Une Histoire sur http://revebebe.free.fr/
n° 17658Fiche technique69823 caractères69823
Temps de lecture estimé : 38 mn
18/11/16
corrigé 06/06/21
Résumé:  Flora a tout et plus pour être heureuse mais sait se torturer avec acharnement.
Critères:  fh complexe fête amour
Auteur : Laure Topigne            Envoi mini-message
Flora, une femme complexée ou comment conjurer le bonheur



Avertissement :

Ce texte s’attache surtout à décrire des sentiments. J’en déconseille de ce fait la lecture à ceux qui cherchent des aventures trépidantes ou une histoire conduite tambour battant.




-ooOoo-




Flora, cette charmante jeune femme de vingt-huit ans, est-elle née complexée ou l’est-elle devenue dès sa plus tendre enfance ? Selon cette seconde hypothèse, la plus vraisemblable, qui donc l’y poussa ? Fût-ce son père, un brave homme, bourreau de travail qui s’éreinta à la tâche et décéda prématurément d’épuisement ou sa mère, une protestante rigoriste qui discernait en tout la griffe de Belzébuth ? Pour elle, laideur et malignité gouvernaient la société et, sans jamais humilier sa fille, elle l’avait dépréciée en chaque occasion. Tout effort demeurait insuffisant et en aucun cas ne suscitait compliments, toute réussite se devait d’être surpassée. De l’excellence de ses bulletins, la mégère ne retenait que la note un peu faiblarde en sport et se bornait à l’encourager à faire mieux.


Élève, collégienne, lycéenne puis étudiante brillante, Flora s’était toujours étonnée de ses résultats qu’elle n’hésitait pas à attribuer à la chance. Aujourd’hui, professionnellement, tous l’apprécient pour son intelligence, sa rigueur et son égalité d’humeur. Volant ainsi de promotion en promotion, elle les estime indues et parfois injustes, acquises aux dépens de collègues, nettement plus méritants. Tout échec procède de ses incapacités tandis que les caprices du sort expliquent ses succès.


Elle se tient pour un laideron ce qu’elle n’est nullement, bien au contraire, mais adepte depuis sa prime jeunesse de l’auto-dévalorisation systématique, son physique n’a jamais trouvé grâce à ses propres yeux. La malheureuse se fagote en outre dans des vêtements d’un autre âge, excluant toute fantaisie et d’une si triste sobriété qu’ils la rendent terne. Totalement ignorante des frissons de la passion, elle ne vit pas pour autant, à la manière de certaines célibataires de son entourage, dans l’obsession de se dénicher un compagnon à tout prix. Sans être tant soit peu bégueule, elle ne voit pas qui pourrait lui consacrer son amour et pourquoi l’on s’éprendrait d’elle ? Elle-même ne s’est que rarement livrée à de tels sentiments et ne déteste, ni ne chérit personne.


Dans le passé, elle a connu deux amants pendant de brèves périodes. Quand elle s’est retrouvée dénudée entre leurs bras, elle n’a guère songé qu’aux défauts de son anatomie et à son manque d’expérience, ce qui l’a amenée à se conduire en petite dinde terrifiée. Ces pensées l’ont raidie et, consciente de cette paralysie ainsi que de ses causes, elle s’en est alarmée si fort qu’elle n’est parvenue qu’à la renforcer. Ces liaisons furent de ce fait très décevantes et elle n’avait pas hésité à se déclarer unique coupable de leurs échecs. Depuis, elle ne croit plus aux vertiges de la sensualité et juge des mots tels que jouissance ou orgasme, qui, dans la bouche de ses amies évoquent un Graal, comme une trompeuse illusion.


Timidité et complexe entretiennent des liens difficiles à démêler. Ainsi, nombre de ses connaissances la tiennent pour timide ce qui est parfaitement erroné ! Si le complexé présume d’office qu’il n’a rien qui vaille à dire, le timide bien qu’ayant une proposition à énoncer préfère se taire. Une psychologie élémentaire achève de brouiller ces notions en précisant que si le timide peut être complexé par sa timidité, le complexé peut devenir timide du fait de son complexe. Bref, quand Flora avait quelque chose à exprimer elle ne s’en privait pas, mais supposait que tous auraient pu et dû le dire avant elle.




-ooOoo-




Invitée au mariage d’une collègue, elle s’était longuement interrogée sur ce qui lui valait cet honneur avant d’y répondre positivement. Elle avait, en effet, œuvré dernièrement à la promotion d’Alix qui faisait partie de son équipe et craignait qu’il ne s’agisse là que d’une récompense déguisée en rétribution de cet avancement.


Plus d’une centaine de personnes se pressaient dans les jardins du relais campagnard où se dégustait l’apéritif de la noce, sous un chaud soleil de juillet. Dans cette foule chamarrée, elle apparaissait un peu maussade, vêtue de son sempiternel tailleur anthracite et de ses mocassins à talons plats. Dès son arrivée, elle fut bousculée par un excité hirsute qui renversa une partie de sa coupe de champagne sur sa jupe. Il s’excusa sommairement tout en tentant d’éponger le désastre. Esquissant ensuite un sourire en lequel elle voulut lire de la compassion, il la dévisagea révélant de magnifiques yeux verts, pétillants de malice. Une sensation insolite ébranla Flora. Avec sa couronne de cheveux savamment décoiffés, ses cils et sourcils en bataille, sa barbe de trois jours qui lui donnaient un air de romantique échevelé, il respirait la fraîcheur, l’insouciance et la joie de vivre. Il avait à peu près sa stature et elle ne sut s’empêcher de le trouver mignon et sympathique en dépit de l’accident. Accrochant Alix, elle s’enquit de son identité.



Flora s’étonna de la contrariété que lui occasionna cette dernière phrase, puis se surprit plus tard à le chercher dans l’assistance. Elle l’entrevit à chaque fois paradant au centre d’un cénacle de jeunes filles.


Au moment du repas, elle découvrit qu’ils étaient à la même table, se faisant presque face, décalés juste de quelques places, suffisamment écartés afin de rendre une conversation suivie impossible, mais assez proches pour qu’elle puisse l’examiner à loisir. Yvette, une autre de ses collègues de travail aussi mignonne que délurée occupait sa droite.


Après avoir échangé avec elle les mots traditionnels qu’imposait une élémentaire courtoisie, ses deux voisins se détournèrent et elle sut qu’elle allait prodigieusement s’ennuyer. Elle reporta les yeux sur son vis-à-vis en pleine entreprise de séduction. Il accaparait déjà Yvette de ses compliments, discours et sollicitudes tandis que la stupide pimbêche, visiblement aux anges, roucoulait béatement en lui lançant des œillades enflammées. Il dut se sentir observé, car soudain il se tourna vers Flora et lui sourit. Ce fut si bref qu’elle douta de la réalité de cette mimique qui pourtant l’émut. D’après le peu qu’elle pouvait entendre, il multipliait les rodomontades concernant ses exploits d’alpiniste, les blagues éculées de carabin, mais encore tout l’arsenal des éloges. Yvette était conquise et riait aux éclats sans discontinuer. Flora fut submergée par une envie folle de gifler cette greluche et le bellâtre qui l’égayait. Le couple l’agaçait incroyablement et néanmoins, fascinée, elle le couvait des yeux. Par deux fois ensuite, elle eut l’impression fugace d’être l’objet d’un sourire décoché subrepticement. Se moquait-il d’elle ou avait-il pris conscience qu’il l’énervait et tentait ainsi de s’en excuser ? Quand elle vit la main de Frédéric disparaître sous la table, elle le suspecta immédiatement d’explorer les cuisses de sa voisine et se demanda perfidement combien de temps se passerait avant qu’ils ne rejoignent une chambre de l’auberge.

