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Temps de lecture estimé : 11 mn
05/05/17
corrigé 06/06/21
Résumé:  Dans les années 1880, une expérience de spiritisme qui tourne mal...
Critères:  fh couleurs bizarre vengeance contrainte bondage fantastiqu sorcelleri -fantastiq
Auteur : Renaudnnn      Envoi mini-message
La revanche du peuple toucouleur

Cher Édouard,


J’ai vraiment hâte de vous retrouver pour ces vacances. Père a déjà payé les 15 francs pour la location. Nous aurons donc la belle maison sur les rochers, pas très loin de chez vous, à deux pas du Trou du Diable, cette villa tout en étages qui offre une si belle vue sur l’océan.


J’imagine déjà les longues promenades sur le sentier côtier en votre compagnie, et plus que tout je suis impatiente de participer à nouveau à vos expériences occultes. Avez-vous pris contact avec de nouveaux esprits ? Est-ce que votre nouvelle tablette facilite la communication avec les esprits ? Informez-moi de vos progrès.


Je vous embrasse.


Votre Élise



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Chère Élise,


Dieu, que votre lettre m’a fait plaisir ! Nous serons donc voisins pour cette nouvelle saison. Je connais bien la maison que votre père a louée. Elle était la demeure d’une famille de notables dont la jeune fille a disparu tragiquement il y a de ça de longues années. L’affaire avait fait grand bruit dans les bonnes feuilles ; le père avait été accusé de cette disparition, et la famille avait fui la région après un procès qui n’avait rien révélé. Abandonnée aux vents, la villa était mon terrain de jeu quand j’étais plus jeune. Je me souviens de ses pièces aux meubles couverts de tissus rapiécés, des grands volets de bois claquant sur la façade au gré des rafales, et d’un grand miroir au mur dans le salon, dans lequel mon regard se perdait, cherchant des images d’un autre temps, quand cette maison était traversée du rire cristallin de cette belle jeune fille insouciante.


J’y ai trouvé, tout en haut dans le grenier, une remarquable statuette de bois noir au visage ricanant représentant une divinité féminine polynésienne ou africaine avec des attributs masculins, que je vous montrerai un jour si vous me promettez de ne pas être choquée par quelques signes érotiques présents sur cet artefact.


Depuis deux années maintenant, la maison a été rénovée et elle est proposée à la location. Vous devriez en être les premiers locataires pour ces vacances.


Ma planche de communication donne de bien bons résultats. J’ai pu échanger avec mon oncle Alfred, mort à la guerre il y a plus de dix ans lors de la bataille de La Moncelle, sous les ordres de Mac Mahon. Je ne l’avais pas bien connu puisqu’il avait fait une partie de sa carrière d’officier lors de la campagne dans la vallée du fleuve Sénégal, une campagne où il s’était illustré en participant au sauvetage du fort de Médine.

Lors de notre dernière séance, il m’a conté avec force détails l’horreur de cette première bataille, avec ces centaines de corps de guerriers toucouleurs en putréfaction au pied du fort, et la vision d’effroi que son bataillon a découvert alors ; mais je n’en dis pas plus : nous pourrons essayer à nouveau de le contacter si ces histoires militaires ne vous font pas peur.


Je vous présente, chère Élise, mes plus respectueux hommages et je vous attends avec impatience.


Édouard



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Édouard,


J’ai frissonné toute la nuit après notre séance. Je ne trouvais pas le sommeil. Je me suis concentrée sur le ronflement de Père, dans la chambre attenante, pour ne plus prêter attention à tous ces grincements sinistres qui traversent la villa et trouver le sommeil. Cette bâtisse est horrible, et ce que nous en a révélé votre oncle Alfred dépasse l’entendement. Comment peut-on imaginer le sort de cette jeune fille ?


Je n’aurais vraiment pas dû accepter votre invitation. Nous réveillons des forces qui sont trop fortes pour nous, et qui plus est provoquent des sensations étranges en moi ; j’ai bien peur que vous ne tentiez de m’entraîner dans de sombres rituels. Que m’avez-vous fait boire dans cette coupe de bois ? Pourquoi étais-je partiellement dénudée en fin de séance ? J’ose espérer, Édouard, que vous n’avez pas profité de moi alors que j’étais dans cet état second, envahie par l’esprit de cette pauvre Loreline.


