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n° 18175Fiche technique45831 caractères45831
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23/11/17
corrigé 06/06/21
Résumé:  Une bourgeoise découvre les offres d'Internet et cède à des appétits qu'elle s'ignorait jusqu'à frôler l'indigestion.
Critères:  fhh extracon inconnu forêt hotel cérébral revede fellation cunnilingu pénétratio yeuxbandés -internet
Auteur : Scarlett O            Envoi mini-message
À votre bonheur, Mesdames !

En suivant la soubrette qui la guide, Doris s’étonne encore du peu de réticence qu’elle a opposée à cette folie. La jeune femme lui ouvre une porte capitonnée et l’introduit dans une chambre d’hôtel dotée d’un cabinet de toilette attenant. L’ameublement se réduit à une chaise, un lit couvert de draps seulement et un guéridon sur lequel repose, bien en évidence, un bandeau noir. Ambiance monacale. Le décorum ne la distraira pas de ce qui l’égare ici. Par contre des miroirs, des glaces à profusion envahissant tout, jusqu’au plafond.

Dans son dos, irréelle, retentit l’interrogation :



D’une voix blanche, Doris consent :



La porte claque et, brutalement, la perspective de ce qu’elle s’apprête à subir l’angoisse. Face à l’un des miroirs, elle s’examine. Non, elle n’a vraiment pas l’air d’une pute ; simplement peut-être d’une femme, plutôt élégante, qui attend son amant dans une chambre d’hôtel.


Puis elle couvre ses yeux avec le bandeau élastique. D’une confection remarquable qui lui évitera de glisser inopportunément, il ne comprime aucunement la tête. Même en visant la lumière, rien ne filtre. Sa cécité totale illustre la toquade qui l’a conduite en ces lieux. Doit-il d’ailleurs l’aveugler ou la masquer ? Les deux assurément, sans qu’elle ne parvienne à octroyer une prééminence à l’une de ces fonctions.


À tâtons, elle cherche le lit qu’elle escalade pour s’y allonger. Le contact des draps satinés et frais apaise un peu le feu qui la ronge. Elle s’y étend tournée vers le plafond, et aussitôt toutes ses craintes ressurgissent, assorties de perplexités puériles. Doit-elle ouvrir sa veste, écarter ou croiser les jambes ? Tendue à l’extrême, elle s’agite comme une carpe sortie de l’eau.


Il faut qu’elle se rassérène, qu’elle pense à autre chose, mais à quoi ? Elle erre seule dans les bois, non droites, les guibolles, déployées et non recroquevillées. Les hêtres débourrent, faisant éclater le vert tendre des jeunes pousses ; ils vont inévitablement la prendre pour une vieille. Et ses bras ? Comment les positionner ? Combien donc ce corps, son propre corps, peut-il se révéler encombrant !


Elle pose une main sur son ventre, l’autre le long de son flanc ; une brise agréable chargée de relents d’humus tiède l’enveloppe. Celle-ci exhale les senteurs d’une nature en fermentation, et voilà que maintenant, au moment le plus saugrenu, qu’irrésistible, démentiel, le besoin de faire pipi l’envahit. Va-t-elle s’abriter derrière ces buissons ? Ses escarpins ne sont guère propices à de telles escapades. Aucun importun n’étant en vue, elle peut uriner au bord du chemin en toute discrétion. Sûr, ils vont débarquer pendant qu’elle se soulagera. Elle s’accroupit en baissant sa culotte qui s’accroche aux jarretelles ; a-t-on idée de divaguer en forêt dans un tel équipage ? Elle essaie de se hâter ; hélas, plus que jamais, elle libère les grandes eaux de Versailles. Elle enlève son bandeau et se précipite aux toilettes où elle ne lâche que quelques gouttes, puis revenant sur le lit, renoue avec son rêve.


Elle stationne là sur la sente, toujours baissée, toujours captive de son interminable miction quand apparaissent deux bûcherons, gaillards hilares qui viennent droit sur elle. Ils l’ont vue et s’empressent. On frappe à la porte. Ils vont lui infliger cette punition qu’elle redoute, qu’elle mérite, qu’elle attend et espère. Elle aimerait hurler « Non, encore cinq minutes, je serai prête ! » Cinq minutes dont elle profiterait afin de s’enfermer ou de s’enfuir. En s’inscrivant, elle a opté pour le mode silence selon lequel l’absence de réponse équivaut à un assentiment. Elle se borne à réprimer un soupir.


Elle entend la porte s’ouvrir, et immédiatement son univers bascule tandis qu’elle perd conscience de ce qu’elle fait et est.


Comment en est-elle arrivée là ?


* * *



Tout avait débuté par une dispute l’opposant à Patricia, sa sœur cadette de cinq ans, un brin délurée qui, une nouvelle fois, ce soir, lui avait reproché son existence de nonne.



La suite avait été à l’avenant avant qu’enfin Patricia ne déclare :



Elle essaya de refuser quoiqu’étant, elle dut l’admettre, assez curieuse des effets du manège. Après moult tergiversations, elle accepta de se plier au jeu, très ennuyée pourtant de devoir au plus vite s’inventer un galant. Le jeune stagiaire qu’elle entraînait depuis deux mois aux arcanes d’Excel ferait l’affaire. Patricia coupa le courant, les plongeant dans une nuit totale.


