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n° 17581Fiche technique60013 caractères60013
Temps de lecture estimé : 35 mn
30/09/16
Résumé:  Complexes, transgression, snobisme et pingrerie conduisent à tout, même à faire un bébé. Les voies du Seigneur sont impénétrables ; j'essaie néanmoins de comprendre.
Critères:  fh fplusag couleurs extracon nympho complexe jalousie fmast fellation cunnilingu fsodo -bourge
Auteur : Evelyne63            Envoi mini-message
Harpagon, la fleur et le novice


Nota Bene : Ce récit est une fiction inspirée des confidences d’une retraitée. Elle a enseigné en Mauritanie au cours de l’année scolaire 1979-80. L’intrigue du récit reprend ces mêmes paramètres de temps et de lieu. L’écriture à la première personne, mode confession, est un artifice narratif pour mieux m’identifier et mieux sentir mon personnage. Merci de me lire.


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1



Les arcanes du Ministère de l’Éducation nationale n’ont plus de secrets pour nous. Obtenir une affectation à l’étranger n’est déjà pas facile ; en obtenir deux pour la même destination relève carrément de l’exploit. Aussi Marc et moi-même n’avons-nous pas fait la fine bouche quand on nous a proposé la Mauritanie, quand bien même ce pays n’aurait pas bonne réputation.



Ce n’est pas tout à fait vrai : il y a aussi l’océan et des plages immenses et désertes, mais c’est un fait que la destination ne suscite pas un enthousiasme délirant. Nous y trouvons la communauté des enseignants coopérants recroquevillée sur elle-même. Beaucoup de collègues nous avouent n’avoir que le but de garnir le bas de laine au plus vite, avant le retour en métropole. La lecture de Molière les a salement contaminés ; les plus atteints vivent comme des rats et économisent sou à sou. Si j’avais écouté Marc, j’aurais joué de pareille manière. Il nous voit camper et bouffer des rutabagas l’année durant. Très peu pour moi ! Harpagon, c’est lui.



Si je proteste, ce n’est pas que je remette en cause notre dessein, on est d’accord là-dessus. Du reste, j’adore notre propriété en Provence, mais trop c’est trop. Qui plus est, la répartition des tâches n’est pas pour adoucir mon humeur. Marc n’en fout pas une rame à la maison, et bien qu’il fasse moins d’heures à la fac que moi au lycée, je me tape seule le linge, la vaisselle, la cuisine et le ménage. Il joue au nobliau, et met les pieds sous la table.



Il fait celui qui n’entend pas et file s’enfermer dans son bureau, soi-disant pour travailler. « Machiste ! » que je me pense en moi-même. Je ne l’exprime pas encore haut et fort, mais je prends peu à peu conscience du fossé entre nous : une révolution nous sépare. J’avais 20 ans en mai 68, Marc 32. Il n’y était pas ; il se planquait quelque part en province tandis qu’à Paris je prenais ma part de la bagarre.


Malgré tout, l’hérédité est pesante, une révolution n’y suffit pas ; il faut plusieurs générations pour la corriger. Lorsque je me mets en ménage avec Marc dans le courant de l’année 1972, quatre ans après le printemps légendaire, j’oublie mes bonnes résolutions et m’empresse de jouer la fée du logis. Cela me semble aller de soi, mirage de l’ordre établi plus que de l’amour. J’étais encore aveugle ; maintenant je vois clair. Le changement de continent m’a ouvert les yeux.


Et encore n’avons-nous pas d’enfants. Depuis sept ans que nous sommes ensemble, notre union est sans fruits. On ne désespère pas : j’ai encore une petite dizaine d’années pour concevoir si tant est que je sois féconde. C’est là que le bât blesse. On doute ; et si je ne pouvais pas en avoir ? Horreur ! Ne parlons pas des sujets qui fâchent.


Quoi qu’il en soit, le mien (sujet) est ailleurs pour le moment : aurait-on des enfants que Marc n’en serait pas moins macho et ne m’aiderait pas plus, j’en suis sûre. Non pas qu’il soit mauvais, mais la tradition est tellement enkystée dans ses gènes qu’il ne voit pas que les temps ont changé. Une chance qu’on n’ait pas un fils ; il aurait été foutu de lui transmettre le virus. Certes, je l’aurais pris quand même, virusé ou pas…


Betty m’aide à voir clair et à démêler le fatras du filet dans lequel les hommes nous ont piégées, et ceci depuis notre plus jeune âge.



Betty est une collègue. Elle est ma meilleure amie ; je n’en ai pas d’autres ici. Elle est persuadée que nous appartenons à un genre plus intelligent, et essaie de m’en convaincre. Des fois, je crois qu’elle a raison, surtout quand je vois la bêtise des hommes. En un sens, c’est Betty qui déclenche ma rébellion.



Elle-même en emploie un. Par obligation, il faut dire. Elle est seule avec un garçonnet d’une dizaine d’années qu’elle a eu très jeune, justement à la suite des débordements de mai 68. Nous nous remémorons ensemble ces temps héroïques, et tout ce qu’on faisait. C’était la fête, sans tabous, sans limites… Mille pardons, j’ai une fâcheuse tendance à faire des digressions. Pour en revenir au sujet, Betty me conseille : son expérience est probante, elle ne tarit pas d’éloges sur son boy.



Suleyman est jeune, vingt-cinq ans tout au plus, six ou sept de moins que nous, Betty et moi-même avons le même âge. Le jeune homme qu’il me présente, un nommé Timagoo, n’est guère plus âgé que lui ; un peu plus costaud sans doute, plus éduqué aussi. Il raisonne, prétend lire, cite Émile Zola, George Sand, André Breton, Charles Bukowski, André Hardellet, Graham Masterton. J’en reste baba…


Il n’y a qu’une femme dans le lot, et deux anglophones, sulfureux qui plus est… Malgré tout, il me plaît ; tope là ! Nous faisons affaire. Je sais que Marc va faire la gueule. Il n’aime pas que je le mette devant le fait accompli. De toute façon, il n’aurait pas été d’accord. Il est borné, accroché à son mas en Provence.


La paye d’un boy ne pèse rien au regard de ce qu’on gagne, mais mon époux renâcle malgré tout. Son opposition est plus déterminée que je n’avais escompté.



