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Temps de lecture estimé : 93 mn
07/08/17
Résumé:  Quelques jours de la vie d'un jeune couple.
Critères:  romance fh couple voisins amour voir
Auteur : Nicolas-photographe2  (de retour après une longue absence)      Envoi mini-message
Tranche de vie

1er mai


Je me suis levé sans grand enthousiasme. Ça arrive, même à des gens bien ! Ciel gris, bas, petite pluie fine. Le premier tableau de la journée a un décor peu séduisant. Coup de chance, il ne fait ni trop chaud, ni trop froid. De ma fenêtre je vois au-delà des toits gris de la capitale le monstrueux gâteau à la crème du Sacré-Cœur presque écœurant à force de blancheur, énorme verrue livide sur la peau grise des toits de Paris. Plus loin, sur ma gauche, la Tour Eiffel se devine un peu dans la grisaille. Fenêtre ouverte, je me laisse envahir par les bruits et les odeurs de ma rue.


Les cinq étages en-dessous de mon appartement servent de filtres et ne me parviennent que les éléments forts. L’odeur de « mouillé » froid, triste, plate, sans aucune animalité, complètement minérale. Avec quand même une petite touche de « je ne sais quoi » qui laisse penser qu’en bas, quelque chose vit. Peut-être celle des arbres du jardin de l’immeuble ? Les trois marronniers presque centenaires plantés en triangle sur la pelouse carrée et rachitique, encadrée de massifs de troènes et de thuyas, dégagent une odeur de poussière mouillée, froide elle aussi. Il est trop tôt pour avoir les odeurs de cuisine des autres copropriétaires ou du restaurant qui occupe le rez-de-chaussée de l’immeuble voisin.


Ce matin, je trouve mon quartier triste. Un léger bruit à ma droite me fait tourner la tête. Le chat de mon voisin contourne délicatement la jardinière posée devant la porte-fenêtre et, oreilles aux aguets, examine lui aussi les environs. Il me voit ; ses yeux se ferment, il tourne la tête de l’autre côté. Les relations que nous avons tous les deux sont calquées sur celles que son maître et moi avons établies. Courtoisement indifférentes. Il (le chat) est venu me voir le jour de mon emménagement, a fait le tour de mon appartement, a flairé les cartons, s’est frotté aux meubles, s’est assis sur le tapis pour me regarder ranger mes disques. Il a poliment miaulé lorsque je l’ai appelé « Le chat… Bonjour, viens me voir. » mais s’est esquivé et a rejoint son « chez lui » par la fenêtre et le balcon dès que j’ai fait mine de vouloir le caresser. Depuis, il promène ses 4 kg de muscles et de poils gris rayés au gré de ses envies, me salue d’un regard vert et indifférent. Il n’est plus revenu dans l’appartement.

Son maître a eu à peu près le même comportement. Je montais un de mes derniers cartons, et il attendait l’ascenseur pour rejoindre le rez-de-chaussée. Il m’a tenu la porte ouverte. Nous nous sommes salués, il s’est présenté :



Depuis cette rencontre, il y a quatre mois, je ne l’ai croisé qu’une fois. À peu près dans les mêmes circonstances. Il revenait du marché avec son cabas d’où dépassaient le vert d’une botte de blettes et l’or brun d’une baguette de pain, je descendais chercher mes cigarettes et de quoi tenir pendant les quarante-huit heures du week-end débutant. Je l’entends parfois appeler son chat, lorsque c’est le moment de la gamelle :



Ou encore, lorsque le temps est suffisamment clément et que nos fenêtres sont ouvertes, je profite de son amour pour la musique baroque et Haendel.


Nous avons le même balcon qui souligne l’étage sur toute la longueur de la façade. Il y a deux ouvertures pour lui : sa chambre et son séjour. J’en ai quatre : ma chambre, mon séjour (avec 2 ouvertures), et une pièce que j’utilise comme bureau-bibliothèque. Nous sommes mitoyens par nos séjours. Chez moi, les trois pièces sont desservies par un couloir, face à la porte d’entrée, qui se termine sur une espèce de débarras dont j’ai fait mon labo photo. De l’autre côté du couloir, une grande cuisine, un coin repas, la salle de bain et les WC donnant sur l’arrière de l’immeuble, au nord-est.


Les points de contact avec mon voisin sont donc limités au minimum. De toute façon, je ne suis pas persuadé qu’il souhaite autre chose. Dans l’immeuble, les autres appartements sont occupés soit par des retraités, soit par de jeunes couples avec ou sans enfants. Le grand calme dans l’ensemble ! Cela me convient bien. Le quartier est, lui aussi, tranquille. Notre rue débouche à cent mètres environ de chez moi dans une voie plus passante, avec les commerces utiles et indispensables, une station de bus et une de métro. L’idéal pour un parisien sans voiture. En fait, je l’ai choisi pour ça, mais aussi pour la lumière qui baigne l’appartement. Près du ciel, au-dessus des arbres – ou presque –, rien ne s’oppose à ce que je profite pleinement du soleil, dès qu’il veut bien se montrer, bien sûr.


Aujourd’hui, c’est repos. 1er mai oblige ! Une fois douché et après mon bol de corn-flakes, le yaourt qui l’accompagne et un express bien serré, je vais aller faire un peu de footing au bois de Boulogne. Ma moto m’attend au garage et m’évitera d’avoir l’air d’un guignol en pleine ville, transpirant et soufflant au milieu des promeneurs ou des gens plus ou moins bien réveillés qui vont chercher les croissants du petit déjeuner. Je la laisserai à l’entrée de l’hippodrome sous le regard du gardien, une vieille connaissance qui me rend ce petit service en échange de quelques travaux photo, en général des agrandissements de clichés de ses petits-enfants. Ils sont loin, au Portugal, et sa fille lui envoie de temps en temps une bande de négatifs. C’est moins volumineux et lourd que les images papier. Ça lui coûte (à elle) moins cher ! Nous nous sommes rencontrés par hasard alors que j’arrivais à Paris, il y a quelques années. Une roue de vélo crevée, je pestais devant l’entrée de son domaine. Il m’a proposé de m’aider pour réparer.


Pour le remercier, je lui ai fait quelques portraits de sa fille, dix-sept ans à l’époque, jolie brunette, un peu boulotte, mais très souriante. Mon travail lui ayant plu, il m’a fait faire une série sur lui, sa femme, et bien sûr la demoiselle. Il a envoyé les photos sur les bords du Tage. La légende dit que le copain d’un cousin de passage chez la grand-mère est tombé fol amoureux de la petite. Ils se sont mariés ; elle avait à peine vingt ans. D’après Manuel (le père), elle vit le parfait amour au pays. Chaque fois que je passe par le bois, je lui dis un petit bonjour. Quand j’y vais courir, il me garde mes affaires et mon mulet (une ancienne BMW réformée de la gendarmerie acquise pour une bouchée de pain aux Domaines). Je l’ai achetée après m’être fait voler mon vélo, un 14 juillet sur les quais alors que je me livrais à mon passe-temps favori : la photo.


Manuel, c’est devenu un copain ; celui à qui je peux tout raconter. Il m’appelle « fiston ». Ça lui fait plaisir, et moi cela ne me gêne pas. Et tout à l’heure, quand j’aurai bien sué et craché toutes les cigarettes fumées dans la semaine, il m’offrira comme à chaque fois un petit verre de porto et me racontera sa semaine.


Le soir, journée sans histoire : deux heures de footing, presque autant avec Manuel et sa femme. Des nouvelles de la petite et de sa progéniture. Retour à la maison. Douche, visite d’Arthur, préparer le repas, déjeuner, petite sieste, puis balade sur les Champs. Rien à draguer, peu de monde, ciel toujours gris. Retour à la maison. Miles Davis, Lionel Hampton, Verdi (le requiem). Le repas (léger : salade, fromage, un verre de Côtes du Rhône). Et pour finir, dodo.



2 mai


7 heures : réveil calme. Radio (France Info, pour les informations) et la bonne humeur de l’équipe de la matinale. Juste avant la météo sympa : beau temps sec et chaud pour la saison.

Debout. La cafetière en route ; pendant qu’elle chauffe, une douche, rasoir, brosse à dents, brosse et peigne pour toison grise et calvitie naissante, traverser le couloir à poil. La cuisine ; bol de corn-flakes, yaourt, jus de pomme, et pour finir un espresso. Retour à la chambre ; je m’habille : veste, pantalon en toile. Faire le lit, ranger la salle de bain, rincer la douche, pendre les serviettes pour qu’elles sèchent.


Retour à la cuisine. Mettre la vaisselle dans le lave-vaisselle pendant que coule le second espresso de la journée ; le boire, ranger la tasse. Un dernier tour dans l’appartement ; fenêtres fermées, rien ne traîne. On y va.

Direction le garage. L’ascenseur arrive. Il y a quelqu’un sur le palier : une grande brune, cheveux mi-longs, BCBG, chemisier blanc, veste rouge, chaussures assorties, sac à main et attaché-case idem. Jamais vue, celle-là. D’où vient-elle ? Beau brin de fille. Je ne peux m’empêcher de la détailler : jambes longues et fines, belle poitrine, visage lisse, sourire ironique au coin des lèvres. La trentaine épanouie.



J’ai à peine le temps de réagir que la machine reprend sa route vers le sous-sol. En allant au box où dort mon mulet, je décortique ses derniers mots. Qu’a-t-elle bien voulu dire ? Qui est-elle ? Ce soir, en rentrant, je jetterai un œil aux boîtes aux lettres. Des fois, comme ça, sait-on jamais… Mais au cinquième, nous ne sommes que deux : l’instit et moi. Qui peut-elle bien être ? Mettre le casque, démarrer et sortir l’engin. Fermer le box. Un coup de bip pour ouvrir la porte du garage et me voilà dans la rue. Un coup d’œil à droite, et à gauche au cas où elle serait encore là plus que par sécurité, avant de remonter la rue. Rien. Elle a disparu. Bon, oublier la miss et se concentrer sur la conduite. C’est assez casse-gueule comme ça sans, en plus, penser à autre chose.


Tout va bien ce matin. Pas d’embouteillages. Il faut croire que le pont possible a tenté beaucoup de monde. Temps record pour arriver au bureau. Je suis le premier. Ça arrive, mais ce n’est pas une habitude. Quelques minutes plus tard, Valérie Leroy, la secrétaire du big boss. Mariée, deux enfants, quarante ans, bien conservée. Radio Moquette dit qu’elle et le boss… mais rien de moins sûr.



Après les banalités d’usage, nous voici tous les deux silencieux devant la machine à café. Du vrai. Je suis comme le patron : il n’aime que l’espresso. Donc le matériel est étudié pour, et c’est très bien comme ça.


Arrivent ensuite et ensemble le responsable des achats et le directeur commercial. Re-banalités, et nous voici maintenant gobelet en main à boire notre café. Puis chacun rejoint son bureau. La journée commence.


Mon travail consiste à répondre à des appels d’offres pour des marchandises diverses, la plupart du temps des matières premières mais aussi des équipements techniques de pointe ; en fait, tout ce qui peut s’acheter et se vendre. Des fournisseurs à peu près partout dans le monde et des clients répartis de la même manière. Je prépare les dossiers en liaison avec les achats et le commercial, et les transmets une fois bouclés. Je n’en entends plus parler jusqu’à la réponse finale : champagne ou soupe à la grimace.


J’ai réussi à séparer ma vie en deux parties : le professionnel et le reste. Chaque segment est bien cloisonné et je me refuse à mélanger les deux. Question de principe. Donc pas de péché dans l’évêché, mais pas de travail pendant les loisirs.


La matinée se passe sans relief. Pas de coup de massue, pas de travail donné à 11 h 55 pour midi, la veille bien évidemment. Midi : repas avec les collègues ; peu de monde, beaucoup en pont. Table réservée chez Pierre et Dany, restau du coin de la rue, cuisine familiale et inventive, prix légers, café compris ! Nous y avons nos habitudes et faisons partie du fonds de commerce.

Après-midi studieux mais calme comme le reste de la journée.



Je suis dans la rue, casque sur la tête, moto en route, retour à la maison, arrêt tabac, pain, moto dans le box, casque sur l’étagère, fermer les portes, ascenseur, rez-de-chaussée, boîte aux lettres, courrier, factures, pubs, tri rapide et poubelle pour ce qui ne m’intéresse pas. Coup d’œil sur les boîtes aux lettres. Rien qui ressemble à mon inconnue du matin. Tous les noms me sont familiers et je mets un ou des visages derrière. Retour à l’appartement, un peu déçu, peut-être même irrité ; bah, oublions ! Le week-end commence ; profitons-en.


Je m’occupe de mon courrier, fais un peu de classement et allume une cigarette. Arthur vient me rendre une petite visite, fait inhabituel. Il se frotte à mes jambes et se laisse gratter la tête. Il semble même y prendre du plaisir. En tout cas, il ronronne comme un gros cube. Il me fait penser à une Harley. Puis il repart comme il est arrivé, nonchalant et dédaigneux, et s’installe sur le rebord de la fenêtre où il se lance dans une toilette soignée.