Lorsque des mains – celles de Laurent, le stagiaire donc – se posèrent sur sa croupe, elle ne sut réprimer un soubresaut. Elle les attendait ailleurs. Où ? Elle n’en savait rien, mais surtout les attendait. Elles parcoururent son postérieur d’effleurements légers, juste de quoi l’élever au-dessus des vicissitudes de la réalité, et elle se laissa aller à l’alanguissement dévergondé qui la gagnait.


Quand elles refluèrent sous sa jupe pour musarder, paisibles, jusqu’au haut de ses cuisses puis se faufiler, effrontées soudain, dans sa culotte, elle frissonna en écartant instinctivement les jambes. Il faut croire qu’elle avait bien endossé son rôle, car dès ce moment elle perdit complètement la tête. L’image de Laurent qu’elle avait d’abord convoquée céda promptement sa place à celle d’un anonyme dont les desseins lui échappaient totalement, ce qui redoubla son excitation. Elle sentit sa vulve se dilater et s’humidifier déjà, avide d’autres attouchements.


Les visiteuses se retirèrent trop tôt et se reportèrent vers son poitrail, furetant délicatement sous le mohair de son chandail avant de se glisser dans son soutien-gorge. Ce faisant, elles n’arpentaient pas, comme celles de Jean Pierre, terrain connu et conquis d’avance. Cela les rendait hésitantes, mal assurées, fébriles, et leur émotion se transmettait en frémissements délicieux à son épiderme, la galvanisait en se propageant à travers tout son corps. Elles malmenèrent ses sensibilités d’agacements et de pincements impétueux mais stimulants.


Son cœur battait la chamade et une impression d’évasion et de plénitude la submergea. Elle ignora si ce fut l’incongruité de la situation, le sentiment d’une vulnérabilité, celui de transgresser des interdits solidement ancrés, ou simplement l’obscurité complice qui la rendit plus réceptive et plus attentive à ses émois. Elle ressentit toutefois nettement l’accélération de son pouls, le durcissement de ses seins et une envie folle que ces doigts, humides de sa mouille qui trituraient ses tétons retournent à leur première besogne pour s’y investir plus profondément. Dévorée d’impatience, elle pivota, tentant de saisir les lèvres étrangères qui bécotaient son cou.


La voix de Patricia la tira de son illusion :



Elle ralluma la lampe, sifflant la fin de la récréation et huma sa main droite toujours inondée de ses liqueurs.



L’expérience l’avait cependant perturbée si fort qu’elle s’en étonna. Cette épithète de salope lancée par sa sœur l’avait d’abord cinglée et blessée. Il lui semblait n’y répondre en rien, et elle ne briguait nullement ce titre. Bientôt, il résonna bizarrement à son oreille. Elle constata, non sans effarement, que « salop » ne désignait pas le masculin de « salope », et que les deux recouvraient des notions très différentes ; si le premier référait à un ensemble de pratiques déloyales et malhonnêtes, son féminin suggérait, quant à lui, un monde trouble de désirs obscènes satisfaits, communément occulté par l’imposture des convenances.


Cette fièvre toutefois retomba vite et elle oublia cet incident.


* * *



Une quinzaine plus tard, alors qu’elle dînait au restaurant avec son mari, celui-ci lui raconta les frasques de son collègue, Aurélien, lequel livrait son épouse en pâture à d’autres hommes en observant la scène. Cela s’appelle « candaulisme », et leur couple appréciait cette pratique, à ses dires. Son récit exposa tant de détails, soutenus par tant de réalisme qu’elle se demanda s’il n’avait pas tenu le rôle du larron s’interposant entre les époux, mais présuma davantage encore qu’il essayait de la dévoyer en lui faisant miroiter de telles turpitudes.


Ce second épisode vint réactiver celui vécu chez Patricia, et dès lors, en se renforçant mutuellement, ils la sensibilisèrent à des dépravations dont, il était vrai, elle s’interdisait jusqu’à l’évocation. Ils la déstabilisèrent tellement qu’avec un peu de honte elle s’enquit auprès de sa sœurette du nom du site qu’elle avait prôné. Celui-ci, enjôleur, s’intitulait À votre bonheur, Mesdames ! Elle ne voulut qu’y jeter un coup d’œil, par simple curiosité. On y présentait des vidéos de femmes de tout âge, à la recherche de divertissements illicites. L’une d’elle la bouleversa si considérablement qu’elle l’obséda pendant les journées qui suivirent. D’autres pages promouvaient les services de la maison qui, moyennant finance, proposaient des rencontres dites « sur mesure ».


Pour la première fois, Doris s’évada, la nuit, en rêves érotiques durant lesquels elle s’éveillait à l’instant fatidique, furieuse ensuite de ne pas parvenir à en reprendre le cours. Quand elle s’occupait de son stagiaire, elle l’imaginait maintenant égarant des doigts inquisiteurs sur ses charmes, puis constatait que son chemisier bâillait un peu plus que la décence ne le permettait. Dans la rue, il lui arrivait de reconnaître un inconnu comme celui qui l’avait pelotée chez sa sœur et d’ourdir d’improbables entrevues, d’échafauder de fantastiques enlèvements qui la livreraient à lui, soumise de force… ou de gré.