Le bal s’ouvrit et à sa stupéfaction, c’est elle qu’il vint inviter en premier :



Il ne put achever sa phrase, car Yvette, manifestement furieuse, vint le tirer vers la piste en fusillant Flora d’un regard noir. Elle se démène bien la garce, se dit-elle, en appréciant la légèreté de ses tourbillons et tout en s’effarant de l’animosité qu’elle lui vouait. Un peu plus tard, alors qu’elle rassemblait ses affaires pour partir, un convive passablement éméché s’approcha d’elle en éructant :



Il saisit son bras et essaya de l’entraîner en titubant.



C’est à ce moment que Frédéric intervint :



Flora en profita pour s’éclipser promptement, désolée toutefois de ne pas saluer et témoigner sa reconnaissance à l’irritant, mais charmant sauveur qui l’avait tirée d’embarras.




-ooOoo-




La semaine suivante Alix lui confia que son cousin avait beaucoup admiré cette demoiselle « à la triste figure » et regretté d’en être aussi éloigné à table.



Quelque temps plus tard, la jeune épouse voulant la remercier pour son cadeau de mariage ainsi que sa promotion, l’invita à dîner. Flora ne soupçonna rien et sa confusion fut extrême lorsqu’elle constata que Frédéric était de la fête.



Quand on passa à table, il avertit :



Pendant tout le début du repas, il se montra très agréable, discourut abondamment sans pédanterie, ni affectation. Puis il entreprit de la faire parler elle. La questionnant habilement, il l’incita aux confidences, elle qui estimait n’avoir rien à dire, surtout concernant un sujet aussi insignifiant que l’était sa propre personne. Avec une perspicacité remarquable, il découvrit bien vite ses jardins secrets, la poésie, l’opéra et les voyages. Il l’amena à en discuter et bientôt ils animèrent la table à eux seuls. Il concéda n’avoir à ce jour jamais réalisé de vrais voyages.



Il approuva ce propos avec tact, ainsi que d’autres auxquels il répondit avec beaucoup de finesse, si aimablement qu’elle se surprit plusieurs fois à lui sourire. Lorsqu’enfin il se risqua à quelques louanges et se déclara séduit par son air effarouché et délicatement mélancolique, elle fut persuadée qu’il se gaussait.



Frédéric gratifia Alix d’une grimace qui traduisit son mécontentement.



À partir de cet échange, Flora se renfrogna, son cœur pourtant battait la chamade tant elle avait envie d’entendre l’éloge que Frédéric continuait à lui adresser discrètement.


Cette soirée la décontenança complètement, toutefois le lendemain, au travail, elle tança vertement sa collègue, d’avoir ainsi joué les entremetteuses.

Alix s’en montra très chagrinée :



Deux jours plus tard, on lui livra un bouquet fastueux auquel était épinglée une petite carte, dépourvue d’adresse, sur laquelle elle déchiffra ces quelques mots :


« Ne recevez pas ces modestes fleurs comme un cadeau, elles ne sont qu’une compensation à mes assiduités peut-être déplacées de l’autre soir. J’aurais aimé en être le courtier, mais redoutais de fracturer votre cocon en vous les apportant. Je me glisse ainsi chez vous par procuration et confie à leurs exhalaisons le rôle d’émissaire de mon exaltation. Frédéric »


Elle sourit et se sentit heureuse tout en se demandant combien de bouquets il expédiait mensuellement !

Le soir, lorsqu’elle consulta sa messagerie, elle y releva ce courriel :


« J’espère que vous avez, Flora, aimé mes floralies ! Si je vous ai importunée, veuillez me le pardonner et je tâcherai à l’avenir de mieux contenir mes enthousiasmes dont vous êtes cependant l’unique responsable. Frédéric ».


De sa missive, elle ne retint d’abord qu’une expression qui fut « à l’avenir » ! Il envisageait donc une suite ! Elle se jeta sur le clavier et s’empressa de répondre :


« Bonsoir Frédéric,

Vous ne m’avez pas plus importunée que gênée et je ne mérite nullement ce que vous assurez n’être qu’un dédommagement. Un « je ne sais quoi » m’a attachée à vous dès le mariage d’Alix et je vous apprécie beaucoup tant que vous ne sombrez pas dans vos navrantes bouffonneries ».


Pendant une quinzaine, ils échangèrent ainsi journellement des messages laconiques et délicats. Elle remarqua que, très vite, ceux de Frédéric se faisaient de plus en plus tendres et enjôleurs et se sentit désolée de ne pas savoir adopter le ton juste afin de s’en faire l’écho. Elle constata encore que sa journée de travail se passait dans l’attente de l’instant où elle brancherait son ordinateur en vue de se délecter de sa lettre quotidienne. Bercée par l’irréalité de la situation, elle en oublia presque ses ressentiments et complexes. Quelques phrases jugées excessives comme celles où il la déclarait son soleil la faisaient réagir. Elle différait alors sa réplique et le qualifiait de flagorneur, mais le plus souvent, elle admettait être sensible à ses hommages.


Elle se rabrouait aussi fréquemment, elle-même : ma pauvre fille, tu t’entiches sérieusement de lui et en perds la tête. Tu t’abuses totalement en ambitionnant inspirer du désir à ce trop brillant jeune homme ! Plus ses égarements étaient vifs, plus les retours à ce qu’elle appelait raison étaient sévères. Elle n’avait jamais vécu pareil engouement, mais bientôt elle se prit à espérer des propos moins timides et réservés. Ce fut précisément à ce moment qu’il suspendit toute correspondance deux jours durant.


Au troisième soir, découragée, elle brancha sa machine décidée à lui écrire même s’il ne lui avait pas répondu. Le mot suivant l’attendait :


« Très chère Flora,

En ma mémoire lentement votre visage s’estompe. Les deux fois où je vous ai rencontrée, vous vous êtes efforcée de dissimuler votre face la plus affable sous des traits austères. J’aimerais vous offrir l’occasion d’éclipser définitivement cette image qui ne traduit pas votre personnalité réelle. À cette fin, j’ose vous convier, parée de votre plus éclatant sourire, à un dîner en tête-à-tête, mercredi soir prochain, au « Jardin des Délices » ou en tout autre lieu qui vous agréera davantage.

Je vous connais à présent suffisamment et devine que votre première réaction à cette invite sera de vous en indigner. Réfléchissez et trouvez une seule raison valable et sincère qui vaille de la repousser, je m’y plierai sans rechigner. Toutefois ce refus honnête m’interdira toute tentative de récidive. Mesurez ce que nous y perdrions tous deux.

Tout à vous, et RIEN qu’à vous,

Frédéric ».