Nous échangeons des mots fleuris. Nos joyeusetés et ma décision ne vont pas sans affecter l’atmosphère au sein du couple. J’avais cru que Marc finirait par s’y faire ; je déchante. Le lendemain, le climat empire, et le jour suivant cela ne s’arrange pas… Nous ne faisons pas chambre à part, mais c’est l’hôtel du cul tourné. Séparation de fait : le mur, miradors et barbelés, je connais ! La guerre froide s’installe. Il boude et s’enferme dans son bureau…


Pendant ce temps, je m’éclate. Je vais au ciné, au théâtre, danser même… Au diable le grincheux ! Au diable l’avarice ! Je profite à plein de la liberté que me donne l’avantage d’avoir un domestique.


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2



Dans la foulée, je m’offre un amant. Quelle mouche m’a piquée ? Je ne sais pas, c’est venu comme ça ; j’allais écrire « naturellement ». Comme si l’adultère était un passage convenu. Je n’ai rien prémédité ; ça m’est tombé dessus, mais je n’en ai pas moins été tout de suite mordue. Vraiment mordue, amoureuse je veux dire. Nous sommes tous les deux profs dans le même lycée. Il frise la cinquantaine, presque vingt ans de plus que moi, mais ça lui va bien. Il est cultivé, racé ; un seigneur. Sportif, dynamique, et entreprenant aussi. J’ai cédé. Sans beaucoup résister, je l’avoue. Il émane de lui un parfum d’exotisme enivrant. Il est le premier Noir avec lequel je flirte. Nous avons très vite fait plus que flirter. Faire l’amour avec lui est une fête, je ne m’en lasse pas. Et par-dessus le marché, je peux discuter, rire, chahuter, échapper à ce putain de mas en Provence dont je n’ai plus rien à foutre. Betty m’encourage :



Marc ne se doute de rien. Il n’a rien remarqué, il est aveugle. Il a même invité Moctar à sa sauterie. Je l’ai spontanément inclus dans ma liste quand mon époux m’a demandé.


Marc organise une réception, quelque chose de simple et pas trop coûteux, bien sûr, vous le connaissez ! N’empêche qu’il est bien content d’avoir de la domesticité. C’est pour célébrer la publication de son premier livre. Son éditeur, en métropole, lui en a fait parvenir quelques exemplaires par courrier avion. Nous avons réuni une vingtaine de participants, essentiellement des relations de Marc, collègues de la fac, plus Betty, Moctar et le proviseur du lycée où j’enseigne. Ces trois derniers étant à peu près les seules personnes avec lesquelles je me sente de réelles affinités. Les autres planent dans les hautes sphères, et s’ils condescendent à m’adresser la parole, je sais que je le dois au statut acquis par mariage.


J’ai ajouté le proviseur du lycée sur ma liste d’amis ; il ne l’est pas encore tout à fait, mais c’est en voie. Betty l’a déjà reçu deux ou trois fois chez elle. C’est un bon coup, qu’elle m’a dit. J’ai présumé que la suite ne ferait pas mentir l’augure. Ne vous trompez pas : je ne guigne rien pour moi, mais s’il est l’ami de Betty, il est mon ami.


On ne rigole pas trop chez nous. On ne peut pas dire que Marc soit ce qu’on appelle un boute-en-train. De toute façon, ce genre de soirée à ambition littéraire déclarée n’est pas de celles où on s’éclate jusqu’à l’aube. Moctar bâille, pas trop discrètement ; je lui flanque un coup de coude dans les côtes, histoire de lui rappeler les bonnes manières, mode plaisanterie, bien sûr, mais je n’en montre rien et ris sous cape.



Son incompréhension n’est pas faite pour enrayer mon hilarité. Je l’entraîne à l’extérieur. Nous contournons le bâtiment et atterrissons dans l’arrière-cour, un endroit d’où on ne peut pas nous entendre ni nous voir. Je me laisse aller et m’exclame et m’esclaffe à ma guise. Mon compagnon a déjà pigé ; nous glosons et pouffons ensemble. La communion dans le rire scelle notre pacte ; elle précède la galoche, qui dure et s’éternise… Moctar en remontrerait à beaucoup question souffle. Je tiens le chronomètre, allégoriquement s’entend, bien sûr, moins pour mesurer la performance que la durée de notre absence. « Nous avons bien une minute… » que je me pense ; c’est compter sans mon amant. Celui-là est inconscient, il a tôt fait de me déborder. Il veut plus.



Un sein échappe du bustier. La robe est retroussée. Ma culotte gît sur une cheville. J’ai libéré l’autre de l’entrave afin de m’ouvrir en vue d’accueillir mon amant. Lui-même a défait sa ceinture et laissé choir son futal. Le slip suit le même chemin.


Il bande déjà. Son membre est fièrement dressé, prêt pour la célébration, notre célébration à nous. Le voir aussi arrogant, symbole d’un désir indéniable, me régale et me flatte. Mon amant m’enlace ; ses lèvres effleurent mon sein, ses mains empaument mes fesses. Juste quelques préliminaires affectueux, nous n’avons pas le temps pour une approche plus sophistiquée. Il vérifie cependant avant de célébrer : son doigt glisse dans ma fente, s’attarde sur le clito, le déloge, joue… Il musarde…


Décidément, il n’a pas compris que nous sommes pressés… D’autorité, je m’empare de son membre et le positionne comme il se doit. J’invite ensuite mon partenaire à faire fissa. Il obtempère. La pénétration est quelque peu cruelle ; j’ai failli laisser échapper un cri. Un cri de jouissance, je vous rassure ; je ne déteste pas être un peu rudoyée.


J’ai écrit plus haut que l’endroit est discret, que nous sommes inaudibles et invisibles. C’est vrai pour ce qui concerne Marc et les invités. J’ai oublié les gens de la cuisine ; ils sont deux : Suleyman est venu prêter main-forte à Timagoo. Je pense que c’est Suleyman que j’entraperçois. La porte est entrebâillée. Elle ouvre à quelques mètres d’où nous sommes. La pénombre m’empêche de voir les traits du visage ; je ne peux que présumer l’identité du fâcheux qui nous observe. J’envisage un instant de prévenir mon amant, puis je me ravise et adresse à l’importun des signes énergiques pour lui enjoindre de décamper. Le battant se referme. Moctar n’a pas été sans voir mon manège.



Tiens donc ! Mon compagnon raille et ricane, apparemment déçu d’avoir perdu un public. Ce faisant, il a pris ses distances. La tension sexuelle est un peu tombée ; j’imagine que cela signifie la fin de notre récréation. Je m’apprête à renfiler ma culotte. Il me la confisque.



