Affalée dans son fauteuil au milieu du jardin, Liandra ferme les yeux derrière ses grandes lunettes de soleil. Alors que le jour commence à baisser lentement, la température est descendue légèrement au-dessous de quarante degrés. Elle a l’habitude. Ce n’est pas une chaleur inhabituellement intense dans la région, pour un mois de janvier, c’est-à-dire en plein cœur de l’été australien. À trente-deux ans, elle vit avec son mari dans une belle maison en bordure du désert rouge, dans le centre du pays.
Elle n’est vêtue que d’un large T-shirt blanc et de sa petite culotte. Elle garde ses yeux fermés et commence à se caresser par de petits gestes concentriques.
Debout devant la porte du jardin donnant sur la cuisine, Mélanie la regarde. Au début, elle n’osait pas se montrer lorsque sa patronne s’exposait en tenue impudique et se laissait aller à des gestes sur elle-même non moins privés. Mais un jour, elle a haussé les épaules et n’a plus cherché à se dissimuler. Elle est la baby-sitter française que le couple a embauchée pour s’occuper de leurs deux enfants de quatre et six ans. Mais aujourd’hui, ils sont au centre de loisirs, et c’est leur père Bob qui doit aller les chercher. Il sera là d’une minute à l’autre.
Mélanie est donc désœuvrée. Étudiante en langues, elle n’a que dix-huit ans, fraîchement débarquée dans ce pays torride où tout est géant. Parfois un kangourou débarque dans le jardin, et il faut faire attention, en cherchant à le chasser, pour qu’il cesse de piétiner les fleurs, à ne pas se faire boxer par l’étrange animal. Elle sait que Liandra cherche à la séduire. Celle-ci n’est pas laide, mais la jeune fille n’est pas lesbienne. C’est un petit jeu coquin où l’une n’hésite pas à s’exhiber de plus en plus ouvertement et l’autre se contente de regarder et de laisser venir, plutôt amusée par cet impudique manège.
- — Je te plais, comme ça, demande Liandra ?
- — Vous n’êtes pas Vénus, mais vous ne manquez pas de charme, sincèrement. Lovely.
Volontairement, elle a prononcé le mot charme à la française. (1) Sa robe blanche et légère, mais suffisamment couvrante pour qu’on puisse la qualifier de pudique, ainsi que son fin serre-tête rouge lui donnent une apparence on ne peut plus sage : en tout cas, rien qui incite aux dévergondages. Elle possède pourtant une beauté juvénile qui la rend particulièrement attirante et la cible de permanentes tentatives de séduction. Sans doute aussi à cause de son beau visage aux traits réguliers et aux grands yeux rieurs. Tous les hommes ou presque, célibataires ou non, détournent leur regard à son passage. Elle n’y peut rien, et a dû apprendre depuis son adolescence à gérer des situations souvent gênantes.
- — J’adore les sonorités de la langue française, s’exclame Liandra tout en se caressant d’une main sous sa culotte. Tu peux me raconter quelque chose en français ? N’importe quoi, ce que tu veux.
- — Tu l’ignores sans doute, mais ce matin, pendant que tu prenais ta douche, ton obsédé de mari m’a prise par derrière en soulevant ma robe et abaissant ma culotte. Il m’a pénétrée en levrette en murmurant des obscénités à mon oreille. Comme il en a une bien longue, et aussi plutôt épaisse, il m’a fouillée profondément le ventre et j’ai eu un orgasme fantastique. J’ai dû m’empêcher de hurler, sinon vous m’auriez entendue. Ensuite, je me suis penchée un peu plus en avant, et il m’a sodomisée. Heureusement, il a mis une capote. J’adore ça, qu’on me casse mes petites pattes de gazelle, et il le fait à merveille. Car j’ai peut-être l’air d’une Sainte-Nitouche, mais en réalité, je suis une libertine. Et toi une sacrée salope, pour t’exhiber ainsi.
- — Merveilleux. Quel dommage que je ne comprenne pas un mot de ta langue maternelle ! Maintenant, je voudrais savoir la traduction en anglais.
- — J’ai dit que l’Australie est un très beau pays et que je me réjouis d’être venue y travailler. J’apprécie particulièrement les paysages du désert, où toutes les nuances du rouge s’expriment, de l’orangé au carmin en passant bien sûr par l’ocre, qui est la couleur dominante. Au moment où le soleil se couche, comme maintenant, ces couleurs changent de minute en minute. Tout ça sous un ciel d’un bleu profond qu’on ne trouve pas en France, du moins en métropole, même pas dans le Sud. J’aime beaucoup me promener sur ces chemins où on peut marcher des kilomètres – pardon, des miles – sans croiser personne. On y rencontre une faune étonnante, comme d’incroyables lézards.