Elle lut le message et s’en réjouit. Elle le relut et s’irrita de s’en réjouir, le relut encore et se fâcha : comment osait-il la manipuler et la coincer ainsi ? Elle ne pouvait se plier à ce chantage inconvenant… et pourtant, elle en avait si forte envie ! Elle risqua un mensonge en écrivant :


« Monsieur Frédéric,

Une impossibilité technique m’empêche de vous répondre favorablement. J’ai, mercredi soir, un rendez-vous chez mon dentiste qui doit achever le traitement de l’une de mes molaires. J’appréhende de ne guère savoir vous délivrer que des grimaces en guise de sourires après la torture, même sous anesthésie, et de ne pas profiter des délices que vous promettez. Départissez-vous cependant de l’idée de ne consommer que les hors-d’œuvre au restaurant.

Très cordialement.

Flora »


La repartie fut laconique et instantanée :


« Ainsi vous acceptez et ne faites que souligner la muflerie qui vous a imposé le choix de la date. Fixez donc celle qui vous conviendra à l’exception peut-être des vingt-neuf et trente février. Je saurais, pour ma part, me libérer quoiqu’il advienne ».


Elle exulta et s’emporta jusqu’à rétorquer immédiatement :


« N’ayez crainte, je suis aussi pressée que vous ! Accordez-moi huit jours de plus, je n’ai rien à me mettre. Résumons : ce sera mercredi 27 à vingt heures au « Jardin des délices » qui est assez proche de chez moi ».


Aussitôt son ordinateur émit le signal propre à la réception d’un courrier :


« OK »


Ils restèrent sans échanger le moindre mot pendant ces dix jours. Le premier, elle regretta d’avoir accepté, puis au fil des suivants, elle se laissa gagner par une frénésie inconnue. Peu confiante dans ses goûts, elle profita du passage de son amie d’enfance, Élodie, pour écumer les boutiques. Il en résulta des scènes mémorables :



Avec le choix d’un parfum, on atteignit à l’apogée de cette comédie. Même les plus discrets lui paraissaient violemment capiteux. Elle finit néanmoins par se ranger aux avis d’Élodie, plus par peur de la vexer que par conviction et en se demandant si elle revêtirait ces nippes. Celles-ci pourtant, tout en étant admirables n’avaient rien de déraisonnables.


Ce fut désormais avec impatience qu’elle attendit ce moment, qui, pour redouté qu’il avait été au début, devint de plus en plus ardemment souhaité. Lorsque ce mercredi soir, après avoir cédé au rite du coiffeur, elle revêtit sa tenue, elle se moqua d’elle-même en se disant : « Je me fais penser à ces jeunes hommes empesés qui, à l’occasion d’un entretien d’embauche inaugurent un costume cravate, à la différence près, qu’en ce qui me concerne, il s’agit d’un entretien de débauche ».


Quand elle pénétra dans la grande salle du restaurant son cœur battait à tout rompre. Frédéric était déjà là et vint au-devant d’elle, subjugué par la jeune femme qu’il accueillait. Sous la grisaille d’une mise trop ample, il avait soupçonné un corps exquis, sous la rigueur d’un imposant chignon et la sévérité des traits, il avait pressenti une physionomie avenante. Ce qu’elle lui offrait dépassait amplement ses plus vives espérances et n’était tempéré que par la légère crispation du sourire. Il la conduisit à une table d’angle située au fond de la salle et s’installa non en face d’elle, mais perpendiculairement, juste sous l’énorme reproduction du panneau central du « Jardin des délices » de Jérôme Bosch (*) qui justifiait l’enseigne de la maison. Ainsi placé, il va me faire du pied ou pire sans tarder, se dit-elle en se souvenant de sa main s’égarant sur ce qu’elle présumait être le genou d’Yvette lors du mariage d’Alix.



Il ne put saisir ni le poids ni le fondement de cette assertion. Dans son miroir, une heure plus tôt, elle n’aurait en effet pas hésité à se trouver magnifique si elle ne s’était reconnue. Elle avait dès lors rompu le charme et oscillait entre deux positions, l’une qui lui présentait une splendide jeune femme et l’autre, inconcevable, qui lui clamait que c’était elle.

Écartant sa serviette, elle découvrit une ravissante rose rouge disposée sur son assiette.



Le garçon qui s’avançait pour s’enquérir de leur choix lui permit de détourner la conversation.



Il fut ensuite, à l’égal de chez Alix, charmeur et charmant, grave et léger successivement, n’oubliant jamais de prendre son avis et écoutant ses commentaires dont il fit grand cas. Plusieurs fois, ils levèrent leurs coupes pour saluer leur communauté d’idées.


Elle s’hallucinait de son visage radieux et quand elle perdait son regard au-delà, elle distinguait ces processions de femmes nues et diaphanes entourées d’oiseaux fabuleux au sein d’un jardin idyllique produisant des fruits insolites. Sous des fontaines baroques, elles la conviaient dans leur ronde fantasmagorique qui l’absorbait dans un monde onirique et prodigieux.

Tout, décidément, conspirait à l’entraîner dans un songe merveilleux.


Il ne lui fit pas du genou et elle s’en offusqua presque. Pourtant, lorsqu’à la fin du repas, il voulut serrer sa main, elle la lui refusa en déclarant dans un souffle :



Au lieu de répondre, elle l’assaillit de nouvelles questions :



L’emphase grandiloquente du compliment la fit se redresser et ses yeux rencontrèrent alors cette femme opalescente et longiligne, totalement dévêtue que coiffaient deux immenses fruits vermillon. Elle massait de sa main effilée la cuisse nue de l’homme qui la suivait. Oui, cette belle parée de son aplomb serein était pleine de majesté, et elle aurait volontiers accepté de se fondre en elle.



Tandis qu’elle l’écoutait, elle secoua plusieurs fois sa tête en signe de dénégation tout en se laissant emporter par une fantasque exigence de le croire. Il reprit :



Là, il fut sidéré, il ne s’attendait pas à aveu si franc et direct. C’est bien ce que je pensais, elle n’est pas timide, se dit-il et il s’en éprit davantage. Ils avalèrent leur café, puis, pendant qu’il réglait la note, elle s’abîma une dernière fois, envieuse, en ce jardin luxurieux dont les divins auspices avaient furtivement accueilli leurs agapes, les entourant d’une tonalité sensuelle qui la laissait toute lascive. Elle fixa, ce qui lui parut être deux amants isolés dans le cristal de leur bulle, et s’évoqua en pareille situation. Ils sortirent, enfilant la rue qui s’ouvrait face à eux et y firent quelques pas, déconcertés par la douceur de la nuit. Elle vit les étoiles tourbillonner et l’en avertit :



Il suspendit sa marche et se tourna vers elle. Avec un regard implorant, elle tendait ses lèvres. Lentement, il s’approcha de son visage et vint y unir les siennes. Elle noua ses bras autour de son cou puis ils échangèrent le plus long des baisers. Et tous deux le vécurent comme premier, car non seulement il effaça jusqu’au souvenir des précédents, mais surtout fut originel en leur donnant le sentiment d’un renouveau et de l’ouverture à une affectivité inintelligible antérieurement. Un instant, ils s’immergèrent au centre tournoyant du « Jardin des délices ». Désormais, ils le comprirent, il y aurait l’avant et l’après. Il leur sembla que le monde entier se résorbait en cette embrassade tant attendue, si intensément espérée. Frédéric n’investit pas que la bouche de Flora, mais tout son être et elle s’absorba sans la moindre réserve ni arrière-pensée dans cette félicité, cédant à un vertige inconnu et enchanteur. Des trompes sonnèrent dans sa tête, des éblouissements troublèrent sa vue, un spasme ébranla tout son être. Lorsqu’ils se désunirent, elle prit son bras et s’appuyant légèrement sur son épaule, elle susurra :



