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n° 17803Fiche technique116207 caractères116207
Temps de lecture estimé : 62 mn
26/02/17
Résumé:  Un train, un livre, une jeune femme complexée. Et la rencontre qui va changer sa vie...
Critères:  fh gros(ses) amour cunnilingu pénétratio attache fantastiqu -amouroman
Auteur : Lilas      Envoi mini-message
Dans ses yeux

1/



Le train filait comme un bolide. À travers la vitre un peu sale, la jeune assistante de direction ne voyait de l’extérieur que des fragments chaotiques qui finissaient par se fondre en une seule articulation jaune et verte.

Champs de colza et forêts obligent, pour les couleurs ; enchaînement d’hectares campagnards avalés à 100 km/h pour la continuité déstructurée du paysage.


Ça mettait un peu le vague à l’âme de contempler ce monde qui ne ressemblait plus à rien… l’engin à haute vitesse qui le transformait ainsi était-il aussi rapide que le flux des pensées ? Cassie en doutait.


À l’intérieur du train, une multitude humaine dans toute sa cacophonique splendeur. Téléphones, bavardages en plusieurs langues, rires, mouvements incessants. Il faut dire que le wagon était plein d’adolescents qui rentraient à Paris pour le week-end. Le troupeau beuglait et remuait dans un ballet désordonné qui donnait la migraine à Cassie. Elle soupira et reprit son livre « Vertueuse perversion » à la page 64.

Elle essaya de se plonger dans son chapitre, qui décrivait en détail les tortures sexuelles réservées à son héroïne… peine perdue, le fouet ne résonnait pas sur la peau tendre, le cri était inaudible dans la bouche meurtrie, l’orgasme inexistant dans ce corps de papier. Impossible de se concentrer !


D’un geste un peu brusque, Cassie se leva et se faufila dans l’étroite allée que bordaient les parallèles rangées de fauteuils remplis de gremlins post-pubères. La chose n’était pas aisée, entre les ballottements du wagon et ceux de son large fessier qui se frayait tant bien que mal le chemin.


Cassie atteignit la plateforme et put enfin accéder au wagon-bar, où elle commanda un jus de fruits bien frais.

Dans un soulagement non dissimulé, elle se percha sur un des hauts tabourets arrimés au sol, et croisa aussitôt le regard d’un homme assis à deux sièges d’elle. Il sirotait un café, et leurs yeux se rencontrèrent par-dessus la tasse de monsieur.


Sans bien comprendre pourquoi, la jeune femme rougit. Sans doute, cette petite lueur d’impertinence dans le regard mordoré d’un homme, particulièrement viril, en était la cause…


Elle se détacha vivement de cet alléchant spectacle, craignant d’avoir été impolie, et se jeta à corps perdu dans la contemplation de la carte des boissons, affichée devant elle. La petite jeune fille derrière le comptoir lui servit sa bouteille de jus de fruits, et Cassie la remercia avec un gentil sourire.



Du jus de fruits se répandit sur le comptoir. Évidemment, Cassie était en train de verser le liquide dans son verre lorsque le mâle avait choisi de l’aborder… La jeune femme le regarda d’un air perplexe.



L’inconnu la considéra malicieusement, puis descendit de son perchoir pour venir essuyer la tache de liquide avec sa serviette. Cassie l’observa et pensa qu’il était décidément bel homme. Pas un canon à proprement parler, loin d’être parfait, ses prunelles étaient un peu rapprochées et il avait du ventre. Et pourtant il lui plut tout de suite. Cela dit, elle ne se faisait aucune illusion, avec son physique ingrat…



Elle piqua un fard. Et merde ! Triple merde ! Jamais elle n’aurait pensé qu’on l’aborderait dans ce wagon-bar bourré de gamins ! D’habitude elle planquait soigneusement ses lectures licencieuses ! Et bien sûr aujourd’hui, il fallait qu’elle tombe sur un type super attirant ! Bon, c’était carrément mort, là. Autant faire la conversation sans espérer grand-chose.



Pas doué pour les compliments, le bonhomme… Cassie porta le verre à sa bouche et but deux longues gorgées du breuvage, car elle avait réellement soif. Elle essayait de gagner du temps. Soit c’était un pervers qui connaissait le bouquin et se demandait s’il y avait là moyen de l’allonger sur une banquette arrière de voiture. Soit il était simplement curieux et se faisait chier. Il faudrait qu’elle se décide vite, car dans le deuxième cas, elle n’avait pas envie de passer pour une obsédée sexuelle.



Cassie haussa un sourcil et planta avec bravache son regard dans celui de son interlocuteur.



La jeune femme le regarda entre ses cils, tandis qu’il s’asseyait souplement sur le tabouret voisin au sien. Il riva ses yeux à ses seins, une seconde ou deux, puis croisa son regard. Cette fois, aucune malice. Cassie décrypta aisément le message. Plutôt bel homme, entre quarante et cinquante ans, une légère barbe blonde mêlée de poils gris, des cheveux abondants et sous les sourcils épais, de sacrés beaux yeux dont la teinte marron tirait sur le doré. Quelques rides ici et là, une bouche intéressante, et définitivement, une sensibilité à ses propres charmes, qu’elle jugeait pourtant inexistants.

Bizarre.



Elle frémit en entendant son prénom roucoulé dans cette délicieuse bouche.



Il éclata de rire.



Éric sourit à nouveau. Il avait des dents régulières, mais jaunies, par le tabac certainement. Ça ne gâtait en rien son charme, se surprit à penser Cassie. Curieux comme l’attraction tenait à d’infimes petites choses parmi tous les détails qui composaient une personne.

Était-ce de l’alchimie ? Une question d’ondes ? Un ensemble de fragments qui devenait une belle harmonie sous le regard tout relatif de l’autre ? Est-ce que l’on créait cet autre comme il nous plaisait de l’imaginer, et peu importait la réalité ? L’ensemble était-il instable, fragile, dépendant de notre humeur, de notre fatigue, de nos pensées quelques minutes auparavant ?



Il se cacha le visage dans les mains pour dissimuler son sourire imbécile. Cassie ricana malgré elle, se demandant où il voulait en venir. En fait, elle finit par comprendre assez rapidement.



L’homme la contempla entre ses doigts. Il souriait toujours. Cassie avait du mal à contenir sa surprise. Finalement, Éric reposa ses coudes sur le comptoir et fixa la jeune femme en silence. Elle se sentait réellement fondre quand elle le contemplait. Il avait ce je ne sais quoi de franc, de drôle, de sérieux et de charmeur, qui lui inspirait confiance. Elle essaya de résister à l’appel, et découvrit que la curiosité l’emportait sur pratiquement tout le reste.



Éric fit un vague geste de la main.



Éric sourit aimablement.



Un certain silence s’installa après cet échange. Cassie finit son verre en surveillant Éric du coin de l’œil, tandis qu’il la dévorait des yeux, ses jolies lèvres relevées en un vague sourire sibyllin.



Cassie digéra l’information, évitant de regarder son troublant interlocuteur.



Éric parut choqué.



Ce regard mit Cassie extrêmement mal à l’aise. Elle s’agita sur son siège, cherchant désespérément quelque chose d’intelligent à dire. Était-il en train de la draguer finalement ?


Un parfait inconnu la mangeait des yeux, et elle se sentait envahie de drôles de pensées. Elle ne savait pas ce qui lui parut le plus étrange. Que cet homme semble la trouver bandante, ou qu’elle commence à être d’accord avec lui sur ce point. Ridicule !



Devant la mine dubitative de la jeune femme, Éric soupira.



À cette seconde, la jeune femme s’aperçut que la petite serveuse, le nez plongé dans je ne sais quelle lecture enrichissante mandatée par son employeur, buvait en fait leurs paroles depuis le début.

Cassie baissa la tête, gênée. Éric continuait à la contempler attentivement, les sourcils froncés.



Cassie versait dans la provocation gratuite, et le savait. Elle ne pouvait pas s’en empêcher ; si quelqu’un lui faisait des avances, c’était forcément louche. Sa nature suspicieuse lui avait d’ailleurs valu bien des déboires par le passé. C’était plus fort qu’elle, dès qu’on se montrait élogieux à son égard, elle perdait tous ses moyens et cherchait le maillon faible chez l’autre.


Après tout, on ne lui avait jamais caché son manque d’attrait. Elle entendait ce refrain depuis son adolescence. Au début, ces jugements cruels sur son physique l’avaient révoltée, puis petit à petit, elle s’était rendue à l’évidence : puisqu’aucun pantalon ne lui allait dans les boutiques à la mode, c’était bien la preuve que son pétard ne rentrait pas dans la norme.


Bien sûr elle avait un cerveau, et savait réfléchir. Elle se trouvait moins grosse que certains le prétendaient, et n’était pas satisfaite qu’avec son IMC, on la catalogue dans les obèses morbides.

Pour le reste, elle n’ignorait pas à quoi elle ressemblait, et en avait pris son parti, d’une certaine manière.



Éric hocha la tête, semblant plus amusé qu’agacé. Il fouilla dans une sacoche en cuir restée sur le comptoir, et finit par en extirper le petit document plastifié, que Cassie prit sans dire un mot. Elle lut attentivement la carte, puis la rendit à son propriétaire.