Je pense surtout à mon mari ; des autres, je me contrefous. Quant à Betty, elle sait déjà à quoi s’en tenir, et le proviseur probablement aussi. Nous reprenons. Cette fois, il veut voir ma lune et me place en position de levrette. J’ai tout de suite la crainte qu’il ne veuille me sodomiser, non pas que la pratique me soit étrangère, mais le temps nous est compté, une obsession chez moi.



Il se recule, manifestement irrité. Tous mes signaux clignotent au rouge. Je le sens blessé, et comprends que j’ai été trop loin… Il me chagrine de le voir contrarié. Je me sens fautive et me fais chatte, quémande son pardon, prête à faire pénitence.



« Plus conne que moi, tu meurs ! Je me suis piégée moi-même. Il n’a rien à perdre et tout à gagner. Suis vraiment une conne de chez conne… » Je pressens que les motivations de mon amant tiennent plus de la vindicte que du désir, mais je ne peux plus reculer. Je me repens à genoux, et j’y mets tout mon cœur. Il m’importe que ma prière soit entendue : « Vite, siouplaît, mon Dieu ! ». J’ai dégagé le gland et fait en sorte qu’il soit bien lisse. Il n’a que le goût de mes humeurs, pas encore celui des siennes, ou ce n’est pas sensible. La hampe est chaude et nerveuse dans ma paume. Je la branle lentement et agace en même temps le méat à petits coups de langue, histoire de redonner de la vigueur.


Moctar respire bruyamment. Son corps est cambré, il brandit son attirail en avant-garde. Je ne vois pas son visage : sa tête est légèrement renversée vers l’arrière, comme s’il priait le ciel ou contemplait les étoiles. J’imagine qu’il cherche la Grande Ourse ou le firmament vers lequel je vais le propulser. Je m’applique pour cela.


Ma concentration n’est cependant pas si exclusive que des pensées parasites ne naviguent pas sur mon orbite. Je calcule comment réduire au silence les indiscrets qui nous ont vus. J’imagine qu’il m’en coûtera quelques billets. Je sais que mon calcul n’est pas très romantique, mais le résultat n’en produit pas moins plus d’amour. Ma décision m’a rassérénée, et du coup je suis plus disponible et plus désireuse que jamais de bien faire ma besogne. Je m’y emploie, et si bien que j’entrevois le bout du parcours.



Le salaud ! Il en a fini des incantations lancées vers le ciel étoilé : il s’active désormais et me baise la bouche. Il enserre mes tempes dans l’étau de ses paluches ; ma tête est immobilisée tandis qu’il pistonne à petits coups de reins jusque dans ma gorge, et je ne peux pas me défiler.


Mon exclamation est forcément muette – et pour cause – mais pas moins affectueuse. Le jeu est récurrent entre nous, même si pour le cas je n’ai pas la meilleure part. J’ai perdu ! Il m’a prise de vitesse ; j’étais sur le point de lui faire faux-bond. Dès lors qu’il m’a coincée, plus moyen de me dérober : je me prête de bonne grâce à l’exercice et vais m’enivrer de sa liqueur, bien que je n’aie pas un goût prononcé pour le jus des hommes.


Puisque je suis condamnée à avaler son sperme, je le fais scrupuleusement, soucieuse de tout recevoir en bouche sans en disperser une goutte. Je recracherai plus tard ce que je n’aurai pas ingurgité. Ce n’est pas une sinécure, mais il me déplairait de tacher ma robe.


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3



Bien plus tard, nos invités nous ont laissés…


Je regarde Timagoo et Suleyman en train de remettre en ordre pendant que mon époux se gargarise sur son talent :



Je l’écoute distraitement. C’est moins pour moi que pour lui qu’il récapitule les grands moments de sa soirée. Je devine que dans un instant il va s’enfermer dans son bureau et noter tout ça, scrupuleusement, mot pour mot, les compliments plus ou moins flagorneurs comme les commentaires. Toute sa vie est ainsi mise en fiches, c’est une habitude.


Lorsqu’il disparaît, je m’approche des deux Noirs et propose mon marché. Suleyman me donne la réplique :



Ils ne veulent rien, ni argent, ni quoi que ce soit. J’aurais pourtant été plus tranquille si j’avais pu payer leur silence. Tant de probité me prend au dépourvu ; je ne sais pas si je dois admirer ou m’inquiéter…



Rappel opportun : j’avais oublié. Je me sens concernée car c’est moi qui ai négocié avec mon époux ; j’envisage donc de l’alerter. La démarche me coûte, néanmoins ; nos relations ne sont pas si bonnes. J’y vais mollo, entrouvre la porte du bureau et pointe le bout du nez avec circonspection.



La réponse a fusé, automatique. Je m’attendais à un accueil abrupt ; je ne suis pas surprise. Il se ravise :



Il s’est radouci. C’est sa manière, je le connais. Il regrette son exclamation trop rugueuse et fait amende honorable. Cela transparaît aussi dans l’expression de son visage. Je me fends d’une explication, qu’il connaît du reste.



Il sait que mon tacot est chez le mécano. S’il m’avait acheté un véhicule en état, on n’en serait pas là, et je n’aurais pas à faire ce cirque. Combien de fois n’ai-je pas pesté contre sa radinerie ? Il est vrai que son tacot n’est pas en meilleur état. Sur ce point, nous sommes à égalité : Harpagon est phallocrate, mais pas moins démocrate pour autant.


Pour dire vrai, l’arrangement fait mon affaire. Je n’imaginais pas sans crainte mon époux confronté à mes mateurs. N’auraient-ils pas cafté ? Je ne leur fais qu’à moitié confiance, quand bien même ils ont promis. Je gagne ainsi du délai. Et alors, me direz-vous ? Le scoop refroidit et perd en acuité ; c’est autant de gagné s’ils sont bavards. Incidemment, je gagne autre chose : Marc m’est redevable ; je saurai le lui rappeler à l’occasion.


Dans la voiture, personne ne moufte si ce n’est pour me donner la direction à prendre, mais le silence est rempli de sous-entendus. Je les devine en train d’échanger des regards de connivence. Don de divination, je pressens ce qui les préoccupe. Suleyman finit par vendre la mèche. Sa question est directe, indiscrète, incongrue :



Ma colère gronde. Les Noirs ! Je rumine la généralisation abusive bien qu’elle ne soit pas mon seul sujet d’agacement. J’intériorise et ne réponds pas ; il n’insiste pas.