Ils marchèrent sans hâte et sans rompre le silence. Elle se laissait porter par un bien-être exquis en se répétant avec stupeur « Je suis amoureuse ». Arrivés au pied de son immeuble, elle déclara d’une voix blanche :



La porte de l’appartement claqua, ils se retrouvèrent, debout, l’un face à l’autre, gênés. Soudés dans le même élan, partageant les mêmes âpres concupiscences, ils brûlaient de faire l’amour, mais craignaient de s’emporter au point de ne parvenir qu’à coucher ensemble. Progressivement, les langues se recherchèrent, s’explorèrent. Ce ne furent d’abord que leurs pointes qui s’effleurèrent, messagères anxieuses, puis elles se percutèrent, fouineuses, avides et fusionnelles. Ses doigts de pianiste couraient dans son dos éveillant d’intolérables ondes de désir qui la pâmaient dans ses bras. Elle atteignait déjà au septième ciel, il devait donc y en avoir un huitième plus ensorcelant et, qui pouvait savoir, d’autres encore peut-être, au-delà ! Rien ne la pressait d’y accéder, au contraire elle avait envie de distendre chacun de ces instants en éternité.


Les lèvres de Frédéric papillonnèrent dans son cou, butinant les nectars de ces émois préliminaires. Elle s’esclaffait avec de petits éclats de rires argentins qui vite se transformèrent en halètements étouffés et sans doute quémandeurs. Il porta ensuite ses incandescences vers ses épaules mordorées d’où elles chassèrent graduellement les bretelles de la robe. Elle ne tarda pas à sentir la soie s’enfuir le long de son corps en une caresse fluide et bienfaisante. Il fit alors deux pas en arrière afin de la dévorer des yeux dans l’affriolant équipage de ses seuls dessous et elle eut la sagacité de lui permettre de s’y adonner. Pour la première fois, elle était fière de ses formes et osait s’exhiber sans honte, tendre son buste et son ventre vers son compagnon, proclamant ses convoitises et affirmant son abandon. Elle ne s’étonna pas de cette immodestie qui, d’instant en instant, l’embrasait du feu qu’elle allumait dans le regard de son adulateur et la grisait, en retour, d’un frisson enivrant. Elle fut tentée de revenir se blottir dans ses bras, de se dissoudre dans leur étreinte, mais son audace inédite la galvanisait et elle ne sut s’empêcher de se délecter plus longuement de ces délicieux titillements. Elle voulut rôtir indéfiniment dans le feu des braises qui la consumaient. Plutôt que d’avancer, elle s’éloigna à reculons et alla s’étendre sur l’ottomane au fond du salon.


Lui restait immobile, comme pétrifié par cette ravissante vision. Lentement, pour donner de l’ampleur à chacun de ses gestes et exposer la beauté gracile de ses membres, elle porta ses mains dans son dos et défit l’agrafe de son soutien-gorge qu’elle retira posément, sans affectation ou composition d’effeuilleuse professionnelle. Elle fut surprise par la fermeté provocante de ses seins qui repoussaient l’étoffe, inutile prison, ne soutenant rien. Ils condensaient ses ferveurs et pointaient en avant, avec une vigueur insoupçonnée, un téton dressé dans une érection qui appelait sans vergogne des mains apaisantes. Machinalement, elle y porta les siennes et à ce simple contact, elle sut qu’elle venait de franchir un degré supplémentaire sur l’échelle du plaisir. Elle avait pincé le tétin très fort entre ses doigts, la fulgurance fut irradiante sans qu’elle n’y distingue clairement les parts de souffrance et de volupté.


Les traces du bronzage assidu auquel elle s’était livrée sur sa terrasse dessinaient de petits, de tous petits triangles blancs sur les deux hémisphères dilatés par une ardeur inconnue. Elle y perçut nettement les fines veinules bleuâtres qui pulsaient au rythme d’un cœur qui s’emballait. En d’autres circonstances, ce hâle incomplet dénonçant sa pudibonderie aurait convoqué ses hontes, là étonnamment, elle trouva le tableau raffiné et fort sensuel.


Ils ne se quittaient plus des yeux, ayant tous deux le sentiment de vivre un moment exceptionnel. Frédéric discernait, après maintes expériences trop précipitées, toutes les délicatesses et fragilités d’un corps de femme. Elle saisissait ce que peut être la véhémence du désir, de cette impulsion qui la cabrait impatiente.


Depuis leur première rencontre, il savait qu’elle n’était pas le laideron qu’elle supposait être, mais volait à présent de sortilèges en enchantements en observant les charmes discrets et de ce fait d’autant plus émouvants de sa dulcinée. Elle le vit se déshabiller sans hâte intempestive et lui en sut gré, épia dans l’ombre sa vigoureuse musculature et la raideur qui déformait son caleçon. Quand il vint vers elle, elle s’effaroucha bien plus que pucelle. Saurait-elle ? Il faudrait des pages pour détailler l’inventaire des indigences qu’elle s’adjugeait et qui assaillirent son cerveau en ébullition à cet instant précis. Il posa ses paumes sur son torse, noya sa bouche au creux de son ventre et toutes ses appréhensions s’effacèrent miraculeusement. Elle sut que désormais elle serait à lui et dans un souffle rauque expectora son âme.


Dès lors elle ne s’appartint plus. Elle sentit son sexe épancher des humeurs brûlantes et si abondantes qu’elles s’écoulaient le long de ses jambes. Elle venait donc de gravir une nouvelle marche dans l’escalier de la félicité. Elle s’abandonna tout entière à ces lèvres, langue et doigts qui vrillaient son abdomen et lui découvraient un corps qu’elle avait méconnu, susceptible de mystérieuses émotions.


Convulsivement, elle pesa sur la tignasse de son amant afin de le souder plus fermement à l’antre de son plaisir. Quand elle arrosa son visage d’élixirs si intimes et secrets qu’elle se les ignorait, ses cris aigus d’orfraie se muèrent en ardentes roucoulades. Époumonée, dans un gémissement, elle le supplia :



Frédéric la redressa puis la mit à genoux sur le tapis, les bras tendus en avant, étalés sur l’ottomane et se pressa derrière elle en abaissant sa culotte, dévoilant un postérieur admirable, plutôt réduit, mais délicieusement rond et frappé lui aussi d’un magnifique triangle blanc. Il vint le masser de ses abdominaux laissant sa verge endolorie par une rigidité si prolongée battre librement entre des cuisses divines.

