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Temps de lecture estimé : 18 mn
17/05/17
corrigé 06/06/21
Résumé:  Une petite histoire pas amusante, pas porno, et même pas érotique. À se demander ce qu'elle fait ici...
Critères:  fh hplusag jeunes uniforme fête amour fsoumise pénétratio init mélo portrait
Auteur : Charlie67            Envoi mini-message
La boîte à chaussures

Décembre 2016


Hier soir, mon chéri m’a dit :



Pour ceux qui ne le savent pas, chez nous en Alsace – en tout cas dans ma famille – on ne dit pas « mamie », « mémé » ou tout autre mot câlin : on dit « mamama » pour sa grand-mère.


Les archives, ce sont toutes les choses dont mes cousins n’ont pas voulu quand la maison de ma grand-mère a enfin été vendue. Cela fait tout de même quinze mois de palabres pour arriver à un compromis de partage. Ces « archives » encombrent, depuis trois mois, notre garage. J’ai un homme hyper cool, mais il est un peu maniaque et prend grand soin de nos véhicules qui, pour le moment, ne peuvent plus s’y abriter. Je ne vais pas le fâcher pour cette broutille.


J’ai un travail indépendant ; je m’octroie donc un congé de deux jours. Cela devrait suffire pour tout ranger. Je m’attaque à tous ces cartons. J’ai accroché la remorque à ma voiture et j’y charge tout ce que je veux mettre à la déchèterie. Et il y en a ! J’ouvre un carton ; il est plein de… cartons, ou plutôt de boîtes à chaussures. Chacune de ces boîtes est marquée d’un des différents prénoms de la famille. J’y vois le mien. Bon… je garde le tout, je ferai le tri plus tard.


Un de ces cartons m’intrigue. Il est vraiment très lourd. Il est marqué « Henri », le plus jeune frère de ma grand-mère.

Je l’ouvre. Je suis stupéfaite : il y a un révolver sur le dessus. Je vois mal ma grand-mère comme une pétroleuse ; cela devait sûrement appartenir à mon grand-oncle.


En-dessous, il y a des fourragères et quelques médailles. Une me semble bien être la Légion d’Honneur. Et puis il y a quelques photos. Principalement des photos de mariage, en noir et blanc. Lui, très grand et martial, bel homme. Sur le bas de sa manche il y a cinq barrettes. Je n’y connais pas grand-chose ; je crois que c’est un colonel. Elle, plus petite que lui, au moins d’une tête. Beaucoup plus jeune et un peu ronde. Elle me fait l’impression de la bonne fille de la campagne.


J’examine les photos. Une m’interpelle, quand ils se regardent les yeux dans les yeux.

Ils s’aiment.


Il y a aussi trois feuillets manuscrits recto-verso. Une belle écriture virile, à l’ancienne, avec des pleins et des déliés. Je les lis. Je reprends la dernière photo. Je relis ces trois feuillets. Je regarde à nouveau cette photo. Je rassemble tout cela et je monte m’installer à mon bureau. Je reste pensive.


Je ne connaissais pas beaucoup mon grand-oncle. On ne m’avait pas dit grand-chose à son sujet, dans la famille ; comme une personne oubliée. J’allume mon ordinateur et charge le traitement de texte. J’ai envie de parler de mon grand-oncle. J’ai envie d’être mon grand-oncle.


_____________________



Décembre 1954


Ce déjeuner m’ennuyait réellement. Je n’écoutais plus les conversations, juste un sourire de convenance. J’étais assis en face de Louise, bien sûr. Elle était tout aussi silencieuse que moi.


Je me demandais si elle avait autant bataillé que moi contre ce mariage. Quelle idée ! Elle a la moitié de mon âge ; je me donne l’impression d’être un vieux barbon. Elle n’est pas désagréable à regarder, peut-être un peu ronde et rougeaude, mais avec un petit quelque-chose dans les yeux. Des yeux que je vois discrètement. Elle est timide. Elle doit sûrement sortir de chez les Sœurs. Avec sa famille, cela ne m’étonnerait pas.

Mes parents et les siens sont sexagénaires. Ils pensent encore comme dans le siècle de leur naissance.



