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Temps de lecture estimé : 10 mn
22/04/17
Résumé:  Lorsque la voiture tombe en panne, ce n'est pas toujours une mauvaise nouvelle.
Critères:  ff fplusag grosseins fgode jouet conte -fantastiq
Auteur : Igitur            Envoi mini-message
Le coup de la panne

La voiture tressauta, le moteur toussa, hoqueta, renâcla et lança un plaintif et ultime pteuf ! suivi par un étourdissant silence. Tout était immobile. Au bout de la route, un gros soleil orangé plongeait paresseusement vers l’horizon. À droite et à gauche de la chaussée, à perte de vue, les hautes frondaisons sombres de la forêt. Isabelle n’imaginait rien de pire qu’une panne en ce lieu inquiétant. C’était fait ! Elle avait déjà envisagé la fin de son tacot hors d’âge, bien sûr. Mais pas maintenant, pas là. Pas après avoir englouti près d’un mois de ses maigres revenus d’étudiante dans une révision complète de la mécanique.



Par acquit de conscience elle déverrouilla le capot et sortit de la voiture pour scruter d’un air dubitatif cet imbroglio de tubulures, de fils, de durites et de pièces au fonctionnement desquels elle ne comprenait rien. Autant qu’elle pouvait en juger, chaque pièce était en bonne place. Elle caressa tel boîtier, secoua mollement ce gros tuyau de caoutchouc et s’assura de la ferme liaison de quelques fils électriques entre un truc et un machin. Imaginant que son intervention avait pu avoir quelque effet miraculeux, elle referma le capot, reprit place derrière le volant et tourna la clé avec détermination tout en chatouillant l’accélérateur de la pointe de son escarpin noir. Le démarreur hurla une plainte suraiguë qui terrorisa Isabelle. Elle lâcha subitement son volant et tint un instant les mains en l’air comme si un malfrat l’avait mise en joue.


Isabelle eut un rire nerveux. Elle sortit à nouveau de la voiture dont elle fit le tour en inspectant tous les recoins sans rien déceler d’inhabituel. Elle sortit de son sac un paquet de cigarettes et un téléphone portable. Hésitant un instant elle constata l’absence inexorable de réseau et se replia tristement sur la nicotine. Dans son abattement la première bouffée, longue, profonde de fumée de tabac lui apporta un réconfort insolite. Elle prit soudain conscience de la douce fraîcheur que prodiguait la forêt en cette trop chaude soirée d’été et des suaves parfums qu’elle recelait.


Rassérénée, Isabelle accueillit sans crainte les pas qui s’approchaient lentement derrière elle avec des bruits de froissement de feuilles mortes et des craquements de brindilles. Elle se retourna sans hâte, au rythme même de ce pas nonchalant. À quelque mètre un jeune garçon approchait. D’une voix aiguë et éraillée, il lui lança :



Puis il s’arrêta et ajouta, accompagnant sa parole d’un coup de tête explicite.



Isabelle lui fit un grand sourire auquel il resta indifférent ayant déjà tourné les talons et reprit sa marche nonchalante.


Isabelle abandonna son véhicule en remerciant le sort de lui avoir envoyé ce petit sauveur à la démarche lente. En effet, ses escarpins n’étaient vraiment pas faits pour la randonnée en forêt, pas plus d’ailleurs que les délicats bas noirs, la jupe qui lui arrivait à mi-cuisse, le chemisier en soie ou la pochette de soirée qui resserrait difficilement son téléphone, ses clés, ses papiers et son étui à cigarettes.