Plus tard, Suleyman n’est plus avec nous. Timagoo s’enhardit ; il est plus phraseur, plus teigneux :



On sent qu’il est plus littéraire, mais je ne suis pas d’humeur à m’extasier. Que ce soit le sujet ou bien son insistance, les deux m’agacent sans que je démêle ce qui m’irrite le plus, du propos ou de l’obstination. Mais à tout prendre, je m’en fous. Ma colère gronde à nouveau, mais cette fois je la laisse éclater :



Mince alors ! Comment on en est arrivé là ? Timagoo a perdu son assurance. Sa voix s’est faite suppliante. Il en est pitoyable. Ma colère tombe, désamorcée… Je ne sais plus sur quel pied danser.



Je réalise qu’en arrière-plan des convenances personnelles, il existe une forme de discrimination sous-jacente. Il m’est inconcevable de baiser avec Timagoo, non pas parce qu’il n’est pas baisable – ce serait plutôt le contraire – mais parce qu’il est domestique. J’entrevois des barrières, des interdits, des non-dits dont la transgression est taboue.



En plein dans le mille ! Je suis décontenancée. Dans son trouble, Timagoo en oublie de dissimuler le chapiteau qu’il cachait jusqu’alors. L’apparition intempestive de l’érection m’insupporte. J’ai conscience que je suis injuste ; chez un autre j’aurais peut-être été flattée, ou au pire indifférente, mais en aucun cas exaspérée.



Manquait plus que ça ! Dire que je ne suis pas troublée serait mentir, mais c’est tellement inattendu… Mes pensées sont confuses, je ne songe pas à riposter. Cela ne me vient pas à l’esprit. Quoi dire, de toute façon ? Je suis bien incapable de formuler une réplique sensée quand bien même je le voudrais. Timagoo lui-même ne semble pas attendre de réponse ; il s’est enfermé dans son mutisme. Nous restons tous deux silencieux jusqu’à destination. Ce n’est pas long.



Le ton est redevenu normal. C’est une affirmation, pas une question : nul besoin de répondre autrement que par un « non » poli. Je me gare ; j’attends le pied sur l’embrayage, vitesse enclenchée, c’est dire mon impatience. Il insiste malgré tout :



Ma réponse est volontairement tempérée ; je ne veux pas le blesser, mais j’ai hâte de me tirer de ce guêpier. L’air confiné de l’habitacle est chargé d’effluves empoisonnés, le désir de Timagoo participe de la pollution. Même hésitante, sa convoitise n’est pas douteuse : il reluque en douce, mais il n’en reste pas moins qu’il reluque, je le vois. Mes cuisses sont offertes, nues. Ma robe est certes courte, mais c’est surtout que le tissu a beaucoup remonté sous l’effet des sollicitations inhérentes à la conduite.


Le risque ravive ma mémoire ; il me souvient que je n’ai pas de culotte : Moctar l’a gardée. Ma vulnérabilité ajoute à mon malaise. Mon trouble est indéniable, je ne le nie pas, mais en dépit de – ou pour – cela, je n’ai qu’une idée : tracer ma route.


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4



Suis-je une snob ? Une snobinarde ? Depuis hier soir, je me pose la question, une question subversive, s’il en est. Je la pose aussi à Betty :



Elle se récrie, bien sûr, mais je sais qu’elle n’a pas tous les éléments ; je ne lui ai pas tout dit.


Quelle serait sa réponse si je lui demandais : « Betty, coucherais-tu avec Souleymane ? » Je la vois très bien me répondre avec effroi : « Tu dérailles… Un boy ! » sans voir qu’elle aussi cabotine. La réponse présumée interpelle plus encore que la question que je n’ai pas posée. Autant ne pas la poser.


Le réglage de ma radio-conscience est calé sur la fréquence introspection. Le programme ne me captive pas vraiment, mais c’est plus fort que moi et je ne sais pas me débrancher. La question revient, se fait lancinante. Le lendemain et le surlendemain encore. Mon esprit se cale tout seul sur la fréquence autocritique. C’est automatique ! La verdeur du début a perdu son mordant, et ma lucidité éclaire le sujet de sa lumière. Elle me conduit à voir les choses et les gens avec plus d’humilité. Mon élitisme est primaire : il découle de pseudo-supériorités sans fondement. Je me souviens de mes cours de philo :


Tout homme qui se prétend ontologiquement supérieur à un autre est forcément inférieur.


La citation parle d’elle-même. Dois-je m’exonérer parce que je suis une femme ? Pardonnez mon humour à deux balles, je n’ai pas su résister…


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5



Qui donc a écrit : « Un élitisme injuste est une pathologie » ? J’entends guérir, et m’y emploie. Mes relations avec Timagoo y gagnent en profondeur et en sincérité. Je lui reconnais désormais le statut d’homme à part entière. Si tant est que je sois en capacité de reconnaître quoi que ce soit. Ne suis-je pas prétentieuse ? Il est long, le chemin vers la sagesse.


Sage ? Le serai-je jamais ? La sagesse n’est pas pour nous, les femmes : nous sommes le péché incarné depuis qu’Ève a croqué la pomme. Le ver était dans le fruit, le ver est dans ma tête. Si mon boy est bien un homme, je vois aussi qu’il est un mâle. Et plutôt mieux foutu que la moyenne, qui plus est.


Timagoo ne m’a plus reparlé de notre conversation, pas plus que de mon infidélité ou de mon amant. J’imagine quand même qu’il y pense. Certains indices me donnent à le croire : il m’arrive de deviner des bandaisons mal dissimulées, dont je m’attribue le mérite. Il y a certains comportements, certaines attitudes qui ne me trompent pas. S’il me tourne ostensiblement le dos, par exemple, je présume qu’un chapiteau orne l’avant de son short. Je ne m’en formalise plus, mais au contraire en suis plutôt flattée et amusée. Il m’arrive de manœuvrer pour vérifier le bien-fondé de mes suppositions. Je sais d’avance à quoi m’attendre, mais mon contentement est encore plus grand quand j’ai confirmation.


Vous voyez, Docteur, j’ai fait des progrès : je suis beaucoup moins snob. Et beaucoup moins conne aussi par la même occasion. Je m’explique : j’assume désormais mes origines modestes, ce que je ne faisais pas auparavant. J’avoue sans façon que ma mère est cantinière dans un collège ; autrefois, je prétendais qu’elle travaillait dans un lycée, en donnant à croire qu’elle était prof. Ma prise de conscience et ma requalification prolétarienne sont le fruit de ma thérapie introspective ; une retombée fortuite, mais pas moins bienvenue. Qu’est-ce que je pouvais être conne ! Pardon, maman !


