n° 17569 | Fiche technique | 98359 caractères | 98359 17051 Temps de lecture estimé : 69 mn |
21/09/16 corrigé 06/06/21 |
Résumé: La Grotte aux Fées est une charmante petite clairière qui fut autrefois percée pour le passage du chemin de fer. Outre la grotte et le plan d'eau, on y trouve également une flopée de bosquets qui en font le rendez-vous favori de tous les amoureux. | ||||
Critères: #humour #aventure #policier fh ff fhh hplusag fplusag hagé fagée jeunes frousses copains forêt jardin parking voiture vengeance cérébral voir exhib lingerie fellation pénétratio double sandwich fsodo | ||||
Auteur : Someone Else (J'essaie (encore) de sortir de l'ordinaire...) Envoi mini-message |
Aussi invraisemblable que cela puisse paraître, cette histoire s’inspire de faits réels survenus aux alentours de 1970, soit une petite quinzaine d’années avant la date à laquelle est censé se dérouler ce récit.
Autres temps, autres mœurs ? Espérons-le, mais rien n’est moins sûr. Bonne lecture.
L’idée du siècle… Oui, franchement, la dernière fois où j’ai eu une idée aussi brillante que celle-ci, c’est quand j’ai voulu essayer la bouffe japonaise. Déjà, quand j’ai eu le menu dans les mains, j’ai commencé à me demander ce que je foutais là. Mais quand la première bouchée de sushi est arrivée, je me suis dit que j’aurais décidément mieux fait de suivre ma première idée, qui était d’aller me commander un bête sandwich pâté-cornichons accompagné d’un petit verre de beaujolais que le patron du bistrot d’en face réserve aux habitués…
Mais pour le moment, il n’est pas question de casse-dalle franchouillard ni de poisson aussi cru que vaguement assaisonné et vendu à prix d’or ; je suis juste un sinistre abruti en train de se geler les noix au beau milieu de nulle part, tout ça parce qu’un avis de recherche concernant une tronche et un prénom que je croyais pourtant avoir oubliés a été lancé à la télévision.
Non, franchement, tu y croyais, pauvre cloche ? Tu t’imaginais qu’après avoir buté sa mère supérieure, ta chère Anastasia allait se farcir quarante bornes à pied dans le froid et la neige, traquée par tous les condés du coin, et traverser ensuite la moitié de la forêt à travers bois pour venir t’attendre là ?
Aux olympiades de la connerie, mon père, tu mérites une médaille d’or !
Mais bon, puisque je suis là, autant continuer de chercher. C’est marrant comment un endroit aussi bucolique l’été peut être à ce point sinistre à cette époque de l’année, déserté de toute vie.
Et plus je cherche, plus je me dis que cette idée était vraiment la crème de la connerie. Non, en plus de tout le reste, comment veux-tu te planquer dans un endroit pareil ? Les bosquets, si accueillants à la belle saison, ne sont que des touffes de branches sèches dans lesquelles le vent s’engouffre. L’entrée de la grotte en elle-même est disposée plein nord, et même des ours polaires s’y gèleraient les couilles. Quant aux rochers qui bordent le plan d’eau gelé, seuls les lapins de garenne pourraient y trouver un abri contre ce blizzard qui nous vient tout droit de Sibérie.
Tout à l’heure, j’ai cru deviner une forme humaine parmi ces pierres recouvertes de neige, mais ce n’était qu’un gros sac-poubelle bien dégueulasse abandonné là par d’autres gros dégueulasses. Je m’approche ; raté : cette fois, ce n’est qu’une souche à moitié pourrie.
De ce côté-ci de la clairière, les rafales soufflent un peu moins fort ; j’en profite pour relever la visière de ma chapka. Par contre, pour ce qui est du col de mon manteau, on verra ça tout à l’heure, lorsque je serai en voiture.
J’ai cessé d’appeler. De toute façon, si d’aventure quelqu’un venait à me répondre, ses cris seraient couverts par ceux de ces putains de corbacs qui ne cessent de coasser, euh, de croasser… enfin bref, de gueuler comme des cons. Non, autant parcourir l’endroit et me taire.
Il ne me reste plus qu’à jeter un œil jusqu’au bosquet des Âmes Perdues, et je n’aurai plus qu’à rentrer. Non, encore une fois, il fallait être le dernier des crétins pour s’imaginer qu’une gonzesse pour qui je n’ai sans doute jamais été autre chose qu’un camarade de jeux allait se repointer ici, sous prétexte que ce fut le principal théâtre de nos exploits.
Une autre forme dans la neige. Un bout de bâche ou de je ne sais quoi qui dépasse. Là encore, je m’approche, mais cette fois, mon cœur est à deux doigts d’exploser.
Là, dans ce qui ressemble vaguement à un igloo creusé à la va-vite, refuge bien dérisoire dans ce froid glacial, il y a une forme humaine. Une robe de bure, deux pieds nus dans des sandales ; ce ne peut être qu’elle…
Je hurle, je secoue ; aucune réaction. Vieux réflexe de secouriste, appris entre deux spéciales de rallye, le pouls est présent, mais l’hypothermie est sans doute sévère. Baffothérapie ; que dalle ! Anastasia – puisque c’est bien elle – est inconsciente.
Dans une telle situation et de nos jours, je sortirais mon portable et, un bon quart d’heure après, notre religieuse se retrouverait bien au chaud dans les mains de médecins experts disposant de tout le matériel nécessaire… Mais à l’époque, les téléphones portables tels qu’on les conçoit aujourd’hui n’appartiennent même pas à la science-fiction.
Alors, pas une pinute à merde, comme on disait à la communale.
Un rapide examen me confirme qu’Anastasia n’est pas blessée et qu’elle ne présente aucune fracture, ce qui me permet de la charger tout simplement sur mon épaule. Tiens, dans mes souvenirs, elle faisait allégrement quelques kilos de plus… Mais à cet instant, j’avoue que je m’en fous un peu.
L’expérience m’a appris qu’en hiver, on ne part pas tout seul en bagnole et pour plus de cent bornes sans avoir pris un minimum de matos, surtout dans un coin pareil… Ma religieuse toujours sur l’épaule, je déroule ma couette de secours sur la banquette arrière avant d’y déposer ma malheureuse passagère. La tête calée par ma doudoune, l’autre partie de la couette sur elle, le gros plaid de laine par-dessus, il ne me reste plus qu’à mettre le chauffage à fond pour tenter de la faire revenir parmi nous.
Maintenant, que faire ? Je ne parviens pas un seul instant à imaginer qu’elle ait pu assassiner qui que ce soit, surtout dans l’état de délabrement physique dans lequel elle se trouve. Par contre, il suffit de voir le nombre de barrages de police que j’ai dû franchir pour parvenir jusqu’à cette fichue clairière pour savoir que ceux qui lui ont collé ce meurtre sur le dos sont aussi influents que déterminés.
L’emmener à l’hôpital le plus proche ? Là encore, je veux bien parier que sa tronche est déjà placardée dans tous les services de France et de Navarre. Non, la seule solution est de la ramener chez moi pour essayer d’en apprendre un peu plus.
Par bonheur, j’ai assez chassé le chrono dans le secteur pour connaître la moindre petite route où le risque de croiser les condés est minime, d’autant que le vent a cloué les hélicos au sol. Aux dernières nouvelles, au volant, je n’étais pas trop mauvais sur le verglas et la neige. Je devrais m’en sortir.
Et pendant que les virages et les contre-braquages se succèdent, je repense à tout cela. C’était hier, c’était il y a dix ans.
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L’homme auquel je fais face est le colonel de Mansy. Haute stature, mâchoire serrée, une petite cinquantaine athlétique, cheveux ras, verbe haut, c’est le militaire de carrière dans toute sa splendeur.
Moi, par contre, je n’ai de militaire que la tenue… Cela fait partie des joies du service national, ce formidable hymne à la connerie et au temps perdu mais qui, aujourd’hui, manque peut-être à la République et à la cohésion française. Toujours au garde-à-vous, je réponds :
Il sourit.
Impressionnant, impressionnant… Disons plutôt que c’est surtout dans mon quartier que je suis mondialement célèbre.
En fait, mon pilotage parfois spectaculaire – mais non, pas brouillon et inefficace – fait le bonheur du public et assure une partie du succès des manifestions auxquelles je participe, ce qui fait que les organisateurs m’offrent souvent les droits d’inscription qui pèsent d’habitude sur le budget d’un petit pilote amateur comme moi. Donc, moins de frais, plus de participations et, comme dirait le célèbre proverbe shadok, plus on rate, plus on a de chances de réussir !
Bref, quand on participe à trois épreuves quand les autres n’en font que deux, il est nettement plus facile d’accumuler les points et d’empiler les coupes ou autres récompenses sur le buffet de son salon. Mais pour le reste, quelque chose me dit que Saby, Andruet ou Ragnotti n’ont pas trop à se faire de bile : de l’essence aura coulé à la pompe avant que je ne parvienne à leur faire de l’ombre.
L’homme se masse longuement la tempe, à l’extrémité de la balafre qui lui zèbre le visage et descend jusque son menton.
En fait, une quarantaine de bornes, mais avec une longue partie sinueuse.
Rappelons qu’à l’époque, les radars étaient rarissimes et les limitations de vitesse n’avaient pour ainsi dire qu’une valeur indicative laissée à l’appréciation des usagers, ce qui ne faisait pas pour autant de la route un champ de bataille. Et quelquefois, même, il arrivait que l’on roule pendant des années à des vitesses totalement inconcevables de nos jours sans se tuer ni même tuer personne… Mais la société avait sans doute une autre conception de la liberté et de la sécurité.
Il sourit.
505 GL, si je ne m’abuse. À la sortie de l’usine, ce n’était déjà pas vraiment un missile, et les bons trois tours de compteur qu’elle affiche – comme tout bon véhicule de l’armée – ne doivent certainement pas arranger les choses.