Éric sourit.



La mine impassible, Cassie se saisit de son livre et sauta quelques passages après son marque-page. Elle lut quelques secondes, puis leva les yeux vers Éric. Il la dévisagea intensément. Ça commençait à devenir difficile de résister à son charme… Cassie se mordit la lèvre.



Cassie ne releva pas, mais continua à sauter les pages, lisant quelques bribes de mots de temps à autre. La jeune femme se racla la gorge.



Éric sembla hésiter. Il jeta un rapide coup d’œil sur la serveuse, à quelques mètres d’eux, qui masquait difficilement sa dévorante curiosité pour leur conversation.



La jeune femme le suivit docilement. Elle se sentait légère, un peu groggy, et observa le dos puissant qui la précédait. Les plis de ses muscles étaient apparents sous la fine chemise bleu clair… jusqu’ici elle n’avait pas remarqué la force de cet homme. Ça n’arrangea pas son état.

Ils traversèrent quelques wagons de cette manière. Cassie ignorait bien ce qui pouvait la pousser à se mouvoir comme dans un rêve, sans rien demander, sans rien exiger. Son repère visuel était la chemise claire, son repère olfactif les fragrances épicées de l’eau de toilette masculine, son repère émotionnel la chaleur de la main qui tenait toujours son coude. Ce dernier était le plus puissant, c’était lui qui sans doute la guidait parmi tous ces gens. Assurément, la promesse que la chaleur se répande dans tout le reste de son corps jusqu’à sa plus profonde intimité, concentrait toute la volonté de Cassie en un seul point dense et incontrôlable, au plus près de son flux nerveux qui la menait à poser un pied devant l’autre.


La rupture fut abrupte lorsqu’Éric finit par la plaquer contre la paroi du dernier wagon, pratiquement désert. Cassie sortit de sa rêverie sensuelle, le cœur battant comme un fou jusque dans sa gorge.



Les mots moururent sur ses lèvres quand elle croisa le regard mordoré, un peu sauvage, d’Éric ; il approcha son visage du sien jusqu’à ce qu’ils respirent le même souffle.



Ernest a regardé Sophia, et crois-moi qu’elle n’avait rien de la sagesse grecque contenue dans son prénom. Il a simplement vu une pute, trop maquillée, qui aimait se faire un peu taper parce que ça l’excitait. Par jeu, ou peut-être un peu par cruauté, il lui a attrapé un bout de sein à travers le tissu de sa robe noire, et il l’a pincé, et ça l’a fait gueuler, alors il lui en a mis une en pleine poire. Ils se sont fait dégager en moins de trois minutes, sous la menace d’appeler les poulets.

Et Ernest a fait une chose qu’il n’a jamais regrettée depuis, il a balancé Sophia sur le capot de sa bagnole, a remonté sa jupe sur ses cuisses grasses, s’est dézapé et a commencé à la tringler comme un bœuf en rut, en pleine rue, sous la lumière dégueulasse des lampadaires.



Il continua à la fixer, sans répondre, et la jeune femme sentait la chaleur de son corps tout contre son propre corps, et elle mourait d’envie de…



Elle n’hésita pas une seule seconde.



Cassie essaya de lire dans ses yeux.



Et il écrasa sur ses lèvres un baiser de dément, fait de feu, et de pluie, et de sang.




2/



Le miroir renvoyait l’image d’une drôle de fille au regard interrogateur, comme si elle se demandait effectivement si c’était bien son habituel reflet devant elle. Quelque chose avait changé, mais elle ne saurait dire quoi. Elle se fit un sourire, observa ses dents, ne constata pas de problèmes de ce côté-ci, écarquilla les yeux pour en observer le blanc, tourna à demi la tête sans se quitter du regard, et en était là de ses grimaces lorsque Christelle, sa collègue, entra dans les toilettes.



Le geste resta figé tandis qu’elle penchait la tête pour mieux voir sa collègue.



Cassie essaya de cacher sa gêne.



Du coin de l’œil, elle vit Christelle s’approcher d’elle d’un air perplexe.



Cassie se prit à penser qu’elle ferait mieux de s’occuper de ses affaires, mais haussa les épaules dans un simulacre de gaieté, continuant à se laver les mains.



La perplexité de Christelle se mua en un regard vide et profondément imbécile. Petite trentaine, cul serré dans des jeans moulants et blouse imprimée léopard, le fond de teint et le rouge à lèvres épais, une fourrageuse permanente fixant ses cheveux méchés de blond et de noir, Christelle était ce qu’on pouvait appeler une pétasse psychotique, alternant les rumeurs les plus crasses aux observations les plus naïves, relents de son angoisse à laisser échapper le réel dans une continuelle perte de contrôle. Tout savoir ou tout deviner sur tout le monde faisait partie intégrante de sa personnalité, tant elle craignait de se retrouver dans une situation humiliante, dégradante ou non conforme à la haute idée qu’elle se faisait d’elle-même.


Par exemple, elle proposait toujours aux autres de leur offrir un café quand elle s’en servait un à la machine, de peur qu’on le lui demande, et qu’elle se retrouve comme qui dirait en statut de serveuse – ce qui était dégradant. Elle posait, de la même manière, autant de questions bêtes et insignifiantes, afin de s’entendre répondre qu’elle connaissait les réponses ou qu’au moins, ces dernières étaient à l’image de celles qu’elle se représentait – ce qui la rassurait.

Enfin, elle aimait colporter les plus viles rumeurs, souvent emballées d’un joli papier cadeau « jem’inquiètepourellemais », ce qui, à ses propres yeux, la dédouanait du tort qu’elle pourrait éventuellement causer, puisqu’elle le faisait avec bienveillance.



Cassie ne put contenir son sourire satisfait.



Christelle plissa ses yeux tout en jaugeant Cassie du regard.



Instinctivement, Cassie porta un doigt à sa bouche tuméfiée, que Éric avait dévorée et mordue ardemment la veille. Elle devrait sans doute éprouver de l’embarras, avoir honte ou peur de ce rapport de force intime et passionnel, et pourtant… seule demeurait l’immense joie de vivre une relation exceptionnelle. Il lui arrivait enfin quelque chose, à elle, Cassie Martinez !



Cassie se raidit.



Christelle, occupée à se repasser du rouge à lèvres sur sa bouche déjà écarlate, envoya un regard de commisération à Cassie dans le miroir.



Cassie se retourna vers son interlocutrice et la toisa de toute sa hauteur. En effet, la bombasse aux fausses créoles et aux vrais airs de salope mesurait bien quinze centimètres de moins qu’elle. Sa collègue battit en retraite jusque dans la cabine :



Le bruit de la porte se refermant brutalement fit sursauter Cassie. Pendant que Christelle essayait de se débattre dans son jean enfilé au chausse-pied, Cassie, furieuse, passa devant la porte et lança à voix basse et fielleuse :




* * *



Arrivée dans son trois-pièces ce soir-là, épuisée par sa journée de boulot et toujours en colère contre sa pourriture de collègue, Cassie prit le temps de se servir un verre de vin, qu’elle dégusta avec un paquet de cacahuètes, songeuse. Quelque pensée obscure se formait dans son esprit, elle n’arrivait pas à se concentrer suffisamment pour la formuler de façon claire. Le souvenir du baiser de la veille parasitait sa réflexion…



Et sa langue avait cherché la sienne, et son souffle s’était mêlé au sien, et ses doigts avaient glissé dans ses cheveux blonds en une voluptueuse cajolerie. Sa bouche avait le goût de café, de tabac, une odeur de mâle puissant, attractif ; la suavité de sa langue, la brûlure de ses lèvres ardentes avaient achevé de la faire chavirer.


Désormais faible esquif de chair et de désir, Cassie avait noyé son regard dans le sien, comme pour imprimer sur sa rétine le moindre détail de ce visage tout en angles et arrondis sensuels.



Elle avait fouillé, fébrile et enfiévrée, dans sa poche de manteau, jusqu’à ce qu’elle trouve un stylo. D’une main un peu tremblante, elle avait saisi la paume d’Éric, l’avait embrassée en le regardant droit dans les yeux, puis avait rapidement noté son numéro de téléphone au dos de sa main virile.



Éric lui avait souri, d’un air franc. Une dernière caresse sur ses cheveux, et il s’était reculé.



Elle l’avait suivi des yeux tandis qu’il s’éloignait dans la foule bruyante, descendait rapidement les escaliers et prenait la sortie extérieure sans un regard en arrière. Mollement, Cassie s’était engagée vers les bas-fonds de la gare, en direction du métro, parmi les effluves parfumés de jus de fruits provenant des vendeurs de smoothies hors de prix.


Et maintenant elle était là, dans son salon, et elle avait du mal à croire qu’elle n’avait pas rêvé. La magie de cette rencontre commençait à s’estomper pour ne laisser que des doutes. Le poison Christelledemoncul faisait apparemment son effet. Salope ! jura-t-elle encore une fois.