« Mon esprit divague ; je repense à Sarah. C’était en août 1939. Je venais de décrocher mon baccalauréat, et l’avenir aurait dû s’offrir à nous. Nous nous promenions main dans la main dans le parc des Contades. L’été à Strasbourg est souvent torride ; il en était ainsi ce jour-là.


Au moment où je l’ai appuyée contre un arbre, elle n’a pas refusé mon baiser. Elle n’a pas repoussé ma main qui, à travers son corsage, palpait son sein si doux, si ferme, si prometteur.

Nous nous sommes juré un amour éternel. Nous nous marierons dès que j’aurai terminé mes études et intégré l’entreprise familiale. Nous ferons trois enfants, au moins !


Un mois plus tard, j’étais mobilisé.


Quand, fin 1944, je suis revenu en libérateur de ma ville, je l’ai cherchée partout.

Et l’on m’a raconté.


Sarah et sa famille ont été emmenées par des gens qui n’appréciaient pas leur religion. Ma douce Sarah est maintenant en cendres ou dans une fosse commune. J’imagine ses yeux terrifiés au cours de ces événements.

Mais je ne l’ai su que plus tard, bien plus tard.


Ma vision de la vie, c’était Sarah. Maintenant c’était… rien ! »




La conversation des arrangeurs de mariage reprend. En reposant les yeux sur Louise, je vois qu’elle a un petit sourire complice. Tout compte fait, elle est jolie, cette gamine.

Les arrangements de famille sont implacables : il faut surtout marier les laminoirs de mon père aux hauts-fourneaux du père de Louise. Nous, nous n’avons pas beaucoup d’importance.



« Il y a encore un an, j’aurais ri au nez de mes parents.

Diên Biên Phu est passé par là. Je m’en suis sorti, mais avec une jambe raide et les trois quarts du poumon droit détruits. Le commandant Henri Dietmer est hors service, out, fini. Alors ça ou autre chose, peu importe. De toute façon, l’armée ne veut plus de moi. Dans un mois, je suis promu au grade de lieutenant-colonel et fortement invité à faire valoir mes droits à la retraite. À trente-quatre ans… la retraite !

Cette saloperie de guerre d’Indochine, perdue d’avance.


Je repense à Anh Nguyet ; en français, cela se traduirait à peu près par « Clair de Lune ».

Mon clair de lune, ma déesse.

Ses yeux noirs pétillaient quand elle m’appelait « mon général ». Elle avait le corps mince et fragile d’un jeune garçon, dépourvu de seins même lorsqu’elle fut enceinte. Au quatrième mois de grossesse, nous nous sommes mariés. Mes parents n’étaient pas prévenus. Je n’avais que faire de leur avis. Je me débrouillai pour que Mme Anh Dietmer ait immédiatement la nationalité française. Je me doutais que nous allions nous faire foutre à la porte du Tonkin à coups de pieds au cul. Je voulais seulement pouvoir rapatrier femme et enfant.


Diên Biên Phu était – on le sait maintenant – une aberration stratégique. À l’époque, notre état-major était tellement sûr de notre supériorité sur les Viêts qu’il s’est enferré.


Pour moi, le monde a basculé une première fois en mars. J’étais entre les positions Dominique et Éliane avec une compagnie de turcos, les tirailleurs algériens. Les combats ont été rudes. Les Viêts ont été repoussés mais je suis resté sur le carreau. J’ai été évacué vers Saïgon par un des derniers avions qui a pu décoller de Diên Biên Phu.


Le deuxième basculement est intervenu quand je suis sorti du cirage, à l’hôpital. Sans ménagements, on m’a annoncé la mort d’Anh. Un imbécile avait eu l’idée d’évacuer préventivement des femmes d’officiers de Hanoï vers Saïgon par la route. Le convoi fut attaqué. Aucun survivant.