Elle revint au bonheur de ces dames et se risqua, rien que pour voir, à une réservation en remplissant l’interminable questionnaire interactif. Bien sûr, au moment de valider et de payer – une addition conséquente, d’ailleurs – elle se déconnecta.


Les symptômes alarmants d’un mal pernicieux se multipliaient au fil des jours.


* * *



Une semaine plus tard, à l’heure du pseudo rendez-vous, elle fantasma un maximum tout en se traitant de gourde, ne concevant plus ce qui l’avait dissuadée de se concéder cette fantaisie. L’après-midi fut de surcroît détestable, et lorsqu’elle rejoignit le bercail, elle couvait une humeur de dogue.


Elle se précipita sur son ordinateur et, sans préméditation, se retrouva bientôt devant le formulaire de réservation. Celui-ci aurait été d’une fastidieuse longueur s’il n’avait aiguillonné mille pensées lubriques qui la plongèrent dans de rêveuses perplexités. Il contenait les inévitables interrogations portant sur l’identification, les mensurations, sur le nombre, le sexe et l’âge des servants souhaités.


Il fournissait aussi une quantité infinie d’options : pratiques postulées (une liste allant du baiser à la sodomie et à la fessée) ; attitude : active ou passive ; type de rapport : tendre, normal ou violent ; mode : silencieux (on ne cause pas) ou bavard ; filmé ou non (dans ce cas, elle serait la propriétaire exclusive de la vidéo) ; aveugle (bandeau) ou caché (masque) ; présence d’un tiers (le mari éventuellement), champagne, et bien d’autres encore. On précisait que les pénétrations seraient obligatoirement protégées. La cliente disposait de toute latitude pour modifier ces options au cours de la séance ; cependant, à moins qu’elle ne le fasse, celles-ci s’imposeraient à ses partenaires.


Elle avait alors coché, un peu hâtivement, selon ses fantasmes et appréhensions du moment, et voilà que maintenant elle s’offre, là, pantelante, sur ce lit, derrière cette fermeture matelassée qui étouffera ses hontes et ses plaisirs.


* * *



Elle entend la porte s’ouvrir, et immédiatement son univers bascule tandis qu’elle perd conscience de ce qu’elle fait et est.


Elle a l’impression que tous ses sens se réveillent, dotés d’une acuité perceptive inusitée. Elle s’apaise aussi sachant que les dés sont jetés, et que sous peine de sombrer dans le ridicule, elle n’aura plus l’opportunité de se dérober.


Ils sont bien deux ; Doris le sait sans comprendre ce qui la renseigne, peut-être leur souffle, ou leurs pas. Elle les devine prenant position autour du lit, jaugeant leur proie, échangeant entre eux des signes convenus, se moquant de sa poitrine ou trop menue ou trop volumineuse à leur gré. Rien, le noir intégral, un vide total, et elle bout intérieurement. Une agaçante attente la contracte ; elle s’impatiente déjà d’être baisée céans, tout de suite, ou du moins qu’on la lutine et l’entreprenne, fût-ce pour la malmener.


Dans le questionnaire, elle avait certes décidé d’une approche progressive dépourvue de brusquerie, mais là, cette entrée en matière se fait trop longue et il devient irritant de constater à quel point rien ne se passe. Rien ? Pas si sûr, car elle mûrit la détonation de son cri, l’appel tonitruant au plaisir. Les élans qui la crispent l’arquent dans une douloureuse tension, gonflent ses artères dont le sang afflue à ses tempes qui bourdonnent tapageusement.


Soudain, l’un d’eux s’assied sur le lit, à son côté, et elle tressaille. Il doit penser que voilà une singulière prétendante, une novice en tout cas. La déclivité qu’il creuse dans le matelas la fait glisser vers lui, imperceptiblement ; néanmoins, elle y perçoit un abîme qui l’aspire. Une main finit par enserrer son genou. Une main totalement inconnue, une main qui n’est qu’une main ! Celle d’un quidam anonyme qui, dans la foule du métro, vous pince subrepticement les fesses, celle d’un stagiaire timide qui effleure votre épaule ; non, plus vague encore, pas même une main, seulement un contact.


La soie du bas amortit la sensation, la rend diffuse et la filtre, y ajoute ces petits crissements presque inaudibles, si distinctement suggestifs d’une étoffe fine que l’on froisse. La pression se mue en chatouille, en un picotement qui difflue dans sa cuisse, grimpe dans ses lombes. Quand Doris apeurée couine, la baladeuse se déplace et s’insinue entre ses guibolles. Une intention évidente la guide, et elle a hâte qu’elle consacre sa honte en atteignant, là-haut, la peau nue. Doit-elle se rebiffer, rien qu’un peu pour ne pas lui faciliter la tâche, sauver un semblant de dignité ? Tout ceci correspond parfaitement à sa demande qui exprimait la volonté de rester passive. Toutefois elle bout à présent du désir d’en découdre. Cette apathie, qui la voue au rôle de peluche soumise à des attouchements luxurieux, exaspère et stimule son émotivité mais autant la contracte et la raidit comme pucelle effarée.