En quoi était-ce si difficile d’imaginer qu’elle puisse plaire à quelqu’un ? Qu’elle aussi puisse faire des rencontres extraordinaires, et peut-être trouver l’amour ?


Le cœur battant, elle gagna la salle de bain, se déshabilla et pour la première fois depuis des années, prit le temps de s’observer dans le miroir sous toutes les coutures. Le spectacle était désolant. La graisse de ses cuisses lourdes et de ses larges fesses la répugna. Quant à ses gros seins qui pendaient, impossible de les trouver un tant soit peu jolis.


Démoralisée, elle se fit couler un bain, et en attendant que sa baignoire se remplisse, passa un peignoir. Installée devant son ordinateur, elle eut envie d’écouter de la musique et cliqua sur sa playlist Happiness, de Sébastien Schuller.

Elle surfait sur le net à la recherche de quelques informations sur Éric lorsqu’elle entendit la sonnette de l’entrée à travers ses écouteurs.



Cassie s’appuya sur le chambranle en dévorant l’homme du regard. Chaque détail de sa personne se gravait dans sa mémoire, au fur et à mesure que ses yeux se posaient sur sa petite barbe de quelques jours, le revers de sa veste dont un bord était mal plié, le fouillis de poils qui débordait de l’encolure en V de son pull bleu marine, le gonflé appétissant de son entrejambe, perceptible à travers le pantalon de toile beige, ses mains, qu’elle savait douces et précises lorsque ses doigts effleuraient sa peau… enfin son regard erra vers le haut du visage et rencontra celui d’Éric, intense, plein de promesses mêlées d’espoir ; et finit par tomber sur la ligne souriante de ses lèvres à l’ourlé si doux.


La jeune femme aurait pu lui demander ce qu’il fichait là et comment il l’avait trouvée. Finalement ces explications s’avéreraient tellement dérisoires face au déferlement d’émotions qui l’envahissait… La cale était percée, l’eau s’insinuait de tous côtés… à nouveau elle devenait ce frêle esquif, tremblant dans la houle du désir, dont Éric semblait le seul commandant à bord.


Inutile de décrire l’infime son que produisent les bruissements d’étoffes lorsque les vêtements tombent à terre, ou les bouches lorsqu’elles se cherchent en d’enfiévrés baisers de sel. Inutile d’évoquer ces incontrôlables mouvements de pudeur au moment où les doigts glissent tels des rubans de feu jusqu’aux plus chaudes intimités lourdes de plénitude… puis plus bas, humides des sucs irrépressibles de l’envie, quand les corps deviennent juste le véhicule absolu dont se sert la passion pour s’épanouir.

Et lorsque ces réflexes avortés d’une maigre résistance s’évanouissent dans le tourment des flammes, ne reste plus que le vacarme de l’âme au plein rugissement de son plaisir.


Inutile, oui, car la puissance de l’instant se perd toujours au creux d’une étreinte muette, une étreinte aussi vieille que le monde.




* * *




À l’autre bout de la longue baignoire blanche, Éric riva ses yeux aux siens, souriant, détendu.



Éric sembla songeur. Sous la surface, ses pieds frôlèrent l’intérieur des cuisses de Cassie, la faisant frémir.



Cassie rosit de plaisir. Coquine, elle glissa ses mains dans l’eau chaude et caressa les genoux ronds, pileux, sensibles. Éric parut apprécier… surtout lorsque ses ongles remontèrent les muscles de ses cuisses, pour aller se perdre tout près de sa sensible paire de couilles.



Éric poussa un lourd soupir, puis rouvrit tout à fait les yeux pour contempler Cassie. Les cheveux noués sur le dessus de sa tête, la peau brillant d’humidité et les seins flottant dans la mousse, il la trouvait irrésistible. Elle le dévisagea sans gêne.



Cassie détourna les yeux.



Éric parut stupéfait.



Les yeux bruns d’Éric s’écarquillèrent davantage.



Éric garda soudain le silence. Cependant, il ne baissa pas les yeux.



Court silence.



Éric se racla la gorge, puis sembla s’absorber dans la contemplation de la mousse qui s’évanouissait en frémissant dans l’eau du bain. Lorsqu’il regarda à nouveau Cassie, qui attendait, le cœur au bord des lèvres, son visage était grave, mais serin.



Pour la première fois, un embarras manifeste vint gâcher les beaux traits de son amant.

C’est avec toute la peine du monde qu’il laissa échapper :



Cassie fronça les sourcils.



Cassie sentit une grosse boule indigeste se former dans sa gorge. Les yeux piquant de larmes, elle jeta sèchement :



Cassie saisit fermement les bords de la baignoire, se leva et sortit du bain, animée d’une rage comme elle en avait rarement ressentie.



La jeune femme attrapa son peignoir et abandonna son amant, commandant sans navire, naufragé dans la mousse de sa baignoire.


Il la rejoignit quelques instants plus tard. Ses pieds nus laissaient des empreintes humides sur le tapis épais du salon. Cassie fumait nerveusement devant son ordinateur, et avait repris ses écouteurs. Elle sursauta lorsqu’il effleura délicatement son épaule. Le regard mitraillette qu’elle lui lança affligea davantage l’écrivain.



Il fit mine de lui ôter son casque, provoquant chez Cassie un mouvement de colère. Elle le repoussa si violemment que ses écouteurs tombèrent. Assombri, Éric la saisit par les épaules, très fermement cette fois, et l’obligea à se dresser devant lui. Haletante, les yeux lançant des éclairs, Cassie le mesura du regard. Il la trouva tellement belle que sa bouche trouva d’instinct celle de sa maîtresse en un baiser farouche. Les lèvres brûlantes d’insultes avortées s’ouvrirent toutes seules sous la poussée impérieuse de sa langue.


Dans un grognement étouffé, Éric serra la jeune femme contre lui. Amollie contre son corps chaud, elle ne réagit pas, répondant même à son cuisant baiser. Sous le coup de cette brûlante réponse, Éric sentit monter en elle un désir sauvage qui le surprit et le déstabilisa une fraction de seconde.


Cassie en profita pour se dégager de son étreinte brusque. La gifle qu’elle lui colla en pleine poire alluma un incendie puissant chez l’homme. Atteint dans sa virilité, il agrippa les poignets de Cassie dans un étau implacable.



Le souffle court de la jeune femme, ses yeux agrandis et luisants d’excitation semblaient autant d’indices du déchaînement nerveux qui l’étreignait. Éric écrasa encore une fois ses lèvres sur les siennes, et ils s’embrassèrent avec passion durant de longues minutes.


La respiration coupée, Éric s’éloigna un instant pour saisir la cigarette à moitié éteinte des doigts de Cassie, et la jeta négligemment dans le cendrier ; puis il accrocha sa nuque encore humide du bain, forçant peu à peu la jeune femme à se renverser sur le bureau.


Leurs yeux se croisèrent. Le combat muet, mais fiévreux qui les animait avivait leurs regards et cinglait leurs gestes, tandis que l’homme laissait tomber la serviette ceignant ses reins, et divisait les cuisses charnues de Cassie pour buter séance tenante dans son sexe. Il était mouillé et entrouvert. Éric n’eut aucun mal à s’y enfoncer profondément.


Cassie émit une espèce de borborygme excité, attirant aussitôt le membre dressé au plus loin dans son antre, d’un ample mouvement de hanches. Haletant, Éric la fixa droit dans les yeux, tout en entamant de frénétiques saccades au plus chaud de son ventre. La claque qu’il lui décocha sur une fesse entraîna un sursaut surpris en elle, et à travers les mèches folles de ses cheveux dénoués, elle l’interrogea du regard.



Et il recommença à la fesser avec régularité, tout en la laminant vigoureusement, ce qui ne sembla pas déplaire à sa maîtresse. Les pieds solidement accrochés autour de l’homme, Cassie exposait sans plus aucune pudeur la mollesse dilatée et tendre, rosie par l’effort, de son corps étendu sur le bois froid du bureau. Elle frottait indécemment ses formes opulentes contre Éric, sans plus penser à rien.


Seule comptait désormais la houle puissante qui la galvanisait au plus profond de son être. Seule comptait, oui, cette démente étreinte que lui offrait Éric, qui les yeux dans les siens, la conduisait assurément au bord de ce plaisir fou qu’elle avait expérimenté seulement une heure auparavant. C’était la première fois dans sa courte vie que, sans mots, sans promesses, voire sans préliminaires, elle ressentait ce besoin de jouir qui lui faisait tout oublier, même les courbatures et les douleurs dues à l’inconfortable position…


Éric se pencha et embrassa ses larges mamelons qui se dressèrent sous sa langue, puis il les mordilla. Remontant sa bouche pour conquérir celle de la jeune femme, il se mit à pincer les tétons sensibles. Cassie ne tarda pas à jouir comme une folle, le postérieur rougi, les sens en déroute et bousculée dans toutes ses certitudes. Ses cris ne furent pas qu’un pâle écho inachevé de son torrentiel orgasme. Ils exprimaient toute la difficulté que cette relation pulsionnelle aurait à vivre. Ce mélange de douleur et de plaisir qui la ravageait à cet instant précis, faisant fi de ses principes et de son éducation. Qui était-elle ? Comment se penser en tant que Cassie maintenant qu’elle se savait différente, maintenant qu’un homme comme Éric, un inconnu la veille encore, était en train de jouir en elle sans préservatif ? Comment avait-elle pu en arriver là, elle qui n’avait jamais supporté qu’un homme lève la main sur elle ?