Il sourit, sans que je sache si c’est de satisfaction ou d’incrédulité.
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Il est très exactement quatorze heures trente lorsque nous pénétrons dans la cour de la gare. Mon colonel ronronne de satisfaction, un peu comme la vénérable 505, qui n’a sans doute jamais roulé aussi vite. Pourtant, sans vouloir me la péter, quand tu ne connais pas davantage la route que la bagnole et que tu ne sais pas quel est l’état d’esprit de ton passager, tu en gardes sous le pied.
Une poignée de minutes plus tard, un bouquet de fleurs à la main et tirant une valise à roulettes, notre homme revient au bras d’une jeune femme blonde, ravissante dans sa courte robe à pois.
Il me tape sur l’épaule, tout sourire.
Quand un homme de quasiment cinquante ans se pointe avec une nana qui n’en a même pas la moitié, le premier réflexe est d’en déduire qu’il s’agit probablement de sa fille. Mais, de la façon dont ils se dévorent mutuellement des yeux tout en se tenant la main, le doute n’est pas permis : en fait de fille, cette nénette ne peut être que sa maîtresse.
Rentrée à la caserne par l’un des hangars du matériel, l’entrée principale est trop peu discrète. La demoiselle descend ; de Mansy me pose de nouveau la main sur l’épaule.
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Même si, aujourd’hui, il est de bon ton de prêter des vertus insoupçonnées au service national quant à la formation des citoyens, à l’époque, le sport universel de la bidasserie est surtout de trouver la planque. Eh oui, s’efforcer de ne rien foutre peut être une activité à plein temps !
Et moi, côté planque, je dois dire que je suis verni. Pendant que les autres crapahutent dans le froid et la boue en se faisant insulter par un vieil adjudant alcoolique – sans doute un pléonasme, en fait – moi je reste tranquillement au chaud dans ma piaule individuelle… Ma seule véritable contrainte étant de rester à la disposition de mon colonel vingt-quatre heures sur vingt-quatre pour le conduire n’importe où n’importe quand.
Et précisément, lorsqu’on est au volant, il est parfois difficile de ne pas entendre les discussions qui ont lieu sur la banquette arrière d’une voiture, surtout quand ces voyages ont lieu au minimum une ou deux fois par jour.
C’est ainsi que j’apprends que la relation entre la ravissante Caroline et de Mansy dure depuis presque trois ans et que la belle est infirmière dans une clinique privée, d’où ses horaires assez aléatoires. Comme, pendant le même temps, mon colonel a des impératifs – du genre lever des couleurs ou réunion avec untel ou untel – et qu’il se refuse à faire attendre la belle, c’est donc plusieurs fois par semaine que je me retrouve à transformer la vénérable 505 en machine à remonter le temps.
Par contre, il arrive assez régulièrement que, sur le chemin du retour, le colonel et moi nous arrêtions prendre une bière. Et là, il n’y a plus de supérieur qui compte, juste deux types qui discutent de tout et de rien, comme si de rien n’était…
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Dans la vie en général et la course de côte en particulier, quel que soit votre degré de compétence et le domaine dans lequel vous l’exercez, vous arrivez toujours à rencontrer des gens infiniment plus balèzes que vous, des types capables de bidouiller un truc pour en faire un machin et l’adapter sur un bidule qui au final vous permettra d’aller recevoir le trophée du vainqueur des mains de la plus belle fille du patelin, de lui faire la bise – à la fille, pas au trophée – et parfois même de l’inviter à boire un verre – pareil, la fille, pas le trophée.
Mais quelquefois, aussi, les arbres ou les talus ont la fâcheuse manie de traverser la route au moment où l’on s’y attend le moins – de préférence lorsqu’on n’est même pas en train de sortir la grosse attaque – et, comme le pognon est toujours le nerf de la guerre pour le pilote amateur, on devient très vite pote avec tous les casseurs et autres démolisseurs automobiles de la région.
C’est en discutant avec l’un d’eux lors d’une permission que celui-ci me conte l’histoire d’une 505 appartenant à un industriel du coin et à laquelle il est arrivé malheur. Eh oui, si la vitesse peut se gérer, il en est autrement au sujet de l’alcool.
Bref, une semaine plus tard, le mess des officiers se retrouve délesté de presque la moitié d’une palette de packs de bière, et la vénérable charrette du colonel récupère, entre autres, des jantes larges, des suspensions sport, un carbu double corps réglé aux petits oignons et, le plus important à mes yeux, des vitres teintées, un intérieur cuir et, cerise sur le gâteau, tout un tas de rideaux qui transforment la banquette arrière en petit nid douillet idéal pour un couple d’amoureux.
Résultat : derrière, les longues discussions sont souvent remplacées par une foule de petits bruits humides et de soupirs assez évocateurs… Cela tombe bien, c’était le but.
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Une semaine ou deux plus tard et une bière à la main, le colonel et moi devisons. Et, que voulez-vous, lorsque vous mettez deux hommes ensemble, vous pouvez être certain qu’à un moment ou un autre ça va parler de gonzesses…
Même s’il est surpris par le ton soudainement sérieux que j’utilise, il répond sans sourcilier.
Il pousse un triste et long soupir.
De toute évidence, j’ai touché un point sensible sur lequel il ne tient pas à s’épancher ; il vaut mieux repartir dans les futilités. Je n’en saurai pas plus.
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Par contre, comme on dit, petites causes, grands effets. Quelques jours plus tard alors que, fait exceptionnel, c’est de Mansy qui se fait attendre, Caroline m’attrape par le bras.
Les fois où j’ai l’occasion de discuter en seul à seul avec Caroline sont rarissimes, mais comme nous avons quasiment le même âge, le tutoiement s’est tout de suite imposé. Par contre, lorsque le colonel est là, ça vouvoute à tour de bras.
Je hausse les épaules, d’autant que mon supérieur vient d’apparaître. Elle me glisse un petit papier dans la poche.
La discussion s’arrête là, d’autant qu’il est temps de mettre les voiles ; le colonel vient d’arriver.
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Bien évidement, pendant toute la journée je me demande bien ce que signifie ce « passe une bonne soirée ! », d’autant qu’en écho le colonel m’a simultanément donné quartier libre et confié les clés de sa voiture.
L’adresse en question correspond à un petit pavillon joliment arrangé à l’est de la ville. Un petit portail blanc, une porte verte et deux Mini Cooper de couleurs différentes stationnées devant la porte. Je sonne.
À partir de cet instant, tout va très vite. Une main qui m’attrape par la cravate et me tire à l’intérieur, une tignasse rousse qui m’obscurcit la vue, une bouche qui se colle à la mienne et qui m’enfonce sa langue jusqu’aux amygdales pendant que deux autres mains s’attaquent à ma braguette.
Que faire ? Résister ? Bizarrement, cela ne me semble pas d’une urgence absolue, d’autant que l’autre fille, une blonde entraperçue au travers d’un épais rideau de cheveux roux, vient de se ventouser à ma queue. Bref, mon cerveau du bas vient de prendre le pas sur celui du haut, j’en vois trente-six chandelles.
Combien de temps cela dure-t-il ? Impossible de la savoir, mais il n’en demeure pas moins que je suis déjà au bord de l’explosion… Mais c’est sans compter ma pipeuse qui, soudainement et sans prévenir, lâche tout bonnement l’affaire.
Dans ma tête, tout s’éclaire : je suis tombé sur deux de ces allumeuses comme l’on en rencontre de temps en temps et qui, après avoir foutu le feu à la baraque, se retirent en prétendant que, subitement, elles n’en ont plus envie. Bande de garces !
Eh bien non, tout faux, puisque la rouquine vient de rejoindre sa copine à mes genoux et qu’elles viennent de commencer une invraisemblable séance de pompage en stéréo. Pendant que l’une me lèche la queue, l’autre me suce les bourses, à moins que ce soit le contraire…
Bien entendu et devant ce traitement de choc, la moutarde a tôt fait de me monter au nez ; tout mon corps se crispe, ça y est, c’est le moment, c’est l’instant… Et là, j’assiste à un spectacle pour le moins inédit, celui de deux filles qui se régalent goulûment des longues traînées de foutre que je viens d’expédier – bien involontairement – sur leur visage. Et comme si ce petit nettoyage ne suffisait pas, elles prennent un malin plaisir à me faire remarquer qu’elles avalent la cargaison sans en perdre une goutte…
Ce genre de manège, je croyais qu’il n’y avait que dans les VHS que cela se produisait… J’en reste bouche bée ; elles se marrent.
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Le lendemain matin – et sans grande surprise – c’est un véritable zombie qui assiste au lever des couleurs. C’est qu’elles ne m’ont rien épargné, les duettistes… Visite de la cave, du grenier, de l’entresol, avec comme devise : cent fois sur le métier remettez votre ouvrage.
Bref, je suis infiniment heureux de ne pas avoir à emmener de Mansy quelque part, la conduite en braille n’étant pas tout à fait sans risque…
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Et les semaines s’écoulent, réglées par les allers et venues de Caroline – en voiture – et de celles de mes deux tornades toujours aussi explosives au paddock. Toutefois, afin de tenter de préserver mon intégrité physique et ne pas risquer à chaque fois le service de réanimation, j’ai réussi à faire en sorte que les soirées que je passe avec elles ne se résument pas uniquement à de formidables parties de cul.
C’est ainsi que les deux donzelles me font découvrir, soir après soir, tous les aspects de la vie nocturne de cette ville qui paraît pourtant tellement tranquille. Bref, la plupart du temps, tout cela me permet de me repointer à la caserne un tout peu moins essoré et un tout petit peu plus opérationnel.
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Ce jour-là, il est aux environs de quatorze heures lorsque le téléphone de ma piaule s’ébroue. Or, il n’y a que mon colonel qui ait accès à cette ligne… Et que quand il veut quelque chose, il préfère d’habitude venir taper directement à ma porte.