En faisant l’inventaire de sa tenue de soirée, sans omettre le délicieux slip en dentelle et le léger soutien-gorge assorti, Isabelle songeait que la fête chez Caroline devait déjà battre son plein. Elle imaginait Manuella dans la nouvelle robe rouge qu’elles avaient achetée ensemble, ce décolleté vertigineux sur les seins mordorés de son amie. Elle revoyait les longues jambes de Rose émergeant de sa jupe fendue de bas en haut. Ah, ils devaient baver tous les garçons, elle imaginait l’étoffe légère de leurs pantalons serrés déformée par un début d’érection. Et elle, qui partait à la fête pleine de désir, la voilà qui titubait dans sa belle jupe neuve, dans un sous-bois sombre, et ses escarpins humides qui s’encroûtaient peu à peu d’un emplâtre de feuilles et de boue.


Elle en était là de son désespoir lorsqu’au fond d’une clairière, elle aperçut une petite maison de bois tout éclairée. Le garçon qui marchait en silence s’arrêta, tourna à peine le visage vers elle en disant :



Et, sans attendre, il rebroussa chemin, laissant Isabelle accomplir seule les deux cents mètres qu’il restait à parcourir.

Elle allait frapper à la porte quand celle-ci s’ouvrit tranquillement. Une femme d’une quarantaine d’années le regard clair droit planté dans les yeux d’Isabelle dit simplement :



Fascinée par ce regard qui ne la quittait pas et sidérée par la désagréable mésaventure qu’elle vivait depuis plus d’une heure, Isabelle bafouilla :



La femme souriait.



Et elle se dirigea vers la cuisinière pour surveiller la cuisson dans une petite cocotte rouge. Lorsqu’elle souleva le couvercle, une merveilleuse odeur d’herbes et d’épices envahit la pièce. La femme, avec un geste gracieux qui tranchait avec l’épaisseur de son corps emballé dans un grand tablier de cuisine disgracieux, attrapa deux verres, une bouteille de vin et invita Isabelle à s’asseoir en face d’elle à la grande table en bois, patinée, usée, tâchée par plusieurs générations.



La femme se leva arrêta la cuisinière sous la marmite et se débarrassa du tablier sac qui le couvrait. Puis elle prit les deux verres en invitant Isabelle à la suivre dans le petit salon. Elle posa les verres sur la table basse et s’installa dans le profond canapé de velours bleu en invitant Isabelle à prendre place à ses côtés.


Éberluée, Isabelle était ailleurs. Les événements des dernières heures tournoyaient dans sa tête, son regard errait autour d’elle sans qu’elle ne vît rien. Elle avala mécaniquement une gorgée de vin. Il était rond, profond avec une petite pointe fraîche étonnante. Petit à petit elle reprit pied dans la réalité. La profondeur moelleuse du canapé, d’abord lui apparut, puis une sensation de couleurs un peu indistincte, les odeurs de la cuisine mêlées à celles du bois et du cuir, la domination majestueuse d’une bibliothèque remplie de livre, un parfum de femme, capiteux et fleuri.


Isabelle reprenait pied dans un monde étrange désuet et voluptueux avec pourtant ce détail qu’elle n’identifiait pas, cette impression colorée qui dénotait avec le reste tout en donnant à l’ensemble son sens le plus profond.



Isabelle tourna la tête vers elle et fut happée pour la seconde fois par ce regard infini. Elle sourit sans dire un mot.


Cette impression d’une étrange note colorée persistait, dans ce décor aux tons de bois et de terre. Cela ne venait pas des gros motifs floraux de la robe de la femme, pas de ce gros coquelicot rouge stylisé qui envahissait la lourde masse de son sein gauche lui donnant un aspect fier et dominateur, quand le sein droit ganté d’une partie du tissu restée blanche semblait plus timide.


Isabelle se sentait bien dans ce regard qui la baignait. Bien comme dans un bain chaud et parfumé, elle oubliait Rose, Manuela et Caroline. Lorsque les doigts de la femme se promenèrent légèrement sur sa cuisse, ce fut comme un délicieux filet d’eau bien chaude, comme ce jet de la douche qu’elle promène sur son propre corps dans son bain. Et la main qui envahit son sein ne fut rien d’autre. La bouche qui l’embrassa était plus inhabituelle dans son paysage balnéothérapique, mais il était l’accomplissement de son projet pour cette soirée. Manuela, Rose, Jean ou Mathieu, Isabelle n’avait pas élu l’objet de son désir. Cette femme s’y prenait bien pour ravir les suffrages.