Paradoxalement songeuse dans son délire paroxysmique, Cassie serra son amant contre elle, absorbant ses gémissements de plaisir comme la prêtresse écoute religieusement le chant sacré du temple. Éric venait soit de la corrompre, psychologiquement et physiquement, soit de la mener vers elle-même. Encore tremblante, les membres lourds de félicité, Cassie reniflait l’odeur de sueur de son partenaire, tandis qu’il reprenait doucement conscience, avachi sur elle, soufflant comme un bœuf. Le parfum de cet homme était enivrant. Elle embrassa son épaule moite, il bougea un peu, et leurs yeux se croisèrent à nouveau… elle lut dans son regard ce désordre mêlé de perplexité et de fascination, qui avait déjà été le sien lors de leurs deux premiers rapports sexuels.



Cassie lui sourit.



Éric se redressa en grimaçant, libérant de son poids la jeune femme. Ignorant les zones douloureuses, Cassie parvint à asseoir sa corpulence flasque. Éric lui prit la main et baisa le bout de ses doigts, avant de glisser de longs baisers mouillés dans son cou et sur ses seins.




3



Le lendemain, Cassie s’aperçut du changement. Debout devant la glace de sa chambre, elle observait, muette, éberluée, les formes de son corps nu, baignant dans la lumière crue de ce petit matin de janvier.


Elle avait minci.


Elle réfléchit. La veille, Éric et elle avaient englouti deux pizzas arrosées de bière, puis il avait fini par la quitter, non sans regrets. Le tout accompagné de baisers torrides jusqu’au pas de la porte. Bon, et les jours précédents ?

Impossible qu’elle ait pu perdre du poids, entre les pains au chocolat du matin, les repas gargantuesques à la restauration de l’entreprise, les délires calorifiques du soir, tous les soirs, frénésie compensatrice de sa vacuité sexuelle et sentimentale.


Et pourtant, elle avait minci, elle le voyait, elle comparait. Dans sa salle de bains hier elle en avait pleuré de dégoût, de rage, de honte.


Aujourd’hui elle se trouvait presque belle.


Le cœur battant, elle monta sur sa balance. Aucune différence. Complètement effondrée, Cassie se dit que le regard de son bel amant avait déteint sur elle, et qu’elle commençait à se voir à travers ses yeux amoureux.


Elle s’habilla tristement et partit au boulot.




* * *



Dans la réserve, Cassie compulsait ses documents avec attention. Ses petites lunettes sur la tête, concentrée, elle mit un moment à réaliser qu’elle n’était plus seule. À une ou deux allées de la sienne discutaient deux ou trois personnes. Cassie releva la tête de ses papiers et écouta avec curiosité. En fait, elle avait l’impression qu’on était en train de parler d’elle… son prénom avait-il réussi à percer la bulle dans laquelle elle se complaisait à l’étude de ses dossiers ?


Discrètement, elle se rapprocha du brouhaha de voix, et aperçut Christelle, Béatrice et Patrick, collègues du service compta, en train de papoter gaiement près du bureau vide de l’archiviste. Un horrible pressentiment étreignit Cassie et elle eut envie de faire demi-tour immédiatement.



Béatrice ricanait. Christelle se pencha vers Patrick en prenant un air de conspiratrice.



Rire général.



La main sur la bouche, Cassie réalisa qu’elle était aveuglée par des larmes de rage et d’humiliation.

Elle mordit dans sa paume pour ne pas hurler, et prit ses jambes à son cou.


Enfermée dans les toilettes, elle s’abandonna contre une cloison, pleurant à sanglots bruyants, furieux et pathétiques à la fois. Salope, espèce de salope… tous… tous des raclures !


Elle mit un moment à se calmer. Les yeux rougis, elle finit par sortir, et se dirigea vers le placard de la femme de ménage. Elle tria calmement les produits, trouva ce qu’elle cherchait, et se dirigea avec résolution vers le bureau que Christelle partageait avec Béatrice. À travers la vitre, elle vérifia qu’elles n’étaient pas encore remontées, entra et versa toute la bouteille d’alcool ménager à 90° dans le pot de son fringant cactus. Les connasses comme ça ont toujours des cactus, ça fait tendance. Tant pis pour celui-ci… Cassie nota mentalement de revenir le lendemain avec le même produit si rien ne se décantait d’ici là.


Elle jeta un coup d’œil alentour, et son regard tomba sur le petit sac isotherme, posé sur la chaise de bureau de cette salope de Christelle. Elle se souvint qu’elle se faisait souvent des petits repas pépère dans la salle de réunion avec le boss et quelques collègues triés sur le volet.


Déterminée, Cassie ouvrit le sac et aperçut un tupperware qu’elle ouvrit sans hésitation. Carottes râpées, tomates et œufs durs. Avec jouissance, elle cracha trois gros molards bien dégueu sur l’ensemble, et rangea le tout. Elle se sentait un peu mieux.




* * *




Elle haussa les épaules. Ils étaient attablés autour d’un bon dîner, chez la jeune femme comme à leur habitude. Homme marié ET écrivain, même de troisième zone, pas de restaurants, pas de lieux publics…



Éric se raidit. Son regard se fit perçant.



Cassie leva les yeux et rencontra le regard brillant de son amant. Quelque chose dans ses yeux lui fit peur. Il paraissait contenir sa rage comme il pouvait, mais les ailes palpitantes de son nez et la ligne serrée de sa bouche le trahissaient.

Cassie se sentit prise de vertige, et s’agrippa à la table. Elle analysa les émotions intenses qui se bousculaient en elle comme un arc électrique, et se dit que c’était la première fois qu’un homme se souciait d’elle de cette manière. La pénible sensation de manège s’arrêta et elle se retrouva immobile sur sa chaise, contemplant un homme qui l’aimait véritablement, et cela aussi, c’était la première fois.


Tremblante, elle se leva.



Éric ne dit rien, mais la suivit des yeux, tandis qu’elle se rendait dans le couloir. Une fois à l’abri dans la pénombre de sa chambre, Cassie s’appuya sur le montant de sa commode pour reprendre son souffle. Désemparée, envahie de félicité et de terreur, elle croisa son reflet dans son miroir en pied. Malgré l’obscurité relative de la pièce, qu’elle n’avait pas allumée, elle distingua la lueur puissante du bonheur dans ses yeux, et se trouva magnifique. Même sa silhouette semblait magnifiée. Embellie, amincie, vénusienne.

La jeune femme se sourit. Ses dents brillèrent dans le noir.




* * *



Suivirent deux semaines de jeux, d’amour et de complicité hors du commun. Cassie avait pris ses congés, Éric avait pu inventer un déplacement professionnel… ils s’installèrent dans un petit hôtel cossu de Gruissan, se prirent en photos sur la plage aux reflets gris du gros temps qui soufflait en pleine mer. L’écharpe de Cassie s’envola, ils contemplèrent longtemps ce ruban rouge qui portait jusqu’aux cieux le témoin de leur amour inconditionnel.



Éric se pencha pour humer le parfum de son cou… la jeune femme frotta doucement sa joue contre la sienne, comme une chatte ronronnante. L’homme s’éloigna un peu pour plonger ses yeux dans les siens.



Cassie ouvrit de grands yeux.



Éric lui sourit… elle eut la désagréable impression qu’il essayait de la rassurer par cet éblouissant sourire.



Plus tard à l’hôtel, après de longs baisers brûlants, Éric bascula Cassie sur le lit, et commença à la déshabiller, un peu plus brusquement qu’à l’ordinaire.



Éric lui jeta un regard insondable par-dessus le bourrelet de son ventre, puis il continua à enfouir son nez et sa bouche dans son antre clapotant. Sa langue était agile, gourmande, généreuse… Cassie se mit à piauler, frissonnante de désir. Ses larges cuisses enserrèrent la tête de son amant, tandis qu’il se goinfrait de sa mouille comme un mort de soif, léchant et pourfendant tour à tour, les gros plis baveux de sa chair fondante. La jeune femme referma les yeux, crispée, remuant irrégulièrement son bassin vers cette source infinie de plaisir. De longues minutes plus tard, elle finit par succomber, la langue agitée de son amant profondément enfoncée dans son sexe ouvert et ruisselant.



Après quelques instants, Éric se redressa et éclata de rire en la couvant du regard :



Elle protesta un peu, pour la forme, tandis qu’il finissait d’attacher ses bras en haut de sa tête, et reliait la corde au montant métallique du lit. L’excitation commençait à la gagner sérieusement, comme toujours. Incroyable, il venait de la faire jouir, et elle avait à nouveau envie… ou besoin… elle ne savait plus très bien… de sa langue titillant son clitoris… ou de son pénis la fouaillant au plus profond de son ventre… ou de ses mains sur ses seins, ses fesses… ou du fouet sur sa peau…


Cassie jeta un long regard de convoitise sur l’objet de ses fantasmes, qui lui sourit en retour. Il ôtait un à un ses vêtements, et les jetait sur le fauteuil jouxtant leur lieu de perdition. Cassie gravait une foule de détails dans sa mémoire.