- — Hum, je suis heureuse que la petite Française aime ma patrie. Et mon cunt, tu l’aimes aussi, ma chérie ? On dit aussi pussy, snatch… Tout cela ne sonne pas très joliment. Je suis sûre que le français a des mots bien plus romantiques pour exprimer cette chose féminine.
- — Votre chatte est belle, même si vous pouvez toujours rêver que je vienne vous faire minette : cela n’arrivera pas, car je ne suis pas une gougnotte, une tribade, une femme adepte des plaisirs saphiques. Mais pour autant, vous êtes plaisante à regarder avec ce joli minou, cette chagatte, cet as de pique – car vous y avez laissé les poils. On dit aussi foufounette ou foufoune, moniche, moule, conin ou plus simplement con, cramouille, coquillage, fleur intime, orchidée secrète… ou tralala, mais ce sont plutôt les adolescentes qui disent cela, sans forcément en connaître toutes les ressources. Il doit y avoir encore bien d’autres façons d’appeler le sexe féminin, qui ne me viennent pas tout de suite à l’esprit. Tout cela parfois sans vulgarité ; enfin, cela dépend du contexte dans lequel on emploie ces mots. La langue française est d’une infinie richesse : il y a une multitude de manières de dire les choses d’une manière familière, triviale, argotique ou bien scientifique, ou bien encore poétique.
- — Ça veut dire quoi, faire minette ?
- — Lécher le petit berlingot de joie, c’est-à-dire le clitoris, ou bien découvrir le poteau rose. Autrement dit, le cunni. Clit licking. Comme sait si bien le faire votre mari, dès que les enfants ont le dos tourné, parce que la nuit, j’entends tout ce que vous faites au lit. Et je me garderai bien de vous dire qu’il me le fait aussi, dès que vous avez le dos tourné. À présent, j’ai une question à vous poser : est-ce vous m’espionnez, quand je suis seule dans ma chambre et que je me livre à… enfin, ce que l’on peut faire avec son corps quand on s’ennuie, toute seule ? Je soupçonne le grand miroir fixé au mur d’être sans tain.
- — Inutile de vous le cacher : tout à fait, vous avez deviné. Bravo, vous êtes perspicace. Maintenant, vous nous tenez, mon mari et moi, car dans ce pays on ne plaisante pas avec l’absence de consentement. Cela dit, vous êtes d’une beauté à se damner.
En disant cela, sa caresse d’une main sous sa culotte la conduit à un bref, mais puissant orgasme qu’elle trahit d’un spasme au cours duquel elle se tend et se mord la lèvre inférieure, en laissant échapper un profond soupir d’aise.
- — Vous imposer ce spectacle indécent fait quasiment de moi une criminelle. Vous ne voulez pas m’accompagner ? Si vous acceptez de vous déshabiller pour faire ça sous mes yeux, je vous double votre salaire.
- — Ça ne va pas ? Vous me prenez sans doute pour une pute ? Sachez que lorsque je m’offre, c’est mon choix, et gratuitement ! Cela dit, rassurez-vous, je n’ai pas l’intention de vous dénoncer à la police ni de vous faire chanter. Ce n’est pas mon genre. J’aimerais juste que vous cessiez de violer mon intim…
Elle s’interrompt brusquement et blêmit, glacée, figée sur place.
- — Qu’y a-t-il ? demande Liandra ? Vous êtes malade ?
Son regard suit celui de la jeune femme et tombe sur le scorpion qui avance lentement vers son pied nu posé au sol ; l’arachnide, dard pointé vers l’avant, est presque arrivé à destination. L’Australienne le saisit entre pouce et index, avec précaution pour ne pas se laisser piquer, et sans se lever, jette l’animal qui tombe au fond du puits.
- — Ces petits scorpions noirs sont agressifs, et leur piqûre peut être mortelle. Vous savez, je suis née ici et j’ai l’habitude de ce genre de bestiole aussi répugnante que redoutable. Le désert est rempli de dangers… et je n’en suis pas des moindres !
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(1) Dans la suite du texte, ce qui est en italique est dit en français, sauf bien sûr les mots écrits eux-mêmes en anglais. (Retour)