Je rentrai en France sans femme ni enfant mais avec une jambe définitivement raide et les trois quarts du poumon droit en moins. Quand, en cette fin 1954, ma famille fit pression pour que j’épouse Louise Mandore des Aciéries Mandore, après une brève bataille j’ai capitulé. De toute façon, viré de l’armée, je n’avais d’autre choix que d’accepter un poste directorial et honorifique dans l’entreprise familiale. »



Tout le monde se lève pour se rendre au salon pour les femmes et au fumoir pour les hommes. Je regarde Louise ; elle me sourit. Ma décision est prise rapidement :



Cela jette un froid dans l’assistance. Dans leur milieu, il n’est pas d’usage qu’une jeune fille soit laissée seule avec son prétendant. C’est mon futur beau-père qui répond, vu le silence de son épouse :



Ma mère et ma future belle-mère prirent leur air pincé, mais vu l’accord du père, c’était vendu. Pendant ce temps, Louise peinait à dissimuler qu’elle pouffait de rire. Je mis mon pardessus et pris ma canne. Louise me rejoignit. Elle avait enfilé un manteau, très serré à la taille et évasé vers le bas. Il marquait bien sa poitrine et ne la rendait que plus féminine. Elle se coiffa d’un béret légèrement incliné sur la gauche. Elle était ravissante.


Nous fîmes le peu de parcours à pied. Pas trop vite, ma jambe ne me le permettait pas. Je lui offris bien sûr mon bras, qu’elle prit avec distance en quittant la maison. Le coin de la rue passé, la distance entre nous diminua et le poids de son corps sur mon bras augmenta. Nous ne parlions pas et marchions lentement.



J’étais étonné et surpris, moi qui commençais à plonger à nouveau dans mes songes.



Elle avait son sourire malicieux et me regardait droit dans les yeux. Sa timidité avait disparu.



Elle s’était métamorphosée en s’éloignant de ses parents. Plus gaie, moins introvertie.



Hum, ce revirement de conversation m’étonnait. Pourquoi me parlait-elle de cela ? Devant mon air perplexe elle rajouta :



Je souris ; j’avais compris.



J’étais interloqué. Elle me regardait avec un air candide qui aurait fait damner un saint.



Nous nous sommes donc retrouvés attablés, dans une winstub, devant des cafés. Nous étions face à face et sa timidité avait disparu. C’était plutôt moi qui étais mal à l’aise et renfrogné, alors qu’elle, elle souriait.



Elle était directe, la petite.



Cette fille me désarçonne.



Je suis content qu’elle ne continue pas sur ce sujet scabreux.



Là, j’ai un coup au ventre. Drôle de question dans cette bouche juvénile.



« J’en ai tués, oui, un certain nombre ; une ombre au bout d’un fusil, un corps déchiqueté après avoir lancé une grenade. Ce ne sont pas ces hommes qui hantent ma mémoire. Ceux qui m’habitent, je les vois très bien.


Nous étions stationnés à Stuttgart, au repos, à cent kilomètres du front. C’était hétéroclite, il y avait des soldats de tous les pays alliés. J’étais lieutenant, à l’époque. Un soir, je regagnais mon quartier quand, en passant devant une ruine, j’entendis des cris. Quand je suis entré dans le bâtiment, j’ai vu deux GI et une femme. Un la tenait par les bras contre son torse pour l’immobiliser. La fille était à demi assise sur une table, la jupe relevée et les cuisses maintenues écartées par le deuxième dont le mouvement du bassin ne laissait aucun doute.


  • — Arrêtez !

Le quidam tourna la tête vers moi et me dit :


  • — Hey, boy, quand il y en a pour deux, il y en a pour trois ; faut juste attendre ton tour.

Je sortis mon revolver d’ordonnance et les menaçai.


  • — Arrêtez immédiatement !

Celui qui tenait leur proie me regardait droit dans les yeux. Il a saisi son fusil Garand ; j’ai tiré. Sa tête a explosé. Le deuxième s’est retourné vers moi ; il avait encore le sexe qui sortait de son pantalon.


  • — You’re crazy !

Oui, j’étais fou. Fou de rage. Il ne me menaçait pas mais j’ai tiré. Trois fois. Oui, j’ai tué des hommes ; au moins deux.


La fille était hystérique. Heureusement que, comme tout bon Alsacien, je parle à peu près l’allemand. J’ai pu la calmer. Elle avait trente ans et avait perdu son mari sur le front russe. Elle s’appelait Renate et je l’ai reconduite chez ses parents.

En 1947, j’ai voulu prendre de ses nouvelles. Ses parents m’ont dit qu’elle s’était suicidée le lendemain du jour où je l’avais ramenée. »




Elle devint grave, ne dit rien immédiatement, et me regarda longuement. Elle passa sa main au-dessus de la table et avec son index suivit une cicatrice qui partait de mon menton jusqu’au-dessus de ma pommette droite.




