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n° 17899Fiche technique14710 caractères14710
Temps de lecture estimé : 9 mn
07/05/17
corrigé 06/06/21
Résumé:  L'amour peut être quelque chose d'effrayant.
Critères:  fh ff
Auteur : Larry Starck      Envoi mini-message
La dernière confidence

Cette fille aimait qu’on lui fasse l’amour, mais n’aimait pas les hommes. Lorsqu’elle t’avait choisi pour l’envoyer en l’air, tes fantasmes avaient carte blanche ! Et tu avais intérêt à leur lâcher la bride, parce que tu n’avais jamais le droit à un deuxième essai. La faire jouir, c’était le seul mot d’ordre. « Toi » n’existait pas. Tu n’étais plus un « qui », mais un « quoi ». Un godemichet vivant, un vibromasseur biologique, inutile d’escompter entendre ton nom, ne serait-ce que murmuré au climax. Ton nom, elle l’ignorait. Les plus habiles fouteurs prétendent même l’avoir entendu prononcer son propre nom en jouissant. Ce point fut l’objet d’interminables controverses dans la bande.


Moi, j’avais un statut particulier. J’avais été le premier. Le premier homme qui ait pris la place de ses doigts entre ses cuisses. Enfin homme… il s’en était fallu de peu qu’elle ne fût aussi ma première expérience. Comme les autres, je ne lui avais fait l’amour qu’une seule fois. Pour moi ça avait été merveilleux, mais quand j’y pense ça n’était que très simple, une baise un peu empruntée et timide, précautionneuse. Très vite après moi elle avait voulu essayer d’autres hommes, mais dès sa deuxième expérience, elle m’avait élu comme confident. Il ne fut pas ensuite une aventure sexuelle qu’elle ne me racontât. Elle narrait ces histoires avec gourmandise. Elle mettait un point d’honneur à choisir les mots, les métaphores, les tournures de phrases qui décrivaient le plus justement les circonstances et les protagonistes, leurs gestes et leur anatomie. Les porte-couilles, comme elle les appelait, n’en sortaient jamais grandis. Les meilleurs des baiseurs étaient même ceux pour lesquels elle témoignait le plus grand dédain. Quant à mes propres histoires, elle n’en avait cure. Elle ne voulait pas savoir qui je baisais, ni dans quelle position, ni dans quelle circonstance.


J’avais acquis, à cause d’elle, un regard particulier sur mes contemporains puisque près d’un homme sur deux que je côtoyais dans cette ville l’avait fréquentée une unique fois et que je savais tout de ce moment de leur intimité. Quand tu entres dans une boutique et que tu te remémores la description du vendeur en action, brossée avec la précision cruelle de Caroline, tu ne le regardes pas avec les mêmes yeux ! Évidemment je n’en disais rien et aucun de ces hommes pris et jetés aussi vite ne savait que je passais de longues soirées à recueillir les confidences de Caroline. Amitié étrange s’il en est, à sens unique, dans laquelle ce que je vivais n’avait guère de place. Jusqu’à ce soir-là.


Caroline venait une fois de plus me dépeindre les extravagances auxquelles se livraient les hommes sur son corps. Jeunes chiens fous, conquistadors ou barbons qui ne tenaient pas la distance, une fois de plus elle fut sans indulgence. Cet esprit acerbe, mordant me réjouissait. Caroline me raconta une histoire pourtant inhabituelle. Elle était allée chez un vieux cordonnier à la main baladeuse, un pervers nostalgique qui ne poussait jamais au-delà de quelques frôlements ambigus sans agressivité. Elle avait envie de le prendre à son propre jeu. Au lieu d’esquiver ses rapprochements, elle les avait accentués, provoqués et puis elle avait fini par mettre la main dans son pantalon sortir son sexe et le sucer dans sa boutique au risque de se faire surprendre. Le vieux n’en revenait pas, moi non plus. Caroline avait fait jouir un homme sans rien attendre de lui ! Elle a conclu l’histoire en me disant :



Caroline me regarda avec étonnement.