L’odeur un peu vieillotte de la courtepointe en lainage beige… celle du cuir aussi, qui nouait ses poignets.

Le parfum élégant, légèrement citronné, de l’eau de toilette d’Éric, qui lui parvenait par bouffées, à mesure qu’il bougeait autour d’elle.

Le contact pelucheux et strié de vagues de cette même courtepointe qui imprimait sa peau tendre de ses reliefs un peu rêches, sous elle.

La fermeté du matelas, par voie de conséquence, provoquant un léger mal de dos par sa position un peu rigide.

La lumière, basse et conspiratrice, se contentant d’éclairer juste assez la scène de dépravation qui avait lieu dans cette chambre impersonnelle.


Éric se déplaçait avec lenteur autour du lit, la mangeant du regard. Son sexe s’était dressé depuis une bonne dizaine de minutes, et ne faisait pas mine de piquer la tête. Cassie l’observa avidement, puis ses yeux se perdirent dans le fouillis de poils foncés, du bas en premier, du haut ensuite, seulement éclairci par les deux aréoles orangées de ses mamelons.



Cassie retint son souffle, tandis qu’Éric fouillait dans son sac de voyage. Il en sortit une autre corde. La jeune femme n’en pouvait plus d’attendre, au comble de la frustration. Elle se mit à haleter bruyamment pendant que son amant lui écartait les cuisses à nouveau, et liait ses chevilles aux deux extrémités du lit, la forçant à se tenir nue, écartelée, le sexe offert à tous ses regards.



Encore une fois, il se pencha sur son sac, et en sortit un énorme godemichet en silicone couleur noire. Cassie écarquilla les yeux, sa respiration se bloqua puis repartit de plus belle, encore plus fort qu’auparavant.



Son cœur battait si fort dans sa poitrine qu’elle avait l’impression qu’il allait lui remonter dans la gorge. Éric soupesa la bête, souriant, jubilant.



En réalité, elle avait peur. Peur de ses réactions. Peur du déferlement de sensations que pourrait causer cet engin oblong et monstrueux. Son cœur pourrait-il supporter cet assaut vertigineux ? Cassie était à la merci de son amant… si mystérieux, si intelligent, si perspicace. Sa vulnérabilité, en cet instant, était tellement puissante qu’elle s’imaginait au bord du pont, sans savoir si l’élastique noué autour de ses chevilles était bien relié à un endroit stable. Allait-elle tomber ?! Une chute sans possibilité de retour ?


Éric se contenta de lécher le géant noir, puis il commença à l’enfoncer au creux de ses cuisses, ne quittant pas Cassie du regard. Il s’y prenait bien, tournant et enfonçant juste ce qu’il fallait, petit à petit. La jeune femme soufflait et gémissait, perdue, percluse de plaisirs insensés. Les jambes ouvertes à s’en déchirer, elle remuait comme une folle, jetait des regards de démente à la fourche de ses cuisses, évaluant ce qui restait de l’épieu et par conséquent ce qui se trouvait en elle, doucement planté dans sa chaleur humide. L’épais diamètre était ce qui l’avait effrayée dès le début, et finalement le godemichet s’était enfoncé comme dans une motte de beurre. Ce qui l’affolait et la fascinait désormais, c’était la longueur de la chose.


Éric épiait ses réactions comme un souverain surveillant l’exécution d’une condamnée. Sans doute était-elle une pauvre de ces diablesses, qui devrait soit jouir soit mourir de plaisir. Ou les deux. Ou…



L’orgasme torrentiel la fit encore hurler quelques obscénités, alors que son corps secoué de spasmes remuait le matelas entier. Éric se contentait de la regarder fixement, tenant toujours l’engin entre ses jambes nerveuses, plongé de moitié dans le sexe mouillé et très évasé de sa maîtresse.


Quand Cassie se fut un peu calmée, se contentant de trembler telle une feuille dans le vent, les joues inondées de larmes de jouissance, il sortit de sa poche une petite corde, et de manière tout à fait inexplicable, jouant entre maintenir le godemichet enfoncé en elle et enrouler la corde en un complexe entrecroisement, il parvint à garder au plus profond d’elle le membre de silicone, solidement arrimé par la corde. Celle-ci lui sciait inconfortablement la peau, cisaillant ses bourrelets autour de sa taille comme autant de ficelles autour d’un rôti de porc.


Éric avait désormais les mains libres, et bandait de plus belle, contemplant le tableau qu’elle offrait, attachée de toutes parts, le godemichet profondément planté en elle et ne bougeant plus grâce à la corde, telle une vénus pourfendue par les fantasmes d’une immonde bête lubrique. Il alla saisir son téléphone et prit quelques photos, sous l’œil aux aguets de Cassie. La jeune femme se contentait d’assister en silence aux délires vicieux de son amant. La présence de l’énorme sexe toujours cloué dans son vagin était presque douloureuse, devenait insupportable. Elle ne savait plus si elle devait remuer pour jouir encore, ou si elle devait crier qu’on lui enlève ce manche insolemment dur et gigantesque. L’objet en question prenait tellement de place dans sa grotte intime et déformée par ses dimensions exceptionnelles, que Cassie avait la sensation de n’avoir jamais été aussi pleine de sa vie, même après un repas gargantuesque.



Son amant paraissait effectivement avoir bien du mal à reprendre ses esprits. La respiration courte, il chercha quelque chose dans ses affaires, puis accourut auprès d’elle, un flacon à la main.

Cassie l’observa tandis qu’il se penchait entre ses cuisses. Elle sentit un liquide froid couler agréablement du haut de son pubis jusqu’au bas de sa fente, ayant de toute évidence glissé autour du pieu de silicone, et gouttant jusqu’à son anus. Le liquide s’échauffa immédiatement au contact de ses muqueuses survoltées.


Éric trempa trois doigts dans l’épais lubrifiant, et caressa, massa, pénétra longuement l’ouverture bordée de poils de la fente féminine, toujours déformée par l’intrusion du submersible.


Cassie frémissait au rythme du massage, elle n’était plus qu’un corps, sans réflexion, un corps obéissant aux moindres désirs de son maître. Un corps nu lacéré, écartelé, soumis.

Telle une potion magique, le lubrifiant provoqua l’effet escompté par Éric, détendant les chairs dilatées, échauffant les miettes de désir jusqu’à ce qu’elles se muent à nouveau en un brasier inassouvi. Cassie jouit une deuxième fois, puis une troisième, lorsque Éric pénétra également son anus lubrifié de deux doigts experts.


Toute cette folie avait bien duré une heure et demie, et enfin, Éric se libéra de son démon pulsionnel, s’étant frénétiquement masturbé au-dessus de sa maîtresse complètement groggy de plaisir. Le sperme jaillit et gicla sur le ventre strié de cordes de Cassie. Celle-ci n’émit pas un son, trop épuisée par ses orgasmes successifs pour réagir.


Émergeant péniblement des limbes de son extase, Éric la délivra enfin de son sceptre de silicone et de ses attaches, puis se laissa tomber à ses côtés sur le lit. Ils se mirent à ronfler comme des bienheureux.


À leur réveil, la nuit était tombée. La petite chambre baignait dans la lueur chiche des lampadaires. Cassie remua un peu, raide de courbatures, grimaçante. Elle rencontra le regard énigmatique d’Éric, couché à ses côtés, silencieux. Dans le noir, ses yeux brillaient étrangement.



Cassie sentit les larmes lui monter aux yeux.



Ils se serrèrent l’un contre l’autre, savourant simplement la présence de l’autre, peau contre peau. Plus tard, le visage rosi par le bonheur, Cassie se contempla dans le miroir de la minuscule salle de bain. Elle n’était plus ni grosse ni dégoûtante. Elle était Femme. Elle était Vénus.


Un son incongru la tira de sa contemplation béate. Elle attrapa son téléphone posé en équilibre précaire sur la tablette du lavabo. C’était un texto de sa mère.


Tu es magnifique ma chérie. Radieuse et heureuse ! Je t’aime ma fille ! Maman.


Empourprée de plaisir, Cassie sourit et rencontra soudain le regard amoureux d’Éric dans le miroir.



Ils se fixèrent dans le miroir… puis l’homme posa doucement ses mains sur les épaules de sa bien-aimée. Leurs deux sourires ne furent plus qu’une courbe ininterrompue, comme si l’un fondait en l’autre.




4/



À leur retour de vacances, leur idylle était plus solide que jamais. Éric s’arrangeait toujours pour voler quelques heures par-ci par-là, et ils réussissaient à se voir deux à trois fois par semaine. Leur histoire ne laissait qu’un long sillage de sexe et d’amour derrière elle.


