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n° 17881Fiche technique7874 caractères7874
Temps de lecture estimé : 5 mn
27/04/17
Résumé:  Une promenade printanière en bord de rivière, et c'est l'occasion d'une exhibition... qui tourne mal.
Critères:  f bizarre soumise sm fantastiqu
Auteur : Renaud Noiret      
Quand le ciel bleu vire au gris sombre

Il faisait doux ce jour-là. C’était une de ces belles premières journées de juin où les décolletés prennent quelques couleurs, les vêtements rétrécissent et les regards s’aiguisent à imaginer des courbes douces, des creux à explorer.

Il faisait bon dehors. Le sentier qui serpentait dans une verdure ressuscitée t’avait amenée sur cette grève de galets, là où coule une petite rivière. Entre les odeurs caractéristiques des plantes aquatiques et les murmures des insectes et de quelques volatiles encore mal réveillés, tu t’étais laissé entraîner par le fil des rêveries, sans but précis.


Elle était apaisante, cette nature sauvage modelée par des générations d’agriculteurs. Quittant tes ballerines, tu avais remonté ta jupe si fine en la nouant autour de la taille, comme pour révéler au monde aquatique des dessous coquins. Tes seins libres sous ton débardeur, la brise qui caressait la tendre chair des cuisses, tout te soufflait d’aller plus loin et d’abandonner les signes extérieurs de civilisation que tu t’imposais tout le reste de l’année.


Deux libellules ont frôlé tes longs cheveux roux et déjà bien emmêlés, te faisant sursauter de surprise. Leur vol chaotique t’avait alors rappelé la fragilité de la vie amoureuse, de tes engagements passés, de ces vœux de fidélité que l’on se fait tous un jour en étant certain de les trahir le lendemain.


Cédant à tes penchants sensuels, tu as tout quitté, exposant au soleil une multitude de grains de beauté sur une peau si blanche et si fragile. Au bas de ton ventre, comme un rappel de tes belles mèches de cheveux, tu étais fière d’entretenir cette touche de couleur rousse qui affolait tes amants.


Je te suivais au loin, comptant en silence ces bouts de tissu que tu jetais derrière toi. Là le débardeur, ici la jupe, et enfin cette petite culotte un peu usée qui te dessine si bien tes jolies fesses rebondies.


Je te suivais avec de sombres desseins, de noires pensées, dans ce cadre bucolique qui pouvait très vite devenir hostile pour une jeune femme égarée. Je te suivais depuis une heure, peut-être deux, d’abord charmé par cette belle apparition, puis obnubilé par le scénario diabolique que j’avais élaboré en restant un peu à distance.


Tu n’étais pas dupe : tu avais relevé le craquement d’une vieille branche pourrie sous mes pas, tu avais aussi pris note du silence soudain que s’imposait la nature à mon passage. Plus de croassements, ni de cris de passereaux ; d’autres voyeurs observaient la scène du futur crime. Et tu tremblais d’excitation comme à chacune des tes exhibitions improvisées dans ce creux de verdure.

Et tu jouais de tout ça.


Improvisant une chorégraphie martiale, fléchissant les genoux, ondulant le torse d’avant en arrière, soudain tu as pris la pose, immobile, tendant tes fesses, ouvrant tes jambes largement comme Camille Claudel sous les mains brusques de Rodin. Lentement, tu es passée d’une figure à une autre, improvisant un Kâma-Sûtra solitaire qui colorait maintenant de rose tes joues, ta gorge, ta vulve, alors que l’excitation te gagnait de plus en plus.


Il faisait chaud sur les pierres. Tes plantes de pieds demandaient grâce et ton regard a été attiré par cet arbre mort, arraché par une tempête, charrié par une succession de crues pour venir s’échouer ici, aussi nu que toi, un moignon de branche polie en érection. Il était majestueux et terrassé, fier de sa grandeur passée, mais pauvre vieillard pervers à la sève asséchée. Fascinée par ce morceau de bois d’une taille respectable, tu t’imaginais chevauchant le tronc, trouvant là à assouvir tes pulsions actuelles.