« Coventry, le soir du 14 novembre 1940. L’horreur absolue. La Luftwaffe venait de déclencher l’opération Mondscheinsonate (La sonate du clair de lune). Des centaines de bombardiers allemands avaient largué des centaines de tonnes de bombes.

Les secours ont mis deux heures à me sortir des décombres. Enfoncement de la cage thoracique, un bras cassé, et cette balafre qui est venue je ne sais comment. Jusqu’à ce que je change de régiment on m’a appelé Scarface.


Les secours ont aussi dégagé Kathleen. Une flamboyante secrétaire du War Office. Je venais d’être promu sous-lieutenant et j’étais officier de liaison local entre les forces françaises libres et l’administration anglaise. Rien de transcendant ; je faisais surtout le pied de grue dans les bureaux.


Kathleen avait importé de son Ulster natal sa rousseur et ses yeux verts. Elle avait aussi amené son entregent et son franc-parler. Elle se plaignait souvent de n’avoir qu’un seul Froggie sous la main pour tester un french kiss. Elle était charmante, mais je n’avais que Sarah en tête.


Les secours l’ont aussi sortie des décombres. Elle, elle avait eu beaucoup moins de chance que moi. »




Décidément, cette gamine me surprenait. Elle me regardait par en dessous. Elle avait toujours son petit sourire mutin.



Je commençai à sourire largement : ainsi, ma future nourrissait des envies saphiques ? Elle n’était sûrement pas la seule jeune fille dans ce cas, mais vu le rigorisme puritain qu’affiche sa famille, cela m’amusait.



« Moi, on me récompense pour avoir fait la guerre, pensai-je. Où est la morale ? »



Je ne répondis pas immédiatement. Je la regardai longuement. En raison de la touffeur dans cette winstub, nous avions retiré nos manteaux depuis un grand moment. Elle avait aussi déboutonné la veste de son tailleur. Je voyais son chemisier tendu par sa poitrine. On devinait le dessin de son soutien-gorge et la pointe de ses tétons. J’avais terriblement envie de cette fille.



Elle se redressa, comme mue par un ressort, et arbora un grand sourire.



Louise brisait vraiment les codes de bonne conduite en usage dans la bourgeoisie. Je la regardai intensément, la détaillant.



C’était une brune avec les cheveux légèrement ondulés ramenés en un petit chignon sur la nuque. Dénoués, ils devaient juste lui couvrir les épaules. Elle avait de grands yeux noisette, immenses. Elle avait aussi quelques traces de couperose qu’elle ne cachait pas encore avec des cosmétiques. Louise n’affichait d’ailleurs aucun maquillage, et très peu de bijoux. Un collier ras-du-cou et une montre-bracelet, c’était tout. Sa silhouette était déjà celle d’une femme, robuste. Des formes très marquées mais un ensemble harmonieux.




Décembre 1959


Je pose mon stylo plume. Louise est là, présente, avec son sourire malicieux ; elle a dix-sept ans pour toujours. Je regarde mon révolver d’ordonnance, posé sur le bureau. Un fidèle copain pendant quinze années de guerre. Il ne m’a jamais fait faux-bond.



« Le mariage a été fixé pour juillet 1955. Pendant ces derniers mois, je n’ai revu Louise que quelques fois, et encore, sans intimité. Elle et moi avions intégré notre prochaine union comme inéluctable. À chaque fois que je la rencontrais, je trouvais Louise de plus en plus belle. Elle avait gardé cet air juvénile avec un je-ne-sais-quoi en plus. Son sourire mutin me faisait craquer. J’aurais volontiers tenté plus, mais les familles étaient omniprésentes.


Louise s’occupait de son trousseau ; aux mères d’organiser la cérémonie, aux pères de la financer. À moi, rien. Pas tout à fait : j’avais acheté une maison dans la proche banlieue de Strasbourg.


Je ne suis pas dépensier. Ma solde avait, depuis 15 ans, alimenté mon compte en banque sans que je n’y touche. La somme était maintenant plus que coquette. Je ne désirais pas demander un centime à mon père pour faire vivre mon couple.


J’avais quitté l’armée avec les honneurs et le tralala indispensable et intégré l’entreprise familiale au poste de directeur général adjoint. Mon frère aîné en était le directeur général et mon père le président.