Elle frémissait, trépidante, s’ébrouait faisant voler les longues mèches de sa chevelure et à nouveau geignit :



Puis, joignant à son geste un retentissant soupir d’aise, elle saisit la hampe érubescente avant de la conduire au seuil des vergers de Cypris. Ce fut elle qui se recula pour absorber l’épieu de chair turgide. Frédéric ensuite, en une série de va-et-vient, investit doucement le temple offert. Il s’appuya fortement sur ses reins afin d’en accentuer la cambrure. Elle s’y prêta, infligeant un sauvage roulis, tant à sa poitrine qu’à sa croupe, au rythme du pilonnage de plus en plus rapide et profond auquel il la soumettait.


Il empauma l’un de ses seins d’une main énergique pendant qu’il voua la seconde à jouer des gammes savantes sur l’unique clé de sa clarinette. Elle entendait des bruits ignobles de succions et de claquements qui composèrent le plus excitant des préludes. Folle de ses ivresses, ce fut encore elle qui le désarçonna et l’étendit sur le sol, vint s’empaler sur le membre en érection, se cabrant afin de bien le sentir fouiller ses chairs, secouant sa tête pour l’auréoler de sa crinière échevelée.


Elle lui exposa ainsi sa face dévastée par le plaisir. Il connaissait cette métamorphose, transfigurant une femme qui s’oublie totalement dans les égarements de l’amour. Il l’avait vue belle, là elle se fit sublime associant sur son visage béatitude et tourment, allégresse et affliction, violence et passion. L’extase révulsait ses yeux, un rictus étonnamment séduisant distordait sa bouche et son corps ondulait, agité de soubresauts orgasmiques.


Jamais, même au cours de ses deux indigentes expériences antérieures, elle n’avait seulement pressenti les délices des fureurs présentes. Il lui avait toujours paru évident que si l’assouvissement des instincts primaires pouvait s’accompagner de sensations voluptueuses, celles-ci restaient incapables d’altérer l’entendement. Là, subitement, elle s’aperçut qu’elle atteignait au sommet quand, précisément, son discernement s’évanouissait. C’était comme si son corps disposait de perceptions autonomes, détachées du cerveau, qui ne se réveillaient que lorsque la vigilance de sa conscience se dissolvait. Le thésaurus de cette langue corporelle était réduit à quelques superlatifs torrides et puissants tels que : éruption, vertige, brûlure, déflagration, engloutissement, annihilation, chute, vide, fusion. Oh, certes, en ce moment, Flora résonnait bien plus de ses émois qu’elle ne raisonnait sur ces doctes idées, néanmoins si elle avait dû les transcrire, c’eût été approximativement ainsi.


Elle, palpitait au gré des bourrasques qui la tordaient, des paquets de mer qui la disloquaient, des coups de vent qui l’ébranlaient. Et soudain, à l’issue de ce vibrant crescendo, la tempête l’emporta. Ce fut interminable et pourtant si bref, elle rompit le dernier cercle et sa raison chavira, sa vue se brouilla, elle se fit enlever dans la chevauchée sauvage des walkyries qui déchira ses tympans, elle se sentit raidie dans une prodigieuse érection qui la convulsait sur celle de son amant, ainsi qu’une torche crépitant dans l’obscurité suffocante d’une ardente nuit. Il n’y eut ni cri, ni râle, mais un barrissement tonitruant tandis qu’elle se répandait toute entière sur le glaive sacré qui la transperçait. Puis ce fut le bouquet final qui écartela tout son être, le dispersant en gerbes incandescentes dans les nues.


Elle émergea, mille ans plus tard, de ce céleste anéantissement, bercée par cette idée qu’elle avait su se laisser aller, sereine, à son désir. Sa seule déception fut la brièveté de l’ultime éblouissement. La nature humaine est mal faite, se dit-elle avec une pointe de dépit, mais un éblouissement qui dure n’est-il pas garant de cécité ? Elle venait cependant de découvrir son corps autrement, de ressentir que celui-ci possédait des viscères capables de se nouer en des contractions affreusement jouissives et en avait déduit que le bonheur n’était pas que l’évanescence d’un mot vide, mais qu’il pouvait se traduire en éléments très concrets : l’affermissement d’un téton, un flot d’humeurs bouillantes jaillissant entre les cuisses. Elle avait aussi oublié de se penser disgracieuse, s’était même sentie belle, allumée de la flamme qui la consumait. Cette lucidité, hélas, n’allait pas durer.

Connurent-ils d’autres transes cette nuit ? Il lui semblait que oui, mais le ravissement de la première avait ouvert derrière lui un trou noir qu’elle ne voulait pas dissiper. Il la quitta au point du jour, comblée. Elle s’endormit bercée par les plus douces sérénités et la sensation que le sexe de Frédéric demeurait prisonnier de ses tréfonds, caressait toujours ses intimités.




-ooOoo-




Une crise d’angoisse la réveilla. Haletante, elle se redressa sur son lit, prise d’une insurmontable panique. Tout ce qui au cours de cette nuit paradisiaque lui était apparu si limpide s’obscurcissait et ses obsessions resurgirent la conduisant à se dire : « Il m’a bien eue ». Elle se leva et traversa le salon où l’exuvie de sa toilette de la veille traînait sur le sol. Tremblante et nauséeuse, elle jeta un regard de mépris à cette tenue qui l’avait si honteusement servie. « Maintenant qu’il m’a épinglée à son tableau de chasse, je n’entendrai plus parler de lui ». Cette pensée comprima sa poitrine d’une douleur si violente qu’elle redouta de s’étouffer.


Une idée aussi foudroyante qu’insensée s’empara de son esprit : et si ce n’était pas elle que Frédéric avait courtisée ? Insidieusement, ce doute pernicieux se propagea jusqu’à l’investir intégralement. Bien sûr, il s’était mépris sur sa personne, et pire, c’était elle qui l’avait aiguillonné dans cette voie, s’était faite le véritable auteur de cette duperie. Lorsqu’un cerveau malade, accablé d’incrédulités, s’arrime à quelque hypothèse totalement déraisonnable, il la justifie a posteriori par un argumentaire d’une logique implacable dont la rigueur l’aveugle et l’empêche de remettre en cause les prémisses erronées.


Comment et pourquoi s’était-elle donc fourvoyée à tenir un rôle qui ne lui revenait pas ? Ni le vêtement ni le verbe, pas plus que son assurance, sa nonchalance ou l’absence totale de retenue quand ils firent l’amour ne lui correspondaient. Le temps d’un éclair, elle le suspecta même de l’avoir droguée.


Elle se remémora aussi certaines de ses amies qui lui avaient confié s’être ainsi métamorphosées dans le dessein de séduire et qu’elle avait mises en garde contre de telles simagrées : « Il faut qu’il t’aime telle que tu es et ces mystifications ne peuvent que vous embrouiller ! » Après avoir été pourvoyeuse de bons conseils, allait-elle céder aux sirènes qu’elle avait dénoncées ?


