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n° 18065Fiche technique9225 caractères9225
Temps de lecture estimé : 6 mn
06/09/17
Résumé:  Vénus se découvre enfin. Petit texte expérimental.
Critères:  f inconnu complexe bizarre exhib fmast nopéné -fantastiq
Auteur : Olivk      Envoi mini-message
Vénus

Vénus… tu parles d’un prénom à la con. Déesse romaine de la beauté et Américaine du tennis, tout le contraire de moi, quoi. Grande perche maigrichonne et noiraude, deux mains gauches et les pieds c’est pas mieux. Je passe chaque matin environ dix secondes devant le miroir, le temps de peigner ma tignasse charbonneuse. Dix secondes maxi, le miroir n’en supporterait pas plus, et pour tout vous dire c’est déjà trop à mon goût.


Vous allez me dire que j’en fais des tonnes et qu’à vingt-trois ans il serait temps que j’arrête de faire mon ado. Que j’ai du charme, quelque part, on n’a pas encore trouvé où, mais quelque part j’en ai c’est sûr… Vous me direz, « la preuve, tout le monde te regarde tout le temps ! »


Tout le monde me regarde, en effet, dans l’escalier, dans le métro, à l’uni, dans la rue, partout. Les hommes comme les femmes. Absolument tout le monde, partout, tout le temps, et cela depuis toujours.


Beaucoup ne se contentent pas de me regarder : on m’aborde, on me propose des verres, des nuits, des alliances, on cherche à me séduire de toutes les manières imaginables, des plus discrètes et subtiles aux plus vulgaires et frontales. Matin, midi et soir, tout le temps, partout.


Et chaque soir, je passe encore une dizaine de secondes à me regarder dans le miroir, à essayer de comprendre. De la tête aux pieds, je ne ressemble à rien et tout le monde a envie de moi. Tout ça n’a pas de sens donc je vais me coucher, de toute manière demain ce sera du pareil au même.




**********




C’est en zappant sur Instagram que je suis tombée dessus. D’abord je n’ai pas compris ce qui m’arrivait, j’ai eu comme de la peine à respirer et j’ai été prise de bouffées de chaleur. D’une main tremblante j’ai scrollé vers le bas, j’ai trouvé les références… et je l’ai commandée aussitôt, sans y réfléchir, comme si une force extérieure avait pris le contrôle de mon corps. Elle coûte les yeux de la tête plus un bras, mais je m’en fous, il me la faut.


Le paquet est posé ouvert devant moi, sur la table de la cuisine. Je saisis la soie dorée du bout des doigts, c’est si léger, si doux, j’ai l’impression qu’elle va se déchirer si je tire un peu fort. Je la sors du carton et la déplie sur la table. Le tissu est si fin que je vois les veines du bois à travers, je n’ai jamais rien vu d’aussi beau. On dirait de l’or pur, tissé puis cousu par je ne sais quelle créature magique… Il faut que je l’essaye.


Pour la première fois de ma vie, je suis debout devant mon miroir un samedi après-midi, et je me sens paumée comme jamais. Je sais ce qu’il faut faire, c’est pas la question : ôter mon vieux pull gris, mon vieux jean délavé, mes sous-vêtements et mes chaussettes, et enfiler cette création divine. Non, le truc c’est que ça n’a aucun sens, cette robe est l’exact opposé de ce que je suis. J’ai dépensé une fortune pour l’objet le plus précieux de tous les temps et je n’ai pas le début d’un corps à peu près valable sur lequel le mettre. Moche et conne à la fois, ça frise l’exploit.


Tant qu’à faire, autant pousser le ridicule jusqu’au bout. Dos à la glace, je me défais de mon pull, je déboutonne mon jean, le laisse glisser au sol et l’envoie d’un coup de pied dans un coin de la pièce. Je dégrafe mon soutien-gorge et l’évacue aussi, pareil pour ma culotte. C’est vraiment n’importe quoi… J’attrape la robe d’or et l’enfile, la sensation est très bizarre, mal à l’aise je me retourne et manque de m’étrangler.




**********




J’ignore qui est cette fille dans le miroir. Je la parcours de haut en bas, bouche bée : une dense chevelure d’ébène qui lui coule sur ses frêles épaules dénudées, ce regard d’émeraude transperçant, des lèvres charnues et… si invitantes… un long cou à l’air un peu fragile… la peau parsemée de quelques taches de rousseur.