Un coup d’œil rapide en franchissant la porte. À droite, derrière le bureau qui serait celui de sa secrétaire s’il en avait une, une jeune femme blonde qui serait ravissante si elle n’était pas en larmes et complètement décomposée. Pour lui, par contre, la rage et la colère sourdent par tous les pores de sa peau. Je salue.
Rien qu’à l’entendre, je suis déjà soulagé puisque cette furie n’est apparemment pas dirigée contre moi.
Je tourne machinalement la tête vers la demoiselle, et sa tenue me saute soudain aux yeux. Le chemisier blanc boutonné jusqu’au col, la longue jupe plissée bleu marine sans oublier les inévitables petites chaussures vernies sans talon, tout cela me semble issu d’un autre temps. Par contre, je remarque également que cette nénette a au bas mot vingt ans de moins que le colonel, ce qui est pour le moins surprenant, tout comme la légère hésitation qu’il a eue au moment d’annoncer son prénom.
Intérieurement, je souris. S’il s’agit de trimbaler la demoiselle de la même façon que Caroline, seule de préférence, je me charge bien de trouver un moyen de lui faire retrouver la joie de vivre.
En fait, je dois être l’un des rares bidasses à ne pas compter les jours. Il faut dire qu’entre ma petite vie pépère à la caserne et mes duettistes de choc, je ne suis pas vraiment pressé de retourner dans le civil… Même si, quelquefois, l’ambiance de la course auto me manque.
Je ne sais quelle est cette fameuse institution, mais elle semble avoir le don de l’agacer au-delà de tout, les accoudoirs de son fauteuil m’en sont témoins. Le cuir martyrisé crie sous l’effort.
Encore une fois, il m’est arrivé de voir de Mansy préoccupé ou agacé, mais jamais dans une telle fureur.
Cette fois, j’ai carrément l’impression d’être à la rue.
J’aimerais bien comprendre ce qu’il attend réellement de moi, mais la dénommée Isabelle vient de se lever. Ai-je la berlue, ou ses larmes se sont calmées ? Ce n’est toujours pas la joie dans son regard, mais elle me prend tout de même par le bras.
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Que dire ? Charlotte et Véronique m’ont maintes fois parlé de cette fameuse Grotte aux Fées, mais je n’ai jamais eu l’occasion d’y mettre les pieds. Par contre, il faut reconnaître que l’endroit est aussi bucolique que désert, et exactement conforme au tableau qui m’en avait été fait : quelques rochers épars et un plan d’eau alimenté par une source provenant sans doute de la grotte qui donne son nom à l’endroit. Et, à l’ombre de chaque bouquet d’arbres, une table de bois. Elle en choisit une au hasard ; nous nous y asseyons.
Elle se penche alors vers moi et pose délicatement ses lèvres sur les miennes. L’invite est claire, peut-être un peu trop.
Elle sourit.
De fait, je sais vaguement que Louis de Mansy, mon colonel, a un frère, Charles-Hubert, avec lequel il est en froid sans que personne n’en connaisse la cause exacte. Tout ce que l’on sait, c’est que, bien que l’aîné ait raflé tout ce qui pouvait avoir de la valeur ou rapporter du fric, l’héritage n’est pas en cause, au contraire. Il semblerait que la fortune des de Mansy ait des origines peu ragoûtantes, et que si certains considèrent que l’argent n’a pas d’odeur, le colonel pense, lui, que ce pognon sent un peu trop la merde. Question de principes.
Je la vois blêmir.
Puis, après quelques instants pendant lesquels elle est manifestement au bord des larmes, elle se dresse et m’attrape par le revers de la veste. Nos langues se mêlent dans un fougueux baiser. Tandis que je la serre dans mes bras, ses mains à elle semblent avoir un tout autre but ; je le constate lorsque sa dextre se faufile dans mon pantalon et m’attrape directement la queue.
Il a dû être scout dans une autre vie, mon camarade Popaul, avec cette manie de crier « toujours prêt »… Lâchant la bête qu’elle vient d’extirper de sa prison de toile, elle s’assied sur le rebord de la table, se retrousse, et… quelle n’est pas ma surprise de voir dans un premier temps apparaître une magnifique paire de bas blancs accrochés à de délicates jarretelles de soie rouge, et dans un second un magnifique triangle de poils blonds libre de toute entrave. Elle se marre.
Non, pas surpris : juste un tout petit peu sur le cul… À aucun moment elle n’a simplement détourné le regard pour s’assurer que personne ne peut nous voir, et pourtant… Devant une situation et surtout un comportement aussi abracadabrantesque, la logique serait de se demander si tout cela n’est pas un peu trop beau.
Seulement, là, tout de suite, c’est la partie du cerveau située entre mes jambes qui vient de court-circuiter celle qui se trouve normalement entre mes oreilles. Bref, sans avoir véritablement réfléchi, je me retrouve délicieusement enfiché dans un pot de miel… C’est tout simplement divin.
Tellement divin, d’ailleurs, que je me retrouve bien vite avec la fusée prête à décoller du pas de tir… D’habitude, je parviens à me retenir, mais là, ce n’est plus qu’une question de secondes. Mais ce détail, Isabelle doit en avoir conscience puisqu’elle m’attrape la base de la queue entre le pouce et l’index pour la serrer comme une furieuse alors que j’étais sur le point d’exploser. Je manque de m’en évanouir…
Elle, par contre, n’a pas bougé une oreille et son sourire en dit long.
Décidément, les jeunes filles de bonne famille ne sont plus ce qu’elles étaient. Mais puisqu’elle semble tellement y tenir, je me mets alors à la baratter avec une telle violence qu’à chaque instant j’ai le sentiment que la table sur laquelle nous sommes installés va se disloquer d’une minute à l’autre.
Cela me donne-t-il envie de ralentir la cadence ? Sûrement pas, d’autant qu’Isabelle, visiblement ravie de ce fougueux assaut, est à deux doigts de s’expédier sur orbite. Moi, par contre, et malgré la sueur qui me coule dans les yeux, je ne ralentis pas la cadence…
Naturellement, tout cela ne dure pas très longtemps puisqu’au moment où je sens monter la sève de mes reins, elle explose d’un violent orgasme particulièrement peu discret. Un demi-litre de foutre plus tard, elle se rajuste comme si de rien n’était.
Et dix minutes plus tard, les idées quasiment remises en place, je risque :
Elle pouffe de rire.
Isabelle m’explique alors ses longues années d’internat, ces jeux auxquels elles et ses copines se livraient… Notamment d’être le plus sexy possible sous leur tenue pourtant si sévère, et bien que les conséquences, si elles s’étaient fait prendre, eussent été terribles. Sans aucune gêne, elle me raconte ces séances de branlette où elle et ses copines de chambre se plaçaient assises en rond, les unes en face des autres et où la dernière qui jouissait avait perdu…
Par contre, elle ne s’épanchera pas sur les autres garçons qu’elle a connus avant moi. Pourtant, je ne pense pas que cette façon de vous serrer la teub pour vous empêcher d’envoyer la purée fasse partie des enseignements des collèges, tant publics que privés.
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Le lendemain matin, nouvelle convocation chez mon colon.
Mes premières impressions ? Ben, déjà, en dehors de la petite séance en forêt, il y eu le match retour sur la banquette arrière. En sortant du resto italien, nous avons goûté aux joies d’une bonne levrette sous une porte cochère.
Par contre, une fois tous les deux au lit, eh bien… contre toute attente, elle s’est blottie dans mes bras et le marchand de sable est passé ; certains prétendent que c’est le repos du guerrier.
Seul point négatif, pour ce qui est de se taper la discute et de savoir quels sont nos centres d’intérêts, nous verrons cela une autre fois.
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Si l’être humain était logique, cela se saurait. J’en ai une parfaite illustration lorsque je me pointe à l’appartement d’Isabelle : alors que pendant des semaines j’avais rendez-vous avec deux bombes atomiques qui s’étaient fait une spécialité de me transformer les couilles en raisins secs, je me retrouve à avoir le cœur battant devant sa porte. Elle baise bien et ne porte pas de culotte ? Et alors, les deux autres aussi – ou non plus, d’ailleurs – et elles le faisaient en stéréo. En plus, accessoirement, discuter avec elles n’avait rien d’une sinécure, alors que, précisément, je ne sais strictement rien d’Isabelle.
Bref, un bouquet de fleurs à la main, je sonne. Je sais que depuis le début de cette histoire, j’ai souvent la mâchoire qui se décroche, mais une fois de plus, c’est le cas : mais où est donc passée la jeune fille de bonne famille habillée façon années cinquante ? Elle porte une robe rouge, moulante jusqu’à l’indécence, qui ne lui arrive tout juste qu’à mi-cuisses. De plus, perchée sur une paire de hauts talons invraisemblables, elle est quasiment plus grande que moi. Devant ma stupéfaction, elle s’explique :
De fait, dans cette robe aussi discrète qu’une voiture de pompiers, je crois bien que même les aveugles se retourneraient sur elle. Elle poursuit :
C’est dans ce genre de cas que l’on se dit que l’armée a décidément du bon : bien que je sois en civil, mes cheveux courts trahissent mon appartenance à la bidasserie. Et comme ceux de mon régiment ont la réputation de ne pas être des tendres, j’ai droit à une paix royale… Par contre, quelque chose me dit que les retours de certains couples vont être mouvementés, soit parce qu’ils défonceront la banquette arrière, soit parce qu’il y aura de terribles crises de jalousie.
Pour moi, par contre, la situation a été plus difficile… À force de voir Isabelle se déchaîner sur les boum-boum à la mode, j’ai été plusieurs fois à deux doigts de l’emmener dans un coin plus sombre de la boîte et de la punaiser contre le mur comme un forcené. Et là encore, quelque chose me dit qu’elle en aurait été ravie, d’autant que je veux bien parier qu’une fois de plus elle ne porte strictement que sa robe et rien d’autre.