Elle s’imagina sous les traits de la créature du soir précédent, s’évoqua entrant dans le restaurant un peu chancelante sur des talons auxquels elle n’était pas accoutumée, sanglée dans une robe qui affichait outrageusement son galbe, riant à gorge déployée, se cambrant sur son siège, la tête rejetée en arrière pour mieux gonfler son cou de cygne et darder un buste conquérant. Elle s’entendit répondre avec brio aux saillies de Frédéric, se revit trinquer afin de célébrer ses meilleurs mots. Elle se sentit enfin, accrochée tout alanguie à son bras tandis qu’ils quittaient les lieux, s’enfonçant dans les promesses d’une nuit friponne. Cette femme qu’elle se décrivait si distinctement était si attirante qu’elle la captivait, il était normal qu’elle l’ait ébloui, car précisément, ce n’était point elle. L’admiration qu’elle lui portait se mua en colère et bientôt elle la qualifia de gourgandine, lui voua une haine féroce avant de s’apercevoir qu’elle était de la sorte jalouse d’elle-même !

Je deviens folle, se dit-elle, et il faut mettre un terme à tout cela. Elle s’installa face à son ordinateur et rageusement, rédigea le mot suivant :


« Monsieur,

Je vous ai donné tout ce dont j’étais capable et peut-être davantage. Je sais qu’ornant dorénavant la liste de vos conquêtes, je n’aurai plus l’heur de retenir votre attention. J’espère que votre orgueil aura trouvé satisfaction à m’avoir ainsi abusée et j’ajoute pour conforter vos vanités que vous m’avez fait grimper aux rideaux cette nuit ! La chute n’en a été que plus douloureuse et brutale. Ne tentez pas de démentir, vous figurez désormais chez moi sur une autre liste, celle des « indésirables ». Très malheureuse de vous avoir connu,

Flora ».


Elle demeura interminablement, le doigt figé sur la souris dont le pointeur désignait à l’écran le mot « envoyer ». Enfin, dans un soupir à fendre l’âme, elle enfonça le bouton. Le clic fit un bruit d’enfer, sec et assourdissant, et elle se dit que c’était avec ce fracas que devait claquer le couperet d’une guillotine. Son cerveau s’alarma de cet acte irréparable, son ventre se crispa, générant l’illusion de la chaleur des émois de la veille, tous ses sens s’indignèrent de cette privation à venir, bref son corps entier se rebella en une virulente poussée de fièvre tandis qu’elle s’enfuyait dans sa chambre en pleurant. Elle avait bien une nébuleuse conscience de la profonde injustice recelée dans ses propos, mais éprouvait un besoin compulsif de se convaincre qu’il en était ainsi.


Le message abasourdit Frédéric. Toute la journée il écrivit cinquante réfutations qui connurent le triste chemin de la corbeille. Puis, il se résolut à ne lui envoyer que ces quelques mots : « Vos doutes et reproches m’atterrent, je suis innocent des desseins que vous m’imputez et désespéré de vous avoir rendu malheureuse, car je vous aime passionnément - voilà dix ans que je n’attends que vous ! »


Nerveux, rivé à sa machine, il guetta une réponse qui ne vint pas, car elle l’avait effectivement classé parmi les indésirables. Il tenta vainement de téléphoner. Il descendit, afin de l’appeler à partir d’un bar de façon à ce que son numéro ne soit point reconnu. Il ne put que dire deux mots avant qu’elle ne raccroche. Il essaya de la coincer au pied de son immeuble, elle manœuvra si habilement qu’il ne la croisa jamais. Elle se conduisit, sans s’en rendre compte, avec toute la rouerie nécessaire pour le suborner et se l’attacher définitivement.


Elle se claustra, s’enfermant dans son ressentiment, le cultivant avec une ferveur quasi masochiste. Curieusement, malgré une tendance habituelle la poussant à s’accuser de maux dont elle était parfaitement irresponsable, là, elle s’ingénia à imputer à son amant d’un soir, une faute imaginaire. Parfois, saisie de scrupules, elle cherchait désemparée son nom dans l’annuaire, se jetait sur son téléphone puis au dernier moment préjugeant de son sourire narquois en décrochant, elle éloignait l’appareil et prise d’un vrai malaise, cédait à une nouvelle crise de larmes.


Pour se persuader du fondement de ses défiances, établir et renforcer la culpabilité de Frédéric, elle se prit de jalousie envers Yvette, cette collègue qu’il avait éhontément courtisée le soir de la noce. Elle voulut savoir comment s’était déroulée leur liaison. Yvette fut surprise de la démarche, un peu fâchée même et lui révéla qu’il ne s’était rien passé en dépit de ses envies à elle et qu’elle gardait rancune à ce poseur qui, après l’avoir outrageusement entreprise, avait terminé sa soirée au bar avec un ivrogne en la laissant se morfondre seule.

Elle consulta Alix qui, visiblement informée des évènements, ne manifesta guère de compréhension.



Un mois s’était approximativement écoulé dans ces atermoiements quand un après-midi, plus égarée que jamais, n’y tenant plus, cédant à une impulsion subite, bien qu’instinctivement depuis longtemps ourdie, elle se détermina à se rendre chez lui. La porte de l’immeuble était ouverte et elle s’y engouffra. Ses talons martelaient le carrelage comme des claquements de fouet dont elle ne savait s’ils étaient destinés à l’encourager ou à la dissuader. Espérant échapper à cet avertissement ambigu et fracassant, elle s’engagea vivement dans cet escalier qui se fit son Golgotha. Les premières marches se gravirent aisément tandis qu’elle invoquait le sourire de Frédéric en l’accueillant. Mais à chaque degré franchi, elle vit ce sourire se figer puis se ternir graduellement et son visage se renfrogner. Son ascension se ralentissait à mesure et tous ses doutes la reprirent. Ne se comportait-elle pas ainsi qu’une louve en chaleur venant assouvir son rut ?


Dès lors, elle poursuivit sa progression de manière somnambulesque, étranglée par un véritable effroi, si puissant qu’elle se mit à vaciller. Là-haut, dans le couloir son pas se fit encore plus sonore, se renforçant d’un écho hostile. Elle craignit d’alerter tout le palier qui se distrairait de ses humiliantes infortunes. Ce fut en état de quasi-transe qu’elle atteignit l’entrée de l’appartement. Hélas, son calvaire ne s’arrêtait pas là, et le plus ardu restait à faire, il lui fallait à présent consommer sa honte. Elle vérifia l’inexistence de tout judas qui aurait pu la dénoncer puis approcha une main tremblante de la sonnette. Il était toujours possible de s’enfuir ! La tête lui tournait. Bien que certaine de n’avoir pas actionné le bouton fatidique, elle entendit le carillon retentir dans le logis. Elle décida de s’en aller s’il n’ouvrait pas dans dix secondes. La porte demeura close, rien ne sembla s’agiter derrière elle. Elle attendit une bonne minute avant de réitérer la manœuvre, convaincue déjà de son absence et s’en réjouissant. À l’instant où son index s’apprêtait à écraser une nouvelle fois la sonnette, il ouvrit.

Il était pâle et se fit blême en la voyant. Il la tira violemment à l’intérieur en balbutiant :



Elle promit. En sanglots, ils tombèrent dans les bras l’un de l’autre, se retrouvèrent bientôt dénudés sans avoir souvenir de s’être déshabillés.


