Cela faisait cinq minutes qu’il regardait la jeune femme hésiter sur le bord du trottoir. Elle agitait sa canne devant elle, ne sachant plus guère où elle se trouvait.
- — Mademoiselle, puis-je vous aider ?
- — Non, non, j’attends mon mari.
- — L’heureux homme !
- — Je ferai semblant de n’avoir rien entendu.
- — Désolé, je vous laisse.
- — Vous me laissez mais êtes toujours autour de moi.
- — Je ne désire pas vous importuner, mais…
- — Monsieur, je suis lasse des séducteurs du dimanche ; une femme ne peut plus se promener paisiblement de nos jours ?
- — Mademoiselle…
- — Madame !
- — Madame, je vous vois marcher près de ce trottoir et mon cœur se contracte à chacun de vos pas.
- — Pourquoi donc ?
- — Je crains qu’un rustre ne vous bouscule, qu’il vous fasse trébucher et tomber sur la chaussée.
- — Mon mari ne devrait plus tarder ; je vous serais reconnaissante de ne plus m’importuner.
- — Vous lui aviez donné rendez-vous où ?
- — À l’angle de cette rue.
- — Et… quelle rue ?
- — La rue du Dr Mauroy.
- — Nous nous trouvons sur la place du Général Leclerc. Je vous invite à m’accompagner jusqu’à la terrasse du bar en face, Le Glacier. Votre mari vous y retrouvera aisément et je serai rassuré.
- — Me promettez-vous de rester courtois ?
- — Je vous en fais serment.
Assis à la même table, l’homme et la femme devisent.
- — Que désirez-vous consommer ?
- — Nous sommes au Glacier ? Alors un sorbet aux myrtilles.
- — De même.
- — Êtes-vous satisfait, maintenant ?
- — Très !
- — Évitez de me regardez ainsi, cela me gêne.
- — Vous êtes tellement belle que je ne puis m’en empêcher. D’ailleurs, comment savez-vous que je vous admire ?
- — Je le sens, je le devine.
- — Vous rougissez ! Vous ferais-je de l’effet ? Ainsi rougissante, vous me semblez encore plus belle.
- — Cessez là ce jeu dangereux, Monsieur ; à mon mari je suis fidèle.
- — Il ne se trouve point ici. Comme le dit l’adage : « Les absents ont toujours tort. »
- — Serait-ce votre main sur ma joue ?
- — Vous aviez une poussière. Votre peau est si délicate que j’envie l’air qui la caresse.
- — Cette poussière serait-elle tombée sur mon bras que maintenant vous effleurez ?
- — Il paraît que vous appréciez : vous avez la chair de poule.
- — Non, la glace me provoque des frissons.
- — Laissez-moi espérer que mes effleurements vous fassent réagir.
- — Espérez, Monsieur, espérez, mais ne rêvez point.
- — Et ainsi, il semble que vous appréciez.
- — Vous… vous me chatouillez. Que font maintenant vos doigts sur ma cuisse ?
- — Je vérifie si votre peau…
- — Je sais, si elle possède la même douceur partout. Des gens nous regardent ; arrêtez là, Monsieur.
- — Personne ne nous regarde. Ils nous prennent pour des amoureux… Mais vous rougissez de plus belle.
- — J’ai honte de prêter une oreille à vos billevesées.
- — J’aimerais vérifier la douceur de votre derme ailleurs que sur vos bras ou vos genoux…
- — Je ne vous écoute plus.
- — Sur votre poitrine, sur votre ombilic, vérifier cette fois avec ma bouche.
- — Je vous en prie, arrêtez de dire de telles choses, j’en ai la tête toute retournée… Je défaille.
- — Il se trouve au-dessus de ce bar quelques chambres où vous pourriez reprendre vos esprits et vous reposer.
- — Je vous vois venir avec vos gros sabots !
- — Je ne songe qu’à votre bien-être, sans aucune idée derrière la tête.