Pour une fois, il a fallu que je lui raconte tout, les caresses, les baisers, comment je m’y prenais, les gestes discrets dans les lieux publics, au cinéma, juste deux doigts dans sa culotte pour la faire jouir lentement sans l’empêcher de voir le film. Les baisers sur le haut des cuisses, le plus proche possible de sa vulve, sans effleurer les lèvres, pour exciter son désir, longuement. Après ces préparatifs, le premier coup de langue léger sur ses lèvres provoquait une incroyable explosion de plaisir. J’ai raconté tout, au hasard, un souvenir en appelant un autre. Les odeurs, les goûts. Caroline m’écoutait attentivement, elle avait l’air heureuse, prête à dévorer la petite Lise qui, j’en étais sûr, se laisserait aimer avec gourmandise.


À l’époque, Caroline m’apparaissait comme un monstre. Monstrueuse cette férocité de l’appétit sexuel unie à cette absence de tendresse, de sentiments. Je gardais mon amitié à Caroline parce que je pensais qu’elle changerait un jour, qu’un jour elle aurait besoin de sentiments. Moi je serai là, si… non, il y avait trop de si dans cette histoire pour que j’y croie vraiment. Trop de confidences gênantes entre nous. Non, j’avais simplement pour Caroline une tendresse que je ne raisonnais pas, que je ne questionnais pas.


Ce soir-là, je la voyais changer sous mes yeux. Son visage au fil de mes paroles s’animait d’un désir. Plus je l’emmenais dans l’intimité de Lise, plus je voyais prendre corps un vrai désir de l’autre. Incroyable. Mais lorsqu’elle fut partie, me vint à l’esprit que, peut-être, cet autre recherché n’était qu’autre elle-même.


Dans la semaine, le grand Pierre annonçait avoir consommé sa rupture. Il était vexé que la seule émotion de Lise fût du soulagement. Je connaissais Lise, pas de doute qu’une autre aventure avait commencé pour elle.


Quelque jours plus tard, Caroline s’invitait chez moi. Elle arrivait radieuse avec un plateau de sushis et makis ce qui chez elle témoignait d’un grand bien-être. Elle a commencé à me raconter ses travaux d’approche, la recherche d’un livre qui lui provoquerait des sensations. L’expression avait fait mouche. Lise était troublée et Lise n’avait jamais su cacher un trouble. Au fond de la librairie, le premier effleurement du sein fut une formalité et la phrase je crois bien que la réalité me procure beaucoup plus de sensations que la lecture porta l’estocade. Le soir même, Lise offrait à Caroline sa première nuit lesbienne. Caroline me la raconta dans le détail en s’animant comme jamais je ne l’avais vue s’animer en parlant d’un homme. Elle s’enflammait pour le parfum des seins de Lise, pour l’odeur qui se cache sous ses aisselles ou derrière son cou. Elle s’extasiait sur le goût changeant de sa vulve, léger quand les lèvres restaient closes et de plus en plus puissant quand la langue plongeait entre les grandes lèvres et ouvrait les nymphes et s’en délectait.


Ça me rappelait de bons souvenirs de Lise, mais aussi des souvenirs de ma découverte de Caroline. À l’époque je ne l’aurais sans doute pas décrite comme cela, mais c’est exactement ce que j’avais éprouvé. À la fin d’un récit saphique tourbillonnant, Caroline vint se lover dans mes bras, elle m’embrassa sur la joue en murmurant Merci pour Lise. Je ne l’avais jamais vu témoigner une telle tendresse. Au fond, ce qui m’étonnait c’est que Caroline ait attendu tant d’années avant de goûter l’amour entre femmes.


Caroline avait vraiment changé. Elle se délecta de Lise pendant deux semaines. Tout un apprentissage. Alors qu’elle s’était toujours laissé aimer par les hommes, Caroline menait la danse avec Lise. Elle me racontait les cabrioles, les recherches de la meilleure position pour se frotter clitoris contre clitoris, vulve contre vulve, les attouchements discrets dans les lieux publics, les orgasmes partagés, les réveils câlins, les douches coquines.


Peu de temps avant leur rupture, Lise avait présenté à Caroline un de ses lieux discrets où les femmes peuvent trouver d’autres femmes. Caroline multiplia ensuite les expériences et m’en fit le récit. Récits précis d’explorations charnelles, ici le large cul de la boulangère exploité de toutes les manières possibles tandis que son mari était au fournil, là les seins pointus de la coiffeuse frottés sur son clitoris jusqu’à l’extase, ou la vierge rousse qui, en jouissant sous le déchaînement de sa langue et de ses doigts, lui avait inondé le visage d’un foutre capiteux.