Je ne sais pas comment j’ai réussi à rentrer à la villa, puis à me glisser dans mon lit. J’ai honte de vous le dire, mais cela peut avoir son importance pour vos travaux : mes seins étaient tellement lourds hier soir ; je n’avais jamais ressenti cela avant. Mon cœur battait dans tout mon corps et je me sentais poisseuse. Mon sexe me chauffait, comme s’il était irrité.


Vous devez détruire cette statuette avant qu’elle ne nous détruise ! Se concentrer sur cette verge de bois qui luisait pendant toute la séance en indiquant les lettres sur le ouija était une telle épreuve pour moi… Il faut que cela s’arrête. Il faut libérer Loreline de votre oncle et jeter cette statue dans le Trou du Diable pour qu’elle finisse en enfer ! J’éprouve une telle attirance pour ce vulgaire morceau de bois que j’ai peur de ce qui nous arrive.


Édouard, je vous laisse cette lettre puisque vous n’êtes pas chez vous ce matin, mais je ne suis pas sûre de revenir ce soir.


Élise



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Élise,


Grâce à toi j’ai beaucoup progressé, et je suis certain que le récit de notre expérimentation intéressera les cercles spirites parisiens. J’ai commencé à rédiger un courrier à Julian Ochorowicz avec qui j’ai déjà échangé sur d’autres aspects des rituels.


Je ne sais pas comment aurais-je pu faire sans toi.


Tout d’abord, ton idée d’utiliser un ouija inscrit sur ton corps était excellente parce qu’elle nous a permis d’amplifier les signes que nous envoyait Loreline en te prenant comme relais physique. Je dois t’avouer que j’ai été subjugué par le spectacle que tu m’as proposé quand tu t’es lentement dévêtue, délaçant ton corset, laissant apparaître ton corps d’albâtre et tes seins si imposants hier soir. J’avais du mal à retenir le tremblement de mes mains en dessinant au charbon de bois les lettres sur ta peau. L’excitation que nous avons ressentie alors est certainement en partie responsable de notre réussite.


Comme tu avais raison quand tu as suggéré que la statuette tribale était certainement plus qu’un vulgaire bout de bois ! Je me suis plongé dans les écrits d’oncle Alfred ; j’y ai découvert que ces statues étaient souvent creuses, emportant en elles une charge magique – le bilongo – qui relie l’objet à des âmes aspirées.


Comme nous en étions convenus, pour limiter tes sursauts lors de la séance je t’ai attachée en croix sur la table ronde et j’ai couvert tes yeux d’un foulard pourpre pour que le gland majestueux de la statue ne t’attire pas et ne casse ainsi le lien ténu qui allait nous relier à Loreline. J’ai bien senti, en passant ma main doucement sur ta belle toison sombre, que ton plaisir n’était pas loin. Être attachée, à ma merci, et plus encore dans une expérience interdite de communication avec l’au-delà t’excitait. Ton sexe luisait déjà et tachait un peu la feutrine de ma table de jeu.


Très vite, l’idole a pris vie entre mes mains, et j’ai pu échanger avec les esprits qui se manifestaient en retenant les lettres qu’ils m’indiquaient sur ton corps. Je ne sais pas qui, de Loreline ou oncle Alfred, s’exprimait le plus. J’ai même parfois cru comprendre d’autres esprits, plus lents à communiquer, s’exprimant avec des tournures de phrases complexes, comme si le français n’était pas leur langue natale. J’ai compris qu’oncle Alfred était en partie responsable de la disparition de Loreline, et que des forces magiques toucouleures étaient en jeu, comme si une malédiction avait été lancée sur mon oncle lors de la campagne au Haut Sénégal et qu’il n’avait rien trouvé d’autre que de sacrifier une jeune fille pour être enfin en paix. J’ai eu tout au long de la soirée du mal à contrôler la statuette.


Quand les esprits se mettaient à parler tous ensemble, j’avais l’impression que la verge de bois gonflait plus encore et que le gland était attiré par ton entrejambe. Je devais alors lutter pour la retenir de te pénétrer. Il faut dire, de plus, que tes petits gémissements continus étaient tellement expressifs que je me suis surpris parfois à fixer cette belle grotte si chaude comme si elle essayait aussi de m’avaler.