- — Je veux bien vous suivre, mais je voudrais vous voir avant.
- — Me voir ?
- — Je vais vous toucher le visage ; il me dira si je puis vous faire confiance.
- — Bon. Si vous y tenez, papouillez-moi.
- — Le cheveu épais, le front haut, le nez droit, les sourcils fournis. La bouche gourmande. Je crois que je peux vous faire confiance.
- — Vous voyez tout cela avec vos doigts ?
- — Bien plus que vous ne le croyez. Votre voix en dit beaucoup aussi. Mais je vous préviens : je n’ai jamais trompé mon mari ; je ne vais pas commencer aujourd’hui.
Dans une chambre d’hôtel, les rideaux sont fermés.
- — Vous m’aviez promis de rester sage.
- — Je suis sage.
- — Alors que font vos lèvres sur mon cou ? Pourquoi faites-vous descendre la glissière de ma robe ?
- — Pour que vous respiriez mieux.
- — Enlever mon soutien-gorge relève de la même opération ? Promettez-moi…
- — Ce qu’il vous plaira.
- — De ne point toucher ma culotte.
- — Je vais tenter de résister à la tentation. Pour l’instant, j’aimerais laisser glisser mes mains de vos épaules jusqu’à vos hanches.
- — Non… il ne faut pas.
- — Je sais, je sais… votre mari vous fait-il seulement cela ?
- — Mon… Dieu… non… que… faites-vous ?
- — Vous… pouvez… facilement… le… deviner. Ta… bouche… a… le goût… de… myrtille.
- — Avec… ce… que… je… viens… de… manger, il… ne… pouvait… en… être… autrement.
- — Allons goûter d’autres fruits…
- — Arrête… pas… mes… seins…
- — Ils ont… la saveur… du miel de garrigue, ainsi que des notes… d’épices de l’Orient lointain.
- — Je vous t’en prie, la tête me tourne.
- — Allonge-toi, ma belle inconnue
Aux doux tétons tendus,
Que je déguste tes framboises nacrées
Et ton ventre aux saveurs sucrées.
- — C’est mal… nnonouui, continue, ne t’arrête pas. Tu me fais oublier qui je suis… J’ai honte. Tu me tortures comme un démon et tu as la douceur d’un ange : tu es un Ange-Démon !
- — Je vais t’emporter au paradis.
- — Tu m’avais juré… promis, que tu ne toucherais pas ma culotte.
- — L’impulsivité est un de mes défauts ; ma promesse ne tient plus à l’idée de voir tes fesses.
- — Non ! J’ai honte… Je vous en supplie, ne me fais pas cette caresse.
- — Pourquoi avoir honte quand on possède un si joli jardin d’Éden ?
- — Non, ne m’écarte pas les jambes… ne pose pas tes lèvres là… ce n’est pas bien… je t’en prie… n’arrête pas… ta bouche… ta langue… oui, pitié… continue, ton doigt encore un peu plus haut… juste là, dévore-moi. Aah, je meurs !
- — Pitié, mon ange, laisse-moi respirer.
Entre tes cuisses mon visage tu enserrais si fort
Que je crus y trouver une si belle mort.
Mais je désire un peu d’air pour encore t’aimer.
- — Laisse-moi reprendre mes esprits ; je suis épuisée.
- — Permets-moi de m’allonger à tes côtés.
- — Mais, qu’est-ce donc que cette chose longue et rigide sur ma cuisse ?
- — Je ne garantis rien si de cette façon tu la manipules.
- — Je crains de deviner la suite de cette aventure…
- — N’ayez crainte, ma dame, vous ne sentirez rien.
- — Seriez-vous dentiste ? J’espère au contraire, vu la taille de votre épieu, ressentir de belles secousses.
- — Je te les promets sismiques.
- — Viens, avant que je songe à mon mari et ne change d’avis.
- — Il y avait longtemps que je n’avais entendu parler de ce chanceux.
- — Trêve de belles paroles : veuillez sur le champ cesser vos promesses et afficher vos prouesses.