Un soir, l’air contrit, Caroline s’est blottie dans mes bras en me disant :



Ma copine du moment. J’ai éclaté de rire. Je ne pouvais pas être jaloux de Caroline et nous avons échangé nos impressions, nos expériences, nos manières de faire avec cette petite aux mille délices. Nous sommes tombés d’accord sur tout, sur les chemins que nous parcourions sur son corps alangui, sur la façon de caresser ses seins, sur les délices de ses cuisses aux saveurs épicées, et même sur le plaisir d’embrasser son suave périnée à l’exact milieu entre ces deux merveilles enivrantes, son cul héroïque et sa vulve triomphante. Après cette soirée-là, lorsque je baisais Isabelle, mon plaisir était doublé d’imaginer Caroline sur mes traces.


Un long silence advint et, après plusieurs semaines, Caroline revint. Dolente. Pâle. Une fois de plus elle se blottit dans mes bras. Elle porta la main à ses cheveux et les fit voler dans la pièce en me présentant son crâne, entièrement chauve, en disant :



Nous sommes restés silencieux, serrés l’un contre l’autre pendant un temps infini. Puis, lentement, elle s’est tournée vers moi, a posé ses mains sur ma poitrine et m’a regardé intensément.



Je lui ai fait l’amour, lentement, timidement. J’avais tout oublié des réalités de son corps, tous les récits n’étaient plus qu’histoires évaporées. Il me semblait faire l’amour pour la première fois à une inconnue, sans extravagances, sans excès, sincèrement, mais avec des larmes que je cachais tant bien que mal. Quelle étrange sensation que cet orgasme qui montait de si loin, si intensément, en même temps que le flot des larmes d’une vraie douleur. Un peu avant moi, Caroline a joui. Elle s’est agrippée à mes bras vivement en murmurant mon nom, deux fois. Puis nous nous sommes endormis. À mon éveil, elle n’était plus là.


Le jour de son enterrement, son père me remit cette lettre.


Mon ami,


Au cours des dernières semaines, j’ai pu me retourner sur ma vie absurde et dissolue. Je t’en ai raconté assez pour que tu saches bien de quoi je parle. Non, je n’ai guère d’autre histoire à te conter. J’ai bien caressé la cuisse d’une infirmière hier sous sa blouse, mais mon corps ne répond plus et mon esprit est vite las de ces fantasmes stéréotypés. En fait si, il y bien une histoire dont je ne t’ai jamais parlé, celle que tu as vécue avec moi.


Tu as été ma première expérience. J’en ai gardé le souvenir d’un plaisir intense et profond. Ensuite il m’a fallu une vie de coucheries désordonnées pour comprendre que ces sensations n’étaient pas que des sensations physiques. Je me suis construit une vie en défense contre tout sentiment amoureux, mais jamais, ni avec un homme ni avec une femme, je n’ai retrouvé ces premières sensations. Il m’était plus facile de mettre ce que j’avais alors éprouvé sur le compte de la découverte, de la première fois pour l’oublier. Finalement, au seuil de la mort, j’ai voulu t’exorciser. Chasser le souvenir de cette première expérience si unique, c’est seulement pour cela que je t’ai demandé de me faire l’amour. Pardonne-moi.


Cette dernière nuit, je suis partie sans te dire adieu. Je ne l’aurais pas supporté. Tu as été mon premier amant. Tu as été mon dernier amant. Entre ces deux nuits, je n’aurais fait que te repousser vainement en ignorant que je te cherchais. La deuxième fois que nous avons fait l’amour fut en tout point identique à la première, douce, tendre, profonde, ravageuse comme un tsunami sur l’âme légère d’une femme que l’amour terrorise.


Toute ma vie j’ai repoussé, en dominant les portes-couilles, ma crainte de voir ma liberté encagée par l’amour. Toute ma vie je me suis mise en cage quand tu étais ma liberté. Tu as été mon premier amour et mon dernier amour. Tu as été mon seul amour et je ne t’ai pas reconnu. Cette histoire-là, je ne pouvais te la raconter que par écrit.


J’espère que dans une autre vie, forcément meilleure, mon amour, je saurai te reconnaître.


En refermant la lettre, je pris conscience que je n’avais jamais dit « je t’aime » à aucune femme et que je ne le dirai jamais.


Peut-être dans une autre vie.