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Temps de lecture estimé : 18 mn
05/05/18
corrigé 06/06/21
Résumé:  L'histoire d'un couple du début du XXème siècle : la campagne, les bordels, la guerre, et moi.
Critères:  fh couplus extracon cocus ascendant oncletante alliance religion prost humilié(e) hmast fellation pénétratio journal lettre confession mélo historique -amourdram -beaupere -inceste -tarifé
Auteur : Tito40      Envoi mini-message
Augusta, ou mourir de chagrin

J’ai été conçu un soir de septembre 1913 alors que mon père rentrait du service militaire. Ses parents – mes grands-parents, donc – exploitaient une ferme au beau milieu de nulle part. Une vie de labeur, de labours, de battages, de récoltes, de disettes ; une vie misérable, mais heureuse. Mes parents n’étaient pas mariés, et mon papa fut peut-être maladroit ce soir-là, mais on me dira, plus tard, à quel point il était amoureux. Alors mariés ou pas, ce qui compte, c’est l’amour qu’on se porte et qu’on transmet.


On a célébré les noces à retardement. Je regarde souvent la photo de famille de l’époque, une photo en noir et blanc bien sûr, un peu passée. On y voit les mariés, heureux, les frères et sœurs qui deviendront mes oncles et tantes, les parents qui deviendront mes grands-parents, quelques cousins et cousines, des enfants qu’on a oubliés, un soleil indirect qui donne une chaleur particulière au cliché. Je sais que je suis là, mais on ne me voit pas. Peut-être, d’ailleurs, sont-ils les seuls à savoir que je suis là, que j’arriverai bientôt.


Ma maman, Augusta, semble bien frêle. Elle est pâle et maigre, mais un sourire radieux illumine son visage tourné vers son mari, mon père. Une image peut parler, il suffit de saisir l’instant. Le photographe qui a saisi ce moment ne l’avait peut-être pas vu au moment où il a demandé à ses sujets de sourire, mais on ne voit que ça : l’amour dans les yeux brillants de ma mère. On dirait presque qu’elle en pleure tellement elle est amoureuse.


Pleurer, elle en aura bientôt l’occasion quand mon père sera mobilisé, qu’il quittera la ferme pour prendre le train pour l’Est. Elle en aura encore l’occasion quand la gendarmerie viendra lui annoncer qu’il ne rentrera pas, qu’il a été d’un courage exemplaire au moment de sortir des tranchées au contact de l’ennemi, qu’il est mort pour se patrie. Mais elle ne les croira pas ; elle continuera d’espérer qu’il revienne, et mourra finalement de chagrin. J’avais six mois.


Je n’ai évidemment aucun souvenir personnel de mes parents. Ce que je sais d’eux, on me l’a raconté. Mais cette photo, la seule qui les réunit, parle toute seule. J’en ai fait tellement de copies qu’ils sont immortels.


Toute ma vie j’ai cherché la perfection, celle d’un amour sans limite, d’un amour total dont on peut mourir. Et j’ai failli réussir. Mais jamais, au grand jamais, je n’ai senti dans le regard d’une femme le même amour que celui qu’Augusta, ma mère, avait pour Robert, mon père, ce héros.


Les jeunes gens de mon âge, à l’adolescence, n’avaient d’yeux que pour les jolies paires de fesses bien rondes ou les opulentes poitrines des blondasses un peu délurées. Je ne dis pas que ça ne faisait rien quand je voyais un joli petit cul, bien sûr, mais ce sont les yeux qui m’obnubilaient. Le regard, le nez, la maigreur et la blancheur, le sourire heureux, c’est ça que je recherchais.


J’avais 32 ans quand j’ai été contacté par un cousin qui travaillait sur l’arbre généalogique de la famille. Il avait dix ans de plus que moi, et surtout il avait vécu dans la demeure familiale jusqu’à la disparition de nos grands-parents. Il avait ainsi eu accès aux tiroirs, aux cartons et autres boîtes qui renfermaient l’intimité de cette grande famille.