Un petit coup vite fait dans la bagnole ? Il y a sans doute mieux à faire. La fourrer sur le capot de cette même bagnole ? En vérité, ce genre de plan n’a véritablement de charme que lorsqu’il fait jour et que le risque de se faire prendre est au moins aussi excitant que ce que l’on fait vraiment. Celui qui ne s’est jamais retrouvé en train de ranger Azor précipitamment tandis que la demoiselle redescend sa robe tout aussi promptement alors que sa culotte est encore sur ses chevilles – ou mieux encore, accrochée à l’essuie-glace – ne sait pas ce que se sentir vivant veut dire.
Bref, c’est quasiment les mains tremblantes que j’entre dans l’appartement… Pas le temps pour Isabelle de poser son sac ou d’ôter son manteau : je l’attrape par le bras, la dépose sur le buffet de l’entrée et, en un instant, je me retrouve fiché tout au fond d’elle. Comme je m’en doutais, elle ne porte rien sous sa robe, ce qui explique ce torrent de mouille qui s’écoule quasiment le long de ses jambes… S’ensuit alors une séance de pilonnage où le buffet contre le mur est à deux doigts d’ébranler tout l’immeuble et, en deux minutes à peine, la voilà qui grimpe aux rideaux. Pour moi, par contre, c’est un peu plus long, ce qui ne l’empêche pas d’en remettre une couche quelques instants plus tard lorsque je me vide tout au fond de son ventre. Elle reprend son souffle, malicieuse.
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Les jours – ou plutôt les nuits – suivant(e)s sont à l’avenant. Isabelle et moi sortons presque tous les soirs ; restos, cinéma et boîtes de nuit… Quand le budget est illimité, autant en profiter !
Malgré cela, de temps en temps nous restons chez elle ; elle s’avère être une fine cuisinière, et je me risque à lui parler de mes projets d’avenir. Mais à chaque fois que j’évoque ses propres envies, une immense tristesse l’envahit. Il est décidément des sujets qu’il vaut mieux éviter.
Par contre, quand son frère parlait de jeunesse en accéléré, je ne me doutais pas d’à quel point cela pouvait être vrai… Isabelle n’avait déjà pas froid aux yeux, mais elle semble avoir décidé de passer la surmultipliée.
La sodomie ? Ce n’est pas la peine de la lui proposer : c’est elle qui la réclame. Un plan à trois ou à quatre ? Pareil : c’est elle qui décroche le téléphone pour demander à Charlotte et Véronique si elles sont partantes. L’amour entre filles ? Je n’ai que le temps de me barrer sans quoi elle se gougnottait avec les mêmes devant moi. Elle parvient même à dégoter une adresse de club échangiste bi où je refuse de me rendre ; je suis ouvert à toutes les propositions, mais je tiens encore un peu à mon fondement.
Et puis, surtout, je constate que lorsqu’elle me parlait de ses concours de branlette entre copines, elle ne me mentait pas. Je ne compte pas le nombre de fois où elle s’arrange pour que je la prenne la main dans la culotte – quoiqu’en vérité, elle n’en porte que rarement – et où elle se fait un plaisir de se faire jouir en me regardant dans les yeux. Naturellement, la plupart du temps, elle a droit en retour à une séance de trombonage de premier ordre, mais je me demande si ce n’était pas finalement le but…
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Les mois s’écoulent ; Isabelle prend désormais une telle place dans ma vie que je l’emmène avec moi lors de mes permissions. Non, ce n’est pas ma fiancée. Non, nous ne vivons pas ensemble. Non, nous ne savons pas ce que nous allons faire. Non, ce n’est pas ma nouvelle copilote.
Finalement, que suis-je pour elle ? Là est la vraie question…
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La porte de ma piaule est fermée, celle du bureau du colonel aussi, et pourtant les éclats de voix de la conversation qu’il a au téléphone parviennent jusqu’à mes oreilles. Il faut dire que ça canarde velu.
Puisqu’il s’agit forcément d’Isabelle, j’entrouvre ma porte pour mieux saisir ce qui se dit.
Si les sous-officiers utilisent couramment un langage fleuri, ce n’est que rarement le cas chez les officiers supérieurs auxquels de Mansy appartient. C’est bien simple, jamais je ne l’aurais cru capable d’une telle vulgarité. Le festival continue :
Là-dessus, il raccroche… C’en est à se demander comment la bakélite de son biniou parvient à ne pas exploser en mille morceaux.
Il doit avoir un talent d’extralucide, mon colonel, ou je n’y comprends rien. Quand bien même ma porte aurait fait du bruit, avec l’engueulade qui était en cours… Je pense être en route pour la soufflante du siècle, mais son propos est tout autre.
Il retient son souffle quelques instants, puis se lance :
Son visage se décompose soudain.
Puis, après un silence :
Mon incompréhension se lit sur mon visage.
Naturellement, et même alors que je la presserai de questions, Isabelle/Anastasia ne voudra jamais m’en dire plus, et surtout pas sur cette institution. Par contre, elle m’expliquera longuement que, si je tiens à mon intégrité physique, il vaut mieux que je reste en dehors de ça, les scrupules de ceux qui poussent à la roue étant inversement proportionnels à leurs appuis politiques et leur fortune.
Et pendant plus de dix ans, à mon cœur défendant, je laisserai tomber. Jusqu’à ce que le doux visage de mademoiselle de Mansy réapparaisse sur un écran de télé et que j’apprenne à la fois que cette fameuse institution était en fait un couvent où elle avait été placée de force, et qu’elle venait précisément de parvenir à s’en échapper.
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La maison où je réside est située tout près des ruines du château médiéval, et personne ou presque ne sait qu’une partie des antiques souterrains sont praticables, même en voiture. Mon grand-père, à une certaine époque, y a caché des résistants et des aviateurs alliés sans que jamais l’occupant ne parvienne à les retrouver.
Toujours est-il que c’est par cette issue dérobée que je rentre chez moi. Bien m’en prend : c’est à cet instant précis qu’une Estafette de la gendarmerie entre dans la cour, et quelque chose me dit que ce n’est pas pour admirer les carrosseries des merveilles que les gars du garage essaient de restaurer.
Il me tend une photo d’Anastasia. Inutile de prendre le condé tout à fait pour une bille ; s’il est ici, ce n’est sans doute pas par hasard. J’essaie de la jouer fin.
« Elle est sur le lit de la chambre, à vingt mètres de toi, pauvre cruche… »
Je lui dirais bien de compter là-dessus et de boire de l’eau, mais abreuver un gendarme avec de la flotte, c’est un coup à se voir accusé d’homicide par imprudence.
Aussitôt la porte refermée, j’empoigne le téléphone.
J’entends l’intéressé se marrer à l’autre bout du fil. Certes, Daniel est bel et bien toubib, mais son amour pour le sport automobile le pousse à venir courir avec nous quasiment tous les week-ends. Et comme, en course, il a toujours tendance à essayer de faire passer la pédale au travers du plancher, il y a gagné ce sympathique sobriquet… Bref, c’est un pote.
Inutile de prendre des risques inutiles… Déjà – et même s’ils s’efforcent de rester discrets – il y a deux types qui viennent de se garer juste en face de l’entrée du garage et ils ne ressemblent pas vraiment à des touristes… surtout en cette saison. Si l’Anastasia d’il y a dix ans disait vrai, je peux quasiment être certain que ma ligne est déjà sur écoute.
En attendant, que faire ? Anastasia étant toujours inconsciente, un vieux souvenir de mes cours de secourisme me revient. Une baignoire remplie d’eau chaude mais pas trop, me voilà en train de tremper mon coude dans la flotte avant d’y plonger Anastasia.
Mais pour cela, il me faut la dévêtir, et quelle n’est pas ma surprise de constater qu’en dehors de cette fameuse robe de bure, elle ne porte rien… Et cette fois, il n’est aucunement question d’une quelconque effronterie : j’en ai la preuve en découvrant son corps décharné. Elle ne me semblait pas lourde ? Tout s’explique, elle ne doit pas peser beaucoup plus de quarante kilos. Quant à ses longs cheveux autrefois blonds, ils ont été tondus à quelques millimètres, ce qui ajoute encore à son allure de zombie.
Tandis qu’elle se réchauffe lentement, ce que je vois là me conforte dans ma première impression : Anastasia n’avait déjà pas le profil d’une meurtrière, mais vu l’état de délabrement physique dans lequel elle est, je ne sais pas si elle parviendrait à tuer une mouche.
Cependant, le bain chaud fait peu à peu effet, puisque des frissons commencent à parcourir tout son corps. Là encore, souvenirs de secouriste, ces mouvements involontaires sont l’illustration de ce que l’organisme recommence à lutter pour sa survie. Il me semble même qu’elle vient d’ouvrir un œil… mais cela n’a duré qu’une fraction de seconde.
Je reconnais ce coup de sonnette : c’est Daniel. Il a l’air passablement agacé.
Je fais mine de ne pas savoir.
En son temps, de Mansy m’avait prévenu : ceux qui la recherchent utiliseront tous les moyens possibles pour la retrouver.
Moi-même, je n’ai jamais bien su pourquoi je n’ai jamais jeté ce cliché pris il y fort longtemps dans une fête foraine. On nous y voit, Anastasia et moi, nous tenant tendrement par la taille.
Il n’a même pas l’air vraiment surpris… La trousse toujours à la main, il se précipite dans la salle de bain.
Il pose sa main sur son front.
Tandis qu’il l’ausculte sous toutes les coutures, je lui résume toute l’histoire, depuis l’instant où je l’ai rencontrée jusqu’aux circonstances qui font qu’elle est devant nous. Quelques minutes plus tard, Anastasia est de nouveau dans mon lit sous une montagne de couvertures ; il me fait son rapport.
Il sourit.
Vous avez demandé une excuse bidon ? Ne quittez pas.
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Un mois s’écoule pendant lequel Anastasia se remplume doucement, et un autre mois se déroule avant qu’elle ne consente enfin à parler.