- — Je suis à toi, juste le temps de déposer un baiser sur tes divines fesses.
- — Sache, avant que nous ne commencions, que je n’ai connu bibliquement qu’un seul homme, et que tu égales ses « dimensions ».
- — Entamons ce doux tournoi.
- — Je n’y crois pas, moi qui pensais tout connaître des joutes amoureuses.
- — Laisse-toi aller ; ton corps est fait pour aimer autant que pour être aimé.
- — Prends-moi fort !
- — Demande-le mieux, sois plus cochonne.
- — Je n’ose pas…
- — Alors j’attendrai au seuil de ton calice le temps qu’il faudra. Je sens ta fleur qui palpite.
- — Salaud ! Bourre-moi !
- — Voilà ! Mais je crois que tu peux mieux faire.
- — Défonce-moi !
- — Tu vois que tu peux. Si j’accède à tes désirs, je crains de ne pouvoir me retenir, du moins assez longtemps pour te faire tout ce dont j’ai envie.
- — Sale bête…
- — Mais que ne ferais-je pour toi ? Allons-y.
- — Ouii, noon, arrête, encoore, reste !
- — Faudrait choisir.
- — Mon Dieu !
- — Appelle-moi simplement Pierre, maintenant que nous sommes intimes.
Essoufflés, l’homme et la femme sont allongés sur le lit. Elle a la tête posée sur la poitrine de son amant ; il lui caresse le bras.
- — Merci pour cet instant ; il restera gravé dans ma mémoire.
- — Hélas, il ne se renouvellera pas. Je vais devoir te quitter : je suis attendue chez moi.
- — Restons encore un peu ; j’aime ces moments de relâchement après la folie des sens.
- — Ta femme ne risque-t-elle pas de s’inquiéter ?
- — Comment sais-tu que je suis marié ?
- — J’ai senti ton alliance pendant nos ébats.
- — Trahi !
- — Aimes-tu ton épouse ?
- — À la folie.
- — Pourquoi la tromper ?
- — Un moment de douce démence.
- — Est-elle belle ?
- — Belle, et dangereuse telle une panthère nébuleuse, car jalouse.
- — Je te laisse à ta féline. Je vais retrouver mon chéri. Par pénitence, je vais lui offrir une nuit de luxure.
- — L’heureux homme…
Sur le trottoir, il hèle un taxi ; elle y monte et il regarde la voiture s’éloigner.
Une demi-heure plus tard, le même taxi s’arrête devant une jolie maison à l’écart de la ville. Le chauffeur aide la jeune femme à descendre. Une voiture particulière se gare devant l’entrée ; un homme en descend tandis que deux adolescents viennent à leur rencontre.
- — Nous arrivons presque ensemble, ma chérie.
- — Attends un peu avant de rejoindre nos amis ; j’ai un aveu à te faire.
- — Lequel, mon amour ?
- — Je suis nue sous ma robe.
- — Pourquoi donc ?
- — J’ai oublié ma culotte à l’hôtel.
- — Que nenni, ma mie, je la tiens dans ma poche.
- — Rends-la-moi ! Je ne vais pas aller cul-nu à notre fête d’anniversaire !
- — Impossible de te la donner.
- — Pitié… pourquoi ?
- — Les Chevaliers de la Table Ronde partant à la quête du Saint Graal emportaient un foulard de soie appartenant à la dame de leurs pensées ; moi, je porte contre ma poitrine la petite culotte de ma belle coquine.
- — Dame Guenièvre ne se promenait point les fesses à l’air.
- — Elle aurait dû !
- — Puis-je connaître ta quête, mon preux Chevalier ?
- — Ton amour, ma douce.
- — Maman, papa, où étiez-vous passés ? Les invités sont arrivés, nous n’attendons plus que vous.
- — Votre père vient de m’offrir mon cadeau d’anniversaire.
- — Qui est ?
- — Une merveilleuse infidélité.