Je me lève, allume la radio. FIP. 19 h 30, c’est l’heure du jazz sur FIP : 1 h 30 de musique ; enfin, une que j’aime. Sérieuse dans ses choix mais avec des animateurs qui savent rire et être détendus, et qui ne vous laissent pas entendre que, eux, savent alors que vous…


Direction la cuisine ; inventaire du frigo. J’ai envie de quelque chose de rafraîchissant. Une canette me tend sa capsule : allons-y ! J’en ai à peine bu une gorgée en regardant Arthur continuer sa toilette qu’il se fait appeler par une voix féminine qui ne m’est pas inconnue. Celui-ci, toujours aussi dédaigneux, ne bouge pas d’un poil ; à peine une de ses oreilles réagit-elle un peu. La voix se manifeste à nouveau :



Eh bien non, il ne vient pas ! D’un seul coup je reconnais la voix en question : c’est celle de mon inconnue du matin.


Que fait-elle là ? Pourquoi appeler Arthur ? Un peu étonné, je ne bouge pas. Pas plus que l’objet de ses appels qui, visiblement, n’a pas envie de répondre. Quelques minutes passent. À nouveau la voix, avec une pointe d’inquiétude dans le ton. Arthur, lui, quitte la fenêtre et – chose jamais vue – traverse la pièce et saute sur le fauteuil face à la télé. Il s’installe sur l’accoudoir, pattes arrière pendantes, croisées sous le menton à l’avant. Je croise son regard. Toujours aussi énigmatique. Il me fixe, et contrairement à son habitude ne ferme pas les yeux. Il semble prendre un certain plaisir à la situation. Je me fais peut-être du cinéma mais je vois dans ses yeux une vague lueur d’ironie.


Je me demande quoi faire. Le chasser ? Pas question ! Le prendre sous le bras et aller sonner chez son maître ? Avant que j’aie fait trois pas il se sera sauvé… Je décide de faire comme lui et j’attends, de plus en plus amusé par la situation.

Elle a dû sortir sur le balcon pour appeler à nouveau. La voix est plus forte mais aussi plus tendue. Arthur ne se décide pas à obéir.



Lorsque nous sommes entrés dans la pièce, Arthur nous a regardés. Il s’est levé, étiré, a sauté de son perchoir sur le parquet et, comme si de rien n’était, est venu se frotter aux jambes de sa maîtresse par intérim. Tout d’abord stupéfaite par tant de culot, elle éclata de rire à en avoir les larmes aux yeux.



Apparemment satisfait du résultat obtenu, il vient vers moi, me fait la même politesse puis retourne vers le fauteuil où il se réinstalle confortablement.



En entendant sa petite phrase du matin, elle me regarde ; ses yeux sont verts comme ceux d’Arthur. Un peu surprise par la réplique, elle sourit.



Je l’installe dans le fauteuil laissé libre par Arthur. Elle s’y enfonce profondément. Je n’ai qu’une seconde pour voir le haut de ses jambes, à la lisière des bas. Des vrais ou des Dim-up, je ne sais pas. Mais à coup sûr pas des collants ! C’est une femme qui sait vivre.

Elle saisit mon regard tout en tirant sur sa jupe sans affectation ni fausse pudeur.



Pendant que je sers, le silence s’installe entre nous. Elle regarde autour d’elle, discrètement, mais je surprends son regard.



Nous rions.



Je vais jusque dans mon bureau et en reviens avec un album dans lequel je range celles que j’aime le plus. Mais au lieu de revenir par le couloir, j’arrive par le balcon. Elle s’est confortablement calée dans son fauteuil, jambes étendues devant elle, bras sur les accoudoirs, tête rejetée en arrière, les yeux fermés. Mis en valeur par la position, ses seins orgueilleux tendent le chemisier. Visiblement, ils n’ont besoin d’aucun soutien-gorge, et elle ne leur impose aucun carcan. Pour la seconde fois, en peu de temps, je peux constater qu’elle n’aime pas les collants mais préfère les bas, les vrais. Je reste quelques instants à la contempler, abandonnée. Son visage parfaitement lisse sans trace de maquillage confirme cette impression de sérénité et de confiance. Je pousse la porte-fenêtre qui grince un peu. Surprise, elle se redresse, comme prise en faute.



Je lui tends l’album et reste à côté d’elle à commenter les photos. Elle dégage un parfum légèrement poivré, fleuri, mais discret. Je m’accoude sur le dossier du fauteuil, penché au-dessus d’elle ; lorsqu’elle bouge pour tourner une page, ses seins s’animent d’un mouvement souple et ferme.



Je n’ai pas entendu sa question ; elle se tourne vers moi.



Son sourire un peu narquois me fait comprendre qu’elle connaissait parfaitement la réponse à la deuxième partie de sa question. Je ne la lui donne donc pas.



Les pages de l’album passent, montrant ma vision du pays, de certains habitants, des animaux, sauvages ou non, que l’on rencontre.



Je sors par le balcon. Elle se penche pour prendre son verre. À nouveau, le doux balancement de ses seins m’arrête quelques secondes. Je rentre à nouveau dans la pièce par le couloir. Les deux coudes sur les cuisses, elle regardait à nouveau les lieux.



Elle feuillette l’album silencieusement. S’arrête sur plusieurs clichés et relève la tête. Elle me regarde plusieurs secondes sans rien dire ; j’attends qu’elle rompe le silence.



Lorsque je reviens, elle est à nouveau en contemplation devant les lieux. Je lui montre ce que j’ai retenu de différentes séances avec d’anciennes et fugitives amies. En voyant certains nus ou instantanés de l’une ou l’autre pris après que nous ayons fait l’amour, elle a un regard amusé.



Elle me regarde de la tête aux pieds. Lentement. Comme pour un examen approfondi.



Elle reprend son verre, le vide d’une gorgée et reste silencieuse.



À nouveau elle reste silencieuse. Je remplis son verre et le mien. Elle lève les yeux vers moi, boit un peu, regarde Arthur qui dort allongé dans un des derniers rayons de soleil. Puis, se tourne à nouveau vers moi.



Je file jusqu’à mon coin photo et je me décide pour le Hasselblad et une pellicule noir et blanc. Je prends également mes deux flashs parapluie et reviens chargé comme un mulet dans la salle à manger. Avant de sortir du labo, je mets en chauffe la cuve de développement et les bains.

Elle s’était levée et était sur le balcon, son verre à la main. Le soleil dans ses cheveux lui faisait comme une auréole de lumière. Avant qu’elle ait eu le temps de bouger j’avais pris deux clichés.



Elle me fait face, 3/4 dos au soleil. Celui-ci dessine en transparence son sein gauche. Je refais un cliché. Puis elle rentre dans la pièce.



En définitive, je fis deux bobines. Un peu crispé au début, son sourire ; elle se détendit petit à petit. Les trois dernières prises étaient à mon sens parfaites. La nuit était tombée. Arthur était reparti par le balcon. Il devait avoir faim.

Je la conduisis au labo, lui donnai une des blouses qui sont toujours pendues dans le sas et j’enfilai l’autre.



Elle ajusta autant qu’elle put le vêtement bien trop grand pour elle.



Je la prévins que toute une partie des opérations se passait dans le noir absolu, l’autre en lumière rouge. Elle savait.



Une fois gantés tous les deux, je disposai le matériel et la fis s’installer devant. La lumière éteinte, je me plaçai à ses côtés et en la tenant par les mains je l’aidai à positionner le film sur son support. Bien entendu, elle était maladroite, et le premier film fut un peu long à charger. Mais elle comprenait vite. Pour le second, ce fut plus rapide. À plusieurs reprises mes bras frôlèrent ses seins ou nos têtes se touchèrent. Nous en avons ri de bon cœur.

Une fois la cuve fermée, j’ai rétabli la lumière.



Je lui ai alors expliqué les différentes phases : révélateur, rinçage, fixateur, et j’ai mis le matériel en marche.

Quelques minutes plus tard, les deux bandes de films se balançaient côte à côte sur le fil au-dessus de l’évier.



Nous avons retiré nos gants, les blouses, et nous sommes allés à la cuisine. Avant de sortir, j’ai mis les films dans le séchoir et lancé l’opération.



Sortir le jambon du frigo. Coquillettes : faire bouillir de l’eau, y jeter les coquillettes, mettre la table, sortir une bouteille de vin, les préparatifs du repas s’enchaînaient sans heurts. Assise sur le bord de la table, elle me regardait faire.



Le repas fut vite expédié. Je préparai deux cafés, puis je lui offris une cigarette. Nous avons fumé en silence, face à face, chacun perdu dans ses pensées. Je la trouvais belle, je me trouvais bien avec elle. Et si bien que je ne demandais qu’à aller plus loin ; je ne me sentais pas pressé par une urgence quelconque.



Nous avons parlé en même temps.



Une fois le café bu, les cigarettes fumées, la vaisselle rangée, nous sommes retournés au labo. Re-gants, re-blouses, lumière rouge. J’ai tiré et sorti les planches contact. Puis nous sommes allés au salon. J’ai posé les tirages sur la table et nous nous sommes retrouvés à genoux côte à côte à les regarder.



Elle approcha la planche de ses yeux.



Son regard était devenu grave. Elle resta repliée sur elle-même quelques minutes. Puis se tourna vers moi :



Nous sommes retournés au labo et nous avons tiré en grand format les photos qui lui plaisaient le plus. Quand nous en avons eu fini avec les portraits, j’ai sorti le négatif des lièvres et je lui ai fait un tirage pour elle.

Dans le noir relatif de la pièce, nous nous sommes frôlés plusieurs fois, nos mains se sont touchées, nos corps s’attiraient et, à peine en contact, ils s’écartaient comme s’ils avaient peur de ne plus pouvoir se séparer. Je lui expliquai la technique utilisée, commentai les résultats, lui montrai comment obtenir telle ou telle modification. Ni l’un ni l’autre n’avions envie de terminer.


Les photos trempaient dans le bac de rinçage et nous étions silencieux, face à face. La lumière rouge sombre baignait la pièce et donnait une atmosphère un peu bizarre, en tout cas peu habituelle. Je la regardais en l’imaginant abandonnée, nue sur un lit, et me disant qu’elle devait être magnifique, que j’en ferais volontiers mon modèle préféré.



Je n’ai rien dit. Mon cœur battait fort ; j’attendais une suite, mais laquelle ? Elle tomba quelques secondes plus tard :



Je lui pris une main et la serrai très fort entre les miennes sans rien dire. Nous sommes restés comme ça un moment.



Je l’ai aidée à enlever la blouse ; mes mains l’ont frôlée, caressée dans le cou, les épaules. Chaque fois elle a vibré comme une corde de violon, longtemps. J’attendais presque un son, une musique de son abandon et de son offrande. Nous sommes repassés dans la salle à manger. Après avoir mis les épreuves dans la sécheuse, je lui ai servi un armagnac, celui réservé qu’aux amis qui connaissent, chaud, boisé, laissant en bouche des arômes forts et fins à la fois.



Nous avons visité les lieux. Je lui ai montré le bureau, la salle de bain, la chambre.



Je commençais à penser que j’aimerais bien qu’elle reste la seule. Mais tout ça était encore bien prématuré.

Tous les deux dans l’encadrement de la porte, je la tenais par la main. Elle se tourna vers moi.



Tout en nous tenant encore par la main, elle effleura mes lèvres avec les siennes.



Elle se dégagea avant même que j’aie pu faire un geste et disparut dans le couloir. La porte se referma. Je me suis pincé pour être sûr que je ne rêvais pas. J’ai repris le Hasselblad, lui ai mis le dos 36 vues et l’ai chargé avec un film très rapide. Je voulais faire des photos sans flash, rien qu’à la lumière ambiante, pour ne pas risquer de la troubler, pour ne pas trop marquer ma présence. En plus, avec ce type de film on peut obtenir des effets de grain intéressants. J’ai rangé les parapluies et ai reversé de l’armagnac dans les verres. J’avais à peine fini qu’elle sonnait.



Elle but une gorgée, posa son verre et me tendit ses lèvres. Baiser tendre mais chaste.

Elle vibrait toujours autant. Elle reprit son vanity posé par terre et le long déshabillé de soie grège qu’elle avait amené et se dirigea vers la salle de bain. Face à la porte, un meuble à deux vasques appuyé à gauche contre le mur, se poursuivant à droite par une coiffeuse en face de laquelle se trouve le bidet. À droite encore, la baignoire ; et au fond, entre celle-ci et le mur, une cabine de douche.


Elle posa son vanity sur la coiffeuse, accrocha son déshabillé à la patère et fit le tour du propriétaire. Elle sortit du placard, à côté de la porte, une grande sortie de bain et une serviette, les posa sur le bord de la baignoire. Elle me regarda, me sourit, s’adossa contre la coiffeuse et commença à déboutonner son chemisier. Sans ostentation, comme si elle était seule. Le chemisier déboutonné, elle dégrafa sa jupe, fit glisser la fermeture et enjamba le vêtement.