J’ai suffisamment recueilli d’informations pour ce soir, et quand je t’ai lentement détachée et que tu t’es lovée dans mes bras, vidée de toute force, j’ai compris que nous n’étions pas très loin de libérer Loreline. Je t’ai accompagnée jusqu’à la porte de la villa, te laissant le soin de monter doucement l’escalier vers ta chambre.


Je te laisse ces quelques mots pour que tu puisses prendre connaissance de notre avancée.

Je t’embrasse.


Ton Édouard



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Édouard,


J’ai mal. J’ai froid. Il me déchire le ventre. Il irradie dans toute mon âme. Il efface mes souvenirs, mes pensées. Il m’endort petit à petit. Ma peau se fripe. Qu’as-tu fait lors de notre séance ? J’ai le sentiment diffus qu’un sexe m’a lentement pénétrée, déchirant mon hymen, alors que tu ne m’as rien laissé de tel dans ta lettre.


J’ai essayé d’effacer les lettres qui recouvrent mon ventre, et j’ai découvert avec horreur qu’elles étaient maintenant gravées dans ma peau, dans ma chair.


Édouard, je souffre, et en même temps j’ai l’impression d’avoir trouvé une nouvelle raison de vivre. Le rire de Loreline résonne dans ma tête parmi bien d’autres voix envoûtantes. Je la vois ; je me vois, tourbillonnante, dans les bras d’un bel officier à la moustache rebelle. Il m’attire, il me serre contre lui ; je sens parfois sa vigueur contre ma cuisse et je défaille en pensant à ce que cela pourrait enfin me faire connaître.


Édouard, il faut en finir : j’ai besoin de toi pour que tu me permettes de le rejoindre à nouveau. Après tout, à travers lui, c’est un peu de toi que je cherche. Et je sens que la libération de Loreline n’est plus très loin.

Je viens ce soir pour un nouveau rituel.


Élise



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Mon Élise,


Tu avais hélas raison : oncle Alfred est trop fort pour nous deux. Comme tu es tombée très vite en catatonie, je vais essayer de t’expliquer ce qu’il s’est passé lors de la soirée.


À ton réveil, je t’en supplie, sauve-toi ! Pars le plus loin possible, et surtout ne me cherche pas.


Cette nuit était parfaite pour une nouvelle séance. Je pensais vraiment avoir toutes les cartes en main pour que nous puissions parler avec Loreline et à elle seule, et ainsi la libérer.

D’abord, la précision de la gravure des lettres sur ton corps est tout simplement inquiétante. Passer de lettres inscrites grossièrement avec du charbon de bois à un tel niveau de détail entre scarification et tatouage montre qu’une force incommensurable est à l’œuvre.


Tu as très vite pris la pause sur la table, tes jambes et tes bras trouvant comme par magie les liens que j’avais installés sur les pieds du meuble devenu autel à sacrifice. Tu es belle, Élise. Ton corps fait de courbes et de creux m’attire de plus en plus. J’ai saisi l’oracle, le promenant sur ton ventre au hasard des lettres, et j’ai senti que nous n’étions pas seuls. Mais cette présence n’était pas que spirituelle : dans la pénombre, hors du cercle de lumière dessiné par les cinq bougies qui nous entouraient, j’ai vu d’abord le blanc des yeux avant de comprendre que la forme indistincte que j’apercevais représentait des guerriers toucouleurs, lances à la main. Ils étaient nus, en érection. Ils transpiraient sur leurs muscles imposants. Je n’ai pas compris d’où ils venaient, mais j’ai entendu le rire tonitruant de mon oncle et le cri d’horreur de Loreline quand j’ai senti des mains qui m’immobilisaient et me tiraient en arrière.


Je n’ai rien pu faire, mon Élise.


Ces guerriers ont abusé de toi, à leur merci à cause de moi et de ces liens consentis. J’ai entendu leurs va-et-vient au plus profond de ta matrice, et je me souviendrai toute ma vie de ces bruits de plus en plus spongieux que faisait ton sexe rempli de leur semence. Je n’ai rien pu faire quand ils ont levé la statuette tribale sur ton corps, puis lentement l’ont aussi approché de ta vulve. Dans une hallucination insupportable, j’ai vu cette statuette grossir, grandir, et te pénétrer, encore et encore alors que sur ton visage je voyais apparaître les traits de Loreline, qui avait subi le même calvaire il y a bien longtemps.