Flanquer les jeunes filles au couvent contre leur gré, à une époque, c’était quasiment un sport national. Mais nous sommes quand même à la toute fin du vingtième siècle, pas tout à fait au Moyen-Âge.
Elle se serre tout contre moi.
Certes, nous avançons. Mais il n’en demeure pas moins qu’un léger problème se dessine à l’horizon, comme en témoignent la dizaine de gugusses qui continuent de se relayer jour et nuit juste devant chez moi : ceux qui recherchent Anastasia n’ont toujours pas baissé les bras. Et elle ne s’est sans doute pas barrée de son couvent pour rester recluse le restant de sa vie, fût-ce auprès de moi.
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La maison est belle et la pelouse impeccablement tondue. Seule ombre au tableau, le gros 4x4 couvert de boue qui se trouve dans la cour… Mais la combine est en bronze : un ancien colonel amateur de véhicules tout-terrain, un garagiste désireux de racheter du matériel militaire aux enchères, tout colle. Enfin, c’est la salade que j’ai vendue à de Mansy pour pouvoir le rencontrer.
Je sonne ; la haute stature de mon ex-supérieur se détache dans l’embrasement de la porte.
Son énorme paluche me broie à moitié la main.
Caroline ? Lorsque j’avais laissé les deux tourtereaux, il y a dix ans, j’aurais juré qu’à un moment ou un autre ils finiraient bien par se retrouver rattrapés par la réalité. Quel que soit l’amour que l’on éprouve pour l’autre, on n’a pas forcément envie de devenir son assistante médicale personnelle ou, au contraire, d’imposer un tel sacerdoce à quelqu’un dont on sait qu’il lui reste encore quelques belles années à vivre.
Bref, découvrir qu’ils sont toujours ensemble me surprend… d’autant que, malgré la décade qui vient de s’écouler, Caroline est restée ravissante. Les quelques kilos qu’elle a de plus ou les légères pattes d’oie qui ornent son visage ne parviennent pas à l’enlaidir, bien au contraire.
Par contre, petit détail : un coup d’œil rapide me confirme qu’ils ne portent toujours pas d’alliance. Est-ce par choix ? Je jurerais que non.
J’opte pour un sourire outrageusement forcé tandis que je glisse un dossier devant lui. En fait, à l’intérieur, il n’y a qu’une seule feuille sur laquelle un prénom est noté. Son visage s’éclaire.
Un escalier banal menant à une cave tout ce qu’il y a de plus banale ; il attend pourtant d’avoir refermé une porte grillagée derrière moi avant d’ouvrir la bouche.
Il me fait remarquer un détail qui ne m’avait pas sauté aux yeux : tout autour de nous, les murs sont doublés de treillage métallique.
De fait, l’antique camping-car garé à moitié sur le trottoir d’en face m’avait paru curieux.
En fait, c’est un secret de polichinelle, Anastasia me l’a affirmé plusieurs fois. Par contre, pour ce qui est de savoir pourquoi, nada.
Puis, après un silence :
Il éclate de rire.
Je m’insurge :
« Selon que vous serez puissant ou misérable… » La phrase ne date pas d’hier et est signée Jean de La Fontaine.
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L’est sympa, le château des de Mansy… Certes, il est très difficile à appréhender de la route, mais cela n’a strictement aucune importance.
Non, les raisons de ce repérage sont simples : notre homme, ce cher Charles-Hubert de Mansy, passe pour être un véritable coucou suisse, et mes premières observations semblent me le confirmer. À neuf heures quinze pétantes, la grosse Mercedes franchit le portail et ne revient que vers dix heures, après avoir déposé le patron au siège de la société.
Et au minimum trois fois sur quatre, il est accompagné de la cuisinière de la maison, une dame sans doute toute proche de la retraite et avec laquelle il s’entretient probablement des repas à venir.
Très bien ; la première partie de l’opération aura lieu demain.
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L’avantage de faire du rallye, même en amateur comme c’est mon cas, c’est que l’on connaît exactement tous les pièges qu’une chaussée peut comporter. Un bitume plus lisse par temps chaud ou plus sombre par temps froid, la présence ou non de quelques gravillons, un virage en dévers ou qui se referme, tout cela passe généralement inaperçu pour un conducteur lambda qui ne roule entre guillemets pas assez vite pour que cela puisse lui poser problème. Par contre, pour nous qui avons cette fâcheuse manie d’être tout le temps largement au-dessus de nos pompes, ce genre de détail peut faire la différence entre la victoire et la défaite, voire même quelquefois entre la vie et la mort.
À quelques kilomètres du château, la route traverse un petit bois. La chaussée est encaissée et, en cette saison et à cette heure-ci, le conducteur a toujours le soleil en pleine trogne, ce qui explique que la vitesse à laquelle on aborde ce passage est toujours réduite.
Extraite d’une caisse d’emballage tout ce qu’il y a de plus ordinaire et malencontreusement tombée d’un camion, une planche hérissée de clous juste au bon endroit, deux pneus qui éclatent et la grosse allemande qui part au ralenti dans le fossé. Là, elle glisse, glisse encore, jusqu’à ce qu’elle s’emplafonne un bouquet d’arbustes où elle s’arrête dans un panache de fumée grise due à l’explosion du radiateur.
Il ne s’agit naturellement que d’un hasard, mais dans les minutes suivantes deux ambulances passent fort opportunément sur les lieux et s’arrêtent, emportant avec eux les deux occupants du véhicule, quelque peu choqués mais parfaitement indemnes. Dans l’une de ces ambulances se trouve Daniel, mon pote médecin.
À partir de cet instant, il prend le relais. Pendant une quinzaine de jours, nos deux apprentis cascadeurs vont se farcir maux de tête, nausées, pertes d’équilibre et toutes les autres joyeusetés que l’on ressent après un choc relativement violent. Ou, plus simplement, lorsqu’un médecin complice veut absolument que vous restiez en arrêt-maladie pendant un certain temps.
Comme le monde est décidément bien fait, une agence d’intérim spécialisée dans le personnel de maison apprend la mésaventure parvenue à notre équipage et s’empresse de proposer ses services au château. Elle dispose, et bien évidement immédiatement disponibles, d’un chauffeur expérimenté et d’une cuisinière diplômée.
Bon, évidemment, le fait que le patron de cette boîte d’intérim fasse partie de mes sponsors n’est, une fois encore, qu’une coïncidence. Mais franchement, que serait la chance si l’on ne lui donnait pas un petit coup de main ?
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Physiquement, Charles-Hubert de Mansy est l’antithèse de son frère. Nettement plus petit que lui, le cheveu encore plus rare – mais cette fois, le célébrissime sabot de trois, cher à tous les anciens troufions, n’y est pour rien – il dispose de plus d’un solide embonpoint. Et si le frangin, même lorsqu’il était d’active, vous regardait toujours avec une certaine bienveillance, lui ne vous voit pas. Non, pour lui, vous êtes absolument transparent.
Mais tout cela est-il vraiment important ? De toute façon, mon taf se limite pour le moment à véhiculer monsieur au volant de sa toute nouvelle Mercedes arrivée le matin même en provenance directe de l’usine de Stuttgart.
Mais, en début d’après-midi, commence une autre cavalcade puisque, vers quatorze heures, j’emmène la belle-sœur de notre homme en ville… Elle se prénomme Isaure, semble avoir une quarantaine d’années – mais il est bien connu que le pognon conserve encore bien mieux que le formol – et, en un mot comme en cent, est l’archétype de la bourgeoise un peu pincée.
Et là, quasiment tous les jours et après de longues heures passées dans les boutiques, je me retrouve à trimbaler quasiment un demi-mètre cube de robes, de chapeaux, de machins, de trucs, de choses… Mais que peut-elle bien faire de tout cela, et où le stocke-t-elle ? Bon, d’accord, en vérité, je m’en tape.
Nous sommes jeudi, jour où madame a ses habitudes dans un certain grand magasin. Oh, mais que voilà une autre charmante femme du monde… C’est curieux, d’ailleurs, cette ressemblance qu’elle a avec Charlotte, l’une de mes deux essoreuses de braguette du service militaire. Elle passe devant moi, fait mine de ne m’avoir jamais vu, avant de se précipiter sur le même bout de chiffon hors de prix qu’Isaure était elle-même en train d’examiner.
Et allons-y gaiement ! S’ensuit naturellement l’une de ces conversations délicieusement prout-prout qui font le charme des femmes du monde ou de celles qui tentent de faire croire qu’elles y appartiennent.
Ben voyons… Si cette chère Charlotte avait eu un mari, je lui aurais conseillé d’investir dans une tente à oxygène et, par précaution, de rehausser l’ensemble des portes de sa demeure en prévision de ses cornes à venir.
Lorsque nous passions notre temps à nous envoyer en l’air, Véronique ne cessait de s’amuser de cette faculté qu’avait son amie de convertir au saphisme n’importe quelle nénette, quel que soit son âge et quand bien même il s’agirait de la plus réticente et la plus coincée des épouses. Mais dans le cas qui nous intéresse et à en juger par l’accueil, elle n’aura pas à forcer son talent. En fait, je jurerais qu’elle prêche une convertie.
La suite est à l’avenant : salon de thé, petits biscuits, ronds de jambe, courbettes, les clés de la Bentley – celle d’un copain du colonel qui la lui a prêtée pour l’occasion – qui tombent négligemment, et c’est le plus naturellement du monde que je retrouve les deux femmes sur la banquette arrière de l’énorme voiture et la tête de notre amie fourrée entre les cuisses de la belle-sœur. Dire qu’elles ne se connaissaient pas il y a encore deux heures…
Là-bas, le festival bat son plein, Isaure ne cessant de se tortiller sous les coups de langue experts. Par contre, au vu que ce qu’elle achète à longueur de temps, j’aurais pensé que la lingerie de la belle-sœur aurait été plus raffinée : certes, elle porte une paire de bas tops, mais sa culotte, désormais roulée en boule sur l’épaisse moquette, tenait visiblement plus de la montgolfière que du string.