Avec lui, je suis entré tout doucement dans de détail des histoires enfouies, au gré de photos, de lettres, de cartes postales, qui toutes nous en disaient un peu davantage sur les gens de cette époque. Ainsi, j’ai découvert que ma grand-mère, avant de connaître mon grand-père, avait vécu une courte histoire avec un prêtre. Il avait failli se défroquer pour elle, mais la pression que lui avait fait subir sa famille l’en avait dissuadé. Il s’était fait muter dans une paroisse du Sud, et on ne l’avait pas revu. Ma grand-mère était restée seule quelques années avant de rencontrer mon grand-père à qui elle aura donné onze enfants, dont quatre mourront durant la Grande Guerre, dont mon père. Dans le livret de famille, on voit douze enfants : mon grand-père avait eu la grande délicatesse de reconnaître un enfant jusque-là illégitime, fils inavouable d’un ecclésiastique, qui mourra à l’âge de dix ans de la variole.


Roland, mon cousin, semblait tout savoir sur la famille. Mais à chaque fois que je voulais parler avec lui de ceux qui me touchaient le plus, il semblait un peu embarrassé. Il changeait de sujet. La magnifique et triste histoire entre Robert et Augusta, dont je suis le fruit, semblait ne pas trop le passionner. Ce n’est qu’au bout d’une année, alors que nous avions exploré toutes les branches et passé des nuits à en discuter, qu’au détour d’une petite phrase sibylline j’ai refusé qu’il change de sujet. Je voulais savoir. J’avais acquis la conviction, à la longue, qu’il ne voulait pas que je sache.


Il a longuement hésité, puis m’a passé le flambeau, m’a transmis l’indicible.


Il me manquait un élément essentiel en regardant la photo de mariage de mes parents ; et cet élément essentiel, je ne pouvais évidemment pas le voir. Derrière son trépied, demandant aux sujets de sourire devant l’objectif qu’il venait d’orienter, se trouvait un photographe très en vogue à l’époque, un certain Eugène.


Eugène deviendra plus tard reporter de guerre. Il couvrira les exactions des troupes allemandes, immortalisera des tombées en grappes d’obus au gaz, saisira la détresse des barbus dans les tranchées, captera les regards d’hommes prêts à mourir pour leur pays, et laissera tomber son appareil quand son bras sera arraché par un éclat, avant de se vider de son sang en regardant le ciel.


Ce que ne dit pas la photo, c’est à quel point ce mariage le touche. J’ai découvert qu’il y avait l’histoire officielle, celle qui me sera rapportée avec emphase, la larme à l’œil, et qui me convaincra que mes parents ont vécu une histoire d’amour absolu qui s’est terminée par le trépas. Et puis l’histoire vraie, celle qui restera enfouie dans les consciences et partira dans la tombe avec tous ses acteurs. Ou presque tous.


Peut-être ma rencontre avec Roland, distante au début puis devenue plus intime, aurait-elle dû ne jamais se produire. J’aurais poursuivi ma vie dans cette recherche de la perfection ultime, de la quête de l’amour absolu, et aurais-je quitté cette vie avec mes illusions intactes. Mais il en fut autrement, et la vérité n’est pas si belle.


Augusta, pour faire simple, était une fieffée salope. Elle avait eu des aventures nombreuses et variées. Elle avait une sale réputation dans un rayon d’un jour de cheval, ce qui était énorme à l’époque. Edmé, le père de Roland – et donc le frère de mon père – avait pris l’habitude, dans son jeune âge, de fréquenter une maison close de la ville la plus proche. À l’époque, on y accompagnait les puceaux pour se faire pomper par une professionnelle quand ils avaient eu la mauvaise idée de ne pas parvenir jusque-là à se faire déniaiser. Edmé avait eu cette chance, finalement, de perdre sa virginité avec une dame qui savait y faire. Et dans le cheptel de l’endroit, il avait remarqué une jeune fille à l’air très timide, maigre et peu avenante, mais qui avait un regard à faire fondre les banquises. Il s’était promis de revenir ; et il le fit, régulièrement. Elle avait peu d’expérience, comme lui, mais mettait une énergie toute particulière pour satisfaire ses clients. Augusta, ma mère, avant de connaître mon père, avait écarté les cuisses dans un bordel. Quel choc ! Edmé, que j’ai connu, avait donc eu le bonheur de m’humilier à titre posthume en se faisant offrir le plus beau des cadeaux : la chatte de celle qui me donnera la vie plus tard.