Ce samedi de juillet était magnifiquement ensoleillé. Il faisait chaud. Heureusement, dans cette église l’air était frais. J’étais en uniforme d’apparat. Mes galons tout neufs de lieutenant-colonel brillaient encore sur ma manche. J’avais mon képi sous mon bras gauche, comme il se doit dans une église. Ma jambe allait mieux ; je boitais encore mais je pouvais me passer de canne. Un jeune marié avec une canne… franchement !


Je suis entré en tête de cortège au bras de ma mère. Je me suis arrêté au premier rang pour l’aider à s’asseoir. Je l’ai saluée et gagné ma place. J’étais seul, debout devant deux prie-Dieu, face à l’autel. Tout était codifié. Aucun hasard dans cette cérémonie. Le cortège des invités entra. Ils s’installèrent aux différentes places réservées. Je n’étais pas autorisé à me retourner avant qu’un certain chant ne fût entonné.


Je pivotai et je la vis, Louise, au bras de son père.

Elle était belle.

Elle rayonnait.

Je saluai son père et tendis la main à ma future épouse. Elle se plaça à côté de moi et murmura :


  • — Bonjour, Henri.
  • — Bonjour, Louise.
  • — J’ai peur.
  • — Ça ira, je suis là.

Elle me sourit. Je l’aimais.

Le prêtre entonna un chant ; la cérémonie religieuse pouvait commencer.


Une suite nous était réservée à l’hôtel où se tenait le banquet. Louise avait quitté la table avec sa mère qui allait l’aider à enlever sa robe. Lorsque ma belle-mère revint, je me retirai à mon tour en saluant les convives.


Quand j’entrai dans la chambre, Louise était assise sur le bord du lit, telle une pénitente, les mains jointes coincées entre les genoux. À ma vue, elle se redressa prestement mais garda les yeux rivés au sol.

J’étais assez gauche. Je la regardai. Elle était revêtue d’une chemise de nuit blanche très sage agrémentée de dentelles. Que devais-je faire ? J’étais plus habitué aux lupanars de Tanger ou de Saïgon qu’à la chambre d’une jeune mariée.

Louise leva les yeux vers moi :


  • — Maman m’a dit que désormais je vous appartenais et que je vous devais obéissance.

Comment cette vieille bique pouvait-elle faire un tel bourrage de crâne à une jeune fille si influençable ? Comment pouvait-on former des jeunes filles à une telle servilité ? Pourtant son caractère ne m’avait pas paru aussi soumis.


  • — Vous ne m’appartenez pas, Louise : vous êtes mon épouse, et seulement si vous le désirez.

Elle eut un grand sourire et me dit :


  • — Je savais que vous me diriez quelque chose comme cela, Henri.
  • — …

Je ne dis rien, comme toujours. Cette fille – enfin, ma femme – me surprenait. Son apparente soumission n’était qu’un jeu pour elle. Elle s’approcha de moi :


  • — Je peux vous dévêtir, Henri ?
  • — Bien sûr.

Elle commença alors à me déshabiller, pièce par pièce. Elle pliait mes affaires très soigneusement et les posait sur un fauteuil. Elle faisait attention à ce qu’il n’y ait aucun faux-pli. Elle fit cela naturellement, calmement. Si je n’avais pas connu Louise, j’aurais dit que c’était la plus rouée des maîtresses. Elle prenait son temps. Elle me faisait languir.


J’étais en caleçon dans un état que Priape n’aurait pas désavoué. Après avoir posé mon pantalon et l’avoir parfaitement lissé, elle se retourna vers moi et mit ses mains dans le dos. Nous étions face à face, à un mètre de distance.

Elle arborait son inimitable sourire mutin, mi angélique, mi coquin.

Nous restâmes silencieux quelques secondes, mais dans ce cas les secondes sont des heures.

C’est Louise qui rompit le silence :


  • — Monsieur mon mari, êtes-vous pour l’égalité des sexes ?

Allons bon ! Qu’avait-elle encore inventé ? Décidément, Louise ne pouvait pas faire les choses simplement. Où voulait-elle en venir ?


  • — Certes oui, Louise.
  • — Vous êtes presque nu et moi habillée. Il n’y a pas là d’égalité.