En laissant la langue de la femme caresser ses lèvres et envahir sa bouche, Isabelle s’empara délicatement de l’énorme coquelicot et en explora les longues courbes, la ferme élasticité. Isabelle n’avait jamais caressé si volumineuse poitrine. Elle flottait dans la voluptueuse ivresse d’un fantasme qui se réalise. Sans fioritures inutiles, sans gestes hésitants, avec une fougue profonde et maîtrisée, la femme envahissait le corps d’Isabelle, la conduisait inexorablement vers le plaisir. Combien de fois Isabelle avait-elle imaginé cette rencontre d’une belle quadragénaire experte dans l’art d’aimer, qui lui apprendrait les mille et un chemins vers des jouissances qu’elle pressentait, mais dont ses jeunes partenaires, garçons ou filles, ignoraient totalement l’existence ?


Ce doigt sur son sexe qui effleurait doucement les grandes lèvres, sans urgence de les ouvrir, sans nécessité d’écraser un clitoris qui commençait son ascension vers le bonheur, était une expérience inhabituelle. Cette main, comment s’est-elle insinuée si discrètement dans ma culotte ? pensa Isabelle. Je croyais être déjà nue tant ses caresses m’envahissent, mais tous mes vêtements sont encore, plus ou moins, en place.


Isabelle ne savait pas rendre la pareille et la femme ôta elle-même sa robe avec indulgence en continuant de baigner Isabelle dans son regard.


La pièce qui abritait leurs ébats semblait pour Isabelle de plus en plus inondée d’un suave mélange de couleurs vives, sans qu’elle puisse encore identifier l’origine de cette impression. En laissant la femme la dévêtir, Isabelle promenait ses doigts sur ses chairs veloutées et blanches. Parfois ses caresses, dans la moiteur d’un repli plus intime, faisaient s’envoler une volute aphrodisiaque d’une fragrance alliciante.


Isabelle se retrouva entièrement nue, sans même en prendre conscience, et lorsqu’elle entrouvrit les yeux elle aperçut le corps exubérant d’une sirène voluptueuse, deux mamelles triomphantes aux tétons dressés fièrement et une abondante et foisonnante toison exhalant des parfums épicés qui lui tournaient les sens. Elle donna frénétiquement de la langue autour d’elle et ses mains, de droite, de gauche, en bas, en haut, investissaient les courbes, les vallées, les méplats, elle s’agitait, léchait, embrassait, mordait, elle était ivre de désir. Chaque doigt qui pénétrait sa vulve ou son cul décuplait ce désir autant qu’il ajoutait à son plaisir.


Chaque longue caresse de la langue de la femme sur son clitoris emportait son corps dans un tremblement de plaisir qui en retour portait son désir à son paroxysme. N’y tenant plus d’excitation, elle se souleva et se rua sur ce corps, bouche et mains en avant, prête à mordre à lécher, à plonger doigts et langue dans toutes les profondeurs intimes. La femme offrit son corps avec une complaisance gourmande. Elle ouvrit largement cuisses et cul à l’affamée. Elle la laissa se repaître d’elle, de ses nectars, de ses parfums. Elle garda discrets ses orgasmes pour ne pas sembler sonner un signal de fin. Isabelle, déchaînée, arpentait ce corps comme un fauve sa proie, donnant un coup de dent ici, un coup de patte là, envoûtée par le souffle rapide et les gémissements brefs de la femme offerte.


Avant cette nuit, les aventures érotiques d’Isabelle avaient toujours été des combats à armes égales où chacun cherche son propre plaisir. Pour la première fois, elle avait entre les mains, ou était-elle entre ses mains ? une femme qui n’avait de cesse que de chercher à exciter et à satisfaire le plaisir de l’autre. Il faudra ensuite du temps à Isabelle pour bien comprendre le plaisir que l’on peut prendre au plaisir de l’autre, mais ce sont d’autres histoires.