Pendant que je poursuis mon auto-analyse et panse mes plaies existentielles, ma relation avec Moctar s’est un peu assagie. Je ne suis plus une amoureuse inconditionnelle. L’homme est volage, je m’en suis rendu compte. Nous n’en continuons pas moins à nous voir, parce que je suis accroc et que je ne me résous pas à le perdre. Chaque fois que ma raison menace de l’emporter, je me remémore toutes ces fois qu’il m’a fait voir les étoiles. Il est un amant inégalable, comparé à mon époux, voire d’autres avant mon époux. Quoique pour ces autres, mes souvenirs soient fortement teintés de subjectivité ; c’est tellement loin : plus de sept ans.


Marc a fini par se faire à la présence de Timagoo parmi nous. Mes rapports avec mon époux sont désormais apaisés. On fait parfois l’amour, pas souvent, et toujours à son initiative. Je ne me refuse pas mais n’en tire pas de plaisir, pas même celui de lui en donner, car je vois que lui non plus n’en a pas. Pourquoi continue-t-on ? La force de l’habitude, j’imagine. Et ce serait admettre la fin de notre couple ; nous n’y sommes pas prêts.


La première fois que je baise avec Timagoo, je sors justement d’une sieste « crapuleuse » avec Marc. J’ai écrit « crapuleuse », mais notre affaire avait plus à voir avec la tendresse et l’hygiène qu’avec le plaisir et la passion. Quoi qu’il en soit, nous avons baisé. Le verbe « baiser » convient mieux que « faire l’amour » : il suggère beaucoup plus d’efforts, de sueur et d’humeurs. La douche s’impose, évidemment…


Mon époux prend la sienne en premier ; il est pressé, il a à faire. Pas moi, j’ai le temps. Je prends la mienne ensuite, lorsque Marc est parti. Timagoo m’apprendra plus tard qu’il attendait ce moment. Il apparaît alors que je suis sous la douche. Il a grand ouvert la porte, se tient sous le chambranle et m’observe. Ma surprise n’est pas aussi grande qu’on pourrait croire ; je pense que quelque part mon subconscient a intériorisé ce moment. Je ne dis rien. Nous attendons chacun sur nos positions respectives. Je me savonne et le surveille du coin de l’œil ; lui m’examine, mais il manque d’assurance, je le devine. Je le sens hésitant. En mon for intérieur, je m’en amuse. Comment va-t-il sauter le pas ? Dans mon esprit, la suite va de soi : nous allons faire l’amour, j’y suis prête.


Tout faux ! Timagoo s’éclipse piteusement ; je suis décontenancée, et frustrée. Je me morigène et imagine ce que j’aurais dû faire ou dire, un geste, un mot, au lieu d’attendre qu’il prenne l’initiative. Je m’en veux, et rumine ce qui n’a pas été. Je coupe le jet, ferme le robinet, me sèche, et ce faisant je remâche et médite. Mon plan germe pendant que j’enturbanne mes cheveux. Il est simple, et rapide à mettre en œuvre.


J’aurais pu enfiler mon peignoir, mais il est informe et pas très sexy. Il me faut de l’affriolant pour ce que je projette. À la limite, la feuille de vigne d’Ève ferait mon affaire. À défaut, j’enroule une serviette autour de mon corps. Je n’ai pas choisi n’importe laquelle ; j’en déniche une, reléguée sous la pile, qu’on n’utilise pas d’ordinaire parce qu’elle est plus petite. Je l’y savais, c’est elle que je guignais, mais chemin faisant, je ne suis pas loin de regretter mon choix. J’ai beau faire, l’attache menace ; il me faut consolider deux fois en cours de route, c’est d’un pénible… Et en un sens, ce petit rectangle de tissu qui me couvre à peine les fesses et s’entrouvre sur ma hanche est plus indiscret encore que la feuille de vigne à laquelle je faisais référence. « Faut vraiment que ça me tienne… » que je songe en moi-même.


Et je suis encore de cet avis tandis que j’écris ces lignes. J’ai filé sans même chercher mes mules, planquées je ne sais où. Mon esprit se focalise sur l’objectif. Je précipite les enchaînements, pressée que je suis d’amorcer mon projet de manière irrémédiable de peur que ma détermination ne flanche. Timagoo ne m’a pas entendue venir. Il est en train de s’affairer à je ne sais quoi, sur son plan de travail.



Il se retourne à demi surpris, se fige un instant, puis achève son mouvement et me fait face. Il ne dit rien et ne tente pas de dissimuler l’immense chapiteau qui orne le devant de son short. Il me regarde, l’air provocant, vaguement interrogateur, plein d’espérance. Son attitude est pareillement expressive : je décrypte l’attente teintée d’arrogance et chargée d’espoirs. Les mots me font défaut, je ne trouve pas les bons pour lui dire que j’ai envie de faire l’amour.


Mon cerveau travaille en mode multitâche ; c’est étrange, les pensées qu’on peut avoir en arrière-plan dans des moments pareils. J’élabore mentalement mon discours, cherche le bon terme. J’écarte le verbe « baiser », trop vulgaire ; « faire l’amour » porte plus de tendresse. Qu’ai-je à foutre des nuances sémantiques ? Mais si : au contraire, je m’en soucie ; je ne guigne pas un plan cul après tout, mais une fraternisation, genre « Tous unis, main dans la main ; faisons l’amour, pas la guerre… » Mes divagations mentales foisonnent mais ne produisent pas la moindre petite phrase exploitable.


En désespoir de cause, j’opte pour une langue universelle : je laisse choir ma serviette. Pas difficile, elle tient à peine. Il ne me reste plus que le turban, façon moukère. Timagoo roule des yeux ronds, mais il a tôt fait de comprendre. Le chapiteau pointe plus dru.


Il scanne mon anatomie : mon sexe épilé, mes hanches larges, mes seins petits mais ronds… Il mate mais ne bouge pas… Moi si ! Deux pas de plus, je suis dans l’angle mort, tout près de lui, à toucher la pointe du chapiteau, juste sous son menton ; il me domine d’une tête. Mon turban le gêne, je le défais. Ma tignasse dévale. Je secoue la tête pour démêler, puis l’arrange sommairement de la main et dégage mon visage. Nos regards se croisent. Un message passe, muet. Nous savons tous deux où nous en sommes. L’échéance est imminente, l’attente n’en est que plus délicieuse.