Erreur de jeunesse, passade excusable ? Que nenni. Edmé était tellement attaché à Augusta qu’il lui avait fait une pub d’enfer, et qu’elle avait du coup réussi sans se casser le tronc et s’établir une clientèle fidèle et assidue, généreuse du morlingue et de la queue.


Mon père, lui-même, a tiré son premier coup avec elle, accompagné par Edmé. Il était ressorti du bordel les couilles vides et la tête pleine de rêves. Il était convaincu d’avoir rencontré la Madone en personne. Son frère avait eu beau le mettre en garde, il était reparti persuadé d’avoir rencontré l’amour entre les cuisses d’Augusta. Et il n’en dormit plus durant des semaines et des mois. Il allait sans arrêt au bordel pour la voir, parler avec elle, lui compter fleurette. Le plus souvent, il payait et ne la baisait même pas. Il voulait d’elle, de son temps, de son sourire, et par-dessus tout il savait qu’en la monopolisant il empêchait les autres clients de venir profiter d’elle. Elle était gentille avec lui, lui faisait les yeux doux, et mon père était convaincu qu’elle était aussi amoureuse de lui qu’il l’était d’elle.


Il a fini par la demander en mariage. Augusta, qui se voyait jusque-là terminer sa vie comme une vieille pute rabougrie, s’est sans doute crue sauvée par ce messie inattendu qui ne voyait que sa beauté, ses qualités, et formait avec elle des vœux de vie éternelle. Elle a quitté le bordel pour s’installer à la ferme avec la famille. Tout le monde la haïssait pour ce qu’elle avait été, sauf les frères de mon père. Elle est restée quelque temps sérieuse, mais elle ne refusait que rarement une faveur, surtout à des gens qui travaillaient dur pour nourrir une bouche de plus. Elle a été la fiancée de tout le monde. Mon père n’en savait rien, ou en tout cas il n’a jamais dit qu’il savait. Augusta aimait les hommes, tous les hommes. Le pouvoir qu’elle exerçait sur eux tenait à l’extase qu’elle leur procurait quand elle s’occupait d’eux avec soin.


Quand depuis le début de votre vie on vous a bercé dans l’illusion que vous seriez le fils d’une sainte, je vous assure que c’est un peu perturbant… J’avais, lors de ces révélations, un recul suffisant pour ne pas sombrer dans une déprime délétère. Mais c’est quand même dur à encaisser.

Il a poursuivi sur le chemin de la vérité, me tenant par la main, petit à petit.


Augusta est « tombée » enceinte entre le retour du service militaire de mon père et son rappel lors de la mobilisation. Selon Roland, qui par recoupements de lettres diverses est parvenu à reconstituer le fil, Augusta était peut-être déjà enceinte avant qu’il ne rentre. Mes oncles, bien sûr, y étaient peut-être pour quelque chose. Mon grand-père, c’était également possible. Mais plus encore, le photographe avait-il peut-être réussi à la mettre dans son lit.


Roland avait découvert, cachée dans les combles de la ferme, une boîte métallique à biscuits remplie de photos en noir et blanc. Elle était bien cachée, cette boîte, et c’est durant des travaux d’isolation qu’il avait mis la main dessus au moins vingt ans après qu’elle a été mise là.


J’ai dû insister pour les voir, mais Roland n’y a consenti qu’après de longues semaines. Je savais que les photos existaient, ça me pourrissait la vie. Il aurait dû ne jamais me les faire voir, sans doute, garder ça pour lui. Mais je me demande après coup si finalement il n’y avait pas une sorte de sadisme dans sa démarche.