Je mitraillais tant que je pouvais, tournant autour d’elle. Lorsqu’elle se pencha, ses seins apparurent entre les deux pans du chemisier. Ronds, fermes, bien attachés, de belles pommes avec un mamelon bien dessiné qui émergea d’une aréole très brune. Elle avait la peau mate, couleur du pain grillé. Le chemisier rejoignit la jupe sur la coiffeuse. Elle était là, devant moi, à moitié nue, son slip et son porte-jarretelles blanc tranchant sur la carnation de sa peau. Elle retira ses bas, une jambe posée sur le bord de la baignoire. Elle roula le fourreau jusqu’à sa cheville, puis l’autre.


De temps en temps je croisais son regard, grave mais confiant. Les sous-vêtements rejoignirent la jupe et le corsage. Elle se regarda dans la glace au-dessus du lavabo. Ma surprise fut telle en la voyant que j’en oubliai presque d’appuyer sur le déclencheur. Elle était lisse, sans une trace de pilosité sur tout le corps. Son ventre plat se terminait par un pubis bombé parfaitement glabre. Son sexe était fendu très haut, charnu, les petites lèvres dépassant et faisant comme les draperies d’une aurore boréale, amples, longues, fières. On devinait tout en haut de la fente son clito lui aussi long et épais.


D’un geste de ses deux bras, elle regroupa ses cheveux en une espèce de queue-de-cheval ; ses seins remontèrent, arrogants, magnifiques d’orgueil et d’impudeur. Elle prit dans son vanity un chouchou avec lequel elle s’attacha les cheveux, puis se dirigea vers la douche. Pas un mot. Elle fit comme si je n’étais pas là. Mais je la sentais offerte, abandonnée à mon regard et à mes désirs. Je la suivis. Elle entra dans la cabine de douche, régla la température de l’eau et se mit sous le jet. Elle tourna, offrant chaque parcelle de son corps à la pluie chaude qui tombait du pommeau. Puis elle prit le savon et recouvrit son corps de mousse. J’eus l’impression qu’elle se caressait avec bonheur. Le savon passa et repassa partout.


Lorsqu’elle se releva après avoir frotté ses jambes, nos regards se croisèrent. Le sien était voilé, celui d’une femme qui s’aime. Le mien devait refléter tout le désir que j’avais d’elle et qui se manifestait d’une façon tangible. Elle le vit ; elle sut, et me sourit.


Elle se rinça, sortit de la douche, s’enveloppa dans la sortie de bain, enferma ses cheveux dans la serviette et vint s’asseoir devant la coiffeuse. Elle passa sur son visage une lotion puis une crème, jeta un dernier coup d’œil à la glace et se leva.

La sortie de bain tomba sur le sol ; la serviette la rejoignit. Elle brossa longtemps ses cheveux, debout, nue, jambes légèrement écartées, le bassin basculé en avant pour un meilleur équilibre.


Je rechargeai à toute vitesse mon appareil et continuai à tirer des photos d’elle ou de son reflet dans la glace. Je zoomai sur ses seins, son ventre, son sexe, son visage, la prenant tantôt en pied, tantôt en gros plan.


Son brossage fini, elle passa sur son corps un liquide blanc, le fit pénétrer dans la peau. Puis elle enfila son déshabillé sans le fermer, sortit de la salle de bain, traversa le couloir et entra dans la chambre. Une fois le lit ouvert, elle s’allongea dessus, la tête sur l’oreiller, cheveux étalés en auréole. Ses seins jaillissaient du peignoir qui coulait le long de son corps. Jambes légèrement écartées, elle m’offrit une vision de rêve sur son sexe. Elle ferma les yeux. Ses mains bougèrent, prenant possession de ses seins, les flattant en agaçant les mamelons. Elle se caressa le ventre. Des mouvements désordonnés, et à peine perceptibles de son bassin indiquèrent qu’elle avait trouvé le chemin de son plaisir. D’un doigt tendre, elle caressa son sexe, insista sur son clito. Sa respiration s’accéléra, elle gémit doucement. Le doigt insista ; elle soupira, puis brusquement, presque violemment, son corps se tendit et se referma sur sa main. Son visage se ferma quelque peu puis retrouva sa sérénité. Deux larmes coulèrent le long de ses joues. C’était ma dernière photo.


Silence. Je rechargeai encore une fois l’appareil. Je ne bougeais plus. Je la regardais. Elle était comme endormie.



Je me suis déshabillé puis l’ai rejointe au lit. Nos lèvres se sont tout de suite trouvées. Son corps et le mien se sont collés l’un à l’autre. Son ventre s’était plaqué contre le mien, animé de mouvements propres, prenant la mesure de mon désir évident. J’ai fait glisser le déshabillé de ses épaules puis l’ai serrée dans mes bras très fort. Mes mains caressèrent son dos doucement. Sa peau était lisse, fine, chaude. Je sentis sur mon torse les pointes de ses seins, dures. Elle posa ses mains sur mon cou. Remonta sur mes joues. Tourna mon visage de façon à avoir mon oreille près de ses lèvres.



J’ai pris ses seins dans mes mains. Elle s’est cabrée. Je l’ai embrassée dans le cou puis entre les seins dans cette vallée tendre et si sensible, puis ma bouche a suivi un chemin descendant, traversant son ventre, s’attardant sur le nombril. Je la pris par les hanches et repris ma progression. Jamais je n’avais éprouvé une telle sensation de douceur. Son pubis était complètement glabre et doux. Ma langue courut dessus, explorant le haut de sa fente, cherchant les points sensibles. Il y en avait beaucoup. Chaque contact était salué par un frémissement, un soupir, un gémissement. Ses mains tenaient ma tête, la guidaient, ou au contraire soulageaient la pression. Lorsque mes lèvres happèrent son clito dur et tendu, elle feula comme une panthère, ouvrit ses jambes, bascula son bassin vers moi, s’offrant au maximum.


Je fis durer mon exploration, séparant les lèvres de son sexe de ma langue. Je la goûtais. C’était à la fois sucré et amer. Elle coulait comme un petit ruisseau. Chaque mouvement de mes lèvres ou de ma langue générait un petit bruit humide. J’entendis sa respiration s’accélérer, elle gémissait en permanence. Son bassin dansait une sarabande… J’avais du mal à rester en contact, mais je m’accrochais.


De sa poitrine naquit une longue plainte, rauque, animale, venue du plus profond d’elle. Elle remonta ses jambes sur mes épaules. Ma tête se trouva prise dans un étau doux mais ferme. Ma langue la pénétra au plus loin qu’il était possible et mes dents touchèrent son clito. Cela déclencha une explosion. Ses cuisses me serraient tellement fort que je crus étouffer. Son sexe coulait, inondant ma bouche de liqueur. Elle criait son plaisir. J’étouffais sous le carcan qu’elle m’imposait. Ses mains étaient comme folles, cherchant à écraser ma tête contre son sexe et à la repousser en même temps. Puis elle se calma. L’étau se desserra. Elle roula sur le côté. Silence.


Je me dégageai doucement et l’enlaçai par les épaules. Sa tête se nicha au creux de mon bras et s’appuya sur ma poitrine. Je sentis des larmes couler sur mes joues.



Je me suis mis sur le dos et l’ai fait basculer sur moi. À cheval sur mon ventre, son sexe chercha le mien, le trouva. Le contact la fit frémir. Elle posa ses mains sur mes épaules, me regarda droit dans les yeux. Son visage était grave. Ses yeux brillaient encore des larmes de joie qu’elle avait versées il y a quelques minutes. Elle s’empala lentement sur moi. Je sentis ses lèvres s’écarter et je pénétrai dans un fourreau souple mais étroit, chaud, frémissant, qui me serra convulsivement. La lune qui brillait éclairait la chambre et fit lever son corps couvert de rosée de sueur.


Tout doucement, elle est allée le plus loin possible pour elle et pour moi. Assise sur mon bassin, elle se fit lourde, cherchant encore à aller plus en avant. Puis elle s’allongea sur moi, bouche contre bouche. Sa respiration était profonde, calme, sereine, ses mains serrées sur mes épaules.



Je posai mes mains sur ses fesses et aidai le mouvement en la soutenant légèrement, lentement d’abord puis de plus en plus vite à mesure que montait en elle un nouvel orgasme. Je lui faisais l’amour. Nous arrivions ensemble au but, et au moment où je jouis en elle, me projetant au plus profond de son sexe, elle cria une nouvelle fois.


Le temps passait lentement, complice de notre repos. Elle roula sur le côté, comme une poupée désarticulée. La Nature ayant parfois de cruelles habitudes, nous nous séparâmes. Elle ne bougea plus. Je me dégageai et me levai, puis pris une série de clichés. Dans la chambre, seule sa respiration apaisée répondait au chuintement automatique du déclenchement. Une fois la pellicule finie, je reposai l’appareil et m’allongeai à ses côtés.



En disant ça, elle frissonna. Je m’assis dans le lit pour tirer la couverture sur elle. Arthur était là, assis sur la chaise du secrétaire, se léchant la patte.



Nous nous endormîmes enlacés.


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Je me suis réveillé le premier. Sans bruit, je me suis habillé rapidement, survêtement et tennis à même la peau. Et je suis parti chercher les croissants ; à 10 heures, il était temps.

Elle dormait encore à mon retour. Il n’y avait aucune trace de notre soirée sur son visage. Un vague sourire flottait sur ses lèvres. Je n’ai pas résisté et ai fait une douzaine de photos. La couette montait haut, cachant complètement son corps, ne laissant à ma vue que sa tête.

J’ai préparé un plateau pour le petit déjeuner avec croissants, jus de pomme, corn-flakes, yaourt, thé et café. Je l’ai posé sur le lit à ma place et suis passé de son côté. J’ai embrassé ses yeux, ses lèvres ; elle n’a ouvert un œil que lorsque je lui ai glissé dans l’oreille :



J’ai repris quelques clichés de son réveil en guettant sur son visage les différentes phases. Puis nous avons dévoré le plateau.



J’ai posé le plateau à terre et me suis recouché à ses côtés. Nous nous sommes caressés longtemps et avons fait l’amour tendrement et avec passion.


Lorsque nous avons émergé à nouveau, Arthur était de retour sur la chaise du secrétaire. Margaux l’a vu en premier. Comme moi dans la nuit, elle l’a traité de voyeur et lui a envoyé son oreiller ; avant que celui-ci l’atteigne, il avait sauté sur le lit entre nous deux. Nous avons joué un moment avec lui puis nous nous sommes levés et sommes allés vers la salle de bain, à celui qui y arrive le premier. Elle a gagné et nous sommes entrés dans la douche. Une fois les portes du pare-douche fermées, on peut tout se permettre sans risque de transformer la salle de bain en Venise miniature. Nous nous sommes tout permis, alternant jeux, caresses, arrosages et éclaboussures sans complexe. Margaux était déchaînée et n’avait plus rien de la jeune femme réservée et B.C.B.G. que j’avais croisée dans l’ascenseur 24 heures auparavant.

Une fois séché, je lui ai laissé la coiffeuse pour son usage personnel et me suis rasé. Fin de toilette. Fin de jeu.



Elle m’embrassa en se collant contre moi. Je ne tardai pas à lui prouver d’une manière très concrète que ses caresses ne me laissaient pas indifférent…



Elle se laissa tomber à genoux sur une serviette et me prit dans sa bouche. Ce n’était pas la première fois que l’on me faisait une telle gâterie, mais je dois dire que Margaux était particulièrement douée. Elle fit durer le jeu longtemps puis obtint le résultat qu’elle cherchait.

Je l’ai aidée à se relever. Regard voilé, lèvres humides, elle s’accrocha à mon cou.



Je l’ai embrassée longuement, caressant ses seins si doux et son ventre frémissant, puis sans autre forme de procès je l’ai plaquée contre le mur et l’ai pénétrée, profitant d’un reste de vigueur. Elle a joui quasiment de suite, ses jambes emprisonnant ma taille, ses pieds poussant sur mes fesses comme pour me faire pénétrer plus loin encore.

Nous nous sommes séparés à regret avant que la position ne devienne intenable. Après un dernier baiser, elle a pris ses vêtements et a traversé l’appartement, nue comme à son premier jour.

J’ai entendu la porte claquer, puis s’ouvrir celle de l’appartement voisin.

« Eh bien mon garçon, te voilà bel et bien mordu, mais je crois que tu n’es pas le seul… »


Je suis repassé sous la douche, histoire de me rafraîchir puis j’ai remis un peu d’ordre dans la salle de bain et dans la chambre. Le lit était un vrai champ de bataille et méritait d’être refait. J’en étais là de mes travaux ménagers lorsqu’elle est revenue, vêtue d’un maillot d’athlétisme et d’un short flottant, tous les deux de couleur jaune d’or du plus bel effet.



J’ai fait comme elle : maillot et short à même la peau. Sans y penser (enfin, peut-être) nous nous préparions une belle journée.



Visage serein mais les yeux brillants, elle me regardait et ne conserva pas son sérieux bien longtemps. Nous avons remis les blouses et les gants, et après avoir récupéré les films et fait la nuit, nous sommes passés au travail.