Le tissu doré et translucide laisse pointer ses tétons que le large et profond décolleté parvient à peine à cacher, se fait plus serré autour de sa taille de guêpe puis de nouveau plus ample au niveau des hanches… et s’arrête en fines franges à hauteur de l’entrejambe. Des jambes sublimes et interminables, des petits pieds adorables…


Je suis en train de tomber follement amoureuse de cette splendide inconnue. Très lentement, je m’approche du miroir. Elle s’approche aussi, mon cœur bat de plus en plus fort. Tremblante, j’approche mon visage du sien, nos lèvres s’effleurent, je ferme les yeux et elle m’embrasse, d’abord avec tendresse, puis de plus en plus fougueusement. Je sens mon corps entier s’échauffer, devenir moite, j’ouvre les yeux et les plonge dans les siens, son regard me pénètre tout entier, je l’aime et je sais qu’elle m’aime, elle me sourit.


Je décide d’ôter à nouveau la robe, afin de mieux la regarder. Son corps n’est que perfection et je comprends, enfin, pourquoi tout le monde me regarde tout le temps : je suis à coup sûr la plus belle fille sur laquelle j’ai pu poser mon regard. Des sentiments qui m’étaient totalement inconnus m’envahissent, de la fierté, de la volupté… et un amour intense, un amour général, qui n’est pas adressé à quelqu’un en particulier, mais à tout le monde… toutes ces femmes, tous ces hommes qui m’ont regardée, je les aime toutes et tous, inconditionnellement et absolument. Je ne veux plus jamais leur dire non, je veux qu’ils m’adorent comme je les adore, tous, tout le temps et à jamais.




**********




La robe de soie d’or est rangée dans sa boîte, je n’en ai plus besoin. Je me tiens, nue, sur le pas de ma porte. Je descends l’escalier, pousse la porte de l’immeuble et sors dans la rue. Une douce brise printanière se glisse entre mes cuisses, la sensation est délicieuse. Je ferme un instant les yeux et laisse ma main s’aventurer à la poursuite de cette brise. Mon index se faufile entre mes lèvres, frôle mon clitoris, s’y attarde… Je n’ai jamais été aussi heureuse qu’à cet instant précis, je jouis avec douceur et ne peux m’empêcher de rire. La première personne qui me regardera sera la première à qui je m’offrirai. Beaucoup m’auront déjà regardée me donner du plaisir, je n’aurai plus qu’à choisir, ou plutôt non, je ne choisirai pas, je ne suis pas pressée.


Mais personne ne me regarde. Une jeune mère passe à côté de moi avec sa poussette, suivie de quelques étudiants, sur le trottoir d’en face un couple sort de chez le maroquinier et un homme âgé promène son chien. Tous m’ignorent royalement. Éberluée, je regarde autour de moi, d’autres gens passent, mais personne ne semble me remarquer. Pourtant je ne rêve pas, je suis bien là, belle et nue, prête à tout ! Je m’approche des étudiants et leur demande s’ils me voient. Ils me regardent d’un air consterné et l’un d’eux me dit avant de détourner le regard « bien sûr que oui… vous allez bien, mademoiselle ? » J’insiste et lui demande s’il me voit bien telle que je suis. Il me le confirme, mais je comprends qu’il s’en fout complètement.


Je suis d’un coup à nouveau paumée. Enfin consciente de ma beauté, nue offerte au regard de tous, mais je n’intéresse plus personne. Je traverse la ville, à pied, en métro, parfaitement anonyme. Sur un banc, j’aperçois un jeune couple, un beau garçon, une très jolie fille, ils s’embrassent. De les voir s’aimer réveille à nouveau cette chaleur dans mon corps. Je m’assieds dans l’herbe à leurs pieds et les regarde s’enlacer, mes mains caressent ma poitrine, jouent avec mes tétons… je sens l’herbe fraîche contre mon sexe. La main du garçon se glisse dans la chemise de la fille, ses cuisses nues presque contre mon visage. La douceur des sensations qui parcourent mon corps m’enivre, j’ai envie de faire l’amour avec ce garçon et cette fille, mais comment faire s’ils ne me remarquent pas ? Sur le dos dans l’herbe, deux doigts au fond de mon sexe, jambes grandes ouvertes, je me fais jouir à nouveau, mais cette fois intensément et sans retenir mes gémissements. Quelques minutes plus tard, le jeune couple se lève et s’en va bras dessus bras dessous sans me prêter la moindre attention.




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Je suis à nouveau devant mon miroir. J’ai enfilé les vêtements achetés sur le chemin du retour : un top blanc sans manches et un petit short fuchsia bien moulant sur un string noir. Mes cheveux sont attachés en queue de cheval. J’ai aussi acheté quelques produits de maquillage. Même si le résultat est un brin maladroit, je me trouve plutôt belle gosse. On est samedi soir et je m’apprête à sortir pour la toute première fois dans une boîte de nuit. Seule, eh oui. On verra bien !