Cassie était si rayonnante qu’elle refit peu à peu toute sa garde-robe. Lingerie coquine, robes et pantalons moulants, talons de plus en plus hauts, petites vestes légères et sexy, nouvelle façon de se maquiller, sourires épanouis, jalonnaient son existence comme autant de petits cailloux semés dans l’espoir de trouver le chemin du bonheur, du vrai, celui dont on parle dans les livres et dans les films et dans les poèmes et… Éric disait souvent qu’il ne croyait pas à ces conneries-là. La vie c’était de la merde, nous étions tous des déchets, des rebuts de la société… sauf toi ma Cassie, l’Amour de ma vie.


Évidemment, de petites ombres passèrent sur le chemin ensoleillé, oh, trois fois rien, des dîners loupés de présentation aux parents de la jeune femme, quelques mauvais relents concernant le divorce d’Éric, qui n’avançait pas très vite dans les démarches. Ils eurent quelques discussions orageuses, qui se finirent dans des coups de martinet au lit, ou entre deux lacets de cordes mouillés par l’orgasme.


Une vie sentimentale aventureuse, somme toute, entre un mari infidèle et une ancienne grosse célibataire. Ça ne comptait pas pour Cassie, cette banalité dégueulasse envahie par les clichés moralisateurs des gens frustrés.

D’ailleurs ça ne compte en général jamais pour tous ces couples qui vivent cachés, dans l’attente de pouvoir enfin se retrouver en pleine lumière. Chacun croit toujours vivre quelque chose d’exceptionnel.


Cassie y croyait dur comme fer, et elle n’était pas la seule. Et trois mois passèrent ainsi… l’essentiel de son existence se centrait sur leurs mots vifs ou sucrés, sur leurs regards qui se noyaient l’un dans l’autre… sur la peau douce de ses cuisses rosie par les coups, la plénitude de ses seins dans la bouche de son amant, l’envahissement jouissif de ses doigts, de son sexe, dans ses espaces intimes, leurs baisers humides de salive, de mouille et de sperme.

Une histoire d’amour, une histoire de sexe, une histoire tellement commune, insignifiante, ordinaire.


Mais c’était LEUR histoire, et elle n’avait, à leurs yeux, rien de commun, d’insignifiant, d’ordinaire. Éric en fit même un recueil assez bon, qui rendit perplexe son éditeur, habitué à des textes de bien moins haute volée.


Le rayonnement de Cassie paraissait devenir un soleil puissant qui brûlait tout sur son passage.



Christelle semblait morose. Elle fronça les sourcils :



Cassie tourna la tête et reconnut son chef, droit comme un i dans son costume-cravate gris. Il regardait Christelle d’un air ennuyé.



Philippe Courtin planta ses yeux de myopes dans ceux de la jeune femme. Elle lut dans son regard une réelle perplexité.



Cassie lui dédia un sourire tellement éblouissant que le gratte-papier cligna frénétiquement des yeux, comme ébloui par une lumière trop vive.



Encore pris au dépourvu, Philippe sembla indécis sur la conduite à adopter. Il risqua un demi-sourire, qu’il effaça presque aussitôt de son visage, se traitant mentalement d’imbécile. On n’avait pas idée de se comporter comme un adolescent en rut devant un joli sourire de femme ! Et quelle femme ! songea encore Philippe en précédant Cassie dans les couloirs qui menaient à son antre. La grosse et peu sympathique Cassie ressemblait désormais à Vénus, tout en hanche et en seins et en cul…



En réalité, la jeune femme n’avait pas perdu une miette du rayon laser qui venait de passer au crible sa poitrine. Il semblerait que sa nouvelle silhouette soit devenue un sérieux atout à son travail. La jeune femme se sentait émotionnellement bousculée, animée d’une sensiblerie certaine, à la fois révoltée que des collègues se soient permis de la salir auprès du chef, et très flattée du soudain dialogue muet que Philippe Courtin entretenait avec ses gros seins. Quand elle raconterait ça à Éric…



Cassie se contenta de fixer son patron, réprobatrice.



Les yeux luisants, Cassie resta silencieuse, les narines pincées par la rage. Philippe prit une mine contrite.



Interloquée, Cassie regarda Philippe Courtin se lever brutalement de sa chaise de bureau et venir se jeter à ses pieds. Il leva vers elle un visage bouleversé, et timidement effleura ses genoux ronds et gainés d’un collant transparent qui brillait aux rayons du soleil.



De toute évidence, l’incongruité fracassante de cette situation n’avait pas l’air de frapper son chef, qui continuait à lécher le collant tendu sur ses cuisses, lesquelles s’entrouvraient presque involontairement à mesure que la bouche avide remontait entre elles. Le contact chaud de ses lèvres et de sa langue troubla la jeune femme, qui avait bien du mal à démêler le nœud du problème. Si elle repoussait son chef, allait-elle se faire virer ?



Et merde, voilà qu’elle introduisait un "nous" dans cette histoire rocambolesque. Elle n’y était pour rien si son patron s’était jeté sur elle comme un assoiffé à un bar !



Aussitôt, le quinquagénaire se rua sur l’entrée brûlante qu’il venait de provoquer. Stupéfaite, Cassie sentit son visage s’enfouir contre son ventre, sous les plis de sa robe, tandis qu’il tripotait sa culotte de coton sage pour fourrer ses doigts dans ses poils pubiens. La culotte désormais déplacée, plus rien ne faisait obstacle à la langue de feu et aux doigts de fée qui s’activèrent comme des serpents dans ses chairs moites.


La jeune femme ne savait comment réagir à cette offensive sensuelle. D’un côté, elle était effrayée par les retombées de cette histoire… de l’autre, les violents élans de désir de son chef ne la laissaient absolument pas de marbre. Si elle devait être honnête avec elle-même, elle avait attendu ce moment de très nombreuses années, ayant tilté sur son patron dès le premier regard. Elle ignorait complètement comment Éric prendrait tout ça…


Pour l’heure, le cœur battant furieusement dans sa poitrine, la jeune femme ouvrit davantage ses jambes et déposa sur la tête de son chef ses jolies mains impatientes… qui appuyèrent avec douceur afin de rapprocher encore plus la bouche vorace de son sexe suintant de plaisir. Philippe la fit jouir au bout de quelques minutes de profonds mouvements de langue au creux de son vagin clapotant. Mais ça ne suffisait pas à la jeune femme… ni à son nouvel amant.


Complètement déchaînés, ils s’installèrent en panique sur le grand bureau d’acajou et baisèrent frénétiquement une première fois, puis une seconde, une demi-heure plus tard, pendant laquelle Cassie se fit prendre en levrette, son visage convulsé de luxure caché dans ses coudes.


Elle aimait tellement baiser que ça en devenait sans doute pathologique, mais peu importe ; juste avant d’atteindre le troisième orgasme de l’heure, elle songea confusément aux paroles prononcées par Éric, quelques mois auparavant :


« … Et Ernest a fait une chose qu’il n’a jamais regrettée depuis, il a balancé Sophia sur le capot de sa bagnole, a remonté sa jupe sur ses cuisses grasses, s’est dézapé et a commencé à la tringler comme un bœuf en rut, en pleine rue, sous la lumière dégueulasse des lampadaires… »


Comme ses paroles avaient résonné en elle, à ce moment précis ! C’était comme si quelque chose au plus profond d’elle-même, lentement, avait remonté les longs couloirs de l’oubli afin de prendre la place de son âme, et de la grignoter de ses remugles fétides, de ses vices malsains. Elle avait été captive d’Éric à cette minute même… il aurait pu faire d’elle tout ce qu’il désirait, à partir de ce moment-là. Et c’est ce qu’il faisait depuis lors… qu’était-elle devenue ? Un monstre ? Une bête ? Qui était-elle réellement ? Pourquoi faisait-elle tout ça ? Pourquoi aimait-elle autant Éric ? Et pourquoi l’aimait-il, lui ?


Et elle ne pensa plus à rien, tandis que l’extase la saisissait en tous points de son corps, et qu’elle criait dans ses propres bras, au rythme des coups de boutoirs qui balançaient sa croupe rougie par le frottement.


Philippe et elle ne parlèrent pas trop au cours de leurs ébats. Chacun paraissait pleinement absorbé par le désir qu’il avait de posséder l’autre. Cependant, si Cassie appréciait leurs rapports, elle savait sans aucun doute possible que ça n’avait rien à voir avec l’amour qu’elle portait à Éric.


Que ce soit de la magie ou de la perversion, finalement cela restait tellement exceptionnel ce qui la liait à son bel écrivain, que le reste ne comptait plus, ou très peu.


C’est pourquoi, toutes les fois qui suivirent, elle accepta avec empressement, sans remords et sans contrition, de rejoindre son patron en des lieux à l’abri de tous les regards.

Ils firent souvent l’amour, et cela dans des positions parfois abracadabrantes, inconfortables ou même dégradantes… et Cassie n’en avait cure. Au lieu de mettre ses mignonnes culottes sages de boulot, elle prit simplement l’habitude de se parer de lingerie très coquine quand elle se rendait à son travail. Elle baisait très régulièrement avec son patron, plusieurs fois par semaine si on veut faire le juste compte, et prit rapidement de l’avancement.