Elle apprenait vite et je n’eus que très peu à intervenir. Le temps nécessaire aux différentes opérations nous a permis de discuter du déroulement de notre journée.



Tout en badinant, nous avons terminé les premières étapes du développement. Lorsque les planches contact ont été tirées et révélées, nous avons regardé attentivement.



Nous avons mis les épreuves à sécher.



Pour suer, nous avons sué ! C’est une sportive cachée, Margaux, et elle m’a suivi sans aucun problème pendant les deux heures de footing que nous avons menées bon train, donnant le rythme chacun notre tour.

Il était bien 14 heures quand nous sommes repassés chez Manu. Le petit porto traditionnel nous attendait. Margaux leur a plu, ils lui ont plu aussi. C’est lui qui a abrégé notre petite réunion :



Retour à la maison et douche, toujours aussi joyeuse.



Nous avons mangé, fini la bouteille de Côtes du Rhône de la veille, bu le café, rangé la cuisine tout en discutant.



Nous nous sommes embrassés longuement, sagement. Enfin, presque.



Elle est repartie chez son grand-père et est revenue habillée pour notre promenade. Longue robe fluide en jersey, moulante, chaussures plates. J’ai mis une tenue décontractée, pantalon de gabardine beige et un de mes « maillots de rugby » Eden Park. Je l’ai trouvée à fondre ; elle m’a dit que j’étais à croquer.



Lorsque je l’ai serrée dans mes bras, j’ai pu constater qu’hormis sa robe, elle ne portait rien d’autre. Je pouvais caresser ses seins par l’emmanchure ou le décolleté ; pas de trace de slip non plus.



Nous sommes rentrés tard. Le soleil de ce début mai a réchauffé longtemps notre promenade, main dans la main. Puis nous avons dîné à La cour St-Germain. Nous avons repris le métro à la Chambre des Députés. Nous sommes rentrés fatigués mais heureux de ce long après-midi.



Nous nous sommes installés au salon avec les planches contact, et nous les avons examinées attentivement. Elle a choisi une quinzaine de photos.



Je lui ai fait franchir la porte de la chambre comme une jeune mariée, portée dans mes bras, les siens noués autour de mon cou. C’est à ce moment-là qu’Arthur s’est manifesté. Il s’était installé sur mon lit et son miaulement nous rappela que nous l’avions complètement négligé.



Nous nous sommes caressés longuement, nous nous sommes aimés, nous nous sommes endormis lovés dans les bras l’un de l’autre.


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Dimanche matin, le lit était vide à côté de moi ; enfin, presque. Un petit mot était posé à la place de sa tête : « Pas de panique, je vais revenir. Je t’aime. Margaux. »


J’ai reposé le billet à sa place puis refermé les yeux. Je flottais entre deux eaux, repensant aux dernières 24 heures, aux événements qui se sont précipités, enchaînés sans que rien ne m’y ait préparé. Moi le célibataire endurci, vacciné, il y a bien longtemps, par des amours déçues, j’étais à nouveau fou d’une fille dont je ne savais que peu de choses si ce n’est qu’elle était belle, probablement libre, que nous nous étions bien entendus pendant quelques heures, que nous aimions faire l’amour ensemble. Et moi je pensais déjà à demain, à tout à l’heure. Jaloux d’Arthur qui devait savoir ce qu’elle faisait, où elle était.


Des images précises envahissaient ma tête, de nos deux nuits, de la séance de photos, de notre balade sur les quais. Moi seul savais qu’elle était nue sous sa robe ; elle avait écouté mes petits mots doux, y avait répondu. Nous avions joué avec les mots, nous excitant, nous provoquant, sans pudeur, y prenant un plaisir presque charnel.

Je n’avais aucune idée de l’heure et ne tentais même pas de savoir. Le réveil aurait pu me renseigner, mais il m’aurait fallu ouvrir les yeux. Hors de question.


Elle revint. Je ne l’ai sentie que lorsqu’elle s’est assise à côté de moi sur le lit. Elle était déjà habillée : jean, tee-shirt blanc. Pieds nus. Arthur sur les talons.



J’ai tenté de l’attirer vers moi. Elle s’est esquivée doucement, un sourire marqué sur les lèvres.



Une fraction de seconde j’ai cru que mon cœur allait exploser. Qu’allait-elle m’annoncer ? Qu’elle s’était bien amusée mais que le week-end était fini, et notre histoire avec ? Je devais faire une drôle de tête car elle a éclaté de rire et est revenue près de moi.



Elle effleura mes lèvres du bout de ses doigts. Je les embrassai.



Nous avons ri, elle m’a embrassé, a tiré la couette. J’étais nu, allongé, entièrement offert à son regard. J’étais bien et le manifestai d’une manière très tangible.



Elle se pencha vers moi, posa ses lèvres sur mon ventre, contournant la colonne de chair palpitante qui se tendait vers elle.



Une fois mes mains libres, je lui caressais le bas du dos, limitant mon exploration à la ceinture de coton blanc qui lui marquait les hanches. Je sentais ses seins durs, leurs tétons tendus contre ma poitrine. Elle haletait doucement, appliquée à contrôler son plaisir et à provoquer le mien. Mon sexe palpitait entre nos ventres et je sentais que je ne tiendrais plus longtemps. Elle aussi le sentait. Elle se dégagea un peu, m’empoigna et me masturba tendrement. Au moment où j’allais exploser, elle me prit dans sa bouche et finit avec ses lèvres ce qu’elle avait si bien commencé avec son corps. Elle n’en laissa pas perdre une goutte, m’aspirant, me pompant pour épuiser toutes mes réserves.


Elle ne revint s’allonger contre moi qu’une fois que j’eus retrouvé ma taille de repos. Elle se cala contre mon épaule, ses cheveux éparpillés sur mon torse. Mes mains avaient pris possession de ses seins et je l’emmenai à son plaisir par des caresses douces ou plus fortes. Elle frémit, ronronna comme une chatte et jouit longuement, abandonnée, confiante.

Nous nous sommes levés, douchés ; nous avons déjeuné puis sommes allés au labo. Les tirages nous ont pris la matinée ; enfin, ce qui en restait.



Elle était fière des résultats obtenus tant du point de vue du sujet que sur le plan technique du laboratoire.

Elle pouvait, elle avait intégré très vite les différents paramètres et se débrouillait très bien. Nous en sommes venus à parler de la journée et de ce que nous allions faire.



À 13 heures, nous prenions place dans la salle à manger au premier étage, une table près de la fenêtre. Le patron et sa femme – lui au service, elle en cuisine – sont de vieilles connaissances, tous les deux d’un village voisin de celui de mes parents. Ils connaissent mes goûts et je leur fais entièrement confiance ; je me laisse toujours guider par leurs conseils.



Il partit en riant devant les sourcils froncés de Margaux.



Jean, qui revenait vers nous apportant deux pousse-rapière en apéritif, entendit la tirade. Il se pencha vers elle et lui glissa quelques mots à l’oreille. Elle le regarda, amusée.



Il posa les deux verres accompagnés de quelques rondelles de saucisson en amuse-gueule et s’éloigna à nouveau.



Nous avons pris notre temps pour savourer chaque plat du délicieux repas qui nous a été servi. Nous en étions au café et il ne restait que deux ou trois tables occupées lorsque Magaly a émergé de sa cuisine. Elle a salué tout le monde et est venue s’asseoir à notre table avec Jean. J’ai fait les présentations. Elle et Margaux se sont plu au premier coup d’œil. Bien que différentes de caractère comme de physique, le courant est passé immédiatement.


Nous avons bavardé un long moment devant l’armagnac offert par la maison, interrompus par les derniers clients quittant le restaurant. Les métiers, le pays, les projets de vacances pour eux nous fournirent de bons sujets.

Nous les avons quittés en fin d’après-midi. Ils avaient encore du travail avant de fermer.

Nous voulions marcher un peu avant de rentrer.



Que lui dire ? Elle semblait perdue, fragile, et tellement avide de trouver un point d’ancrage. Cela me faisait un peu peur.

Main dans la main, nous montions vers la Butte. Autant je détestais la basilique, autant j’aimais la vue que l’on avait de son parvis. Nous y regardâmes le soleil se coucher avant de rentrer.


L’un comme l’autre, perdus dans nos pensées, nous sommes arrivés en haut des escaliers. Paris s’étalait à nos pieds, et à l’Ouest le disque rouge-sang du soleil se faisait grignoter par les tours de La Défense. Peu de monde autour de nous, et à part les bruits de circulation qui nous arrivaient étouffés, c’était presque le silence.



Nous sommes partis une fois le soleil couché, et nous l‘avons imité.



Lundi matin


Tout s’est passé comme si nous vivions ensemble depuis toujours : petit déjeuner, toilette, préparatifs divers sans honte ni inquiétude. Ce soir, elle sera là ; ce soir, je l’accueillerai à nouveau.


Nous avons parlé de notre journée à venir, de ses cours, de mes dossiers. Je suis parti le premier, la laissant s’occuper d’Arthur avant d’aller au lycée. Un long baiser passionné en attendant l’ascenseur et nous nous sommes séparés, du moins physiquement. Son image ne m’a pas quitté de la journée, et même la pression habituelle de la maison n’a pas eu raison de sa présence. Mon travail a dû s’en ressentir un peu car Valérie m’a demandé à plusieurs reprises si tout allait bien.

J’ai réussi à boucler ce que j’avais à faire dans les délais, mais pour la première fois, je me suis rendu compte que je devais faire un effort pour y arriver.


À midi, je devais avoir l’air ailleurs et j’ai subi les plaisanteries des collègues. Il y était question de chats qui vivent la nuit et dorment le jour, des célibataires qui ont bien de la chance de ne pas avoir leurs nuits gâchées par des enfants qui pleurent et qui ne semblent pas en tirer profit pour dormir etc., etc.

J’ai laissé faire et dire. Finalement, c’est Valérie qui a eu le dernier mot :



Que voulez-vous répondre à ça ?


Le soir venu, mon fidèle mulet m’a ramené à la maison plus vite que d’habitude, m’a-t-il semblé. Prendre le courrier, trier, reprendre l’ascenseur. Sur le palier, rien. Pas un bruit. Ouvrir la porte. Tout de suite, j’ai vu le petit mot : « Oublié de te dire ce matin que j’avais un conseil de classe ce soir. Serai de retour vers 20 h. On dîne ensemble ? » Elle posait la question ! La réponse était pourtant évidente : je n’aurais pas imaginé qu’il pût en être autrement. « Mon bonhomme, tu as une heure trente devant toi pour démontrer que tu es un parfait homme d’intérieur. Action ! » Le temps de rentrer, de tout préparer, mettre le couvert, je l’ai entendue arriver. Elle est repassée chez elle, y a déposé ses affaires. Quelques minutes plus tard je prenais dans mes bras celle qui me manquait déjà trop.



Elle portait encore sa « tenue de travail » : tailleur gris souris sur un pull ras du cou en mohair. La classe ! Je lui fis compliment de sa tenue.



Elle est revenue avec son jean et son tee-shirt blanc comme la veille, tout aussi séduisante, tout aussi femme. Nous avons dîné ; elle a trouvé le pâté maternel à son goût. Une fois la cuisine rangée, nous sommes passés au salon. J’ai mis un CD de Stan Getz. La musique a empli la pièce, chaude, fluide. Je me suis installé sur un fauteuil, l’ai prise sur mes genoux. Elle s’est blottie contre mon épaule.



J’ai parlé longtemps. Je lui ai raconté la vie du village, les galopins qui chapardaient les prunes, cachaient les outils des voisins, tiraient les merles au lance-pierre, braconnaient les truites dans les ruisseaux. Je lui ai dit aussi les parents, la quincaillerie du bourg, les foires et les marchés, la famille, les repas de fête qui durent toute la journée, avec des tablées qui n’en finissent pas. Les rires et les pleurs, les mariages et les enterrements. Je lui ai dessiné mes paysages, le village, les sous-bois, les cultures. Je l’ai emmenée chasser le sanglier, le lièvre, le lapin, avec les copains qui ont grandi. Elle a marché à mes côtés sur la trace des « grands noirs », les a vus défoncer du groin un champ de pommes de terre. Je l’ai emmenée avec moi à l’école du village, puis au lycée, puis à "la ville". Elle est venue aux soirées avec les copains, est restée dans l’ombre pour ma « première fois » et quelques autres.

Nous avons fait ensemble les photos qu’elle avait vues dans l’album. Elle a compris mes dépits amoureux.



Il n’était pas loin de minuit. Toujours blottie contre moi, elle ne disait rien. J’ai même cru qu’elle s’était endormie.



À nouveau le silence. J’entendais sa respiration calme et profonde, paisible. Je n’osais pas bouger, de peur de rompre le charme.



Nous sommes restés encore un moment dans le fauteuil. Elle a frissonné.



Nous nous sommes couchés et endormis très vite, sa tête au creux de mon épaule, ma main gauche sur sa poitrine.