De temps à autre, Charlotte reprend son souffle et, abandonnant le bouton magique, enfonce allégrement deux ou trois doigts dans la caverne intime de sa partenaire qui n’en finit plus de gémir… Cela en résonne désormais dans ce parking souterrain fort heureusement désert.
Enfin, désert, pas tant que ça. Déjà, il y a moi, qui ne rate pas un détail du spectacle et que les deux nénettes ont soigneusement pris soin d’ignorer, ce qui est finalement assez logique puisque, pour ces gens-là, le petit peuple auquel j’appartiens n’existe tout simplement pas.
Mais surtout, bien planqué dans la pénombre et utilisant un appareil silencieux et une pellicule qui ne nécessite pas de flash – eh oui, le numérique n’existe pas encore – il y a mon cher colonel qui mitraille la scène sous tous les angles dont il dispose.
Un cri, nettement plus strident que les autres, est à deux pas de déclencher les alarmes des voitures stationnées alentour tant il est sonore. C’est la belle Isaure qui vient de jouir… Intérieurement, je ne peux m’empêcher d’imaginer son visage tordu sous l’orgasme et figé pour l’éternité sur la pellicule photographique.
Ah, comme souvent dans les amours entre femmes, l’heure est au match retour. La jupe à son tour retroussée, c’est à la belle-sœur de faire risette à Charlotte. Cette dernière, elle, ne commet pas de faute de goût : bas noirs, porte-jarretelles de dentelle noire et, comme il se doit, pas de culotte. Je la connais depuis assez longtemps pour savoir qu’elle n’a pas l’habitude de s’encombrer d’artifices inutiles.
À l’époque, mon expérience sur les séances de gougnottage se limitait aux VHS et aux petites démonstrations auxquelles Véronique et notre rouquine s’empressaient de se livrer devant moi pour réanimer un matériel quelquefois au bout du rouleau… Mais là, pas besoin d’être spécialiste pour se rendre compte que cette seconde manche est nettement moins relevée que la première. J’en ai l’illustration lorsque, après un long moment entre se jambes, Charlotte finit par repousser la tête de sa lécheuse pour se finir seule, deux doigts d’une main dans la chatte et deux de l’autre sur le clito.
Nouvelle jouissance, nettement moins flamboyante que la première. Les deux femmes se séparent ; j’ouvre la porte de la grosse Mercedes, et roule ma poule. Encore une fois, à aucun moment je n’ai l’impression qu’Isaure exprime la moindre gêne à mon égard alors qu’elle sait pertinemment que je n’ai rien raté de ses ébats avec une inconnue. Je suis transparent, je n’existe pas : il faudra que je me colle ça dans le crâne.
De son côté, mon colonel a tout bonnement disparu… Mais quelque chose me dit que son sac déborde de pellicules qui risquent fort d’avoir un effet bœuf lorsqu’elles seront développées.
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Et donc, quasiment tous les matins à neuf heures quinze, j’embarque monsieur de Mansy accompagné de sa nouvelle cuisinière – puisque l’autre se débat toujours avec des migraines épouvantables – et celle-ci se prénomme Véronique. D’ailleurs, il me semble bien qu’elle ressemble étrangement à une certaine fille qui portait le même prénom et que j’ai beaucoup fréquentée à une certaine époque de mon existence… Mais là encore, il ne peut s’agir que d’une pure coïncidence.
Pour elle, le boulot de cuistot en chef n’est pas tout à fait un rôle de composition, dans la mesure où elle et son mari de l’époque tenaient un petit resto qui marchait du feu de dieu et qui aurait fonctionné longtemps encore si cet espèce d’abruti ne s’était mis à taper dans la caisse. Résultat, il a flingué à la fois son entreprise et son couple ; brillante idée… Pourtant, en plus de tout le reste, quelque chose me dit que lorsqu’il était au paddock, notre homme ne devait pas s’ennuyer.
Mais revenons à nos moutons. La banquette de cuir de l’immense voiture a beau être grande comme la Sibérie, il est hors de question qu’un petit personnel y pose ses fesses… Véronique voyage donc face à lui, assise sur un strapontin. Copie parfaite du personnel de maison avec sa petite jupe noire, ses talons plats et son chemisier sage, notre amie se comporte exactement comme si nous ne nous connaissions ni d’Ève ni d’Adam. Et derrière, la conversation va bon train : le comte de Machin qui vient mardi soir n’apprécie pas les truffes, le président de Truc Inc. sera avec son épouse mercredi midi et ne conçoit le caviar que lorsqu’il est blanc, puisque le Beluga d’Iran n’est décidément plus ce qu’il était…
Le pire, si j’ose dire, c’est qu’il peut être certain que ses quatre volontés culinaires seront suivies à la lettre. Mais pour le moment, la vérité est ailleurs. Enfin, pour être précis, elle ne se trouve pas que dans la discussion, mais aussi dans le triangle de dentelle diaphane que notre homme doit découvrir à chaque changement de direction.
Contrairement à Charlotte qui lui aurait presque ouvertement offert une vue imprenable sur sa touffe rousse et son abricot quasiment lisse, Véronique est plutôt adepte du jeu de la chatte et de la souris en usant et abusant des dentelles qui ne cachent pratiquement rien, des soieries qui donnent toujours l’impression de bâiller aux endroits stratégiques, ou des coupes exagérément échancrées à l’entresol. De plus, elle se débrouille souvent pour que quelques longs poils blonds dépassent de tout cela, comme pour attester qu’il s’agit bien de sa couleur naturelle, ce qui ajoute encore à l’effet recherché.
Et au fil des jours, je remarque que de Mansy a de plus en plus d’absences, de mots qui manquent dans sa conversation, et qu’il a souvent tendance à perdre le fil de ses idées. Pas de doute, le charme opère…
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À l’époque, les téléphones portables appartiennent tout juste à l’univers de Star Trek, mais les beepers existent. Un boîtier gros comme un paquet de clopes que l’on porte à la ceinture et qui beepe – comme c’est original – lorsqu’il est appelé, moyen de faire connaître au destinataire qu’il est désiré.
Et précisément, c’est le cas. L’appel provient de la cuisine, ce qui est assez inhabituel… D’autant qu’une fois sur place, l’oiseau est envolé : c’est une autre fille du personnel qui m’informe que Véronique a quasiment été convoquée à la chapelle. Message reçu cinq sur cinq, mais l’affaire est forcément grave : ces appels peuvent être tracés et, en cas de contrôle, notre plan pourrait bien prendre l’eau. Tout cela, notre blonde en a parfaitement conscience, et je sais qu’elle ne prendrait pas le risque si le jeu n’en valait pas la chandelle.
Vite, un coup de fil au colonel, qui sera là d’ici une poignée de minutes.
Lorsque je me pointe à l’oratoire, la représentation est déjà bien entamée. Notre blonde est à genoux sur le prie-Dieu – quoi de plus logique dans un tel lieu – mais la divinité qu’elle vénère ne mesure pas plus d’une petite quinzaine de centimètres. De plus, de là où je suis, elle me semble bien plus défraîchie que véritablement raide. Qu’à cela ne tienne, Véronique pompe ce chibre mollasson comme s’il s’agissait d’un objet sacré sous le regard ravi du châtelain qui, pourtant, n’en est certainement pas à son coup d’essai.
Tiens, en passant, je remarque combien un chef d’entreprise renommé et milliardaire a nettement moins d’allure lorsqu’il a le pantalon en accordéon sur les chaussures, le calbute à fleurs à moitié baissé et laissant apparaître ses grosses fesses poilues entre les pans de sa limace.
Des pas légers sur le gravier ; je m’empresse d’aller aux nouvelles. C’est mon colonel. Il s’adresse à moi en baissant la voix :
Deux minutes plus tard, notre paparazzi est en place, au premier étage près de l’orgue et, précisément, l’heure est plutôt aux épîtres… Jupe relevée mise à part, notre cuisinière n’a pas changé de position mais le boss est derrière elle et la pilonne comme un furieux. Cette fois, a-t-il réussi à bander sérieusement ? Rien n’est moins sûr, à en juger par la façon dont Véronique en rajoute des tonnes en braillant à s’en faire péter les cordes vocales. J’ai presque l’impression d’assister à une représentation live de Tracy Lords, reine des hardeuses du moment, et dont la spécialité est de commencer à couiner alors que son partenaire n’est même pas encore dans la pièce. Non, sans rire, je doute fort que l’endroit ait l’habitude de ce genre de cantique.
Notre homme étant plutôt du genre mou de la tige et ayant une surcharge pondérale plus que conséquente, j’aurais juré que cet assaut ne s’éterniserait pas. Or, au bout de plusieurs minutes de barattage forcené et malgré des hectolitres de sueur, je l’entends distinctement réclamer quelque chose.
Intérieurement, je me marre… Quoiqu’il puisse en penser, je doute fort que notre pilonneur en chef puisse apprendre quoi que ce soit à Véronique, notamment en ce qui concerne la pénétration anale. Cependant, et sans doute pour donner le change, notre amie fait mine de refuser.
Jamais fait ? Jamais fait, avec lui, sûrement ! Quoiqu’il en soit et après pas mal de palabres, il finit par s’extirper de ce sexe dégoulinant pour s’enfoncer d’un trait dans le petit orifice. La belle fait mine de souffrir le martyre avant de se prêter au jeu.
Encore une fois, heureusement que nous ne sommes pas dans un Pinocchio sans quoi il faudrait ouvrir les portes de l’autre côté de la chapelle pour laisser passer son nez… Mais il me semble avoir lu quelque part qu’il n’y a jamais assez de sang dans le corps de l’homme pour irriguer à la fois son sexe et son cerveau, ce qui explique sans doute pourquoi de Mansy ne se rend pas davantage compte du côté bidon de tous ces cris, et encore moins que sa partenaire prend des positions plutôt farfelues, un peu comme les actrices pornos, comme pour mieux faire remarquer à quel point elle est en train de s’en prendre plein le fion.