Le destin est en marche. J’aurais pu me dispenser d’accélérer les choses, mais je ne suis plus qu’un robot programmé pour l’action. Je ne réfléchis plus, j’agis. Mon dessein me bouffe la tête : il est de le baiser ou de me faire baiser ; peu m’importe, les deux me conviennent. La chaleur de l’aventure me rend liquide, j’ai toutes les audaces. J’engage une main et caresse la protubérance avant de remonter plus haut, jusqu’à l’attache du short. Le renfort de mon autre main est nécessaire. La suite est de son ressort.


Il est nu, je le suis aussi. J’ai pris du champ. L’homme est bien bâti. Je le savais ; mais nu, il est plus impressionnant encore : les muscles sont déliés, sans graisse inutile. Il porte la majesté de ses vingt-six printemps. Son membre est au garde-à-vous, fier, arrogant, prêt à tirer. J’ai toujours été impressionnée par l’équipement masculin, surtout quand il est de belle facture. Ce phallus me fait tout autant d’effet que celui de Moctar. Je m’en saisis et le branle doucement. Il me faut chauffer l’homme, le désinhiber, car je vois bien qu’il est encore timide. Probable que ma couleur de peau lui en impose. J’imagine qu’il ressent en contrepoint le sentiment que j’éprouvais moi-même.


Quoi qu’il en soit, il surmonte ses effarouchements, m’attire, et m’enlace. Nos corps s’épousent, nos lèvres se joignent. Il est assez gauche, mais sa maladresse est attendrissante. Sa langue est hésitante, ses mains indécises. Je l’encourage et bouscule mon tempérament passif ; je me fais volontaire, gloutonne, et plus chatte encore que je ne suis. Ses caresses se font plus audacieuses, mais ne sont pas moins brouillonnes. Les apnées sont plus profondes, mais le baiser reste néanmoins malhabile et pas mal baveux. Avec un autre, une telle inexpérience me déplairait ; bizarrement, elle m’émeut de la part de Timagoo. Après une plongée, on remonte à la surface. Je suggère la suite tout en reprenant souffle :



J’en franchis le seuil dans des bras vigoureux, telle une jeune épousée. Il a lu quelque part que la chose se faisait, me dit-il. Si sa culture livresque n’est pas contestable, je doute en revanche qu’il ait beaucoup pratiqué ; il n’est certes pas puceau, mais bien aussi novice qu’un très jeune marié. Du moins connaît-il le B-A-BA ; il a dû répéter, on sent la maîtrise, et une discipline toute militaire, genre « Prenez la position, et à mon commandement, tirez ! » C’est du rapide, net et sans bavures. L’exercice est bref. Je pourrais être frustrée mais, par chance, il a plus d’une balle ; le chargeur y passe, en mode automatique. Jamais vu un mec recharger aussi vite ! C’est du solide, aucun doute, mais ceci mis à part, il n’a pas deux sous de malice.


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6



Qu’à cela ne tienne ! Ne suis-je pas dans l’enseignement ? Je reprends le B-A-BA et lui apprends la suite de C à Z ; me faut des semaines. Vous avez compris que ma relation avec Timagoo s’installe dans la durée. Je lui demande cependant de rester discret, et je me garde d’en parler à Betty.


Au début je jongle entre mes deux amants. Mon programme est chargé, puis vient un temps où il l’est moins. Moctar voit d’autres femmes ; il prend de plus en plus de distance, nos rapports s’espacent. Nous ne rompons pas malgré tout, parce que je m’accroche. Je tiens à lui plus qu’il ne tient à moi. C’est ma croix. Timagoo est un pis-aller, pas un substitut.


Quant à Marc, l’évolution lui est plutôt bénéfique. Nous sommes paradoxalement plus proches, et avons d’ailleurs plus de rapports, sexuels notamment ; il m’arrive d’en prendre l’initiative. J’imagine que je contrebalance par ce moyen la culpabilité que je ressens envers lui. Une culpabilité bizarre, au demeurant, que je ne ressens pas quand je couche avec Moctar, seulement avec Timagoo. L’ambivalence interpelle, évidemment ; j’imagine que j’ai encore un gros travail psychanalytique à réaliser.


Le fait que je ne dise rien de ma nouvelle liaison à Betty plaide aussi pour cette thèse. Malgré mon cirque thérapeutique, je reste une snob. J’ai honte de coucher avec mon boy ; on ne couche pas avec un boy. Que ferais-je si Betty venait à l’apprendre ? Je nierais avec la plus grande véhémence comme si ma vie en dépendait, c’est sûr et certain.


Ce qui ne m’empêche pas de continuer à me taper Timagoo. Le pli est pris. Mon ventre réclame. Si je me sens une envie coquine et que le contexte est propice, je débarque dans la cuisine en tenue légère. Pas besoin de lui faire un dessin, il comprend tout de suite. Nous consommons sur place ou bien nous rejoignons la chambre, c’est égal. La cuisine et la chambre ne sont pas les seuls endroits témoins de mes amours illicites : j’adore les lieux insolites, et un peu de risque n’est pas pour me déplaire. Cela peut-être à la plage si je lui demande de m’y accompagner, ou bien sur un parking à l’occasion. Plus la situation est improbable, et plus intense et durable est mon ivresse.


Si le danger est trop grand cependant, on renonce, ou bien j’ose seulement une fellation. Timagoo adore les fellations. Il m’est facile de lui plaire, n’importe quand, n’importe où. Figurez-vous qu’avant moi, personne ne lui avait jamais taillé de pipes ! La première que je lui administre, il m’explose dans la bouche. J’ai rien vu venir, ça n’arrête pas de gicler. Il est heureux comme un pape.



Il connaissait en théorie mais n’était jamais parvenu à convaincre une nana de lui donner ce plaisir. Pour le cunni, c’est le topo inverse. Quand je lui suggère que je pourrais aimer, je comprends qu’il ne pige pas, et je me prépare pour un exercice de pédagogie primaire. J’explique qu’il s’agit d’une pratique sexuelle buccale qui consiste à stimuler les différentes parties des organes génitaux féminins à l’aide de la langue et des lèvres.



Ben voyons ! Il est comme ça, et m’en dira tant et plus sur l’origine du mot : un Wikipédia avant l’heure. Ceci dit, il n’a jamais pratiqué ; il me faut m’y reprendre je ne sais combien de fois avant de le convaincre que ça peut être goûteux. Même ensuite, il manifeste des réticences inexplicables dès lors qu’il lui faut plonger le nez dans la bouillasse ; mais une fois qu’il est parti, on ne peut plus l’arrêter : il dévore tout et lèche jusqu’à la dernière goutte. Tout à fait le genre de convive qu’une maîtresse de maison accomplie adore avoir à sa table, ou sous la table.