Mardi matin


Pas de cours pour elle le matin. Je suis sorti du lit sans la réveiller. Je l’ai regardée un moment. Dans la nuit, nous avions repoussé la couette et elle était là, couchée sur le ventre, la tête au creux de son bras. Il y avait un contraste étonnant entre la couleur de sa peau et celle du drap, entre son visage de petite fille endormie et son corps de femme aux rondeurs tentantes, dont les hanches appelaient mes mains. Je me suis arraché à cette contemplation matinale et j’ai rejoint la salle de bain.


Lorsque j’en suis sorti, elle était dans la cuisine et préparait le petit déjeuner. Une bonne odeur de café frais me chatouillait les narines, soulignée par celle du pain grillé. France Info en sourdine nous ramenait dans le quotidien, le monde des autres, avec ses petites phrases politiques, ces accidents et autres faits divers.

Elle avait enfilé son déshabillé et noué négligemment la ceinture. Comme à mon habitude, j’étais à poil. Elle a sifflé entre ses dents, le sourire un peu ironique, les yeux brillants de malice.



Elle s’est jetée dans mes bras et nous avons échangé un long baiser. Lorsque nous y avons mis fin, la ceinture du peignoir s’était détachée. J’avais sa peau contre la mienne et une envie folle de la prendre là, sur la table de la cuisine, comme un hussard, sans autre forme de procès. Elle l’a senti et s’est esquivée, rajustant sa tenue.



Elle avait raison. J’aurais été très en retard. Mais moi aussi je le regrettais au moins autant qu’elle.


Je suis quand même arrivé à l’heure au bureau. J’ai appelé l’agence de voyage pour réserver nos billets et ai demandé qu’on me les apporte lorsqu’ils seraient prêts. Puis je me suis mis au travail.

En début d’après-midi, le Big Boss m’a appelé dans son bureau. Peu fréquente, cette sorte de rencontre ne m’émeut pas pour autant.



Tout peut toujours se faire, mais je dois m’organiser. En plus, l’idée de devoir les avoir vingt-quatre heures sur vingt-quatre sur le dos – et avec leurs femmes en plus – ne me séduisait guère.



J’ai ri moi aussi, de bon cœur. Puis je suis revenu dans mon bureau. Pas très fier, du coup. Laisser Margaux seule pendant trois jours ne m’emballait pas outre mesure. Et puis tout cela controversait à ma règle de séparation de mes deux vies. La poisse !

Un moment plus tard, ma décision était prise : j’irais, mais pas seul. Enfin, si elle voulait bien. Au fait, parlait-elle anglais ? Dans quel guêpier allai-je l’entraîner ? Et si elle ne voulait pas venir ? Ou ne pourrait pas ? J’ai décroché le téléphone et sonné le Boss :



Je suis allé voir au secrétariat ce que me concoctait mon assistante, histoire d’avoir quelques billes pour vendre le projet à Margaux. C’était pas mal !


Samedi, ces dames voulaient faire du shopping, les messieurs voulaient voir La Défense, et ensemble ils voulaient visiter Paris. Ça, c’était facile à mettre en œuvre.


Dimanche, ils voulaient Versailles et Chantilly, avec un après-midi aux courses.


Lundi, les messieurs voulaient la Bourse ; les femmes suivraient.


En plus, il fallait caser une soirée cabaret, et une pour les grands restaurants de la capitale. Pour le reste, à nous de voir et d’organiser. Simple, non ? Ils logeraient au Crillon et avaient suggéré que leur accompagnateur en fît autant. Tout cela sentait la prise de tête, mais après tout, on verrait bien.

Le soir, lorsque je suis rentré, j’avais l’air un peu soucieux. Margaux le vit de suite.



Je lui ai raconté toute l’histoire et lui ai demandé si elle était partante.



Fin de l’angoisse, début de la soirée. Elle fut un peu à l’image de celle de la veille. Nous avons longtemps parlé de nos projets respectifs. Professionnels et personnels.

Pour les uns, c’était clair ; nos voies étaient tracées : elle, l’enseignement, avec un objectif de doctorat dans les cinq ans ; moi, une direction commerciale d’ici quelques années. Là ou ailleurs.


Pour le personnel, nous étions moins clairs. Sauf sur le court terme : pas question de se séparer au retour du grand-père. Nous nous installions ensemble pour une « période d’essai ». Après ? On verra bien.


Nous avons parlé enfants ; là aussi, nous semblions en phase. L’un comme l’autre, nous en voulions, plus tard. L’un comme l’autre nous ne voulions pas d’enfant unique. Moi, je m’arrêtais à deux ; elle en voyait bien deux ou trois. J’aimerais un garçon en premier ; elle, elle s’en moquait. Deux garçons ne me poseraient pas de problème ; elle voulait au moins un garçon et une fille. Rien d’incompatible, en fait.


Autre chose sur laquelle nous étions d’accord : la première occasion qui se présenterait de partir en province serait le bonheur, surtout si c’était au sud de la Loire, encore plus si c’était dans le Sud-Ouest, au moins pour moi.

Une fois encore, nous nous sommes couchés heureux d’être ensemble, plein de tendresse et d’amour.



Elle s’endormit avec un gros soupir d’aise comme un bébé.


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En arrivant au bureau le lendemain, j’ai demandé à Valérie de tenir compte de cette nouvelle donnée.



De mon bureau, j’ai appelé Jean et Magaly pour le menu.



Magaly prit l’appareil :



J’ai prévenu Valérie que tout était réglé de ce côté-là et lui ai donné les coordonnées pour qu’elle puisse voir pour les cadeaux.


Journée habituelle. Le dossier de mes clients se monte petit à petit sans anicroches ; quelques fax et coups de téléphone me permettent d’avancer à grands pas. Je serai fin prêt à leur arrivée. Dans l’après-midi, je m’octroie une petite pause-café que je reviens boire dans mon bureau. Rêverie. Margaux envahit la pièce avec son sourire éclatant, ses dents blanches prêtes à croquer la vie, sa tendresse, sa joie de vivre. J’ai du mal à comprendre cette image de fragilité et d’angoisse qu’elle donne par moments.

J’ai fini par comprendre le soir quand elle s’est racontée.


Après notre repas, léger, qu’elle avait préparé, nous sommes allés nous coucher très vite. Le passage à la salle de bain avait été joyeux et, pour tout dire, nous avait bien préparés à renouer avec des jeux que nous avions un peu mis de côté depuis dimanche. Excités comme des gamins, nous nous sommes caressés sous la douche comme si nous nous découvrions pour la première fois, explorant nos corps à la recherche d’un plaisir que nous voulions fort. Arthur est venu voir l’origine et la raison de nos éclats de rire, soupirs et autres manifestations plus ou moins bruyantes, mais il nous a rapidement laissés seuls à nos jeux.


Comme la première fois, je l’ai laissée faire au moment de notre fusion, et nous en avons tiré une jouissance longue, profonde, presque simultanée. Nous sommes repassés dans le lit, savourant les dernières caresses, celles d’après, que certains remplacent par une cigarette ou une activité débordante mais qui sont parmi les plus savoureuses quand on s’aime. Encore des cris, nos mains frôlant nos corps, déclenchant toujours frissons et envies.



Je la laissai dire. Je sentais venir quelque chose d’important.


Et elle m’a tout raconté. La petite fille élevée par ses grands-parents qui ne se sont jamais remis de la perte de leur fils, les années de primaire avec son grand-père comme instituteur, dans la classe unique d’un village perdu des monts du Forez. L’entrée en sixième, la pension, les retours pendant les week-ends entre deux adultes déjà bien usés pour leur âge. Le bac scientifique avec mention et la mort de la grand-mère. Le grand-père qui quitte la province pour oublier ou essayer de le faire à Paris. La fac. Le sport. Les copains. Le premier amour. La première fois. Le temps qui passe lentement, et l’accident : enceinte à 23 ans. Celui qu’elle aime qui la laisse tomber parce qu’il ne veut pas de l’enfant. La déprime, la tentation de suicide, la fausse-couche, l’hôpital, les services psychiatriques, la solitude, le grand-père complètement dépassé qui ne sait, ne peut – et peut-être aussi ne veut – rien faire pour elle : il a tant de mal à survivre pour lui-même… La reprise des études malgré les deux années perdues, le travail, le sport, son corps qui par moments a des exigences qu’elle ne veut ou ne peut satisfaire. Les coucheries à droite et à gauche avec des garçons et des filles. Puis sa décision d’arrêter tout ça. La fin des études, le remplacement dans le Nord, loin de tout. Seule. Toujours ses besoins et envies mal assouvis en solitaire. Puis un jour, une amie d’antan qui l’appelle, le poste possible à Paris, sûr, avec une titularisation à la clef l’an prochain.



Elle pleurait doucement, comme si une soupape avait lâché, libérant trop de solitude, de frustrations, d’amour refoulé.



Je l’ai serrée dans mes bras tendrement, l’ai caressée comme on le fait pour consoler un enfant qui est tombé de son vélo.



Je l’ai regardée s’endormir, et suis resté longtemps à veiller sur son sommeil. Puis j’ai sombré moi aussi.


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À mon réveil, elle était déjà dans la cuisine. Elle commençait à prendre mes habitudes et se promenait nue dans la pièce. Elle ne m’a pas entendu arriver. Je l’ai enlacée, mes mains sur ses seins, mon ventre en émoi contre ses reins.



Elle s’est retournée, m’a embrassé comme elle sait si bien le faire, en se donnant tout entière.



Avant que je n’aie pu dire quoi que ce soit, elle avait noué ses jambes sur mes hanches et s’empalait avec délice, les fesses appuyées sur la paillasse de l’évier.

Ce fut bref, bon, presque violent, total. Lorsqu’elle a joui, ses ongles se sont plantés dans mes épaules, et son corps tendu comme un arc est devenu lourd. Elle a enfoui sa tête dans mon cou, ce qui a – à peine – atténué son long cri d’amour.



Le petit déjeuner a été un peu perturbé, mais qu’importe ! Je l’aime telle qu’elle est.

C’est de plus en plus dur de séparer travail et elle ! Toute la journée elle est là à mes côtés. Hélas, uniquement dans ma tête.


Mes dossiers avançaient, malgré tout ; la fin de semaine approchait, le week-end aussi. La semaine suivante serait courte, et mercredi soir nous partirions pour le Périgord. L’agence m’avait fait passer les billets : nous avions un wagon-lit double en première. Je me plaisais à penser que ce serait une première répétition d’un voyage de noce qui, je l’espère, durerait longtemps avec plein d’étapes.



Vendredi soir


Nous sommes allés au cinéma voir Le facteur. J’aime beaucoup Noiret. Il a un côté gros nounours bougon, finalement rassurant. Le jeune acteur italien est bon lui aussi. Mais je n’ai pas retenu son nom. Nous avons bien aimé, l’un comme l’autre. Ensuite nous sommes allés manger une pizza et sommes rentrés de la place Clichy à pied. Tranquillement. Sans hâte. Mais, pendant le trajet, nous n’avons pas arrêté de nous promettre monts et merveilles pour la nuit qui allait suivre.

Nous nous sommes arrêtés souvent, dans l’ombre complice d’un porche ou d’un coin de mur pour nous embrasser, nous caresser.



C’est vrai que nous étions tous les deux dans un état peu racontable ! Chaque arrêt durait plus longtemps que le précédent et moins que le suivant. À chaque fois, les caresses étaient plus précises, et nos tenues commençaient à s’en ressentir. Son chemisier au départ rentré dans la jupe en était maintenant sorti aux deux tiers. Ma cravate cachait mal les trois boutons ouverts de ma chemise. Elle se frottait à moi comme une chatte amoureuse, faisant des commentaires de plus en plus précis sur l’état dans lequel elle me sentait. Et elle faisait tout pour améliorer la performance.


De mon côté, je n’étais pas plus sage. Mes mains exploraient son corps, et le seul obstacle restant devait commencer à être bien chiffonné et humide. Elle avait déjà joui à deux reprises, m’embrassait à ce moment-là à pleine bouche pour ne pas crier plus qu’il n’était raisonnable. Heureusement, les rues du quartier ne sont pas très fréquentées à cette heure tardive.

Nous étions arrêtés dans l’ombre d’une porte cochère et nos caresses prenaient une tournure encore plus chaude.



En disant cela, elle fit glisser son slip le long de ses jambes, l’enleva complètement et me le donna sous forme d’une petite boule légère, chaude, humide, odorante.



À nouveau collé contre elle, je devinais ses mains défaisant mon pantalon. Tout à son affaire, elle n’entendit pas – pas plus que moi – les pas de l’intrus, côté de la porte sous le porche. Celle-ci s’ouvrit d’un coup, au moment même où, triomphante, elle avait extrait de son enveloppe l’objet de son désir. Un chien passa entre nous deux. La lumière nous exposa comme en plein jour au regard narquois d’une femme qui suivait l’animal.