Elle les attendait pianotant à quatre mains, quatre mains voraces se jetant sur elle pour la déshabiller ! On est loin du compte : il n’en est qu’une qui déjà la rend toute fièvre. Non, deux autres la rejoignent, badinent avec les boutons hauts de sa veste. Que vont-elles penser quand elles constateront qu’elle ne porte que ses sous-vêtements en dessous ? Ces considérations ne les arrêtent guère et sans achever le déboutonnage, l’une d’elle se précipite sous les guipures de son soutien-gorge. La première accède à l’échancrure du bas et flâne maintenant sur cette lisière. Doris se félicite du choix de son accoutrement : des jambes nues l’auraient offerte trop immédiatement, cadeau privé d’emballage ; un sage chemisier blanc aurait constitué une hypocrite dissonance.


Des doigts nerveux éraillent son tétin, d’autres triturent la jarretelle, se divertissent avec le caoutchouc coincé dans l’anneau de métal, s’égarent tantôt vers la fragilité de ses chairs légèrement boursouflées par compression de l’élastique. Ces phalanges n’appartiennent pas aux mêmes propriétaires : les unes trahissent de courts ongles arasés ; les autres, sur son sein, sont griffues comme patte féminine. Elle les appréhende telles des banderilles susceptibles de se planter dans la délicatesse douillette de ses appâts, de les lacérer, et cette évocation l’effarouche autant qu’elle l’enchante.


La fouineuse d’en bas déserte bientôt des lieux pourtant conquis que Doris brûlait tant qu’elle investisse. Ces agacements sont si provocants qu’elle ne résiste pas à caresser discrètement son ventre puis à ramper vers son pubis qu’elle taquine à travers sa jupe. Elle se dit qu’on toucherait au comble si, après avoir payé afin qu’on la propulse au septième ciel, elle finissait par se masturber !


Une patte non identifiée, bouillante et rêche, vient appuyer sur la sienne. Elle l’accroche et tente de la contraindre à plus de virulence, mais cette dernière, puissante, rabat et immobilise son bras contre son flanc avant de s’enfuir et de s’activer fébrilement sur la boucle qui ferme la barrette de son escarpin. Elle s’ignorait les chevilles zone érogène et n’aurait en aucun cas soupçonné les fulgurances que peut générer une serre les agrippant ; elle a l’impression que des étincelles fusent de la soie qui les ensache, dessinant des images fugaces refluant du passé. Surgit ainsi d’abord sa mère, la grondant doucement d’avoir crotté ses « souliers du dimanche », puis Jean-Pierre, occupé le soir de ses noces, au massage de son pied tuméfié à force de danse, tout en briguant de s’élever au plus vite le long de la jambe qu’elle lui tend.


Son aveuglement favorise-t-il ces flashs, ces fugitifs éblouissements qui pourtant racontent des scènes entières ? C’est aussi un fourmillement diffus de décharges électriques plus excitantes qu’agréables. Elle lâche un jappement affolé. Jamais Doris n’avait prêté attention aux ongles de son conjoint au cours de leurs câlins, pas plus qu’elle n’avait songé à l’impudeur d’un pied déchaussé, juste couvert d’une fine résille tendue, suggérant les pâleurs d’une peau qu’elle dissimule autant qu’elle l’exhibe et livrée sans recours aux attouchements magnétiques de convoitises salaces dopées par des bruissements taquins. On roule rudement son soutien-gorge par-dessus ses seins, divulguant les marques rouges que les armatures ont imprimées sur son épiderme.


Ces traces, disgracieuses certes, dénoncent une vulnérabilité qu’elle déguste en frissonnant, heureuse presque de se sentir aussi frêle. Elle qu’un déshabillage à de simples fins médicales regimbe déjà, goûte ici à de vrais ravissements, s’exalte des sensations très vives que lui procure l’immodestie de sa tenue largement défaite. Elle frétille en se représentant cette demi-nudité qui la rend plus chienne que toute nue. Nul besoin, sous le masque, d’afficher une contenance ou de cacher un regard mêlant désarroi et lubricité.


Il lui semble se jeter en pâture à la concupiscence universelle, à toute la gent des mâles en rut. Elle sous-estimait, avant ce jour, la délectation que suscite le sentiment d’être l’objet d’un désir aussi diffus que général. Avantage des yeux bandés, la réalité présentement s’efface, ne bride point les chimères et elle s’invente deux Apollons dévoués à son contentement. La râpe d’une barbe éraille enfin ses sensibilités exacerbées, des incisives tenaillent son mamelon érigé. L’empoignement ferme d’une mamelle la pousse à s’imaginer une seconde en Héra mordillé par Héraclès, éclairant l’obscurité du ciel de la Voie Lactée tandis que sa cécité s’illumine d’un feu d’artifice.


Dès lors, ils constituent des duettistes remarquables qui ne lui laissent plus le moindre répit. À peine une main la quitte-t-elle qu’une autre amorce son service et les assauts se multiplient. Sa jupe remonte, dévoilant une jarretelle noire tendue sur la peau nue dont elle surligne la blancheur. Elle s’enorgueillit désormais de son outrageuse et divine indécence. Le satyre qui ouvre ses cuisses, émoustillé par le spectacle, l’en récompense en déchaînant des ardeurs qui, à merveille, encouragent ses ferveurs. Il y glisse une paluche chaude et aguichante, l’agite sur les frous-frous de sa culotte et, en se coulant sous l’élastique, muse en dérapages très, trop contrôlés aux abords du sanctuaire. Aussitôt, Doris se soulève afin de simplifier la tâche qui la libèrera de cette entrave. Vains apprêts, car il dédaigne son effort, patine autour du triangle voluptueux, lance des accélérations foudroyantes puis freine brutalement et se retire, coupant le contact. Il lui devient insupportable de n’être plus que le jouet de leur fantaisie ; il lui faut maintenant entreprendre une action quelconque, quitte à briser un autre engagement du contrat.