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7



En dehors de sa naïveté, mon jeune amant a un autre défaut nettement plus sérieux : il est jaloux. Je le soupçonnais plus ou moins, mais je le découvre grandeur nature le jour où je rentre plus tard que d’habitude parce que Moctar m’a retenue. Marc est dans son bureau, Timagoo à la cuisine. Il m’attend, la mine sombre. Je m’étonne :



Son service est terminé depuis longtemps, il ne devrait plus être en poste. Il m’explique qu’il s’inquiétait pour moi. Je le remercie et débite des balivernes à toutes fins utiles ; je n’ai pas à me justifier, mais j’ai le sentiment qu’il me faut l’apaiser. Il avale mon boniment et retrouve le sourire.



J’imagine que ma robe l’inspire. Elle est printanière, vaporeuse, et gaie. La jupe forme une corolle de couleur pastel parsemée d’éclats plus vifs rouge pivoine. La joie de mon amant nous emporte. Il m’entraîne dans une sorte de danse, ni rock, ni valse, où l’on tournoie au son d’une musique que l’on n’entend pas. Elle n’est que dans sa tête et un peu dans la mienne aussi par télépathie. Je ne me souviens pas l’avoir jamais vu si démonstratif ; il est manifestement heureux et enchaîne les passes. Je vire, au diapason avec lui, heureuse aussi. Il me lâche, deux pas encore, je tourne à nouveau, et tourne encore, emportée sur ma lancée… Ma robe est légère, elle décolle et dévoile ce qui n’aurait pas dû l’être. Je suis nue, je n’ai pas renfilé ma culotte après m’être douchée chez Moctar.


Le big-bang ! Pas celui du début : un autre, 13, 8 milliards d’années plus tard. Fini l’expansion ! Le temps se contracte, s’arrête. Quel silence ! Il annonce l’orage. Le phénomène fait un raffut du diable, je crains qu’il n’alerte mon époux. Je manœuvre pour l’éloigner. Nous sortons. À l’extérieur, ça ne s’arrange pas ; il vocifère et tripote. À l’aide de sa paluche, il malaxe, massacre et écrabouille mes fesses nues aussi bien que mon minou tout aussi nu.



Le sens du mot est à comprendre dans le contexte. Je traduis : « Pourquoi m’as-tu trompé ? » Je l’ai effectivement trompé : j’ai eu des rapports peu de temps auparavant. La douche n’a pas tout effacé. Le jaloux continue d’investiguer. Deux doigts sont particulièrement actifs. Ils pénètrent sans ménagement. L’objectif de l’investigation est d’ordre policier. Tout me dénonce : les examens visuels et tactiles aussi bien que le contrôle olfactif. Les indices concordent : je suis coupable. Confondue, je finis par le reconnaître.



Je ne suis pas sincère ; mais en pareil cas, qui va m’en faire reproche ? Lui, bien sûr ! Il ne me croit pas, braille, trifouille et tripatouille, renouvelle les examens, prolonge l’enquête. Pourquoi ? C’est du masochisme, que je tente de lui expliquer.


La perquisition est plus soignée ; il découvre que mes sphincters sont exagérément souples et que mon conduit anal régurgite encore des traces d’une substance aussi douteuse que celle qu’il a déjà cataloguée. Pour le coup, l’énergumène explose. Il ne se retient plus, gesticule et beugle à se faire entendre à des lieues à la ronde. Des lumières s’allument, le quartier s’illumine, des ombres apparaissent derrière les rideaux. Mon compte est bon ! Je me vois déjà en train de griller dans les geôles de l’enfer.



Nous sommes près de mon véhicule. J’ordonne et supplie tour à tour ; j’imagine que j’ai l’air d’une folle, mon agitation l’impressionne. Toujours est-il qu’il prend place sur le siège du passager avant. Mon but est de l’éloigner, loin, le plus loin possible de chez moi… De toute façon, je dois le raccompagner chez lui car le couvre-feu est toujours en vigueur. Je respire lorsque le lion est enfin en cage, puis je me dépêche d’aller prendre place derrière mon volant. L’apaisement vient avec l’éloignement. Le soulagement perfuse du bien-être ; je prends conscience, après coup, de la panique qui a failli m’emporter. De son côté, mon passager ne lâche pas le morceau.



Je jurerais n’importe quoi. Parjure et insincère, est-ce que ça compte dans ces conditions ? Je vois encore Moctar de temps en temps ; il est un amant incomparable, même s’il n’a pas la vigueur de Timagoo. Je le reverrai encore une fois, deux fois, trois fois ; peut-être plus, peut-être moins, je ne sais pas. Peut-être pas du tout parce que je devine notre liaison moribonde. De toute façon, cela ne dépend pas de moi, mais de lui. Je suis demandeuse, et je le verrai autant et aussi longtemps qu’il le voudra. Si je devais et pouvais choisir entre Moctar et Timagoo, le dernier ne serait pas gagnant.



J’hésite, interloquée.



Ma réponse est brève, franche, claire : elle est censée respirer la sincérité à défaut de l’être. C’est d’abord un artifice de plaidoirie, un effet de manche ; pas une invite, surtout pas ce soir : je suis vannée. Imbécile que je suis ! Il veut y goûter lui aussi, sinon sur-le-champ, du moins à destination.


Si je connais son adresse, je ne suis jamais allée chez lui. Son appart est au sixième, presque sous les toits. L’ascenseur est en panne. On se tape les escaliers. Il n’y a pas foule, mais assez de monde pour me préoccuper. Je détonne, dans le quartier ; on me reluque, on se retourne. J’appréhende à chaque marche qu’un œil fureteur déniche ma chatte en goguette… Je fais gaffe. Je serais un peu moins vulnérable et plus tranquille si ma robe était plus discrète.


La première pièce est proprette, coquette même. Beaucoup de livres. J’apprendrai plus tard qu’il en a hérité de son père, un professeur. Je n’en vois pas plus, la traversée est brève. Le mobilier de la pièce suivante est spartiate ; c’est une chambre : un grand lit, une caisse servant de chevet, et un portant sur lequel pendent quelques affaires. Une porte est à demi entrouverte ; j’imagine qu’elle donne sur une salle de bain, mais je n’ai pas le temps d’aller voir, monsieur s’impatiente.