Elle s’éloigna en riant. Nous ne l’avions vue ni l’un ni l’autre, mais l’effet fut quasi immédiat : je me recroquevillai à la vitesse du son ! Margaux a pouffé de rire et m’a communiqué son hilarité. En quelques secondes, nous étions tous les deux ravagés par un fou-rire qui, il faut bien le dire, ne permit pas la poursuite de notre projet. Nous avons remis un peu d’ordre dans nos tenues et nous sommes repartis.



Le sort était contre nous. Arrivés dans le hall de l’immeuble, nous y avons retrouvé une famille qui habite au quatrième. Père, mère, fillette de 4 ans et bébé dans les bras de papa. La cabine nous a propulsés tous les six dans les étages pendant que nous échangions salutations et banalités d’usage.



Nous nous sommes déshabillés – arraché nos vêtements, devrais-je plutôt dire – entre l’entrée et la chambre, laissant derrière nous un chemin jonché de tissus froissés. Je l’ai poussée sur le lit où elle est tombée à quatre pattes. Le spectacle qu’elle m’offrait, mélange d’impudeur et de tendresse, d’animalité et de provocation ne me laissait pas indifférent, loin de là. Dans la clarté blafarde de la lune, son corps faisait une tache claire, soulignée par la ceinture de son porte-jarretelles et le noir de ses bas. Ses seins encadrés par ses bras prenaient un relief étonnant ; son sexe mis en valeur par ses fesses luisait d’une humidité prometteuse. Je l’ai pénétrée d’un coup. Ses reins se sont creusés ; elle s’offrait complètement. Mes mains martyrisaient ses seins. Nos cris se sont mélangés lorsqu’elle a atteint son plaisir et que je me suis déversé dans elle en longs jets brûlants.

Plus tard, nous nous sommes glissés sous la couette et avons sombré dans un sommeil réparateur.


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Nous avons passé la journée de samedi au lit, remettant au plus tard le footing, les repas et toute autre activité. Arthur a fait les frais de nos débordements : il est venu à plusieurs reprises protester et réclamer sa gamelle, puis il a abandonné. Nous ne l’avons revu qu’à 18 heures quand nous nous sommes levés, repus d’amour et de tendresse. Il s’était couché sur la jupe de Margaux, allongé de tout son long, la tête tournée vers le bout du couloir, miaulant piteusement. Un bref instant, nous avons cru qu’il était malade, voire plus. Lorsque nous nous sommes approchés de lui, à genoux, pour en savoir plus, il a détalé comme un lapin, traversé le séjour et est reparti par le balcon.



Elle est sortie sur le palier, ayant juste enfilé son chemisier, portant à la main son tailleur, ses chaussures et son sac à main. Je l’ai regardée partir, délicieuse d’impudeur, ses fesses rondes à peine cachées par le pan de sa chemise, déjà pressé de la voir revenir.


Le téléphone a sonné : mon père s’inquiétait de mon silence. Il est vrai que depuis une quinzaine, je n’avais pas réellement donné signe de vie, occupé par ailleurs. Quel mauvais fils j’étais ! Je ne lui ai rien dit de Margaux mais lui ai annoncé ma visite pour le prochain week-end avec une surprise, sans en dire plus. Ma mère a pris de relais, tentant d’obtenir quelques informations complémentaires.



Malgré ses protestations, ses cajoleries, je n’ai rien dit. J’ai raccroché au moment où Margaux repassait le seuil du séjour. Elle avait échangé son chemisier contre son déshabillé.



Ce fut bon, comme d’habitude. Nous sommes rentrés en flânant et avons bien ri en repassant le porche où la veille…

Rentrés chez nous – je ne disais déjà plus « chez moi » – nous nous sommes offert un armagnac, calés dans le même fauteuil en écoutant Mozart, la Petite musique de nuit, morceau de circonstance vu l’heure. Arthur est venu nous manifester son pardon. Tout allait bien. Nous avons dormi tous les deux d’une traite jusqu’au lendemain 10 heures.


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Elle m’a réveillé avec le plateau du petit déjeuner, déjà prête à partir pour notre footing dominical. Nous sommes revenus vers 15 heures après avoir papoté un moment avec Manuel. Une fois douchés, caressés, aimés, nous avons déjeuné rapidement et avons décidé d’aller faire une promenade sur les quais, vers la Cité. Le soleil brillait et le printemps était définitivement installé. Les bouquinistes proposaient aux passants le contenu de leurs boîtes ouvertes. Nous avons flâné longuement sur les quais, sommes descendus au bord de la Seine, et sommes allés voir si sous le pont Mirabeau elle coulait toujours. Puis nous sommes revenus vers le centre.


Dans le soleil couchant, Notre-Dame reflétait des couleurs chaudes qui m’ont fait regretter de pour pas avoir pris mon matériel de photo. Je me suis bien promis de ne pas l’oublier en partant pour Périgueux. Nous sommes rentrés tard, à pied, fatigués de notre balade. La nuit nous fut douce.



Lundi soir


Elle est déjà là et m’attendait dans le séjour, souriante. À la main, une lettre de son grand-père annonçant son retour pour le lundi suivant.



Les trois jours ont passé rapidement, et le mercredi soir nous étions tous les trois sur le quai de la gare à 23 h 15 pour prendre notre train. La mise en boîte d’Arthur avait été assez folklorique. Par jeu – nous l’avons supposé – il refusait de se laisser enfermer dans le panier, opposant une vive et ferme résistance dès que nous faisions une tentative. Se laissant attraper, caresser, ronronnant comme un diesel et se cramponnant à nous dès que le panier était en vue. Un peu lassés, nous étions sur le point de renoncer lorsqu’il est parti s’y installer seul. Sacré caractère ! Nous l’avons libéré dans le compartiment. Il en a fait le tour, a flairé les lits, et est retourné se coucher dans son domaine.


Une fois le train parti, nous nous sommes préparés pour la nuit, ayant demandé au contrôleur de nous réveiller pour descendre. Nous n’avons pu réussir à nous départager sur le choix des couchettes et avons donc décidé de rester ensemble. Nous avons fait l’amour sur celle du haut (exotisme oblige) et avons dormi sur celle du bas par sécurité, au cas où l’étroitesse du lieu aurait favorisé l’éjection de l’un ou l’autre.


À 7 heures, le matin, notre train entrait en gare ; mon père attendait sur le parking, sa vieille R25, coffre ouvert prêt à engloutir mes bagages. S’il fut surpris, il ne le montra pas et accueillit Margaux avec beaucoup de chaleur. Les quelques trente kilomètres entre la gare et le village ont été rapidement avalés. Le paysage que nous offrait « mon pays » séduirait ma compagne. Chaque bosquet, chaque champ offrait un panel de verts, du plus tendre, presque blanc, des bouleaux dont les feuilles sortaient à peine, à celui plus affiné des blés d’hiver dont la végétation repartait.


Lorsque la voiture a franchi la grille de la maison et pénétré dans la cour, je me suis senti à nouveau intégré. Le voyage m’avait retrempé dans mes origines. J’étais chez moi. Margaux, de son côté, ne disait rien. Je lui avais donné quelques informations sur le parcours, les noms des lieux-dits, à qui appartenait telle ou telle pièce de terre ou de bois. Elle avait tout enregistré, les noms, les couleurs, les odeurs, les formes.



Elle m’embrassa aussi, comme d’habitude quatre baisers sonores.



Margaux suivit mon père et entra dans la maison. Ma mère me retint un peu.



Nous sommes entrés à notre tour. J’ai libéré Arthur de son panier et lui ai présenté mes parents et la maison. Il a daigné se montrer aimable et caressant. Sans exagération, bien sûr. Puis il a élu domicile sur la terrasse et s’est allongé en plein soleil. Il n’a plus prêté attention à quiconque, pas même aux oiseaux qui se posaient sur la pelouse à quelques mètres de lui.


Le petit déjeuner a été copieux, savoureux, agréable. Comme de bien entendu, ma mère voulut tout savoir, tout de suite, et a soumis Margaux à un jeu croulant de questions, discrètes et courtoises, mais quand même…



Margaux et ma mère sont montées au premier et ont installé nos affaires. Mon père et moi avons fumé une cigarette sur la terrasse en regardant Arthur.



Je le laissai venir, voyant où il voulait arriver.

Je devais avoir un sourire en coin, un peu moqueur.



Je l’ai entendu ronchonner, bourru comme il sait l’être quand la situation ne se présente pas comme il le souhaite.



Plus tard, j’ai su qu’au même moment, à l’étage, le même dialogue avait eu lieu, avec à peu près la même réponse.


Nous sommes allés faire un tour dans le patelin ; je lui ai montré l’école, la mairie. Nous avons rencontré des copains, et vers midi, quand nous sommes passés à la boulangerie, Jacques et sa femme – avec qui j’avais fait les quatre cents coups en étant gamins – savaient déjà : le tam-tam local avait fonctionné à plein rendement.


Après le repas et le café, mon père n’a pas sacrifié sa sieste rituelle. Nous avons aidé ma mère à ranger et, prétendant la fatigue du voyage, nous avons décidé de nous octroyer nous aussi quelques instants de repos.

Allongés sur les draps frais dans ma chambre, elle m’a raconté son tête-à-tête avec ma mère. J’en ai fait autant à propos de celui que j’avais eu avec mon père.



Elle s’est tournée vers moi, soulevée sur un coude, son visage dominant le mien. Elle m’a embrassé comme elle sait si bien le faire, ce qui n’a pas tardé à provoquer une réaction nettement visible de ma part. Sans cesser de me cajoler, elle s’est installée sur moi, s’offrant à mes caresses ; très vite, son souffle court et quelques gémissements retenus m’ont renseigné sur ses envies.

Lorsque je suis venu en elle, j’ai trouvé un fourreau doux, accueillant, chaud, palpitant.



Je continuai à lui faire l’amour avec toute la tendresse que j’avais pour elle.



Quelques secondes après, je la rejoignais bien au-delà du septième ciel.


Ce sont les voix de mes parents qui nous ont tirés de notre somnolence, un long moment après. La fenêtre ouverte de ma chambre nous a permis d’entendre leurs tentatives de séduction d’Arthur. Celui-ci s’est fait prier avant d’accepter l’assiette dans laquelle ma mère avait mis quelques morceaux du rôti de midi. Finalement, il les a mangés de bon cœur sans plus se faire prier.


Nous sommes allés les rejoindre après un rapide passage sous la douche de mon cabinet de toilette. Mon père avait décidé que je devais en avoir un dans ma chambre sous le prétexte que nous ne pouvions être à trois à utiliser la salle de bain. En fait, il cherchait surtout à préserver ses stocks de mousse à raser et de rasoirs que je pillais allègrement. Ce luxe pour un lycéen de province s’avérait bien agréable aujourd’hui.



Il a fallu raconter la natation, les compétitions, les coupes et médailles actuellement stockées dans un carton chez son grand-père.



Arthur nous a regardés partir, comme mes parents.

Nous avons marché longtemps, nous tenant par la main, nous arrêtant pour nous embrasser, ne résistant pas à l’envie de caresses qui nous poussait l’un vers l’autre. Heureusement que jeans et sweat dont nous étions habillés opposaient quelque résistance, sans quoi nous serions arrivés bien après la nuit tombée.



Elle se tourna vers mon père.



Je devais avoir l’air passablement ahuri, car ils ont éclaté de rire tous les trois.



J’ai découvert une nouvelle facette de la personnalité de Margaux. Elle savait décider et se décider. Mais en avais-je jamais douté ?


Pendant le repas, il fut bien sûr question de la demande faite et des suites qu’elle aurait. Nous avons décidé que nous nous marierions ici, entourés de mes amis et de ma famille, au cours de l’automne suivant. D’ici là, il faudrait informer son grand-père, mais nous aurions d’autres occasions d’en reparler.


Nous avons fait également notre programme pour le lendemain matin : footing matinal et visite de Sarlat où nous déjeunerons tous les quatre chez un ami de mes parents qui y tient un restaurant. Nous avons traîné un peu avant d’aller dormir, suivant l’exemple d’Arthur qui avait repris possession de son panier dans la cuisine pour la nuit.


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À 7 heures du matin, elle m’a réveillé.



Alors que j’essayais de l’attraper avec d’autres objectifs, elle m’a échappé. Elle a enfilé à même la peau son short et son maillot, chaussé ses tennis et m’a attendu les mains sur les hanches, provocante et tellement désirable… J’ai fait comme elle, avec quelques difficultés pour cacher que j’avais d’autres projets !



Je n’ai pas pu l’attraper, elle était déjà dans l’escalier.



Nous sommes sortis de la maison et avons pris le chemin qui descend vers le ruisseau. La première partie de notre trajet fut vite faite. Nous nous sommes éloignés du village à bon train. Je la laissais mener, me régalant à la regarder bouger et vivre devant moi. Nous parlions peu, juste quelques modifications sur le chemin à suivre. Au bout d’une demi-heure, nous étions au cœur de la forêt. Le sentier était souvent envahi de ronces ou coupé par un tronc pourrissant, ou encore barré par une branche basse. Le rythme baissait. Nous nous sommes arrêtés pour souffler un peu. J’en ai profité pour l’enlacer, l’embrasser, tenter quelques caresses. Rien ou presque ne s’y opposait ; en tout cas, pas elle. Très vite, elle aussi prit quelques libertés.