Exaspérée, elle tressaille et se secoue sur le lit. Son bras bat l’air alentour et agrippe un slip distendu. « Comment donc, ils ne se sont pas seulement entièrement dévêtus ? » Et soudain, fulgurant, irrépressible, un caprice séditieux la bouleverse : elle veut cette queue ! Une pulsion sauvage et déchirante, totalement déraisonnable s’empare d’elle et se traduit dans une obsession insensée qui la harcèle. Bien sûr, souvent elle a désiré sentir un pénis la pénétrer… rien à voir ici. Elle ne veut pas d’un godemiché au service de sa jouissance : elle veut une pine concrète et vivante pour en apprécier tous les reliefs, forme et contexture, relents et épanchements. Elle veut la détailler et la pétrir de main et de bouche. Elle veut la bouffir au point qu’elle écartèle ses mâchoires, vienne heurter sa luette tandis que ses grosses veines pulseront contre son palais. Elle veut téter le velours du gland lustré de sa bave, la déhiscence du méat en pleurs et le torturer à petits coups de dents. Ces volontés l’extirperont de la passivité dans laquelle elle s’est emprisonnée.


Elle tire sur le slip et s’empare du sceptre qu’elle palpe et hume. Elle n’a, elle, aucune intention de s’attarder en vains amusements, de faire grimper une tension qui la submerge déjà. De toutes ses forces, elle comprime la turgescence à sa base puis l’ingurgite, d’un seul coup, jusqu’à la garde. La voilà retombée, avec un zèle effréné, au stade oral, étudiant et s’appropriant les objets de façon buccale.

D’autres évocations la sollicitent, et l’un des rêves des dernières nuits revient la hanter.


Elle se trouve isolée dans la grande salle d’un musée qui consacre une exposition aux odalisques. Entourée par leur indifférence picturale, elle s’étend sur la banquette centrale et pose en imitant l’une de ces figures d’Orient. Ainsi allongée entre ses sultans, elle savoure l’insigne privilège de la beauté. À la manière de ses modèles, elle s’estime en mesure d’inoculer les plus folles passions et augure que tout individu doit se ployer à ses charmes vénéneux. À leur instar, la tête rejetée en arrière, perdue dans des songes lascifs, elle se discerne bientôt enveloppée uniquement d’une étoffe diaphane et tétant avec dévotion l’embout d’un narguilé dont elle pompe les effluves aphrodisiaques. Elle s’acharne, suce et lèche le bec de ce calumet comme s’il devait en jaillir des substances vitales. Le monde – son monde – se condense désormais à cela, cette sucette qui coulisse entre ses doigts et ses lèvres. Ses seins qu’elle effleure furtivement se nouent de douloureuses crampes, subissent de cuisantes lancées, des pincements violents et des succions sonores.


Un bruit détourne son attention vers l’angle le plus obscur de la pièce où elle distingue une ombre qui l’observe en se masturbant. Instantanément, la voilà rhabillée et fuyant dans le lacis des galeries. À l’issue d’une ébouriffante cavale, elle se fige sous une pluie battante dans le jardin du musée orné d’une pléiade de statues blêmes. Elle se tient là, à nouveau nue sous les transparences de la voilette, affublée toutefois de ses bas et escarpins. Elle assortit de la sorte l’albâtre à l’ébène et à l’écarlate. D’opale en effet, sa peau et le voile ; de jais sa chevelure, son regard et ses bas ; de vermillon enfin ses lèvres, tétons, sexe et chaussures. Des paquets d’embruns plaquent la fine batiste sur les munificences de son buste, y révélant, en vastes auréoles, des splendeurs dont l’horripilation équivoque trahit les fougueux frémissements. Elle attend et redoute la forme ténébreuse qui ne tarde pas à camper sa masse sombre face à elle.


Un hurlement enfle sa gorge ; elle voudrait crier. Cependant, un étrange bouchon la bâillonne ; un nœud tissant épouvante et tentation dans sa trachée la condamne à jouer de la trompette em-bouchée. Alors elle ondule au rythme de ses propres mains qui sculptent ses galbes, se déhanche et s’abandonne dans des poses luxurieuses et obscènes. La frêle mousseline s’envole et ses bas s’affaissent sur ses mollets.


Pour sa part, la silhouette a repris son onanisme sur une colonne démesurée qui ne cesse de croître et de se dilater, aspirant toute sa matière. Quand elle pressent la prochaine déflagration de cette baudruche, avide, elle se porte en avant et se retrouve à Pompéi. Des trombes de feu ainsi qu’une averse de cendres brûlantes s’abattent sur elle, précédant un déluge de sperme qui, en bouillante cascade, la recouvre et la statufie, la transformant en un marbre inédit décorant le parc. Toute la vision est bien sûr plus désordonnée, brouillée de perceptions parasites et paradoxales, sillonnée d’éclairs, bousculée par de rugissantes bourrasques.