Sa vie à la fois sexuelle et sentimentale avec Éric ne faiblit pourtant pas, bien au contraire. Ils inventaient sans cesse de nouveaux jeux, épanouis, grisés par leur amour et par le plaisir incommensurable que leur procuraient leurs deux corps unis.


Cassie n’avait jamais autant donné de sa personne, de toute sa vie, et dans le plus secret de son cœur, au plus profond de ses nuits, lorsqu’elle se réveillait, elle savait qu’elle changeait. Non, elle n’était pas une bête. Elle n’était pas un monstre. Elle était la Beauté, elle était la jeunesse… et elle souriait dans son lit, et même ses dents semblaient capter les lueurs de la nuit.




* * *



Trois mois passèrent encore…


Vinrent les congés d’été, et à son grand déplaisir, Éric lui annonça, un peu penaud, qu’il partait dix jours en Espagne, dans la famille de sa femme.



Elle écrasa ses poings sur la poitrine de son amant. Il la laissa faire, ses yeux éclaircis par les larmes.



Éric embrassa doucement sa maîtresse sanglotante, y mettant tout son amour, toute sa tendresse. Cassie lui rendit passionnément son baiser, mais la douleur était trop forte. Elle s’écarta de lui et le fixa, planté dans sa cuisine, attirant, aimant, et tellement… marié.



Silence.



Éric se taisait. Il se contentait de la regarder. Avec lenteur, il glissa ses mains dans ses poches de jean, comme s’il avait peur qu’elles fassent des choses improbables. Le corps raidi, Cassie recula de quelques pas pour s’adosser au mur.



Silence…



Mais ses yeux brillaient de colère. Cassie s’aperçut soudain que tous ses couteaux de boucher se trouvaient sur le meuble de cuisine, juste derrière lui. Son cœur eut des ratés.



Pendant dix interminables secondes, le corps crispé comme une corde tendue, Cassie crut qu’Éric allait se retourner et saisir les couteaux. Elle contempla l’homme qu’elle aimait, elle observa ses traits défaits, le pli amer de sa bouche, et ses yeux enflammés par la rage. Finalement, la tristesse tomba sur la physionomie de son cher amant, qui sembla se ratatiner sur lui-même. Il tourna les talons et sortit de l’appartement sans rien ajouter. Il ne claqua même pas la porte, elle entendit juste le petit "clic" discret du battant qui se refermait.


Alors seulement, Cassie s’effondra en larmes dans sa cuisine.




5/



Le lendemain matin, la raison lui était revenue avec tant de force qu’elle s’injuria toute seule à voix haute pendant une heure entière, allumant clope sur clope et tournant en rond dans son petit appartement. Elle essaya de joindre plusieurs fois l’homme de sa vie, mais ne réussit qu’à parler à son glacial répondeur. Déprimée, elle posa le bouquet de roses rouges sur son oreiller, et s’allongea à côté, le contemplant en essayant de ne pas trop pleurer. Les fleurs étaient magnifiques, explosant de senteurs et de couleurs. Cassie se noya dans leurs parfums lourds, puissants, et finit par se rendormir.


La sonnette de l’entrée la tira d’un sommeil agité de cauchemars. Mal réveillée, elle tituba jusqu’à la porte, et l’ouvrit brutalement. Son sourire s’évanouit. Philippe se tenait sur le seuil, détendu, souriant, en bermuda kaki et petite chemise blanche.



Mais les yeux de son amant brillaient de mille feux lorsqu’ils se posèrent sur elle.



Ses mains se glissèrent sous sa robe d’intérieur rose. Leur contact froid sur sa peau nue fit désagréablement frissonner Cassie. Ces caresses agressaient son corps tels les glissements du plat d’un couteau… Elle repoussa doucement son patron et fit volte-face.



Ils burent leurs tasses en se toisant du regard.



Cassie sentit le rouge monter à ses joues.



Comme dans un rêve, Cassie se vit effectivement avancer vers lui. Philippe l’embrassa à pleine bouche, sa langue invasive avait le goût de café et de clope, à moins que ça ne vienne d’elle… dans tous les cas, elle aurait aimé le repousser, mais le désir commençait déjà à battre dans ses veines telle une longue pulsation hypnotique. La jeune femme se serra contre le corps de son patron, et ses mains agrippèrent ses cheveux tandis que leur baiser se prolongeait. Philippe ricana. Ses mains se faufilèrent à nouveau sous le vêtement épais, happant les seins dans leurs paumes, pinçant les tétons, caressant et tâtant leur courbe lourde… Cassie ferma les yeux, le souffle court, frémissant sous les doigts experts de son boss.



L’homme s’était penché pour lui mordiller sauvagement la poitrine. Cassie se dandina, vaincue, consumée par l’envie d’être prise comme une chienne. Philippe la caressa de plus en plus intimement, pour finir par enfoncer ses doigts ici et là, ce qui fit crier Cassie.



La jeune femme lui retourna un drôle de regard.



Philippe cilla nerveusement, puis sembla se reprendre. Il observa attentivement Cassie, laquelle sentit ce regard critique glisser sur elle comme une insulte.



Cassie resserra machinalement la ceinture de sa robe d’intérieur autour d’elle, et lui jeta un coup d’œil un peu inquiet.



Philippe recula de plusieurs pas, eut un regard circulaire sur la pièce puis sur Cassie, et elle devina qu’il se demandait ce qu’il fichait là, en définitive.



Comment ça, on avait plus besoin d’elle ? Cassie ouvrit la bouche, mais il ne la laissa pas parler :



Cassie referma la bouche, blessée, tandis que la porte d’entrée claquait derrière lui. Elle ne bougea pas, toute raide contre sa table de cuisine. Elle se sentait salie, trompée… laide, laide, laide. Grosse et laide.


Elle finit par bouger, et alla se coucher lentement sur son lit. Les roses rouges d’Éric captèrent son attention… leurs pétales ourlés et froncés faisaient triste mine. Elles étaient déjà en train de faner, comme si leur merveilleuse et éphémère explosion de couleurs et de senteurs avait été leur chant du cygne.




* * *



Dix jours s’écoulèrent, comme écartés de l’aube au crépuscule en un étirement maximum. Dix interminables journées, que Cassie occupa à diverses activités inintéressantes au possible, davantage pour combler le vide généré par ce grand écart quotidien que motivées par un quelconque besoin.


Manger. Beaucoup. Dormir. Beaucoup. Paresser. Trop. Au dixième jour, Cassie jeta l’éponge, elle n’en avait plus rien à foutre de la vie. Elle passa rapidement une robe fleurie constellée de taches, jeta quelques mots sur une enveloppe décachetée, et par habitude, saisit son sac, avant de sortir précipitamment de son appartement. Aveuglée par la lumière directe de ce soleil qu’elle n’avait pas vu depuis plus d’une semaine, elle colla sa main comme une visière sur son front moite, se repérant dans le fatras bruyant de la rue. Déterminée, à demi délirante, elle prit le chemin de son travail. Quels qu’aient été ses objectifs à cet instant, ils n’étaient ni gais ni lumineux, dans cette chaleur d’été suffocante. Plusieurs dizaines de minutes plus tard, ses fantasmes avaient fini de cuire sous le soleil de juillet. Trempée et haletante, les lèvres sèches, les cheveux collés à sa figure par la sueur, Cassie se dirigeait tout droit vers l’entrée de son entreprise, de l’autre côté de la route, lorsque du coin de l’œil elle capta la silhouette aisément reconnaissable de cette salope de Christelle, à quelques mètres d’elle.


Quelque chose se bloqua en elle, un désir longtemps réprimé qui soudain jaillissait du fond d’elle-même comme un flot incontrôlable. Une fureur froide la submergea. Résolument, elle s’avança vers son insupportable collègue…


Christelle attendait que le feu piéton passe au vert, tout près du passage clouté. Cassie n’avait plus toute sa tête, elle ne savait pas trop ce qu’elle allait faire, lui hurler au visage, la frapper ? Elle n’en avait pas la moindre idée… au moment où elle put être si proche de Christelle qu’elle pouvait la toucher, elle fut prise de vertige, de nausées, et chancela en éclatant d’un rire dément. Il y eut des clameurs, un horrible coup de freins, et un bus bleu et blanc surgit devant elle.


Bleu… blanc… rouge…




* * *



Éric sortit de l’ascenseur, et marcha à pas feutrés dans la pénombre du couloir, jusqu’à la porte d’entrée de Cassie. Une fois devant, il déposa sa valise et attendit un peu, savourant son bonheur. Il aimait cette femme comme un fou. Bien sûr, rien ne pouvait justifier la manière dont elle l’avait traité la dernière fois, il le savait. Il s’était désespérément raccroché à tout ce qui avait été beau entre eux, ces derniers mois, pour tenir le coup pendant ses "vacances" interminables en Espagne.


En réalité, la plupart de leur temps à deux, lui et sa femme l’avaient passé à se disputer comme des chiffonniers. Cela faisait maintenant trois mois qu’Éric essayait de la convaincre de divorcer, à l’amiable, sans vagues, sans jugements, sans colère, et cela dans l’intérêt des enfants. Lucinda savait parfaitement qu’il l’avait déjà trompée, au cours de leurs nombreuses années de mariage. Au début de sa relation avec Cassie, elle n’avait rien dit. Les protestations ne servaient à rien dans ce cas-là, elle le savait bien. Ou peut-être même ne faisaient-elles que rapprocher son homme de ses désirs coupables, en un lancinant mouvement de contradiction.