Un vieux chêne centenaire depuis longtemps offrit un point d’appui à notre équilibre vacillant. Je sentais dans mon dos le relief de son écorce, contrastant avec la douceur des caresses qui m’étaient prodiguées. Nos légers vêtements de sport n’ont pas résisté longtemps : ils sont tombés, faisant sur le sol des taches de couleurs vives sur fond des feuilles mortes de l’automne précédent.


Nus, à l’exception de nos chaussures, nous mettions nos souffles et nos désirs dans un concert que Dame Nature ne pouvait qu’encourager. Vacillant au gré des caresses de plus en plus précises et intenses que nous échangions, nous avons fini par tomber au sol sur la mousse fraîche. Insouciants de ce qui nous entourait, nous jouions notre symphonie à l’amour, retardant autant que nous le pouvions l’entrée dans le final.

Nous avons vibré ensemble au point d’orgue, le prolongeant en parfaite harmonie, pour finir en silence, épuisés, heureux.


Le soleil filtrait entre les feuilles nouvelles et nous caressait de ses rayons. À quelques mètres de nous, le ruisseau faisait entendre son doux babil. Il nous a rafraîchis, puis nous nous sommes rhabillés et avons repris notre exercice à un rythme bien moins soutenu. Nous sommes arrivés à la maison vers 11 heures. Ma mère écossait quelques petits pois sur la terrasse. Le temps de nous dire un rapide bonjour et nous étions sous la douche, coincés dans la petite cabine où nous pouvions à peine bouger.


Lorsque nous sommes redescendus, tous les deux en jeans et tee-shirt, mon père était revenu du jardin. Il offrit à Margaux quelques brins de muguet tardifs. Elle le remercia, et après avoir demandé à ma mère un petit vase, monta les installer sur la table de nuit dans notre chambre.


Peu après, nous sommes partis pour Sarlat. Dans la voiture, les hommes devant, les femmes derrière, nous avons parlé de tout et de rien. Nous sommes arrivés à Sarlat vers 13 heures, juste à temps pour passer à table.


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Je lui avais promis une séance de chasse photo ; le samedi matin fut propice à cette activité. Nous nous sommes levés tôt, habillés chaudement et avons pris à pied la route de la forêt. Dans son sac à dos, elle emportait un solide casse-croûte et une thermos de café. Je portais le matériel photo.


Au lever du soleil, nous étions à pied d’œuvre, en lisière du bois, sur le champ où j’avais photographié les lièvres. Par bonheur, l’ambiance était à peu près la même. De longues écharpes de brume flottaient à ras le sol. L’air était calme, les feuilles des sommets bougeaient à peine dans un léger souffle de vent. Nous avons repéré un fossé peu profond, bardé de grandes herbes sèches. Nous nous y sommes cachés, allongés l’un contre l’autre, le matériel devant nous prêt à servir.


Nous n’avons pas eu à attendre très longtemps : un chevreuil est arrivé. Un mâle. Il a flairé le vent, attentif à tout ce qui pourrait annoncer un prédateur, puis il a commencé à brouter quelques pousses d’herbe nouvelle. Nous retenions nos souffles. Dans les rayons du soleil levant, sa robe fauve prenait des reflets d’or sombre. Je sentais le bras de Margaux sur mes reins. J’ai fait quelques clichés. Un peu plus tard, c’est elle qui vu la première la femelle. La bête est restée longtemps au bord du bois. Sa tête seule dépassait des carottes sauvages et des chardons secs. À petits pas précieux, elle est entrée dans le champ. Quelques mètres derrière elle, un jeune faon la suivait. Le mâle ne leur prêtait aucune attention. Elle se mit à manger, le petit sautant et cabriolant autour d’elle.



J’ai encore fait quelques photos. Nous avons vu un couple de faisans traverser le fond du pré, se poser un bref instant puis repartir dans un grand froissement d’ailes caractéristique. Le bruit a dérangé les chevreuils ; les têtes des adultes se sont redressées, traduisant l’inquiétude des animaux. Le jeune, lui, continuait ses cabrioles. Nous ne bougions pas, souffle court, essayant de nous fondre le plus possible dans notre abri. Encore quelques photos. D’un coup, sans que rien ne nous le laisse prévoir, les trois bêtes se sont enfoncées dans la forêt. Nous avons compris un instant plus tard quand un couple de renards est apparu à quelque distance de nous, sur le même côté. Nez à terre, écartés d’un jet de pierres, ils ont traversé le terrain découvert. En passant la lisière, l’un des deux a glapi, signalant à l’autre qu’il avait une piste fraîche, puis ils se sont eux aussi effacés dans la forêt. Je n’ai eu le temps de faire que deux ou trois clichés.

La main de Margaux appuyée sur mon dos attira mon attention. Je la regardai : elle était souriante et me mima un baiser.


Il ne se passa rien pendant une dizaine de minutes. Nous ne bougions toujours pas. Le soleil montait toujours dans le ciel. Les trois quarts du pré étaient maintenant sortis de l’ombre. Il ne restait plus qu’une échappe de brume, presque à l’endroit où les chevreuils avaient disparu. Un corbeau survola la forêt et disparut à son tour au-dessus des arbres. Je jetai un coup d’œil à ma montre : 8 h 30. Il ne se passerait probablement plus rien.



Elle m’embrassa tendrement.



Nous sommes sortis du fossé et nous avons étalé nos anoraks en plein soleil. Du sac, nous avons sorti les saucissons, le pain, le fromage et la thermos de café. Chacun un couteau à la main, nous mangions en silence, imprégnés de la quiétude des lieux.



Nous avons bu du café et rangé les restes dans le sac.



La Pierre Basse est une grosse ferme dont les bâtiments dominent un vallon peu profond où s’étalent prés et champs. Nous y sommes arrivés au moment où mon ancien camarade de lycée finissait de décharger un petit camion de caisses à claire-voie dans lesquelles se trouvaient de jeunes canards. Libérés des cages de transport, ceux-ci prenaient contact avec le bâtiment dans lequel ils allaient passer les trois mois à venir et qui les verrait grossir et se préparer à l‘engraissement.



Poignée de mains.



Le camion a quitté la cour, passant sous le porche, suivi par les chiens dont le jeu consiste a priori à tenter de mordre les pneus en aboyant.



Gilbert est devenu rouge comme un dindon !



Même si elle faisait mine de l’être, je voyais à son sourire et à ses yeux qu’elle n’était pas vexée.



La mère de Gilbert faisait sécher sur de la paille des raisins qui étaient ensuite pressés et qui donnaient un vin dont la concentration très forte en sucre l’amenait à un degré d’alcool élevé tout en lui conservant son fruité et une douceur exceptionnelle. Souvent servi avec le foie gras (le fameux bocal), ils se marient parfaitement l’un à l’autre. Question régime, par contre, ce n’est pas l’idéal !

Margaux a aimé, et malgré notre solide petit déjeuner, elle n’a pas laissé sa part.


Julia – la mère de Gilbert – a parlé de ses canards, a expliqué à Margaux l’engraissement, le gavage, les soins particuliers à apporter aux jeunes. À midi, nous étions encore autour de la table. J’ai téléphoné à mes parents pour ne pas qu’ils s’inquiètent et nous sommes repartis après un dernier verre.



En cours de route, nous avons croisé quelques connaissances, ce qui ne nous a pas mis en avance. Nous avons raconté à mes parents notre matinée et mon père m’a demandé quand je me déciderais à faire une petite exposition de mes photos à la mairie. C’est un vieux sujet de discussion entre nous ; lui y tient, mais moi je ne suis pas sûr que mes travaux passionnent les gens du cru : ce sont des images trop courantes qui ne les étonneront pas.


Après le repas, nous avons fait une petite sieste, sage pour une fois. Il faut dire que, fatigués par la balade du matin, nous avons dormi. Le reste du week-end fut à la mesure de ces deux premiers jours : longues promenades, visites aux amis, moments simples et tranquilles en famille. Lorsque nous avons repris le train dimanche soir, nous avons emmené avec nous quelques douceurs préparées par ma mère, et nos têtes pleines de souvenirs et d’images. Arthur s’est laissé enfermer dans son panier sans récriminer.


Paris nous a accueillis le lendemain matin avec son indifférence habituelle. Le temps de repasser chez nous, de libérer Arthur tout heureux de retrouver son territoire habituel, de nous changer, nous étions prêts à repartir au travail.



Je suis rentré vers 20 heures ; j’avais un petit mot de Margaux sous la porte : « Viens dîner ; grand-père t’invite. Tout va bien. Je t’aime. Bisous. M. » Je n’allais pas me faire prier ! J’ai pris dans ma réserve deux bouteilles de Côtes du Rhône, histoire de ne pas arriver les mains vides, et j’ai sonné chez mon voisin.

Margaux est venue m’ouvrir. Nous nous sommes embrassés et avons rejoint le maître des lieux dans la salle à manger. L’accueil a été cordial. Arthur est venu me voir et m’a fait quelques politesses qui ont quelque peu surpris mon voisin.



Pendant le repas et la soirée, nous avons fait plus ample connaissance. Vers 23 heures, j’ai décidé de mettre fin à ce premier contact, mais avant de quitter mon hôte j’ai voulu mettre les choses au clair :



Nos protestations n’eurent que peu d’effet sur sa volonté ; il nous raccompagna à la porte. Margaux prit sa valise et me suivit. Elle l’embrassa ; il me serra longuement la main et referma sa porte.



Moitié somnolant, j’ai repensé aux événements qui avaient précédé. Tout avait été vite, très vite, mais tout se passait bien. Pourvu que ce ne fût pas trop vite.


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Au fur et à mesure que la semaine avançait et que s’approchait le week-end, la tension montait au travail. Plusieurs soirs, je suis rentré tard. Nous dînions parfois chez nous, parfois chez son grand-père. Tout se passait bien. Arthur faisait des allers et retours, semblant très satisfait de sa situation. Il lui arrivait même de passer la nuit avec nous.


Jeudi soir, je suis rentré vers minuit, ayant dîné avec mes Chinois. Elle m’attendait en corrigeant quelques copies.



Elle s’est levée pour venir m’embrasser, passant devant la lampe du bureau. Son déshabillé ne cachait plus grand-chose de sa plastique. Je n’ai pu retenir un sifflement admiratif. Un instant après elle était dans mes bras. Ce n’était pas un rêve ! Sn corps doux et ferme, entièrement offert, plaqué contre le mien m’avait vite détrompé si jamais j’avais eu un doute. Heureusement, du bureau à la chambre, le chemin est court ! Nous l’avons franchi allègrement, mettant à profit sa courte durée pour franchir quelques étapes sur la route du septième ciel.


Ce que j’ai aimé une fois encore, c’est sa totale impudeur, le cadeau qu’elle me faisait d’elle, sans retenue ni interdit. Elle m’avait prévenu : quelques précautions s’avéraient indispensables. Nous les avons prises. Cela faisait longtemps que je n’avais usé un préservatif. Je ne me rappelais plus à quel point un tel accessoire pouvait être à l’origine de jeux de toutes sortes…


Le vendredi matin, nous nous sommes donné rendez-vous directement à l’hôtel vers 18 h 30, heure à laquelle je devais y ramener mes « invités ». Leurs épouses y seraient également, et il était convenu que nous les amènerions à l’ambassade de leur pays où ils étaient conviés par le responsable de la mission commerciale. Un Mercedes Vito flambant neuf avait été loué pour le week-end par Valérie. Margaux et moi étions libres de notre soirée, mais j’avais convenu avec mes deux Chinois qu’il leur suffirait de m’appeler sur le portable, que j’avais emprunté à l’entreprise, pour que je vienne les chercher vers une heure du matin, m’avait-il dit ; nous étions donc tranquilles pour un moment. De la Concorde où se trouve l’hôtel à l’ambassade, à la Madeleine, il ne faut que quelques minutes, même si toute circulation est impossible. Nous aurions tout aussi bien pu faire le trajet à pied, mais avec les dames en tenue de soirée cela ne semblait guère convenable.


Après les avoir déposés à leur rendez-vous, Margaux et moi sommes rentrés directement à l’hôtel. Nous nous sommes fait monter dans la suite qui nous était réservée du champagne et une collation à base de saumon fumé, caviar et autres douceurs du même tonneau. Notre appartement donnait sur la place de la Concorde, et le cadre prestigieux ainsi que le service efficace et discret impressionnèrent ma compagne. Une fois seuls, nous avons passé un moment sur le balcon avant de nous retrancher dans notre nid d’amour.

Nous n’en sommes ressortis que pour jouer les taxis vers 1 h 30, comblés, rassasiés d’amour et d’émotions, ayant vérifié la rumeur populaire qui dit que le champagne donne des idées aux hommes et fait briller les yeux des femmes.


Rendez-vous fut pris avec mes hôtes pour le lendemain matin à 9 heures pour un petit déjeuner commun. Il était 3 h 30 ; tout allait bien et nous passions notre dernière nuit (ou ce qui en restait) ensemble. Mais ça, je ne le savais pas ; elle ni personne non plus.