Jaloux des prérogatives de son acolyte, le second compère suspend ses caresses et se relève. Après les froissements significatifs d’un rapide déshabillage, il rejoint sa place sur le lit, nettement plus offensif. Ils encadrent son corps tremblant pendant que, de chaque main, Doris fourbit un pénis bandé. Elle partage sa goule vorace entre les deux braquemarts et, s’appuyant alternativement sur chacun de ses coudes, essaye de les contenter également. Elle s’imagine déjà dégustant la crème expulsée en jets violents au fond de sa gorge. Jamais elle n’a avalé, mais sait qu’elle n’hésitera pas cette fois. Complaisamment dirigé, l’envahisseur défonce son gosier dont il ressort à l’issue de quelques va-et-vient tout suintant de fils de bave. Bientôt, elle ne sait plus où donner de la tête et de la langue. Sa cécité ne lui offre que des morceaux d’organismes démembrés, des pattes fébriles, des gueules gloutonnes ou des triques incandescentes, plus rarement un bras, un visage, un ventre ou un torse dépourvu de continuité entre eux. Elle apprécie assez en définitive que ce soit ces organes dépecés qui la fassent jouir, et leur dédoublement brouille plus encore leur identité, renforçant l’effet.


Le ballet des phalanges insatiables se poursuit indéfiniment sur son corps exacerbé avant qu’enfin elles n’entreprennent de plonger sous ses vêtements pour agripper et lui enlever sa culotte. Aussitôt, sans la moindre hésitation, comme auparavant elle s’arque, se soutenant sur ses épaules et ses pieds, fesses en lévitation, afin de faciliter cette besogne néanmoins très vite contrariée par l’obstacle du porte-jarretelles. Adulé précédemment en tant que support de phantasme, le voilà relégué au rang de fâcheux et traité fort cavalièrement lorsqu’il ralentit de nouvelles entreprises. Même avec son mari, quand elle dévoile ainsi la part la plus secrète de son anatomie, elle éprouve toujours, après des années cependant, une pointe de confusion, délicieuse au demeurant. Là, elle espère qu’ils savourent le tableau.


Ils l’ont tant faite monter en pression qu’elle se trouve réduite à l’état de cocotte-minute chauffée à blanc et s’apprête à fuser en jets volcaniques dès qu’on lui retirera la soupape de dentelle imbibée de ses sucs. D’ailleurs, de cocotte, elle vérifie autrement – mais à merveille – le nom, se dit-elle.


Qu’est-ce donc qui accroît si étonnamment sa réceptivité ? La cécité qui l’aveugle sur ses turpitudes, l’extravagance de la situation échappant aux routines trop bien ancrées ou le fait de braver un interdit en jouant avec des allumettes dans le dos de sa morale bourgeoise ? Tous ces éléments s’amalgament et de concert composent un irréel qui lui permet de douter de sa véritable implication. Véritable pourtant, ce frisson qui atteint une ampleur inhabituelle, véritables aussi ces nuées ardentes qui l’incendient. Tout à l’opposé de la gêne, son impudence lui procure une volupté insolite qui la survolte.


Lorsqu’une rafale d’irrévérence s’engouffre sous sa jupe, afin d’en ouvrir la cloche elle écarte ses jambes et fait miroiter, au bout d’une indécente perspective cernée par l’obscurité mystérieuse de la soie, la toison noire engluée d’une mouille qui en agglutine les crins. Une tête ébouriffée s’y aventure et vient sans retard déposer un baiser de feu sur son minou déjà en fusion. Immédiatement, elle lâche une salve, non de vapeur, mais de ses stimulants élixirs. Ça tète, pourlèche et se régale des prodigalités qu’elle dispense fièrement. Pendant qu’une langue chafouine flatte ses profondeurs intimes, des doigts habiles titillent ses boutons, tous ses boutons, tétons et clito conjointement. Comme toute inflorescence prête à l’éclosion, ceux-ci se gonflent des sèves thésaurisées. Spasmodiquement, elle appuie sur la pelote chevelue et la plaque convulsivement contre son sexe pour encourager la visiteuse qui la dévore à une fouille complète de son boudoir secret. Jamais elle n’a été aussi prolixe d’ahanements, à croire qu’elle veut ébranler ce mur de ce silence auquel elle s’est condamnée.


Quand aux souplesses de la fureteuse se substitue la rigidité ferme d’un boutoir, elle jette son bassin en avant. Elle crève d’attendre cette double charge dans sa bouche et son vagin qui viendra la consacrer bacchante et l’écarteler. L’un des hommes pèse sur ses cuisses et la pénètre lentement ; l’autre a saisi sa nuque qu’il tire vers son Priape érigé. Les deux dards la harponnent simultanément ; deux vagues torrides la transpercent et la fauchent. Très vite, elle a l’impression que ces deux bites se rejoignent la ramonant de la cave au grenier, le sentiment de penser avec sa chatte et de jouir dans ses méninges.


Calmement, le second partenaire relève ses jambes et les pose sur ses épaules, décollant légèrement son postérieur de la couche. Elle ressent ainsi mieux le pal qui la perfore et sur lequel elle se resserre. Le mouvement s’accélère, sa conscience vacille, ses neurones court-circuitent et son pouls bat la chamade. Succèdent des lumières traversées de hurlements, des stupeurs qui la suffoquent, des fulgurances déchirées de bêlements étranglés qui parfois semblent balbutier une triade de « oui » faibles, noyés dans d’autres chuintements. Tous ses repères s’effacent. Est-elle en forêt, dans le jardin d’un musée, sur un nuage ? Où l’on voudra, mais certes pas dans la chambre capitonnée d’un boxon. Elle se transforme en réceptacle de forces déchaînées, des pétards explosent sous son crâne et elle crépite tels les grains de maïs enfermés dans une cassolette surchauffée. D’une main, elle agrippe désespérément les burnes qui s’agitent sous son nez ; de l’autre, elle griffe férocement le lin innocent ou le fustige de toute la vigueur de son poing contracté.