Comme la fois précédente, ils montèrent sur leur nuage, s’y perdirent pour mieux se rejoindre. Ils rirent à l’unisson, pleurèrent chacun à son tour broyé par les embrassades de l’autre. Ils vécurent des étreintes forcenées suivies d’abandons alanguis, des baisers ignés et des caresses suaves pareilles à des zéphyrs. Ils nouèrent jambes et bras dans des enlacements inextricables. Accompagnés de pépiements stridents et d’ahanements gutturaux, ils communièrent de cyprine et de foutre. Un néant délicieux les plongea dans des comas radieux dont ils sortaient revigorés. Ils goûtèrent à cette fusion totale des cœurs, des pensées et des sentiments.


Enfin, épuisés, ils sombrèrent dans les rets de Morphée en se berçant de la même idée, celle de s’être reconquis, d’avoir partagé, en dépit d’une insensible fêlure, un bonheur égal à celui connu un mois plus tôt.




-ooOoo-




Dans les jours qui suivirent, elle s’installa chez Frédéric tout en conservant son appartement où elle se retirait parfois afin de ne pas le gêner et de conserver son indépendance. Ils connurent une période exquise, qui conjugua les élans de leurs cœurs et de leurs corps. Chaque minute s’anima de complicités malignes, toute décision fut prise d’un commun accord et le plus insignifiant de leurs gestes s’empreignait de douceur et de tendresse. À les voir, on eut dit un couple d’adolescents s’initiant aux jeux de l’amour et, il était vrai, que ce fut la situation de Flora. Elle s’épouvantait à l’idée que cela ne dure, craignait de l’ennuyer ou de lui paraître mièvre. Souvent, elle s’ingéniait à le surprendre et, n’y parvenant pas, se désespérait d’être si prévisible.


Cet apaisement fut éphémère. Lorsqu’à peine plus tard, Frédéric l’invita à participer à une soirée avec des copains qui se révélèrent être surtout des copines, il lui dit : « Je compte sur toi pour être resplendissante ». Ces mots exprimaient une conviction, elle les entendit comme une injonction. Il les prononça en toute innocence, sans se rendre compte, et précisément ce fut cela qui engendra le malaise de Flora : il ne se rendit pas compte. Cette phrase lui fit l’effet d’un camouflet, s’il l’enjoignait à briller c’était que, d’une façon générale il devait lui reprocher de ne guère le faire. Tout ce qu’elle avait mis sous le boisseau resurgit avec une intensité renouvelée. Ce soir-là, il put être fier d’elle. Assurément, elle se montra éblouissante et prolixe plus que jamais, cachant aux autres ainsi qu’à elle-même la boule qui crispait ses entrailles. Elle ne dormit pourtant pas de la nuit, ressassant encore et toujours, indéfiniment, l’unique question : mais qu’est-ce donc qui peut me valoir sa sollicitude ?


Au matin, elle s’était imperceptiblement rembrunie. Frédéric avait planté un coin qu’elle s’acharna à enfoncer avec une vigueur et une opiniâtreté sans équivalent. Elle mûrit sa déconvenue lentement, progressivement, l’affermissant d’autant plus solidement. Il aurait dû réagir immédiatement toutefois sa nature insouciante lui dissimula le désarroi de sa belle. Dès lors, celle-ci épia le moindre vocable, la moindre action qui pouvait lui signifier qu’il se lassait d’elle, qu’elle ne l’attirait plus. Douée de propensions effrayantes dans cet exercice, elle savait retourner la phrase la plus dérisoire pour y dénicher une réprobation, entendre moquerie dans un vrai compliment simple et anodin. Les silences mêmes furent enfin interprétés selon le crible infernal et elle constata une diminution des gestes câlins et des mots gentils. Elle s’appliqua à camoufler ces contrariétés qui l’attristaient terriblement. Quand ils faisaient l’amour, elle se laissait submerger par ses doutes anciens qui l’empêchaient d’atteindre aux sommets de la félicité. Elle fit des efforts afin de paraître enjouée, ceux-ci, inadaptés, n’attaquaient pas la racine du mal. Au contraire, ils l’acculaient à feindre dans une comédie ou plutôt une tragédie permanente, qui l’épuisa. Durant leurs étreintes, il lui arriva de simuler l’orgasme ce qu’elle jugea aussi insupportable qu’indigne. Elle eut des moments de lucidité pendant lesquels elle entrevit la perversité de son manège, néanmoins, très vite, trop atteinte, elle retomba dans ses égarements.


Les parents de Frédéric disposaient dans l’arrière-pays montpelliérain d’un petit mas perdu entre chênes verts et champs de lavande. Ils décidèrent d’y passer trois semaines de vacances et elle se dit qu’elle saisirait là l’occasion d’enterrer ses vieux démons.


Depuis le début de l’aventure qui la liait à Frédéric, elle était restée en relation avec Élodie, l’amie qui l’avait accompagnée dans le choix de sa tenue lors de la première invitation. Elle lui avait raconté, avec force détails, les heurs et malheurs de sa liaison et celle-ci avait maintes fois tenté de l’apaiser et de la raisonner. Élodie proposa de les y rejoindre les huit derniers jours. Flora en fut enchantée, mais l’empressement que manifesta Frédéric à acquiescer lui fit soupçonner qu’il avait peur de s’ennuyer en sa seule compagnie.


À l’arrivée d’Élodie, elle se jeta dans ses bras puis lui présenta Frédéric. Quand ils se serrèrent la main, elle comprit tout de suite que ces deux-là se plairaient réciproquement, car elle décela dans ce geste beaucoup de langueur déjà et surprit des regards pleins de complicité. Dès le soir, elle vit son Frédéric reprendre ses attitudes et discours de séduction. Élodie n’y resta pas longtemps indifférente et bientôt lui rendit sourire pour sourire, bon mot pour bon mot. Flora en fut très affectée et conclut que c’était là, la femme qu’il méritait. Elle n’en fut nullement jalouse, pensant que « le chat ne pouvait envier tigre », trop persuadée de son infériorité et estimant d’office qu’elle ne pouvait que s’incliner.


N’en voulant pas à Frédéric et à peine plus à Élodie, elle reporta toute sa rancœur sur elle-même. Elle informa sa copine qu’elle acceptait de lui laisser champ libre. Celle-ci se récria et essaya de la tranquilliser de mille manières, rien n’y fit. Flora multiplia dès lors ses absences abandonnant les deux jeunes gens seuls ensemble. Rentrant un jour avant l’heure, elle les aperçut, ignorant de sa présence, sous la tonnelle dans les bras l’un de l’autre. Ce lui fut un coup de poignard et elle s’éloigna le temps de se convaincre de ce dont elle voulait être convaincue et de cacher son amertume. Une heure plus tard, lorsqu’elle revint, il n’y paraissait plus.


Le lendemain alors qu’ils étaient sortis pour acheter du vin, elle fit précipitamment ses bagages et appela un taxi. Lorsqu’ils rentrèrent, ils ne découvrirent que ces quelques mots expliquant son départ :


« Je vous ai surpris hier. Ainsi enlacés vous constituiez un couple radieux et touchant. Je ne saurais davantage me poser en obstacle et vous gêner.

Mes vœux vous accompagnent. Adieu

Flora ».




-ooOoo-




Ils eurent bien des difficultés à comprendre et furent atterrés. Élodie tenta vainement de la contacter sur son portable tandis que lui demeurait anéanti. Ils décidèrent à leur tour de quitter le midi. Dès son retour, Frédéric regroupa les affaires de Flora dans un carton qu’il lui fit expédier, y joignant la lettre suivante.