Oui, elle savait depuis longtemps que le meilleur moyen de se débarrasser de l’infidélité de son mari, c’était de l’ignorer. Éric finissait toujours par rentrer à la maison, comme un bon toutou tenu en laisse. Depuis qu’il était devenu papa, Lucinda restait persuadée de ce perpétuel retour. Leur amour était telle une horloge, et ils en étaient les aiguilles. Elle indiquait les heures, son homme les secondes ; de sorte qu’il la rejoignait toujours à un moment au gré des minutes égrenées sur le cadran. En prenant cet aspect de leur couple comme une fatalité du temps, Lucinda avait cessé de s’inquiéter. Il y avait les enfants. Éric serait toujours à elle… elle y avait veillé en accouchant de deux filles et d’un garçon.


Seulement voilà… il avait rencontré Cassie.


Éric resta planté devant la porte un long moment, fatigué… presque brisé. Mais il n’était pas mort. Pas encore. Le jour viendrait où il rendrait l’âme. Et ce jour-là, il ne pouvait l’envisager autrement que dans les bras de Cassie. Là-bas en Espagne, au son des cigales, ballotté dans le hamac entre deux palmiers, Éric était sorti de sa torpeur humide de sueur pour ouvrir les yeux sur le ciel infiniment étoilé ; cette révélation l’avait fait frissonner. Il aimait Cassie envers et contre tout, il voulait mourir dans ses bras, en ce jour funeste et lointain où le fil de sa vie serait coupé. Alors, il avait murmuré une prière à la Lune, et avait promis à sa belle de revenir très vite se blottir au creux de ses bras moelleux. Éric n’était pas assez fou pour s’imaginer que Cassie ait pu entendre sa prière, dans son petit appartement parisien, pourtant il s’était senti délivré d’un poids énorme.


C’est sans doute à l’instant T où on prenait finalement une décision, après de longs mois de difficiles délibérations, qu’on était aussi bien avec soi-même.


L’homme poussa un lourd soupir, et appuya sur la sonnette. Il ignorait si Cassie était chez elle, elle pourrait même être partie on ne savait où au bras de je ne sais qui. Il n’avait répondu à aucun de ses messages pendant onze jours… Cependant, il n’avait pu attendre une minute de plus. La veille, il s’était rendu chez son avocate pour lancer une procédure de divorce. La nuit qui le séparait de Cassie avait été dure, éprouvante, il avait discuté très longtemps avec Lucinda, et l’avait laissée en pleurs au petit matin. Cette mémoire-là s’effaçait peu à peu, comme si naturellement, son esprit faisait de la place pour ceux à venir avec Cassie…


Personne ne vint ouvrir. Éric insista, et le bonheur céda la place à l’angoisse. Il avait essayé de ne pas y croire, mais si vraiment elle s’était barrée avec je ne sais qui, dans un ultime acte de vengeance à son égard ?!


La tête pleine de questions, Éric fit les cent pas sur son palier, essayant d’appeler le portable de la jeune femme. Elle ne répondait pas, évidemment.



Éric se retourna vivement. Il aurait voulu se laisser aller à la joie de leurs retrouvailles, mais l’aspect physique de Cassie l’arrêta net dans ses mouvements.



Le visage inexpressif de Cassie le désorientait bien plus que sa mise défroquée et sale. On aurait dit qu’elle s’était sauvée de chez elle par la fenêtre, ses chaussures étaient dépareillées, et ses jambes nues couvertes de cambouis noir.

Cassie le contempla de longues secondes, tandis qu’Éric bouillait sur place. N’y tenant plus, il se précipita sur elle et la serra convulsivement contre lui. Elle se laissa mollement faire.



Peu à peu, la jeune femme répondit à son étreinte, timidement. Ils s’embrassèrent comme des perdus.



Éric saisit son visage entre ses paumes et plongea son regard dans le sien. Ce qu’il lut dans ses yeux le troubla. Réprimant son malaise, il sema sur ses paupières closes et sa bouche de multiples baisers doux et tendres.



Il la suivit docilement.



Cassie se tenait face à l’évier de la cuisine, et lui tournait le dos. Il remarqua que ses cheveux dorés étaient ternes, et plus courts, mais on les avait coupés de manière très anarchique, comme à coups de ciseaux malhabiles.

Au moment où il pensait cela, il sut avec certitude que c’est ce qui était arrivé. Cassie s’était coupé les cheveux toute seule. Il trouva ce détail très étrange, mais se dit qu’elle avait dû être aussi chamboulée que lui par leur séparation.

Chacun réagissait comme il le pouvait face à ce genre d’épreuve…



Soudain, ses yeux tombèrent sur quelques mots griffonnés à la hâte, au dos d’une enveloppe décachetée tombée sur le sol. Il la ramassa et ce qu’il lut le transforma en une statue de sel.



La jeune femme se retourna vers lui. Ses yeux étaient éteints. Il y avait quelque chose de différent chez elle… intuitivement, Éric sut que l’étrangeté de sa maîtresse n’émanait pas simplement de son apparence physique ou de son manque flagrant de réactivité. Il était arrivé quelque chose. Elle avait changé.


Éric s’approcha pour la prendre dans ses bras.



Elle haussa les épaules, et détourna le regard.



Cassie se dégagea de son étreinte et tituba jusqu’à la chambre. Interloqué, Éric la suivit comme un automate. La jeune femme fourrageait dans son placard.



Cassie hocha la tête en se retournant, une corde à la main. Un pâle sourire creusa ses fossettes. Éric se sentit fondre.



Enfin, il la retrouvait ! L’écrivain sourit en retour à sa belle, et croisa les bras en observant ce qu’elle tenait à la main.



Surpris, Éric pencha la tête sur le côté, et les yeux étrécis, il examina attentivement la jeune femme.



Une fois la jeune femme sous la douche, Éric, détendu, s’étendit sur le lit et alluma la télé, histoire de passer le temps et de voir les nouvelles. Au milieu du fatras politique, en zappant sur plusieurs chaînes en même temps, il tomba sur quelques faits divers, notamment la mort sanglante d’une jeune femme qui était passée sous un bus, la veille, tout près d’ici. Apparemment, une drôle de grosse femme l’aurait poussée, et serait en fuite… Éric soupira et coupa le son. Il y avait vraiment des tarés. Et dire que Cassie avait eu envie de la même chose au même moment ! Une journée noire pour les conducteurs de bus, de toute évidence !


Cassie sortit de la salle de bain… elle était nue et magnifique… Sa peau laiteuse brillait de perles d’eau, ses seins lourds dardaient leurs tétons corail tandis que plus bas, son triangle de poils blonds luisait comme une toison d’or. Subjugué, Éric la regarda s’approcher à lents pas chaloupés.



Il ne se le fit pas dire deux fois. Rapidement, il ôta sa chemise hawaïenne, son vieux short fatigué, ses chaussettes blanches et ses pompes en toile. Dressée au pied du lit telle une statue de Vénus, Cassie l’observait d’un regard intense, indéchiffrable.



Il bandait déjà et le regard de Cassie s’attarda sur son membre viril, puissamment levé. Un instant, un nuage de tristesse vint obscurcir sa physionomie.



La jeune femme secoua la tête, mais vint vers lui malgré tout. Ils s’enlacèrent passionnément, s’offrant mutuellement maintes caresses, maints baisers, tout animés de désir et d’amour… Et comme prévu, Éric finit solidement attaché au lit, de la même façon qu’il avait pratiquée avec elle, plusieurs mois plus tôt… il lui était impossible de bouger. À califourchon sur lui, Cassie le couvrit de nouveaux baisers… Ses ongles peints en rouge griffèrent légèrement la peau de son aimé, qui poussa des soupirs de frustration.



Elle pleurait.

Sur le visage béat d’Éric ruisselèrent soudain des larmes rouges tandis que les ongles écarlates s’enfonçaient dans les orbites, se mêlant à son sang. Plus forte que la matière, plus forte que le désir, plus forte que les hurlements d’Éric, sa volonté de croire en la beauté éternelle tua toute raison dans son être. Ses lèvres sanguinolentes avalèrent les yeux autrefois aimants. Ses mains caressèrent la peau, ses ongles déchirèrent l’enveloppe fragile qui la séparait du cœur de son merveilleux amant. L’Amour avait tout dévoré dans le cœur de Cassie ; Cassie dévora le cœur de son amour. Désormais seule dans ce brutal silence de la vie, Cassie put enfin se lover au plus profond de son être et se repaître de cette chaleur humide qui la révélait enfin au monde telle qu’elle était vraiment, belle, bonne, magnifique… vénusienne.




« Pour donner libre cours à sa fantaisie, à son imagination, l’écrivain doit ouvrir les portes à tout ce qui sourd en lui, démons compris. »

De Mario Vargas Llosa / Entretien avec Catherine Argand – Février 1995