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n° 17657Fiche technique7414 caractères7414
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Temps de lecture estimé : 5 mn
18/11/16
corrigé 06/06/21
Résumé:  Seule face à l'horreur...
Critères:  #nonérotique #sciencefiction #fantastique
Auteur : Fisher      Envoi mini-message
Les boyaux de la terre

La lampe de mon fusil traversa le voile compact de ténèbres qui noyaient les sinistres tunnels, dont la surface de basalte était gravée de subtils motifs élancés évoquant avec délicatesse des constellations légères de toiles d’araignées.


Derrière moi je percevais détonations et fusillades, étouffées par la distance et l’angoisse sourde qui me tordait les tripes. Je me sentais – et j’étais assurément – prise au piège, perdue dans les méandres labyrinthiques de ces couloirs titanesques aux proportions, aux angles et aux pentes impropres au genre humain.


Car ceux-là qui avaient conçu cet ensemble architectural infernal étaient de toute évidence affublés d’une logique et d’un rapport à la gravité différents du nôtre. Il n’y avait ni plafond, ni mur, ni sol clairement définis, si bien que n’importe quel endroit pouvait être pourvu d’une ouverture donnant sur un trou d’obscurité semblable à celui dans lequel je me trouvais actuellement. Ce que je comprenais d’ailleurs comme étant des meubles étaient fixés par je ne sais quelle science contre nature sur les parois, injuriant par-là même la raison rationnelle.


Le souffle lourd de terreur, tremblante, j’arrivai jusque-là où les limitations inhérentes à ma condition physique pouvaient m’amener. Le sol décrivait en effet un plongeon aussi brut qu’improbable, offrant à mon regard incrédule un abîme sans fin duquel montait un courant d’air aussi faible que glacial.

Je fixai, immobile et tétanisée, ce trou béant pendant plusieurs minutes, maudissant intérieurement la colonie qui s’était installée sur cette planète avant de disparaître, et le gouvernement terrien qui nous avait envoyées ici.



Ej-Aieb Keim um Yj-Aihyb Kalib




Je m’injuriais aussi d’avoir, pour éviter une peine de prison trop longue, cru bon de m’engager dans une légion pénale, peu sollicitée en temps de paix. Eh voilà que, quelques mois à peine après le début de mon service, je me retrouvai dans un sinistre croiseur pénitencier pour enquêter avec d’autres détenues puant la peur sur l’étrange disparition d’une colonie dans la bordure extérieure.


La colonie en question se limitait en réalité à une dizaine de blocs d’habitation pré-construits sur une surface plane et bétonnée ainsi qu’une usine faite à partir des modules d’atterrissage comme il était de coutume lorsqu’un groupe d’humains s’établissait sur une planète habitable.


Quant aux résidents des lieux, nous ne les trouvâmes nulle part dans les édifices nouveaux et immaculés ; par ailleurs, nous fûmes surpris de constater que les dispositifs électriques en tous genres étaient souvent encore actifs et que nul endroit ne montrait de signes d’agitation particulière avant la supposée disparition des habitants.


Néanmoins, et à notre grand malheur, l’état-major nous envoya moi et mon groupe dans ce qui semblait être une mine creusée dans la montagne non loin de l’usine rudimentaire.

Après seulement quelques minutes d’exploration souterraine nous tombâmes sur ce qui nous sembla être un grand mur de ténèbres qui stoppait net notre progression.


Ce mur noir était percé par une entaille, une cicatrise fissurée par les pauvres mineurs dont nous retrouvâmes d’ailleurs les cadavres déchiquetés plus tard dans notre exploration. Ce passage de fortune donnait alors sur un de ces maudits tunnels aux dimensions cyclopéennes dans lequel nous nous engouffrâmes telles des condamnées que nous étions vers l’horreur, les dégoûts et la mort.



Ej-Aieb Keim um Yj-Aihyb Kalib




D’abord, d’abord il y eut l’angoisse sourde qui nous envahit toutes autant que nous étions. Une angoisse si froide et pesante que chaque ombre que projetaient les meubles étrangers sur les murs aux subtils motifs nous paraissait comme autant de visages grimaçant et se riant de notre funeste infortune. Des visages de goules, de guivres faméliques et de chimères impies.