Le samedi matin, le petit déjeuner nous permit de mieux faire connaissance. Ces dames choisirent, sur les conseils de Margaux, d’aller aux Galeries Lafayette, très loin de l’hôtel, puis elles écumeraient toutes les autres boutiques du secteur. Nous les déposerions en partant pour la Défense et nous nous réunirions vers midi, juste avant d’aller déjeuner, ce que nous avons fait.


La visite de la Défense se déroula sans problème, mes visiteurs appréciant une architecture dont ils ont quelque habitude. Ce qui les enchantait le plus, c’était l’espace des grandes esplanades, la relative fluidité de la circulation, normale pour un samedi. La Grande Arche les a impressionnés, et les différentes vues qui s’offrent aux visiteurs ont été mitraillées sous tous les angles. Je me suis bien amusé à les voir faire, essayant d’imaginer les photos qui résulteraient de cette fébrile accumulation de clichés. Nous avons traîné un moment dans le centre commercial, plus intéressés par l’organisation des lieux que par ce que proposaient les boutiques.


À l’heure dite, nous avons retrouvé les éléments féminins du groupe. À ma grande surprise, elles n’avaient pas l’air d’avoir dévalisé les différents étages. Margaux m’a dit qu’il ne fallait pas se fier aux apparences, et que toutes les dispositions avaient été prises pour que les emplettes de ces dames leur soient livrées directement à l’hôtel.



Elle était parée, satisfaite de sa matinée, les yeux brillants du plaisir qu’elle s’était fait et de la joie de le partager avec moi le soir venu. Nous avons déjeuné comme convenu chez Jean et Magaly. Elle s’était surpassée, et nos hôtes lui ont adressé toutes sortes de compliments que j’ai dû traduire. Chacun est reparti avec son cadeau, enchanté d’avoir découvert une nouvelle facette de la France.


Vers 16 heures, nous nous promenions sur le quai de la Mégisserie, côté fleurs. Nous pensions traverser le Pont au Change pour aller sur l’Ile de la Cité voir Notre-Dame, puis reprendre la voiture au parc sous l’esplanade avant d’aller passer la soirée, « Quai Paris » oblige, au Crazy Horse Saloon.


Les dames étaient devant. Margaux, entre elles deux, parlaient architecture. J’étais derrière avec leurs maris et le même sujet de conversation. Soudain, un scooter est passé et le passager a tenté d’arracher le sac à main de celle des dames qui se trouvait sur le bord du trottoir. Ce faisant, il l’a déséquilibrée, et elle était en train de tomber sur la chaussée quand Margaux s’est précipitée pour la retenir, ou au moins lui éviter la chute devant le bus qui arrivait juste derrière.


Je vois la scène comme au ralenti : le presque plongeon de ma compagne, le bus qui freine, l’invitée qui tombe sur le trottoir, mais aussi la perte d’équilibre de Margaux, sa chute lourde devant le bus. J’ai encore en tête le bruit de son corps frappé par l’engin, puis celui du choc de sa tête. Sur le trottoir, les cris des passants, les coups de freins des voitures, puis après le silence.


Je ne capte plus rien de l’extérieur. Je suis à genoux à côté de mon amour brisé, désarticulé. Elle respire encore ; un peu de sang coule de sa bouche. Elle est livide. Elle ne bouge plus. Madame Wang, qui se relève, à part les genoux écorchés n’a rien. Les femmes de mes invités en pleurs, eux-mêmes très ennuyés mais, comme moi, incapables de réaction. Les gens qui s’approchent, le jeune qui, sur son portable, appelle les pompiers, ce médecin que je n’ai jamais revu, qui s’agenouille à mes côtés après avoir confié l’enfant qu’il tenait à la main à la femme qui l’accompagne.



Je vois encore ce monsieur – il aurait pu être son grand-père – qui sort un plaid de sa voiture pour la couvrir, les pompiers qui arrivent, les premiers soins sur le bitume, les flics qui arrivent bien après. Je téléphone à Christian, lui explique la situation en deux mots et mets mes Chinois dans un taxi ; il les récupérera à leur hôtel. Le brigadier a voulu prendre leurs identités mais a renoncé, se contentant de mon nom et de mon adresse.



Je suis à côté d’elle quand ils l’emmènent à l’Hôtel-Dieu à quelques centaines de mètres de là, enserrée dans une coquille qui la maintenait dans une position « acceptable » pour qu’elle ne souffre pas trop. Les urgences, l’accueil des médecins, leur dialogue avec les pompiers ; l’un d’eux – je devrais dire « l’une d’eux » – qui vient vers moi, s’assied à côté de moi, me parle doucement, comme à un enfant. Je ne l’entends pas, mais elle est là.


Les premiers résultats qui arrivent : fractures du bassin, quelques côtes aussi, l’avant-bras gauche. Traumatisme crânien. Un énorme hématome au temporal gauche. Coma profond. Observation.


Le coup de fil de Christian, qui vient aux nouvelles. Que lui dire ? Il prend la relève et va se débrouiller avec les frères Wang, je ne sais pas comment et ne veux pas le savoir. L’immense gerbe de roses rouges qu’ils envoient et que me donne l’infirmière.



Le médecin-chef qui arrive, qui commente le premier bilan :



La salle vitrée permet une surveillance par les infirmières sans qu’elles n’aient à y entrer à chaque instant. Je n’avais jamais vu un tel enchevêtrement de câbles, tuyaux et autres branchements sur un être humain ! Les bras, le nez, la bouche : chaque possibilité d’introduire médicaments ou de prendre une mesure est exploitée. Son corps meurtri commence à prendre des teintes bizarres : jaunes, bleues, vertes, des taches marquent chaque endroit où un choc s’est produit.



Sur un signe du médecin, j’entre dans la pièce après avoir revêtu une longue blouse, un masque et une calotte. Je m’approche d’elle. Nous sommes seuls. Un carabin discute avec des infirmières dans le couloir.



Paroles dérisoires, mots du cœur que la raison ne peut brider.

Je l’embrasse sur le front, à travers le masque. Piètre contact. Sent-elle seulement quelque chose ? Je la caresse sur la joue puis je ressors, des larmes plein les yeux.



Je le laisse faire et repars avec quelques comprimés. En bas, les flics m’attendent pour compléter leur rapport. Je ne sais même pas ce qu’ils me demandent. Le portable sonne : c’est à nouveau Christian. Nous nous organisons pour le lendemain : les Chinois ont décidé d’abréger leur séjour et de rentrer ; ils ont eu des places en fin de journée sur un vol Air France avec correspondance. Je lui propose de les emmener à l’aérogare puisque lui-même sera reparti.



J’en finis avec la paperasse, les flics, les pompiers, puis je rentre chez moi. Il me faut prévenir le grand-père ; c’est fut pénible, il est littéralement effondré.



Arthur vient. Visiblement, il sent quelque chose. Il tourne un moment dans l’appartement. Je le trouve, plus tard, allongé sur le lit, à la place où elle se couchait. Le téléphone sonne : l’hôtel me propose de me ramener nos affaires ; j’accepte. Je téléphone à mes parents ; ma mère veut monter me rejoindre, mais je l’en dissuade. Plus tard, nous verrons…


Je vais dans le bureau. Je sors notre album, que je feuillète longuement, engourdi, désemparé. J’entre dans le labo où je tire un portrait d’elle en grand tout en développant les photos de notre week-end. Cela m’occupe jusqu’à l’arrivée de Christian. Il reste jusqu’à 21 h 30. Le chasseur de l’hôtel ramène nos affaires.

À nouveau seul, j’appelle l’hôpital. Une infirmière me répond :



Je la remercie.

Je me couche vers 23 heures, avec un cachet. Sommeil lourd. Sans rêves.


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Le dimanche, j’accompagne les frères Wang et leurs épouses à Roissy. Pas facile pour moi. Probablement pas pour eux non plus. Nous parlons peu. Je suis soulagé de les voir embarquer. Ils doivent l’être aussi.


Je passe à l’hôpital. Quelques minutes avec Margaux, seuls. Je lui parle. Je l’embrasse, la touche. Son corps est toujours là ; mais elle, où est-elle ? Le tube d’assistance respiratoire déforme sa bouche, donnant à son visage un air crispé. Elle a été opérée pour réduire la fracture du bassin. Un énorme pansement cache sa hanche. Son bras est maintenu en extension dans une gouttière en matière plastique. Son corps est à peine couvert, juste un drap au niveau du bassin. La voir exposée comme cela aux regards de tous ceux qui passent, même s’ils sont peu nombreux, me met mal à l’aise. Moi qui l’ai vue si belle, j’ai du mal à la reconnaître.


J’ai repéré le moniteur ECG. Chaque jour quand je lui parle ou quand je la touche, je guette une réaction. Il y en a : certaines courbes sont amplifiées, mais je n’y comprends pas grand-chose. Il faudra que je me fasse expliquer.

Une infirmière passe la tête par la porte :



J’embrasse le front de Margaux, lui touche la main et sors de la pièce.



C’est le médecin qui l’a reçue hier. Il me pose quelques questions sur ma nuit. Semble satisfait de mes réponses.



Il me montre les radios d’avant et après l’intervention ; il me semble qu’ils ont fait du beau travail.



Nous nous quittons dans le couloir. Je jette un coup d’œil dans la chambre : rien de nouveau. Je rentre à la maison, me change et vais faire mon tour habituel au bois ; Manuel et sa femme me remontent le moral comme ils peuvent.


Je passe voir son grand-père après m’être douché pour lui donner des nouvelles fraîches ; nous irons la voir ensemble ce soir. Il me fait peur ; il ne quitte pas son fauteuil. Arthur tourne autour de lui et n’arrive pas non plus à attirer son attention.



Notre visite est courte ; il ne peut pas supporter de voir Margaux dans cet état et ne veut pas écouter le médecin de garde.



Je veux le ramener chez lui mais il refuse, préférant rester seul, et nous laisse, le médecin et moi, dans le couloir.



Je reste au chevet de Margaux pendant une heure, lui parlant doucement, surveillant du coin de l’œil l’écran où s’affichent ses réactions, puis je rentre chez moi. Je sonne chez mon voisin ; nous échangeons quelques mots. Il refuse de venir dîner avec moi, me souhaite une bonne nuit et referme sa porte.


Sur mon répondeur, un message de mes parents demandant des nouvelles, et un de Valérie me disant qu’elle rappellerait plus tard. J’ai donne à mon père, qui a répondu, les dernières informations. Il me renouvelle sa proposition de venir à Paris avec ma mère. Nous finissons par nous mettre d’accord sur le fait que ça ne servirait à rien. Ils m’appelleront tous les soirs pour savoir.


Valérie se manifeste quelques minutes plus tard ; encouragements, banalités, sympathie. Quelques détails pratiques à régler.

Un cachet, une douche, une nouvelle nuit seul, de mauvais sommeil.


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Une semaine a passé. Rien de bien nouveau. Toujours le coma profond. J’y vais deux fois par jour. Les infirmières sont sympas, le toubib aussi. Pas plus inquiets qu’au premier jour, pas plus rassurants non plus.

Je reviens chez moi, donne les dernières nouvelles au grand-père que je vois lui aussi deux fois par jour. Très digne, il fait beaucoup d’efforts pour ne pas se laisser aller et craquer.


Il est deux heures du matin. J’ai décidé de raconter toute notre histoire, et depuis que je suis rentré de l’hôpital, j’ai usé de l’encre et du papier.

Arthur vient de rentrer dans le bureau ; comme chaque jour, il me rend une visite. Il a beau y mettre du sien, il ne remplacera pas Margaux. Je lui donne des nouvelles. Il écoute, assis face à moi. Depuis un moment, il ne cesse de regarder le téléphone comme s’il attendait un coup de fil. Je le caresse un peu, ce qu’il accepte, mais sans démontrer un enthousiasme fou.


Voilà, j’ai fini. Tout est dit. Je sais que je ne pourrai pas vivre sans elle. Si elle venait à mourir, j’irais la rejoindre. Cela fera sûrement beaucoup de peine à ceux que j’aime, mais je ne me vois pas traîner une vie sans but, rien qu’avec des souvenirs.


Au moment où j’éteins la lampe du bureau, Arthur proteste en miaulant. Je rallume pour voir pourquoi. Il est toujours là assis à côté du téléphone. J’essaie de l’attraper. Il saute à terre et file vers la porte. Je le suis mais, me passant entre les jambes, le voilà qui remonte sur le bureau et se réinstalle à côté du téléphone.

Les dialogues sont limités entre lui et moi. Nous ne parlons pas la même langue. Je ne comprends pas ce qu’il veut.

Deuxième tentative, à nouveau le même cirque.



Au moment où je vais pour éteindre, le téléphone sonne :



Sacré Arthur ! Sans lui, j’aurais pris mon comprimé depuis longtemps et je n’aurais pas entendu le téléphone. Je le cherche des yeux ; il est déjà reparti.

Je pars comme lui.