J’obéis. Depuis le temps, nous connaissons nos rôles : quand il est le chef, je ne suis plus patronne, et inversement. Ce jour-là toutefois, il est particulièrement despotique. La robe, les escarpins… Je suis nue ; lui aussi. « Il est rapide, le bougre ! » que je me pense. Je n’ai pourtant pas été longue. Il bande. Il bande tout le temps, c’est son état normal ; le contraire m’aurait étonnée. On ne perd pas de temps : il me positionne à quatre pattes sur le lit puis m’enfile sur-le-champ, sans aucune préparation. La colère raidit singulièrement sa queue ; il se venge.


Il a choisi de s’introduire dans ma chatte. L’humidité y est suffisante pour que la pénétration ne soit pas douloureuse. Celle-ci ne va quand même pas sans un certain éblouissement. Il me faut un instant pour récupérer avant de me mettre au diapason et d’accompagner le mouvement. Il me baise avec hargne, bestialement, sa fureur le déborde. Ce n’est pas pour me déplaire ; j’ai un côté maso, j’aime être rudoyée.


J’en suis venue à croire qu’il a abandonné son projet de m’enculer. Mais non, on y vient, je le pressens. Je me hasarde à lui parler, pour le conseiller, le guider ; peine perdue ! Il pointe, puis attaque méchamment, à l’image de son humeur. Éblouissement, flamboiement, je ne sais plus où j’en suis. Ça flamboie dans mon cul plus que dans ma tête. Des étincelles cuisantes ; par bonheur, la voie a été antérieurement préparée, sinon il m’aurait déchirée. On dit que plaisir et douleur font cause commune, mais il me faut quand même un moment avant de conclure le traité d’alliance, puis le désir prend le pas, le feu m’embrase, et la douleur passe au second plan, disparaît, noyée dans mon transport. Je me branle en même temps qu’il me baise le cul. Mon plaisir précède le sien. S’en est-il seulement rendu compte ? Je ne pense pas. Dans ce moment-là, il est comme beaucoup d’hommes, tellement égoïste, tellement concentré que rien ne compte pour lui en dehors du besoin vital qu’il a de vider ses couilles.



Il soupire d’aise en même temps qu’il se retire et prend de la distance. Je devine le sperme s’écoulant de mon anus béant. La sensation est physique, pas vraiment agréable, pas désagréable non plus à vrai dire. Je m’en fous, en fait. La fatigue me tombe d’un coup sur le râble ; ce n’est pas qu’une image : j’en sens le poids sur mes reins. Je m’affale sur le lit, j’ai besoin de souffler une minute avant de passer à la suite.



Le ton est aimable ; la chevauchée sauvage a dissipé sa fureur.


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8



À la suite de cette soirée, ma relation avec Timagoo ne sera plus pareille. Dès lors que je le sais jaloux, mode furieux, je m’en défie et fais en sorte de ne pas réveiller la bête. Nous baisons toujours autant, le matin, le soir et parfois dans la journée, mais une part de moi garde la veille.


Quand je prévois de voir Moctar, mon amant en titre, connu de tout un chacun sauf de mon mari, je ruse et use de stratagèmes afin de ne plus m’exposer vis-à-vis de mon jeune amant trop ombrageux. Les manigances ne sont pas anodines ; elles me pèsent et contribuent à ruiner les sentiments que je porte à Timagoo. J’ai un temps envisagé de m’en séparer et le renvoyer, mais je suis faible. Les semaines passent et je ne fais rien.


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9



Lorsque j’acquiers la certitude d’être enceinte, nous sommes à un mois des examens, à peine plus des vacances. Les collègues n’ont plus qu’une idée en tête : la transhumance, le retour en métropole. Soyons justes : nous aussi.


Je ne sais pas si je suis heureuse. Je le suis au fond de moi, mais mon bonheur ne va pas sans taches. Porter la vie m’angoisse, et pas seulement parce que l’épreuve est nouvelle ; je dois préparer l’avenir. J’ai l’intuition – la conviction, même – que Timagoo est le géniteur. De mes trois hommes, il est le plus pauvre, sans moyens, sans projets. Quoique Moctar ne vaille guère mieux, lesté qu’il est avec les pensions à rallonges pour sa nombreuse progéniture, fruits de ses trois mariages soldés par trois divorces. Que faire ? Pas question d’avorter, jamais, quel que soit le prix à payer.


À aucun moment, je n’envisage d’informer Timagoo. À quoi bon ? Outre que mes certitudes ne sont pas absolues, je ne sais pas trop comment il réagirait, et par-dessus tout je n’ai rien à lui proposer. Marc est le seul que je considère sérieusement comme père potentiel. Le voudra-t-il ? D’un enfant métis, qui plus est ? À défaut, je me débrouillerai seule, Betty m’a montré la voie.


Je ne sais pourquoi, mais je suis persuadée que mon bébé est une fille. Elle est de tous mes rêves, je la berce dans mes bras ; mon rêve est en couleurs, Marc en est parfois. Marc, Marc, Marc…


Je ne lui ai toujours pas parlé. Les examens de fin d’études approchent, il faut que je me décide. Je suis au-delà de la peur, préparée au pire. Il n’empêche que des appréhensions subsistent, diffuses, désagréables, handicapantes. Le petit être qui grandit dans mon ventre me donne la force.



On ne peut pas dire qu’il se roule par terre. Son manque d’enthousiasme me douche. Je me lance malgré tout, un peu plus hargneuse pour venger mon dépit.



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10



Mes adieux à Timagoo sont difficiles. Il se doute de quelque chose ; nous n’avons pas eu de rapports au cours du dernier mois pour cause d’indispositions, pluriel de rigueur. Vraies ou fausses, il me faut les réitérer ou renouveler plus d’une fois avant les adieux.


Quant à Moctar, il m’a oubliée depuis longtemps, dans les bras d’une autre, ou d’autres, pluriel probable ici aussi.


Je ne reviendrai pas en Mauritanie, c’est définitif. Nous sommes d’accord, Marc et moi : après les vacances, j’irai vivre chez ma sœur en Auvergne jusqu’à l’accouchement, qui devrait intervenir à l’horizon des fêtes de fin d’année. Ensuite, nous aviserons. Nous avons des projets, et des idées.


Dans tous les cas de figure, ma fille est assurée d’avoir un papa. C’est idiot, mais je fonds quand Marc caresse tendrement mon ventre et y pose son oreille, à l’écoute de sa fille. J’aime ce mec. Il est rapiat, macho, nombriliste, rabat-joie, nul au pieu et tout ce qu’on voudra, mais je l’aime.



----- FIN -----