Fieffée coquine ! Où allait-elle pu apprendre ce genre de chose ? Je me baissai pour prendre sa chemise de nuit par le bas et la remontai le long de son corps. Elle leva les bras pour me faciliter la tâche. Ostensiblement, je fis une boule de son vêtement et le jetai à l’autre bout de la chambre.

L’albâtre de sa peau me subjuguait. Les seules colorations étaient ses petits tétons roses et cette toison triangulaire qui masquait l’antre inviolé.


J’ai pétri sans vergogne des seins et des fesses. J’avais culbuté des putains dans la moitié des bordels de l’empire colonial français ; mais là, je ne pouvais pas. Je ne pouvais pas flétrir de ma main cette peau vierge de tout contact masculin.


Louise était potelée. Elle avait de ces rondeurs qui attisent l’appétit d’un homme. Ces rondeurs qui affirment que l’avenir sera fertile. J’étais admiratif. J’avais une belle femme. J’aimais ma femme.


Louise avait toujours cet éclair coquin dans l’œil. En regardant mon caleçon, elle me dit :


  • — Henri, nous ne sommes toujours pas à égalité.

Là, je ris franchement. J’écartai les bras et je dis :


  • — Il ne tient qu’à vous, ma mie !

Elle se mit à genoux devant moi et entreprit de me libérer de mon dernier vêtement. De libérer aussi un membre trop longtemps contraint. Nous nous regardions, les yeux dans les yeux, elle à cinq centimètres de mon phallus turgescent.


  • — Henri, si je vous dis quelque chose, me promettez-vous de ne rien dire à maman ?

Vu mon envie de faire des confidences à la vieille bique, je n’eus aucune peine à la rassurer.


  • — J’ai lu dans un livre que je n’avais pas le droit de lire que les hommes aiment mettre leur sexe dans la bouche de leur femme.

Oups, hum ! Que devais-je dire ? Louise était vraiment un mélange d’innocence et de perversité. Louise était mon épouse : je ne pouvais pas accepter qu’elle me suce comme une prostituée.

Elle n’attendit pas ma réponse et m’emboucha.


Elle avait la délicatesse de l’inexpérience. Sa bouche était juste une caresse sur ma verge. À aucun moment elle ne m’a quitté des yeux. Je ne sais pas si elle se rendait compte de l’érotisme de la situation. Ma sève montait. Je ne voulais pas me répandre dans sa bouche.


Je l’aidai à se relever et la guidai vers le lit. Elle était étendue sur le dos. Quand ma main caressa ses tétons, je sentis un frisson la parcourir.

Je me plaçai sur elle.

Je regardai ses yeux : ils étaient magnifiques. Magnifiques et apeurés.


  • — Maman m’a prévenue : je vais avoir mal… la première fois.

Elle eut mal… un peu. En redemanda… souvent.


Ses formes pleines suggéraient une bonne fertilité, mais la maternité se fit attendre.


J’étais d’une vieille famille bourgeoise, ancien officier, et j’étais entré parmi les premiers, à la tête de ma section, dans ma ville natale pour la libérer. Le profil parfait pour être député de Strasbourg. Des gens du parti du Général m’approchèrent. Je me suis laissé convaincre.

Je fus élu.


Mon intervention à la tribune de l’Assemblée est encore dans ma mémoire. Je pense que c’est à cause de ce discours que tout est arrivé. Je recommandai de rendre l’Algérie aux Algériens. On m’a traité de tous les noms, même dans mon propre parti. Ce jour-là, j’ai compris que je n’étais pas fait pour la politique.


Cet été, le ventre de Louise s’est enfin arrondi. Elle était radieuse. Que m’importaient les quolibets, les sarcasmes et les menaces, toutes ces menaces de gens haineux.


J’aimais Louise, elle m’aimait, et nous aurions trois enfants. »



J’étais assis à ce même bureau quand la voiture de Louise – notre voiture – explosa.

Juste là, devant la porte de la maison.


_____________________



Louise est en face de moi. Il y a aussi Anh, Sarah, et les autres. Toutes les autres.

Que de femmes mortes de la folie des hommes…


Je prends mon vieux copain sur le bureau.

Je vérifie : il y a bien six cartouches dans le barillet.

Une seule suffira.