Vous l’aurez compris, le sujet de ces photos, c’était ma mère. Une jeune femme superbe, rayonnante, d’une beauté éblouissante, libre comme l’air à une époque à laquelle les femmes vivaient à l’ombre de leurs maris. Elle était belle, ma mère, mais elle était nue, aussi nue qu’on puisse l’être. De nombreuses photos étaient dans la suggestion, dans l’ombre portée, dans le fantasme. D’autres, plus rares, mais plus violentes, la montraient totalement offerte à l’objectif, écartant outrageusement ses jambes ou se caressant pour lui. Assise au sol, le dos au mur, les jambes repliées et écartées, une main qui écarte ses chairs, une autre qui vient pénétrer son vagin béant, ma mère regardait son sexe brillant d’humidité en se léchant les lèvres. Comment imaginer que le photographe n’avait pas ensuite profité de l’instant pour venir sur elle, la pénétrer, la baiser comme une salope ?


Mais la pire photo, celle qu’il aurait dû détruire s’il en avait détruit une seule, c’était celle où l’on voyait ma mère, appuyée contre une poutre, et le photographe derrière elle, dont on ne voyait que la moitié du sexe. Il avait dû mettre le retardateur et venir la prendre devant l’objectif, comme une trace de leur luxure, comme un témoignage de leur amour, peut-être.


Je ne me suis pas remis de cet épisode. Cette femme que je vénérais pour ce qu’on m’avait dit d’elle, mais aussi – et surtout peut-être – en raison de cette maudite photo de mariage où finalement je ne voyais plus que duperie et mensonge, n’avait été qu’une traînée. Il fallait que je m’y fasse, que j’envisage ma vie sur ces bases nouvelles, mais il me fallait du temps.


Quand je crus enfin être capable de redresser l tête, Roland est revenu avec des nouvelles. J’ai imaginé un instant qu’il voulait me pousser à la folie, mais au point où j’en étais, je ne voyais pas ce qu’il pourrait me révéler de plus insupportable que ce que je savais déjà.


Il avait gardé chez lui des dizaines de lettres de l’époque, écrites par mes arrière-grands-parents, mes oncles et tantes, ainsi que par mon père et ma mère.

Naturellement, c’est sur cette dernière correspondance que je me suis jeté.


Même en en sachant plus sur le passé trouble de ma mère, j’ai tout de même senti une émotion très forte en touchant les pages qu’elle avait noircies de sa main. Des papiers jaunis, pliés mille fois, rangés dans les enveloppes d’origine qu’elle avait collées de ses lèvres.


J’ai mis des semaines à tout lire. Leurs échanges ont commencé quand mon père était au service militaire. Les premiers courriers étaient courts, concis, amoureux, pleins d’espoir quand elle écrivait, pleins de rancœur quand c’était mon père. Il n’aimait pas les armes, il n’aimait pas l’armée, mais ce qu’il détestait par-dessus tout, c’était d’être éloigné d’elle, de la savoir au milieu d’hommes jeunes qui pour certains l’avaient connue au bordel. Il avait peur qu’elle ne le trompe avec eux, et le lui répétait à chaque lettre.


Si au début elle niait en lui répondant qu’elle n’aimait que lui, ses dénégations se sont progressivement transformées en aveux. Il savait. Il ne posait plus de questions sur le fait qu’elle ait ou pas connu d’autres hommes, mais sur « avec qui ».

Quelques échanges m’ont éclairé sur leur relation d’alors :



Mon tendre amour,


Je profite d’un moment de calme pour t’écrire encore, en espérant que tu ne m’oublies pas. J’ai hâte de rentrer chez nous et de t’épouser. Je t’aime tellement. En sachant que plusieurs de mes frères sont à la ferme, que mon père peut-être aussi te cajolerait volontiers, je ne peux que te pardonner d’avance si d’ennui tu as succombé. Ton corps est tellement chaud, ton cœur tellement grand, ton appétit tellement entier, que je supporte comme un fardeau pesant que tu puisses me faire porter des cornes le temps que je rentre. […]


……



Mon amour pour toujours,


Je voudrais te serrer dans mes bras, sentir ton corps contre le mien, et ton sexe m’honorer comme il le fit si souvent. Mais la conscription est une contrainte douloureuse pour nous tous, et je me sens seule. Je te remercie vivement de ta compréhension si douce de mon triste sort. J’espère que toi aussi tu trouves çà et là du réconfort dans les bras de quelque fille de joie. […]