Puis il y eut l’odeur. Une odeur écœurante portée par un vent souterrain soudain et glacial. Une odeur, maintenant je le sais, de chair décomposée et d’organes pourrissant dans les boyaux inhumains de la cité sans nom qui fut notre tombeau.


Enfin il y eut Eux. Eux, tapis dans l’obscurité. Eux, immenses et parcourant le silence. Eux, partout et nulle part à la fois. Eux, dont la voix, dans un coin de mon crâne, chante dans leur langue absurde une ode terrifiante et sublime à notre mort. Eux que nulle lumière n’aurait jamais dû éclairer.


J’ai fui, comme je fuyais la police dans les rues étroites de New Abidjan sur Indiana Prime. J’ai fui avec dans la tête le chant infâme et enivrant des choses étranges qui peuplent le souterrain du malheur. Pleurant, riant et trébuchant dans la boue grasse d’organes, de muscles et de sang de ceux qui sont morts dans les couloirs.



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Et me voilà, là, seule, devant ce gouffre, tétanisée à l’idée de retourner sur mes pas, ou plutôt à l’idée de finir comme ont fini les colons et sûrement mes camarades. Je ne veux pas mourir, pas maintenant, pas comme ça, pas seule dans le sous-sol d’un monde qui n’est pas le mien. Je veux vivre, retourner dans mon miteux petit appartement que j’ai toujours haï, visiter la Terre, ses cités englouties et les monuments des premiers peuples. Je veux connaître enfin l’amour, et pas seulement les simulacres de tendresse qu’on vit dans les mégalopoles surpeuplées. Je veux, je veux…


Un bruit sur le côté m’arrache à mes songes. Le chant ignominieux résonne de nouveau dans mon cerveau apeuré, et je comprends que l’un d’eux est là, tout près. Une ombre massive et effilée émerge d’une des parois de la gueule béante qui me fait face. Je sens la peur comme un poignard de givre dans l’estomac tandis que je braque maladroitement la chose qui tranche les ombres.


« Mon Dieu, si tu existes, qu’as-tu créé sur ce monde ? » Est-ce un obscur démon qui, dans sa funeste folie, conçut l’ignominie satanique qui fond vers moi ? C’est un spectaculaire blasphème, plus haut encore que deux hommes, dont le physique évoque l’union contre nature d’une puce et d’un arachnoïde à la carapace écarlate et rugueuse. Chacune de ses pattes chitineuses m’évoque autant de lances que de sabres courbes et menaçants découpés par d’agiles et d’inquiétantes articulations.


Peut-être est-ce ma terreur, la rapidité infâme de la bête ou une magie extérieure à nos lois humaines, mais nul projectile de mon fusil ne semble pouvoir l’atteindre, comme si elle déviait de la trajectoire naturelle qu’ordonne la physique à l’approche de cette étrangeté cosmique. L’horreur insectoïde fait soudain un bond que sa masse et sa corpulence ne devraient pas permettre.



Ej-Aieb Keim um Yj-Aihyb Kalib




Je suis étendue sur le sol, je ne sens plus mon bras gauche ; entre lui et mon épaule, un des membres de la chose plonge dans ma chair tel un épieu. Elle a saisi mon arme avec une des deux mains qui finissent sa quatrième paire de pattes, des mains tellement semblables aux nôtres, mais plus longues, plus délicates, plus raffinées, pourvues d’un pouce de chaque côté de la paume.


Elle tourne son visage vers moi, une sorte de visage assurément arthropode masqué et protégé par des plaques de carapace et finies par deux paires de mandibules. Un visage ne laissant voir que ses six petits yeux, des yeux noirs et magnifiques, des yeux qui brillent d’une intelligence aussi profonde qu’inhumaine.

Elle ouvre la bouche. Ses dents… Mon Dieu, ses dents…



Ej-Aieb Keim um Yj-Aihyb Kalib


um Ij-Aiebal Kayril Hajaram


Aieb-umral Yrim


ek-im Xent em Zekel