Un éclair !

La foudre la frappe !

Enfin !

Déjà !…


Elle se cambre, longtemps, longtemps… et retombe accompagnée par un interminable roulement de tonnerre qui doucement s’atténue. Elle sombre dans un état comateux tandis qu’une immense dépression l’aspire ; celle que creusent ces vits en se retirant trop prestement. Sa gorge libérée voudrait moduler un long brame mais, empoissée d’un fluide épais et gluant, presque aphasique, elle n’émet plus que de pauvres vagissements, expectorations de son âme. Pour la première fois depuis qu’elle a enfilé le bandeau, l’obscurité se fait totale, une nuit d’encre qu’aucune perception ne vient estomper et elle comprend qu’elle a atteint l’œil du cyclone. Inanimée, pantelante et désarticulée, ils la font glisser sur le côté puis la retournent afin de l’établir à quatre pattes. Elle subit la manœuvre comme lorsqu’elle se laisse rouler par les houles d’une mer démontée. Elle a perdu toutes ses marques, toute volonté, et se perçoit lourde et repue.


Cependant, autour d’elle on s’active à nouveau.


Derrière, on fourrage contre ses fesses qu’elle écarte sans plus d’embarras ; devant, on tire ses cheveux, la contraignant à se redresser et à placer ses lèvres face à un phallus qui n’a toujours pas retrouvé l’apogée de sa forme. Ce geste achève de réveiller. Doris, qui déteste qu’on malmène sa tignasse, éructe un « aïe ! » strident. Aussitôt, docile à l’injonction, son spadassin interrompt ce tourment.


Elle se dédouble maintenant, se conçoit fractionnée en deux entités distinctes coexistant dans le même cerveau. Il y a elle, aveugle, se prostituant sur ce lit et s’abandonnant à d’effarantes infamies, et il y a elle, très semblable, à peine décalée, les yeux grands ouverts, exultant des allégresses de cette jumelle et les démultipliant en y applaudissant. Elle se fait de la sorte voyeuse de son exhibition.


Et ressurgit brusquement cette troisième luronne, celle qu’elle avait oubliée en forêt, au bord du sentier, qu’elle retrouve là, rejaillissant soudain dans ses divagations fantasques.


Les deux bûcherons qui l’ont surprise en position de faiblesse profitent de cette aubaine et se jettent sur elle. Loin de s’en effrayer, elle ne leur oppose pas la moindre résistance. Avec la célérité qui appartient aux rêves, ils se dénudent et apparaissent, athlétiques, puissants et velus comme des ours. Sans égards mais sans violence, tout en force calme, ils la plient à quatre pattes sur les gravillons pointus du chemin. Pendant que l’un des faunes remonte sa veste dans son dos pour trancher à l’aide d’une machette gigantesque les dérisoires bretelles de son soutien-gorge, l’autre, le barbu hirsute, rabat sa jupe sur ses reins afin de cisailler les brides de sa culotte. Ses bas se recroquevillent progressivement et l’un d’eux s’enroule juste au-dessus de son genou. Quel tableau organise-t-elle ainsi, jupe boudinée autour de la taille, veste troussée sur les épaules, soutien-gorge roulé sur les seins, culotte entortillée autour d’une cheville et jarretelles défaites se balançant à la cadence de ses soubresauts ? Elle s’ébaudit de cette indécence qui l’expose dans un éclat sauvage qu’elle s’ignorait, la révèle à elle-même dans sa bestiale et triomphante nudité, la cabre dans des convulsions libertines dont elle ne se soupçonnait pas capable. Elle se pose là, rayonnante, quoique dorénavant en loques, proie geignante offerte au sacrifice.


Les yeux de son imaginaire ne quittent pas le sceptre majestueux, raide, dur, luisant qui quête l’hommage de sa langue, et quand la seconde verge vient battre aux portes de son plus intime asile, elle veut crier son acquiescement. Trop tard, déjà une bonde de chair obstrue son gosier. Elle gobe dès lors ces virilités avec avidité. Lorsqu’elle sent qu’on l’embroche, elle perd toute lucidité et sa raison, à l’exemple de ses habits, s’effiloche. Ils ont échangé leur rôle, la queue qu’elle absorbe a certes un goût de foutre mais différent, et les relents du caoutchouc d’un préservatif s’y mêlent.