……



Mon tendre amour,


Ainsi mes craintes sont-elles fondées. Tu me feras sans doute confiance en me disant qui profite de ton corps en mon absence. Je ne lui en tiendrai pas rigueur. Mais si nous voulons une longue et belle vie une fois que nous serons mariés, il nous faut tout nous dire, que ce soit déplaisant ou pas. Quant à moi, je n’ai pas eu l’occasion, encore, de profiter des bordels de campagne. Et pour être tout à fait honnête, je n’en ai pas le goût. Je préfère encore me caresser sous ma couverture en pensant à nous. Je dois bien t’avouer que depuis quelque temps, je n’ai qu’à fermer les yeux et t’imaginer vivre l’extase dans d’autres bras pour conclure ma séance. Mettre un visage sur le corps qui te couvre me ravirait davantage. […]


……



Mon amour pour toujours,


Il ne te reste ce soir que 6 mois et 14 jours de service à effectuer. Je compte les jours, les heures et même les minutes. J’ai tellement hâte de te retrouver. Ici il fait frais, mais beau. J’ai entendu dire que dans l’Est, là où tu es, le temps est neigeux et rigoureux.


Quand tu es parti, tes frères m’ont fait comprendre qu’il me faudrait payer de ma personne, en ton absence, pour qu’ils me viennent en aide matériellement. J’ai refusé poliment malgré leur insistance. Ce n’est pas que je n’en avais pas envie ; après tout, ils te ressemblent, mais ça me semblait malsain. Il me fallait tout de même survivre, et pour cela je suis retournée chez Mme Dozières pour vendre mes charmes. Ça n’a duré que quelques semaines. Ton petit frère Hyacinthe est venu pour son déniaisement, et il m’a vue. Je n’avais d’autre choix que d’accepter que ce soit avec moi qu’il perde sa virginité, contre la promesse qu’il me fit de n’en parler à personne. Il te ressemble beaucoup. Il est grand, fort, beau, viril, tendre, et assez endurant. Il m’a fait l’amour comme un homme d’expérience alors qu’il débutait, et j’y ai pris beaucoup de plaisir. Seulement, quand nous en avons eu terminé, votre père l’attendait dans l’entrée. Il m’a giflée avant de quitter la maison en claquant la porte. Puis quelques instants plus tard, il est revenu seul alors que j’étais encore là, au milieu de l’entrée, le visage dans les mains, à pleurer sur mon sort. J’ai cru qu’il allait me frapper à nouveau, mais au lieu de ça il m’a prise par le bras, m’a tirée vers ma chambre de passes et a refermé la porte derrière nous. Il m’a prise dans ses bras en me caressant le dos et s’est excusé pour m’avoir frappée. Il m’a embrassé les cheveux puis le front, et je ne sais pas trop qui a commencé, mais nous nous sommes vite retrouvés nus dans le lit. Nous avons fait l’amour. Ton père est un paysan brutal et dur au mal, mais dans un lit, c’est un amant formidable. Il m’a fait jouir à plusieurs reprises, au point que j’ai failli perdre connaissance. J’avais l’impression d’être avec toi en plus âgé, en plus mûr. J’espère que tu me pardonneras, et à lui aussi. Ce fut un moment d’égarement dont nous n’avons plus parlé. […]


……



Mon tendre amour,


J’étais loin d’imaginer que mon père avait profité de toi. Ma colère est noire comme la suie dans les canons. Je te pardonne, mais pour lui ce sera plus difficile. Quand nous serons mariés, nous irons vivre loin, très loin, juste tous les deux. Quant à Hyacinthe, je suis finalement heureux que sa première expérience avec une femme, il l’ait eue avec toi. Il cherchera toute sa vie une femme aussi belle et aussi tendre, et j’espère qu’il trouvera.