J’ai entendu la voix d’Alfred qui me remerciait de lui permettre enfin d’accéder au repos éternel par mes actes tragiques. Responsable de la mort de nombreux guerriers toucouleurs tombés sous les balles de son régiment, il avait aussi sur la conscience l’exécution et le viol de femmes et d’enfants de ces guerriers valeureux. Dans les décombres d’un village toucouleur, il avait été subjugué par la vision de ce totem conservé dans un bâtiment de terre, lieu de culte consacré. Il avait été attiré par cette synthèse de la beauté féminine, de la puissance sexuelle masculine, et ce rictus satanique qu’il n’avait pas résisté à l’envie de le transformer en trophée.


Quand toutes ses nuits sont devenues des cauchemars, il n’a eu de cesse que de comprendre comment se délivrer de cette malédiction ; Loreline a été sa première proie, et à travers moi tu es la seconde victime dont le sacrifice est nécessaire pour qu’il en soit libéré.


Il lui avait fallu ensuite des heures et des heures de discussions avec moi pour m’orienter doucement vers le spiritisme. Il avait racheté la villa, donnant des instructions à des hommes de main pour la restaurer après sa mort et la mettre en location. Et il avait pris de soin de ton père et de toi, alors toute jeune fille, en prévoyant que vous viendriez un jour dans ce bout du monde au plus profond de la Vendée.


Élise, nous sommes perdus tous les deux si nous continuons ces rituels. Dans un sursaut de volonté, j’ai réussi à sortir du cercle des bougies, et l’oracle est tombé brusquement au sol, laissant ton vagin refouler une grande quantité de liquide clair. Je t’ai détachée et j’ai décidé de faire ce que tu avais proposé : jeter cette statue maléfique dans le Trou du Diable, ce gouffre dans la falaise qui domine l’océan.


Je t’écris ces mots pour que tu ne m’oublies pas, mon Élise. Je t’ai…



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Édouard,


Je sais maintenant qu’il est trop tard pour nous deux. Je viens de me réveiller et j’ai trouvé ton corps encore chaud à mes pieds. Je viens de lire ta lettre que tu n’as pas pu finir, et je pleure toutes mes larmes pour toi, mon amour. Ton crâne fracassé ne me laisse que peu de doutes sur l’horreur que tu décrivais avec tes mots dans ce courrier inachevé. Ces guerriers sont encore là. Je ne les vois pas bien, mais je devine qu’ils restent à l’écart du cercle de lumière, attendant la fin.


Mon amour, la statue n’ira pas jusqu’au Trou du Diable : elle est là, près de toi, et elle est bien plus grande que lors de notre premier rituel. Nous l’avons nourrie, nous l’avons fortifiée ; et je sais que je vais me dissoudre en elle maintenant. Je vais retrouver Loreline dans les veines boisées d’une idole venue des temps anciens. C’est mon destin. C’est le destin voulu par le peuple toucouleur pour nous punir de nos actes, et oncle Alfred n’était que l’instrument de cette vengeance. Un instrument terriblement efficace.


Nous ne pourrons jamais libérer Loreline, comme je ne pourrai jamais être libérée. Je sais maintenant que les voix que j’ai entendues, les esprits avec qui tu as communiqué, sont mes sœurs de douleur, à jamais emprisonnées ensemble.


Je n’ai plus peur, Édouard, parce que je sais que cette transmutation m’apportera aussi beaucoup de plaisir. Je ressens les ondes de jouissance qui ont irradié dans tout mon corps sous la domination de ces guerriers. C’est indescriptible, comme si une saturation de souffrances avait provoqué des orgasmes à répétition.


Les lettres sur ma peau se transforment à nouveau. Je passe d’une blancheur diaphane à un gris terne, avec des stries noires tout autour du ventre. Je sens mes seins prendre une apparence plus géométrique, comme une nouvelle statue. Mes doigts s’engourdissent ; je ne pourrais pas tenir plus longtemps la plume.


Ce qui m’inquiète, mon amour, c’est que nous ne sommes – nous aussi – qu’un maillon de cette vengeance. Je n’aurais pas dû te laisser envoyer un courrier à ton ami parisien. Quand tout cela sera fini, que de ton corps il ne restera que des ossements blanchis avec une chair putride en décomposition tout autour, et que deux statues quasi identiques reposeront à tes côtés, alors de nouvelles victimes sont à craindre.


Je laisse ces quelques lignes en guise d’avertissement et en souvenir de toi, mon amour, mon Édouard.