Les deux pilons distendent à présent respectivement son vagin et sa bouche et les gaillards synchronisent parfaitement leur rythme auquel elle accorde celui de ses mamelles ballantes. Peu à peu, d’autres forestiers, débardeurs ou gardes-chasse les entourent et se délectent de la danse endiablée des nichons pendants. L’accordéon de son corps, grand soufflet organique – à moins qu’il ne faille dire orgasmique – ondule, s’étire et se comprime tandis que des doigts agiles s’escriment sur son clavier dont tantôt ils n’effleurent qu’à peine les touches, tantôt les défoncent sauvagement. Son postérieur tangue selon la mesure. Elle s’ébroue ; cela débute par un vif tressaillement de la tête puis, comme chez une chienne, une onde court au long de ses vertèbres, se propage de cou à cul, secouant sa croupe et ses jambes ébranlées par le tsunami. Avant qu’elle n’atteigne ses orteils, un second rouleau, pareil, bien que plus fort, et encore un autre, toujours sans s’affaiblir, croissant même d’impétuosité.


Elle aimerait prolonger son spasme, conduire à son apogée ce double mouvement de contraction et de détente qui la love. La jouissance sanctifie plusieurs fois ses chairs et elle lâche par intermittence une plainte rauque quand les cuisses velues percutent les siennes dégoulinantes de sève luxurieuse. Se compose une enivrante symphonie qui conjugue des clappements infâmes aux gargouillis de ses succions lorsqu’elle enduit de son écume perlée la hampe qu’elle avale. L’épieu de poupe maintenant se retire, vient trépider et frapper contre ses fesses, à l’orée de sa petite porte.


Un instant, transportée par ses élans, elle hésite à renoncer à cette ultime virginité. L’insistance déférente de l’engin lui fait comprendre que bien qu’elle n’ait pas coché la sodomie, son assaillant peut penser que ses dispositions ont changé depuis. Entre deux râles, entre deux succions, elle hésite à lui enjoindre « Oui, vas-y, bourre-moi le cul ! » Plus que la vulgarité de la chose, celle du propos la retient.


Lasse d’attendre un assentiment qui ne vient pas, la pique retourne au havre précédent et se venge des dédains infligés par une hargne renforcée. Le kaléidoscope des visions de Doris s’emballe dans un tourbillon insensé toutefois, au lieu d’images claires, ce sont des gerbes d’étincelles qui flamboient. Et puis le big-bang : elle s’agrège en une singularité initiale qui éclate en myriade d’étoiles. Ses tensions la galvanisent à tel point que cela se traduit d’abord par un soulagement, un reflux qui draine sa substance et la suspend en apesanteur. Oui, elle flotte dans un néant indéterminé, se sent très légère ou plutôt ne se sent plus. Après, elle s’éteint graduellement, se réduit à l’état de pauvre chiffe dépenaillée, rompue et tordue, tremblante encore au souvenir des caresses lascives qui l’ont célébrée. Derechef, elle s’abîme en profonde léthargie. « Dans le noir, lui avait-on déclaré, on ne saurait subir le vertige. » Rien de plus faux, ou alors il existe des noirs fondamentalement différents.


Combien de temps reste-t-elle ainsi prostrée ?


Des bruissements lui apprennent que les bûcherons se rhabillent et s’éloignent. Leurs comparses, tous les autres, se sont retirés sur la pointe des pieds tandis qu’elle prolonge sa torpeur. Elle éprouve le sentiment d’avoir été broyée. Ses chairs, sa conscience sont désagrégées en éléments hasardeusement enchevêtrés. Ils sont les fragments d’un puzzle qui lentement reprennent leur place, s’ajustent et s’imbriquent pour la reconstituer. Des élancements la vrillent toujours et elle aimerait qu’ils perdurent ; cependant, insensiblement, ils se dissipent afin de se muer en une langueur confuse et heureuse. Conjointement, en elle, vrombissent déjà les desseins de nouveaux délires, de défis insolites, d’envies follement plus indécentes et perverses.


Resurgit soudain la question : est-ce cela être salope ? L’interrogation lui paraît plus absurde que jamais. Elle a répondu à des exigences charnelles en s’ouvrant des horizons insoupçonnés sans léser qui que soit. A-t-elle trompé quelqu’un ? Pour tromper, il faut être deux, avoir partenaire ! Si être salope consiste à s’offrir à un inconnu, elle mérite assurément le titre, sauf que l’inconnu, en l’occurrence, ne se constituait que de membres disloqués et disparates, n’était qu’une ombre dans la nuit ! Si tromper revient à encourager de louches concupiscences, elle n’a excité que les siennes propres. Elle ne voit pas en quoi son comportement susciterait les grasses connotations qui enluminent l’ambiguïté de la salope. Pourtant, elle n’envisage pas d’entraver, à l’avenir, des outrances générant de tels éblouissements et s’évade, dès à présent, vers d’autres nébuleuses perspectives qui l’embrasent avant même qu’elle ne se les formule explicitement.


Quand elle retire son bandeau, la chambre lui apparaît étrangère ; les densités d’une forêt touffue, des toilettes publiques, une loge d’opéra, le porche d’une porte cochère, le cellier d’un restaurant ne la surprendraient pas davantage. Elle ne se souvient plus de ces lieux, ou cela date d’il y a mille ans, d’une autre vie, alors qu’elle ne cédait pas au besoin de voluptés lubriques. Pis, elle ne se reconnaît pas vraiment dans le mensonge des miroirs qui la reflètent. En se réajustant une certitude s’impose : dans les corridors de la maison, elle va immanquablement croiser sa sœur, Patricia.


Dans le couloir, elle se fait furtive, mais ne se presse pas. Toute frémissante, elle tente de s’évoquer ce que dissimulent les portes fermées ; oui, pourquoi pas dans une loge à l’opéra ?