Mais dis-moi, mon tendre amour, est-ce à dire que depuis cette anicroche du début de mon service tu es sage comme une image ? J’ai peine à l’imaginer. […]


……



Mon amour pour toujours,


Je te savais homme ouvert et à l’écoute ; tu m’en apportes encore la démonstration. Merci pour ta compréhension. Tu n’es pas là avec moi, mais tu es là partout quand même. Je t’aime tellement…


J’ai poursuivi un peu l’éducation de Hyacinthe. Il est venu me voir assez souvent la nuit, quand tout le monde dormait, pour me réchauffer. Quand j’étais avec lui, j’avais l’impression d’être avec toi, plus jeune. Je dis « j’avais » parce qu’il a rencontré une jeune fille tout à fait charmante, et que depuis il ne me regarde même plus. Ils vont se marier très rapidement, car elle est enceinte. Tes parents et les siens sont furieux, mais dans l’obligation de régulariser. D’ailleurs, il faut que je te dise que le nouveau photographe du village, que tes parents ont fait venir pour préparer les noces, est plus qu’insistant. Il me fait sans cesse des avances très directes. Je dois dire que si je n’étais pas ta promise, je me serais peut-être laissé faire. Il me plaît beaucoup, mais il n’est ni client ni proche de la famille ; je l’éconduis donc régulièrement. […]


……



Mon tendre amour,


Je ne te remercierai jamais assez pour ta franchise. Je te remercie encore aussi pour Hyacinthe. S’il a pu séduire cette jeune fille, c’est sans doute grâce à l’assurance qu’il a prise à ton contact. Et s’il la satisfait au lit, c’est sans doute aussi grâce à tes conseils. Heureusement, quand même, que ce n’est pas à toi qu’il a fait un enfant : nous aurions été dans de beaux draps !


Si le photographe se montre si assidu à te courtiser, c’est parce que tu es la plus belle femme de la région. Je ne peux pas lui en vouloir. Te regarder, c’est admirer une œuvre de Dieu. Quant aux hommes qui n’ont pas envie de toi, c’est qu’ils sont aveugles ou idiots. Il me vient une idée folle en t’écrivant : accepterait-il de faire des photos de toi nue ? J’adorerais en recevoir une avec ta prochaine lettre. […]


……



Mon amour pour toujours,


Je dois t’avouer que ta dernière lettre m’est parvenue alors que j’avais déjà accepté une invitation du photographe à visiter son atelier. Edmond a tenté de m’embrasser, mais j’ai refusé. Je me suis sentie très salope de le faire languir ainsi, en venant chez lui. Mais je suis repartie sans qu’il ne me touche. C’est drôle d’ailleurs que tu parles de photos, parce que c’est exactement ce qu’il m’a proposé. Il voulait que j’ôte ma robe pour me photographier, et j’ai évidemment décliné poliment. Il en a été fort déçu. Mais c’est promis, la prochaine fois, j’accepterai. Je te joins une photo qu’il a prise de moi, mais tu peux voir qu’elle est très sage. La prochaine, c’est promis, le sera moins. […]


……



Mon tendre amour,


Te lire est le seul plaisir qui me reste. Grâce à cette magnifique photo que tu m’as envoyée, j’aurai aussi celui de te voir en me masturbant. Mon excitation sera rendue encore plus intense en imaginant l’érection du photographe au moment de te demander de quitter ta jolie robe pour lui. […]


……



Mon amour pour toujours,


J’ai attendu quelques jours pour t’écrire, une fois n’est pas coutume. Il me fallait attendre qu’Edmond développe les clichés qu’il a réalisés de moi, et que nous choisissions ceux que tu pourrais apprécier. Samedi prochain, c’est le mariage de Hyacinthe. Le ventre de sa future épouse commence à s’arrondir, il est temps. Edmond sera là le week-end pour le mariage, et je ne manquerai pas, la prochaine fois, de t’envoyer quelques photos. Mais avant cela, tu trouveras déjà dans cette enveloppe de quoi éveiller tes sens.


J’ai accompagné Edmond chez lui. On est allés dans son studio et je lui ai dit que j’avais réfléchi, que j’étais d’accord pour faire des photos dénudées. Tout en parlant, j’ai ôté ma robe et mes sous-vêtements. Me mettre nue devant un homme est habituellement assez insignifiant pour moi, mais là, j’en fus un peu plus troublée que d’habitude. Peut-être était-ce de savoir que tu allais voir les clichés plus tard, ou le fait que la situation soit si anormale… En tout cas, je n’étais pas seulement disposée à me montrer, mais encore j’en éprouvais une envie énorme.