Intentionnel ? Mais non, voyons… En tout cas, là-haut et malgré la discrétion de l’appareil photo, je peux vous dire que ça crépite velu. Il y a un refroidissement liquide sur les Leica ?
Une giclée de foutre sur son cul rebondi plus tard, tout le monde a disparu. Véronique s’est juste fendue d’un petit geste de la main avant de s’engouffrer vers la sortie.
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Et tous les soirs, lorsque je rentre, Anastasia m’attend. Elle aussi cuisine bien, détail dont je n’avais pas le souvenir. Elle parle peu, sourit encore moins, mais semble heureuse d’être avec moi. De temps à autre elle se blottit dans mes bras un long moment puis, sans un mot, les larmes fusent.
De ce qui s’est passé pendant ces longues années, elle ne veut pas en parler. J’ai beau lui expliquer que les psys sont formels, qu’il faut extérioriser son malheur pour tenter d’en guérir, elle reste mutique.
Par contre, la nuit, elle se redresse brusquement et hurle comme une damnée, terrorisée par son cauchemar. Et je la retrouve à bout de souffle, les yeux hagards et trempée de sueur, le cœur au bord de l’explosion… Saurai-je un jour ce qui s’est passé dans ce satané couvent ?
Sur un autre plan, cela fait plusieurs fois qu’elle me réclame avec insistance de lui faire l’amour… Mais jusque-là, je m’y suis toujours refusé, peut-être parce que cela ressemble plus à un cri de désespoir qu’à un réel désir.
Par contre, même lorsque le moment est mal choisi, j’ai toujours le temps de la laisser se blottir contre moi. Bien plus que la nourriture et le confort, c’est de chaleur humaine dont elle a sans doute le plus manqué.
Et à propos de nourriture, elle se remplume doucement ; ses formes autrefois si gracieuses réapparaissent lentement tandis que ses cheveux semblent peu à peu revenir à la vie. Par contre, et d’un commun accord avec le colonel, elle n’a aucune idée de ce qui se trame dans son dos. On ne sait jamais : si tout cela doit foirer lamentablement, il serait criminel de lui donner de faux espoirs.
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Tiens, c’est dimanche… Avec son cérémonial obligatoire pour tout le personnel, la messe. Naturellement, tout le monde est là, à commencer par Charles-Hubert qui a sans doute oublié que c’est précisément à l’endroit où il est installé aujourd’hui qu’il a joyeusement tromboné Véronique. Un peu plus loin à sa droite, la belle-sœur prie pour je ne sais quoi, peut-être pour que le ciel lui permette enfin d’apprendre à faire jouir correctement une autre femme.
De l’autre côté de l’allée, mais toujours au premier rang, deux autres femmes ont pris place. Bien que ne les ayant jamais vues, je sais qu’il s’agit de madame Laure-Adélaïde de Mansy et de sa sœur Apolline. Malgré les vingt-cinq ans qui les séparent assurément – faire des gosses à des années de différence doit être un sport de riches, à n’en pas douter – elles sont toutes deux habillées de façon très stricte, tailleur gris, jupe longue, chaussures plates.
Par contre, si la plus ancienne des deux est visiblement folle de la messe – et certainement molle de la fesse, j’en jurerais – l’autre s’emmerde ouvertement dans les grandes largeurs. Un coup d’œil à droite, un autre à gauche, vas-y que je regarde mes ongles, que je me gratte l’oreille…
Comme de bien entendu, la messe est en latin, ce qui me permet au moins de saisir le célèbre « Ite missa est », symbole de libération pour l’ancien enfant de chœur que j’étais. La matrone vient à ma rencontre.
Pas un bonjour, pas un sourire, pas un merci. Manifestement, le ramage de cette vieille peau en vaut bien le plumage… Mais entre nous, trimbaler Apolline, le pape, ou peigner la girafe, qu’est-ce que j’en ai à foutre ?
Jusque là silencieuse, cette dernière attend que nous ayons franchi l’immense portail du château pour s’adresser à moi.
Je m’étonne :
Elle sourit puis se penche vers moi.
« Ah ben… Un peu que je connais ! »
Comme souvent à cette heure, l’endroit est désert. Il n’y a que quelques rares éclats de voix provenant de l’aire de jeu située à l’autre bout de la clairière qui parviennent jusqu’à nous.
J’ouvre la portière, et ma mâchoire manque – encore une fois – de se décrocher. Apolline s’est tout simplement troussée, et le spectacle qu’elle me donne à contempler vaut le déplacement : de longues jambes fuselées gainées – cela devient une habitude – de bas gris attachés très haut à des jarretelles noires et, je vous le donne Émile, une ravissante petite chatte lisse comme celle d’un bébé. Sympa… D’autant que cela signifie qu’à la messe, ce sublime petit minou prenait déjà l’air, et que je ne suis pas certain que la grande sœur soit tout à fait au courant de ce petit détail.
Ça, c’est de l’invite, de la vraie… Seulement, je fais partie de ceux qui se posent des questions lorsque la mariée est décidément trop belle. Je risque :
Elle a un soupir agacé.
Euh… d’accord, c’est bien triste, mais je ne vois pas bien le rapport avec le coup de bite qu’elle me réclame.
Je repense à la pensée d’Audiard qui disait « Écoute, j’ai été enfant de chœur, militant socialiste et bistrot. C’est dire si j’en ai entendu dire, des conneries… ». Or, depuis le début de cette histoire et à défaut d’imbécillités au sens propre, je collectionne quand même pas mal d’énormités, mais celle-ci surpasse toutes les autres.
Dès lors, que faire ? Apolline a vingt ans, est ravissante et veut ma queue. Quant à moi, c’est la première fois que je vois une chatte totalement lisse ailleurs qu’au cinéma, et il se trouve qu’elle m’attire comme un aimant. Je me lance :
Elle ouvre des yeux ronds. Il est vrai que dans ce genre de situation, beaucoup d’hommes auraient déjà sorti leur queue.
Elle éclate de rire.
Bon, ce n’est pas tout de promettre, mais quelquefois il faut tenir. Alors, profitant de la position de ma partenaire, je plonge directement vers ce délicieux sourire vertical ; sa jolie chatte ruisselle déjà…
J’ai à peine commencé mon travail de sape que, déjà, le festival commence. Elle accueille chacun de mes coups de langue – qu’ils soient sur son petit bouton ou à l’orée de son sexe – avec une foule de petits cris qui manifestent son contentement. En trois minutes à peine, l’affaire est réglée : elle part dans une longue jouissance qui lui laisse le souffle coupé. Elle se redresse, puis regarde sa montre.
Message reçu ; inutile de tergir ni de verser : elle a parfaitement raison. Je dégaine l’arbalète, et c’est alors que l’impensable se produit : elle m’attrape littéralement par la queue avant de me projeter sur la banquette arrière. Là, et toujours à la vitesse de l’éclair, elle s’empale sur moi et commence aussitôt une cavalcade infernale où, en plus d’aller et venir sur moi, elle parvient à serrer son sexe avec une telle force que j’en vois des étoiles.
Logiquement, même si le temps presse, j’essaierais tout de même de résister autant que faire se peut pour que ma partenaire ait le temps de prendre son plaisir, mais cela m’est impossible… Il ne lui faut que quelques instants pour m’essorer jusqu’à la dernière goutte ; j’en ai le rouge au front. Elle sourit.
Par contre, et à ma grande surprise, le colonel n’est apparemment pas dans le coin. Après tout, cette petite partie vite fait bien fait était peut-être réellement impromptue.
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Bien entendu, lorsque je dépose Apolline avec force courbettes, celle-ci a pris soin de se repoudrer le nez, et personne ne peut avoir la moindre idée de ce qui vient de se produire. Par contre, tapie dans l’ombre, je remarque que Véronique est en train d’agiter les bras avec la discrétion d’un sémaphore.
Long couloir, grande salle, re-couloir ; me voilà sur les lieux. Salle de bal, vous dites ? Pourtant, d’après les cris qui parviennent jusqu’à mes oreilles, je dirais plutôt salle de baise.
Sur l’un des immenses canapés de velours rouge, à une bonne trentaine de mètres de moi, deux types déjà aperçus au haras sont en train de pistonner une femme dont je ne vois pas le visage, mais qui, à en juger par le raffut qu’elle fait, est en train de se prendre un panard sévère. Par contre, on ne peut pas en dire autant des deux mecs qui – et cela se lit sur leur visage – semblent s’emmerder dans les grandes largeurs.
Pourtant le pilonnage continue, avec d’ailleurs une amplitude assez impressionnante. Est-ce la fréquentation des chevaux qui leur vaut d’être équipés comme leurs petits protégés ? J’en doute, mais dans le genre manche de pioche, ils se posent là.
Ce détail n’a certainement pas échappé au colonel qui, une fois de plus, a su trouver l’endroit idéal pour mitrailler le trio en long, en large et en travers. Par contre, et malgré tous mes efforts, je ne parviens pas à identifier la ramonée… Tout ce que je peux en dire, c’est qu’entre son ventre flasque qui pendouille presque autant que ses seins ou ses fesses molles qui s’agitent au rythme des coups de reins des gaillards, la dame ne doit pas être de première jeunesse.
Ah ; là-bas, changement de position. Finie la pipe interminable et les coups de reins tout aussi interminables : il doit fortement être question d’une queue dans la chatte et une autre dans le fion… La mise en place du trio est naturellement assez acrobatique et dure d’autant plus que la principale intéressée est visiblement souple comme un verre à lampe, ce qui me permet d’entrevoir enfin son visage. Pour la seconde fois en moins de deux heures, j’ai la mâchoire qui se décroche, mais pas tout à fait pour les mêmes raisons qu’avec Apolline.
