation au maximum sans me laisser partir, qui m’a fait oublier mes souffrances physiques et morales en me trouvant belle, et qui à aucun moment ne m’a traitée comme une conquête.
Ça fait deux ans maintenant que je suis sortie de l’hôpital. Il me reste quelques douleurs et des cicatrices qui, grâce aux massages et aux crèmes, s’estompent petit à petit. J’ai quitté mon second mari, sans drame. Aujourd’hui, je vis au centre-ville avec mes enfants une semaine sur deux. J’ai repris mon boulot, sans stress.
Une semaine sur deux, je me consacre pleinement à mes enfants. Une semaine sur deux, je me consacre à moi-même.
Avec Alain, nous avons rapidement convenu que nous ne vivrions plus ensemble. La vie commune, ça tue les couples. La fidélité aussi.
Je le laisse vivre sa vie de son côté à condition qu’il sorte couvert. Il me laisse vivre la mienne.
Nous nous voyons deux ou trois fois par mois, pas plus. À chaque fois, c’est un vrai bonheur. J’aime sa tendresse et sa patience. J’aime son enthousiasme et son bonheur de vivre. J’aime lui donner, j’aime recevoir. Il est le seul autorisé à me dire qu’il m’aime. Il est le seul auquel j’avoue des sentiments. Il sait et assume que mes besoins aillent au-delà de notre relation. J’assume également ma liberté retrouvée.