Je te raconterai tout en détail, mais sache tout de même qu’Edmond n’a pas fait que des photos. Il a aussi profité de la situation pour me toucher, et nous avons fait l’amour. Plusieurs fois. Il a même participé à quelques poses dont tu trouveras la trace dans l’enveloppe. J’espère que tu n’en seras pas fâché.


J’ai dormi chez lui plusieurs fois depuis, mais nous ne faisons plus de photos. Nous faisons l’amour et profitons de ces bons moments. Je t’aime tellement, mon amour, que même avec lui entre les cuisses ou dans mon cul, c’est à toi que je pense, c’est toi que je vois. […]


……



Mon tendre amour,


Edmond a beaucoup de chance. Je te vois à genoux devant lui, figée par la photo. Lui t’a vue de plus près, tremblante et chaude. Il a vu ton sexe, le sien qui te pénètre, son gland qui te perfore, tes fesses qui bougent quand il les percute. Moi je n’ai qu’un instant figé. Il a senti ta sueur, l’odeur de ta chatte. Il a entendu tes cris et tes râles. Je suis jaloux, mais c’est tellement bon de te voir ainsi… Je t’aime tellement que j’ai envie que tu jouisses sans cesse avec lui jusqu’à mon retour, qu’il te fasse l’amour à ma place, qu’il t’aime comme je t’aime. […]


……



Mon amour pour toujours,


Il est beau, Hyacinthe, sur les photos, n’est-ce pas ? On dirait toi. Et le petit ventre de son épouse est tellement mignon…


Edmond est triste, mais moi non. Je suis heureuse comme jamais. Tu rentres bientôt, et il sait que c’est avec toi que je veux vivre pour toujours. Il fera les photos de notre mariage, mais il ne me touchera plus quand tu seras là. Pour le moment il profite, largement, mais il est devenu triste, et je n’y trouve plus vraiment mon compte. Il faut quand même que je te fasse part d’une préoccupation : je n’ai pas eu mes règles. Edmond a refusé plusieurs fois de se retirer pour jouir, et comme une idiote, pour lui être agréable, je n’ai pas insisté. Le mois dernier, je n’ai même plus essayé. Je te joins une photo qui a été prise exactement à un moment où il jouissait en moi. L’expression de mon visage en dit long sur le plaisir que j’y ai pris, n’est-ce pas ? Tu sais, c’est quand même plus agréable et valorisant pour une femme de sentir son amant se répandre au fond de son vagin plutôt que dans sa main, mais le risque est grand. Peut-être le risque est-il d’ailleurs à l’origine du supplément de plaisir qu’on en tire, mais voilà, je suis peut-être enceinte. Il ne le sait pas, et je ne le lui dirai que si tu me le demandes. […]


……



Mon tendre amour,


Je n’osais même pas imaginer pareille excitation. Savoir que cette photo a été prise à ce moment d’extase partagée est outrancièrement excitant. Ne lui dis rien. Ce sera notre secret. Tu n’auras sans doute pas l’occasion de me répondre : notre train quitte le quai après-demain. Je rentre enfin chez nous !


Je t’aime tellement fort, mon ange…



Ainsi, à l’évidence, je n’ai pas été conçu en septembre 1913, mais probablement en juillet, dans un studio de photographe, par une mère adultère et un cocufieur patenté. Je ne suis pas né prématurément, comme on me l’a dit, mais conçu prématurément. Mes parents se sont aimés passionnément, sans doute même un peu trop.


Il n’y a qu’une seule lettre d’elle, écrite après le départ de mon père pour la guerre, et une seule réponse qu’il lui a faite, et qui ressemble à un adieu tellement il était persuadé de ne pas revenir des tranchées. Elle est morte de chagrin, rien ne m’en fait douter.


Après ces révélations, j’ai changé de métier, changé de ville, changé d’amis, changé de vie. J’ai eu plusieurs femmes, des « femmes des autres », pour ne pas risquer de vivre avec elles. Je n’ai pas eu d’enfants, et je termine ma vie avec un lourd fardeau que je vais poser là, sans descendance.