« Divine Flora,


Un soir flamboyant, au « Jardin des délices » tu m’as demandé ce qui m’attirait vers toi. Je t’ai répondu honnêtement et explicitement sans toutefois te donner l’argument principal, car déjà, je doutais que tu saches l’entendre. Qu’est-ce qui me fascinait si puissamment en toi ? Je n’en savais rien, ne voulais rien en savoir, m’en moquais absolument. L’attraction, l’envoûtement que tu exerçais ne pouvaient que s’atrophier à se nourrir de raisons.

Tu es et resteras la femme que j’ai le plus chérie. Chez toi, avec toi, j’ai tout adoré et n’ai jamais hésité à te le déclarer. Tout, si ce n’est l’aveuglement qui t’interdisait de te convaincre de l’authenticité de ma ferveur. Tu sais prêter attention aux discours des autres, les écouter avec intelligence et bienveillance, par contre tu deviens sourde dès qu’ils se risquent à ta louange.

Depuis trois mois, j’ai pesé indéfiniment chaque parole et calculé chaque geste afin de ne pas réactiver tes complexes. J’ai vécu dans la peur de lâcher ce mot inconsidéré qui te poursuivrait à l’instar d’une meute de chiens enragés, pour t’écharper. J’ai cru que notre passion réciproque allait au moins atténuer ton mal, à défaut de le guérir. Elle y parvint un instant, avant que celui-ci ne retrouve un regain d’acuité, sans doute démultiplié par des sensibilités que l’amour exacerbait.


Il y eut Élodie, mais que fut Élodie, certes elle m’a plu, cependant ce n’est pas parce qu’on est éperdument épris d’une maîtresse sublime que le reste de la gent féminine doit se faire stupide et hideux. Sais-tu que la plupart du temps, lorsque tu nous laissais seuls, tu devenais notre principal sinon unique sujet de conversation ? Quand tu t’imaginas nous voir enlacés, ce fut ton mot, elle me serrait contre elle pour me consoler des rigueurs que tu m’infligeais.

Lors de notre précédent malentendu, tu fus aussi terriblement malheureuse que moi et cela m’a amené à penser que tu ne reproduirais pas cette triste situation.


Je mesure parfaitement les insuffisances de ma conduite à ton égard depuis. J’ai d’abord manqué de prévenance sans quoi j’aurais mieux cerné ta détresse et me serais appliqué à la dissiper. Je manque à présent de persévérance sinon je me précipiterais à tes genoux et ne me perdrais pas en ces arguties épistolaires. Hélas, l’espoir de te libérer de tes hantises, de remédier à la détresse qui te ronge me manque tout autant.

Et le plus grave, qui résume ce qui précède, c’est que je dois manquer d’amour sinon j’aurais trouvé clairvoyance, résolution, espérance et patience qui m’ont fait défaut. Manqué d’amour ! Je m’insurge, tant cela me paraît extravagant et pourtant ! Vois-tu plutôt que de te guérir de ton mal, j’y sombre à mon tour ! Plutôt que de lutter contre tes noires chimères, je les endosse pareillement. Quel serait notre avenir sous l’égide des remontrances et contritions que tu t’imposes en permanence ?


Un soir flamboyant, tu allumas une torche qui nous dévorera sans fin, je le regrette infiniment, mais préfère ceci à nous voir, petit à petit, étouffer ce feu sous la fumée du ressentiment. Je choisis de te vénérer telle que tu es, bien que tu l’ignores, au lieu de te détester telle que tu te vois et n’es point. Ainsi, je ne tenterai pas un ultime ravaudage et m’éloigne définitivement, certes de corps seulement, mon cœur et mon esprit te sont irrévocablement acquis.

Un soir flamboyant, au « Jardin des délices » je me suis senti sous la treille d’un verger d’ivresse, l’enfer nous guettait tout proche et je n’ai pas su t’exorciser. Ce sera ma peine, et je le déplore, la tienne aussi.

Du fond du cœur, je te souhaite d’atteindre au bonheur que je n’ai pas su t’apporter ! Pardonne-moi !


Toujours à Toi et Rien qu’à Toi, adieu

Frédéric ».


Elle lut et pleura, relut et pleura encore. À la dixième lecture, elle retraduisit la missive de manière à endosser la responsabilité du moindre des évènements qui avaient précipité cette situation. Pendant plusieurs jours, elle rumina sa déconvenue puis voulut téléphoner, la ligne fut déclarée suspendue. Elle envoya un courriel qui, « indistribuable », lui revint. Elle se rendit chez lui, son nom était toujours affiché sur la porte pourtant rien ne trahissait une présence humaine derrière le vantail. Broyée de douleur, elle se laissa glisser le long du linteau en sanglotant très fort et en ânonnant des mots confus et sans suite. Elle fit un tel tapage que des voisins sortirent sur le palier et, inquiets, lui proposèrent leur assistance. Entre deux plaintes, elle indiqua rechercher Frédéric. « L’appartement est encore à son nom, mais la dernière fois que je l’ai vu, il m’a dit qu’il allait désormais vivre chez un copain à Saint-Denis. C’est bien dommage, il était si serviable et mignon », la renseigna une dame aux cheveux d’argent. Elle se résolut à appeler l’employeur de Frédéric qui l’informa qu’il avait démissionné. Même Alix ne lui fut d’aucun secours et visiblement prévenue et irritée à son égard, elle ne voulut guère l’aider. Tout ce qu’elle put en tirer était qu’il venait de signer un contrat pour une mission humanitaire en Afrique. Ainsi il brûlait ses vaisseaux, et elle comprit que leur rupture était irrémédiable.


Étonnamment, au travail, elle sauva les apparences, tout au plus inscrivit-elle une ride amère aux commissures de sa bouche et ses tailleurs s’assombrirent-ils d’un ton. Elle passait par contre ses dimanches, ses soirées et une grande partie de ses nuits abattue et hébétée, devant le portrait de son éphémère amant.




-ooOoo-




Environ six mois plus tard, elle fit le rêve suivant : Alix la rejoignait dans son service pour lui apprendre, effondrée, qu’il était mort dans un accident de voiture suspect. Tous les passagers du 4x4 s’en étaient tirés sans égratignure et lui seul était décédé.

Elle se réveilla bouleversée, mais le rêve devait être prémonitoire, car le lendemain Alix pénétra effectivement dans son bureau, un sourire énigmatique aux lèvres :



Tremblante, elle composa fébrilement les chiffres du bonheur sur son téléphone. La sonnerie retentit plusieurs fois avant qu’une voix féminine ne réponde : « Allo, ici « Le jardin des délices » - si vous êtes mademoiselle Flora, un monsieur vous attend dans notre établissement ». Ensuite on raccrocha sans qu’elle n’ait le temps de poser la moindre question.




-ooOoo-




Ici le narrateur doit confesser un doute, ne sachant plus trop, dans le paragraphe qui précède ce que furent réciproquement rêve et réalité.




-ooOoo-




(*) https://fr.wikipedia.org/wiki/Le_Jardin_des_d%C3%A9lices#/media/File:El_jard%C3%ADn_de_las_Delicias,_de_El_Bosco.jpg