Isabelle se sentait repue, harassée. Elle avait été soulevée par trois orgasmes, s’était délectée du corps entier, et quel corps, d’une femme pareille à celle de ses fantasmes, elle en avait bu, elle en avait respiré, elle en avait léché, tâté, peloté de ce corps, de cette chair.


Isabelle se reposa au fond du canapé, heureuse, détendue. Ça sentait la sueur, le sexe, le désir et l’orgasme autour d’elle. Et ces couleurs ? D’où venaient-elles ces couleurs ? Elle ferma les yeux et sentit une nouvelle caresse entre ses cuisses. Elle avait été léchée, embrassée, doigtée, mordillée, tournée et retournée pendant des heures. Elle va trop loin, pensa-t-elle. Mais la sensation était fraîche et elle ouvrit les cuisses. Elle se laissa pénétrer, profondément, sans songer qu’un doigt ne pouvait pas être aussi long. Lorsqu’une vibration douce et enivrante lui fit tourner la tête, elle comprit. Jamais elle n’avait osé s’acheter un tel jouet ni ses amantes habituelles, quant à demander cela à un homme, crime de lèse-bistouquette !


Le vibromasseur faisait monter en Isabelle une vague de plaisir intime profonde, très différente des sensations déjà vécues. En entrouvrant les yeux, elle aperçut le corps de la femme enlacé en elle, les yeux fermés, un godemichet identique lui prodiguant un plaisir identique. Alors que l’orgasme montait en elle comme un tsunami inexorable et ravageur, elle fut envahie encore une fois par la couleur et prit enfin conscience du rai de lumière qui tombait sur un petit tableau aux grandes taches rouge, jaune, bleu, verte. Un Poliakoff ? songea Isabelle, avant d’être emportée par le déferlement de sa jouissance.


Lorsqu’elle s’éveilla, Isabelle ne parvint d’abord pas à remettre tous ses souvenirs en place. Elle était dans un petit lit, dans une petite chambre, dans une petite maison inconnue. Elle se leva et, en s’habillant, les souvenirs se remirent en place, de la panne de voiture au jouet érotique. Dans la cuisine un petit déjeuner l’attendait. Le jeune garçon avait refait surface.



Puis il replongea le nez dans sa tasse de chocolat. Par la fenêtre Isabelle aperçut sa voiture dans le soleil et ne posa aucune question.


Sur le chemin du retour, elle tournait et retournait dans sa mémoire les images insensées de cette nuit fabuleuse. Au seul souvenir du corps de cette femme, le désir par vague lui chatouillait à nouveau le bas-ventre.


En plein milieu de l’après-midi, elle n’y tint plus. Il lui fallait retourner là-bas, revoir la femme, dire quelque chose. Mais Isabelle eut beau faire et refaire la route, arpenter les bois, elle ne trouva ni clairière, ni maison, ni ce garçon bizarre. Rien, rien sur les cartes, rien sur le GPS, car dans cette forêt on captait très bien la 4G.


Isabelle, encore plus tourmentée, revint en ville à cette heure où il faut tourner longtemps pour trouver une place libre. Elle tourna et finit par dénicher, dans une rue qu’elle fréquentait rarement, une place improbable devant une vitrine. En manœuvrant, elle éprouva une vive sensation colorée, familière et excitante. Un éclairage public lançait un rai de lumière sur la vitrine, illuminant un petit tableau aux taches de couleurs vives. Le petit tableau. Sur la pancarte « Abstraction, Serge Poliakoff, 1900-1969, 200 000 € ». En fermant la portière, Isabelle avisa un sac en papier sous son siège. Elle le ramassa distraitement, hypnotisée par le tableau. À l’intérieur, elle découvrit le godemichet.