Doucement tu t’es rapprochée de ton futur amant de bois. Il dégageait une douce chaleur bien plus apaisante que la brûlure des galets. Adoucie par son voyage dans les flots, méthodiquement caressée par une multitude de petits cailloux, sa texture ressemblait à ces poupées de bois que tu avais aperçues chez moi, glaçantes d’effroi par les rictus des visages et par le gigantisme des appendices virils greffés sur des corps féminins, et tu imaginais combien de femmes avaient dû souffrir pour les transformer en objets de plaisir.


Le dénouement arrivait ; c’était écrit entre nous, mais encore fallait-il passer le pas.


Tu as enjambé le tronc en te hissant sur la pointe des pieds. Entre tes cuisses, tu pouvais maintenant ressentir toute la vigueur foudroyée de cette force de la nature peut-être plusieurs fois centenaire. Glissant lentement en arrière, ta vulve est entrée soudain en contact avec l’extrémité de cette verge de bois. Tes battements de cœur se sont accélérés. Un sentiment étrange t’a envahie, comme une sorte d’angoisse sourde, prélude à une excitation plus forte encore.


Tu savais que, caché derrière quelques bambous, je ne perdais pas un seul instant de ton abandon, et tu espérais que mon appareil photo soit en train de sauvegarder ces images pour que tu puisses en jouir à nouveau en les consultant, lovée dans mes bras. J’ai fait bien pire mon amour, j’ai fait bien pire : tu es devenue une proie pour mon idole, tu es devenue une de ces femmes sacrifiées pour que se perpétuent des rites initiatiques occultes dont tu n’avais pas idée.


Il faisait lourd, maintenant. L’air tremblait tout autour de toi, et tout en t’empalant tout doucement sur ce vieux morceau de bois tu as compris que rien n’allait se dérouler comme prévu. Tout a basculé soudainement, dans une secousse de l’Arbre rendu à la vie par tes fluides intimes. Surprise, tu as hoqueté alors que tes pieds ne touchaient plus le sol, puis tu as crié en sentant des épines transpercer tes muqueuses, allant de plus en plus profond, de plus en plus haut. Les racines de ce vieux tronc rabougri avaient aussi pris vie, et tels des bras décharnés aux longs doigts griffus elles t’immobilisaient fortement, te poussant toujours plus fortement sur ce dard vénéneux. Tes organes internes cédaient les uns après les autres. D’abord ton utérus, puis ton intestin, tu étais condamnée à mourir dans un dernier orgasme dévastateur. Tu ne sentais pas la douleur, anesthésiée par l’effroi, pétrifiée par la situation. Tu ne m’as même pas vu me rapprocher pour que je puisse profiter de cette nouvelle mise à mort.


Dans un dernier hurlement rauque couvert par le craquement sinistre de ton funeste amant, ta vie est partie. Des flots de sève ont ensemencé ton corps pour donner vie à une de ces nouvelles idoles au sourire cruel.


J’ai attendu patiemment que l’Arbre finisse sa besogne. Tu n’étais plus qu’un pantin désarticulé. Sur ta peau ivoire apparaissaient déjà les veines boisées de ta nouvelle condition. Tes poils roux se transformaient en sculptures figuratives, et ton clitoris bourgeonnait pour se transformer en futur objet de plaisir.


Il faisait frais quand la lune s’est enfin levée, mettant fin à cet accouplement horrifique. Dans un bruit sec, ton corps figé s’est détaché de l’Arbre redevenu immobile. Une larme de bois en creux sur ton visage symbolisait ton abandon entre mes mains. Non, tu ne regrettais pas ton choix : tu exprimais ta tristesse de plus jamais connaître de sentiment aussi puissant. Je t’ai ramassée, petite statue pornographique, et tu ne pesais pas bien lourd. Enchâssée dans ta nouvelle condition chimérique, tu étais devenue à jamais l’instrument de la tentation d’autres victimes qui ne manqueraient pas de tomber dans mes bras.


Il faisait noir autour de nous. Il fait toujours noir autour de moi.