La bonne femme, là, qui est en train de se faire tringler en stéréo, c’est cette chère Laure-Adélaïde… Ah, elle a bonne mine, la donneuse de leçons qui se préoccupe tellement de l’avenir d’Apolline ! Elle ferait mieux de s’occuper de son cul, bien que, précisément, il soit en ce moment très occupé… Et pendant ce temps, là-haut, les pellicules se succèdent.
Tiens, la fête est finie ! Enfin, non, pas tout à fait, puisque les deux bonshommes sont en train de s’astiquer leurs invraisemblables manches avec l’intention évidente de gicler sur le visage de mémère qui n’attend visiblement que ça. Le premier à exploser est celui de gauche ; une quantité industrielle de foutre atteint sa cible au niveau de l’œil droit tandis que la décharge de l’autre atterrit presque totalement dans la bouche de sa victime plus que consentante qui, sans doute pour faire bonne mesure, s’empresse d’engloutir la cargaison.
Deux secondes plus tard, la matrone a disparu, et les deux gars, à peine rhabillés, passent devant moi sans me remarquer.
Éclats de rire ; ils sont partis dans l’autre couloir.
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Ce qu’il y a de bien avec mon colonel, c’est que rien n’est jamais vraiment grave. Quand bien même il y aurait le feu à la maison, il garderait son calme.
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L’étude de maître Duchemin est située dans une vieille maison bourgeoise, et son parc, presque intégralement boisé, est immense. C’est d’ailleurs sur la fourche d’un grand chêne avec vue directe sur le bureau du tabellion que mon colonel, matériel en bandoulière, a pris place tandis que je planque dans un bosquet à proximité immédiate de sa fenêtre.
Si la position d’observation de de Mansy est parfaite, ma vue à moi ne me permet d’observer qu’une bonne moitié du bureau ; mais grâce aux talkies-walkies gracieusement mis à notre disposition par l’armée française, je reste en contact avec le colonel. J’entends sa voix grésiller dans mon écouteur.
À quelques mètres de moi, Caroline vient d’entrer. Superbe ? Le mot est faible ! Je comprends soudain pourquoi de Mansy tient tellement à ce que je sois prêt à intervenir. Maquillée, coiffée de main de maître, encore plus blonde que blonde et vêtue d’une robe blanche qui la moule comme une seconde peau, elle est officiellement à la recherche d’un appartement.
Planqué derrière mon arbuste, j’assiste alors à un petit numéro qui vaut son pesant de cacahuètes : la robe de Caroline est si ajustée qu’il est évident qu’il lui est impossible de porter quelque chose dessous, sans quoi cela transparaîtrait au travers de l’étoffe. Mais à côté de ça, cette même étoffe est si serrée qu’il est à tout jamais impossible à Duchemin d’apercevoir quoi que ce soit, même si sa cliente est en train de nous improviser un petit Basic Instinct avant l’heure.
J’ai beau savoir que tout ce baratin est parfaitement bidon, je me retrouve aussitôt avec une violente érection. Le notaire, lui, ne sait carrément plus où il habite.
Comme si tout cela ne suffisait pas, elle vient d’adopter une voix qui ferait bander un eunuque.
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Bien évidemment, l’appartement de l’avenue Foch appartient à un ami du colonel de Mansy qui lui a prêté ses clés. Bref, à deux heures moins quart, nous sommes déjà en position, lui dans le placard face à la cuisine tandis que je planque dans le dressing.
Le bruit caractéristique d’une serrure ; la représentation va commencer…
Exit la robe blanche : Caroline porte cette fois un ensemble tailleur-jupe qui, comme de bien entendu, ne lui arrive qu’à mi-cuisses et qu’elle porte visiblement avec des bas tops dont les jarretières apparaissent à chacun de ses pas. À titre personnel, j’ai toujours trouvé ça un peu vulgaire, mais il faut reconnaître que cela fait son petit effet, surtout associé à ce décolleté absolument vertigineux…
Le baratin concernant la vente ne dure pas cinq minutes, juste le temps pour Caroline d’attraper le notaire par la cravate – rien à voir avec une branlette espagnole – et de coller sa bouche contre la sienne.
La suite est assez logique, finalement. Une main qui traîne à la hauteur de la braguette pour en extirper un membre plutôt mollasson. Une veste de tailleur qui s’ouvre, un homme qui plonge sa tête entre les seins offerts…
Et puis une jupe qui se retrousse, dévoilant une paire de bas noirs et un délicieux petit minou blond, un mec qui pousse sa partenaire contre l’évier de la cuisine où ils se trouvent… Une fille qui se met en position, un genou sur le plan de travail, pour permettre à l’homme de présenter sa queue juste devant sa chatte et ainsi la prendre par derrière… jusqu’à ce qu’un grand type déboule avec un appareil photo et immortalise la scène avant que le couple n’ait eu le temps de passer à l’acte.
Le visage de maître Duchemin, de son côté, va finir par devenir transparent s’il continue de blêmir comme ça.
Je souris.
Il s’insurge :
Maître Duchemin est hargneux, à l’occasion. Il est temps de le remettre à sa place.
Et vlan, encore quelques grades de blanc. Ce n’est pas transparent qu’il va finir, c’est invisible.
Là-dessus, nous tournons tous trois les talons, laissant maître Duchemin seul, la bouche ouverte et le pantalon toujours sur les chaussettes.
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Le gros 4x4 entre dans la cour et, accompagné de Caroline, de Mansy en descend. Son sourire irradie le bonheur.
Pour illustrer ses dires, il me tend un paquet de photos afin que j’y jette rapidement un œil. L’une d’elle m’interpelle.
L’on y voit, assez classiquement, deux personnes en train de se livrer au simulacre de la reproduction au beau milieu du parc du château. Indiscutablement, et en dépit des kilos en trop, de Mansy senior et Isaure, la belle-sœur, sont sacrément photogéniques.
Il sourit.
Je crois connaître la réponse, mais celle-ci me surprend.
Charmante attention à laquelle j’ai d’ailleurs un peu honte de ne pas avoir pensé.
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En fait, tout commence dans les années trente. Celui qui n’est pas encore le père de Charles-Hubert et de Louis de Mansy épouse la fille d’un autre châtelain. Ils vivent heureux jusqu’à ce qu’une pneumonie contractée lors d’un voyage en montagne terrasse la mère des deux enfants.
Inconsolable, monsieur de Mansy père restera veuf pendant plus de vingt ans, jusqu’à ce qu’il tombe amoureux d’une jeune femme rencontrée lors d’un séjour au ski, qu’il épousera dans la foulée. C’est elle qui deviendra la mère d’Anastasia.
Seulement, la première épouse de monsieur de Mansy était de la vieille école et voulait absolument que les coutumes ancestrales chères à la noblesse de l’Ancien Régime soient respectées, à savoir que le premier garçon, Charles-Hubert, aurait le domaine, le second, Louis, entrerait dans l’armée…
Par bonheur, entre la naissance de Louis et celle d’Anastasia, vingt-cinq ans s’étaient écoulés et de l’eau avait coulé sous les ponts… Et, de toute façon, le père de Mansy n’avait jamais vraiment apprécié cette fameuse coutume héritée du Moyen-Âge.
Anastasia aurait donc dû choisir son destin comme n’importe quelle jeune fille ordinaire, point.
Dont les circonstances restent à tout jamais sujettes à caution : jamais de Mansy senior, vieux briscard de l’aviation, pilote émérite aux milliers d’heures de vol et ancien membre de l’Escadrille des Cigognes n’aurait commis l’erreur de s’envoler avec un zinc dont le réservoir n’était pas plein.
Il serre les poings.
Je prends ça comme un coup de poing dans la gueule. Ces deux ordures, sans doute bien aidées par cette conne d’Isaure, ont sacrifié dix années de la vie d’Anastasia – et encore, si elle ne s’était pas échappée, elle y serait toujours – simplement par ambition politique ? Et, de plus, pour soutenir un programme complètement aberrant n’ayant pas la moindre chance de triompher un jour aux élections ? Je m’étrangle.
Il hausse tristement les épaules.
Visiblement, il est en train de faire des efforts titanesques pour ne pas laisser échapper une larme. Orgueil d’officier, sans doute.
Cette fois, c’est officiel, il pleure. Anastasia, sitôt accompagnée de Caroline, le prend dans ses bras. J’essaie de détendre l’atmosphère.
Trois voitures ; en fait, deux Mini Cooper de couleurs différentes que je connais bien, et un petit cabriolet Triumph au volant duquel je reconnais Apolline. Cette dernière est tout sourire.
Touchés mais pas coulés, les de Mansy. Le colonel m’avait prévenu… Mais peu importe, il lève son verre.
Puis, après un silence :
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Ce fut un beau mariage… Pas beaucoup d’invités, mais un beau mariage quand même. Caroline était ravissante dans sa robe blanche ; mon colonel n’était pas mal non plus, même s’il arborait un costume civil. Par contre, la noce n’a sans doute pas saisi pourquoi, au lieu de sortir l’une des merveilles que nous restaurons tous les jours, c’est dans une antique 505 aux couleurs de l’armée que j’ai transporté les jeunes mariés jusqu’à la mairie, puis jusqu’à la salle des fêtes. Par contre, personne ne s’est demandé pourquoi ils ne tenaient pas tellement à se rendre à l’église…
Et, en prime, nous avons assisté en direct à un coup de foudre : celui de mon pote Daniel, dit Godasse de Plomb, pour la belle Apolline. À mon avis, ces deux-là vont faire un bout de chemin ensemble.
Le jour se lève ; la voiture et sa cohorte de casseroles et des gamelles diverses s’éloignent dans le lointain. Anastasia m’attrape par le bras.
C’est la première fois qu’elle évoque cette partie de sa vie.
C’est bien un fantasme, ça, parce que si je comptais le nombre de fois où elle est sortie le cul à l’air dans n’importe quelle circonstance, je n’aurais pas fini.
Elle sourit.
Un autre sourire malicieux.