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Temps de lecture estimé : 16 mn
11/05/18
Résumé:  Accablé par son nouveau travail, notre héros fait une singulière expérience de paralysie du sommeil. Il y croise la femme de ses rêves, mais a le malheur de prendre un peu trop ses songes pour des réalités.
Critères:  fh inconnu hsoumis cérébral revede attache fantastiqu -fantastiq
Auteur : DrFaustroll            Envoi mini-message
Qui s'étrangle s'étrange

Je traversais une période particulièrement stressante de ma vie. Rien qui ne sorte de l’ordinaire, je crois ; j’étais juste sensible aux récents changements de mon train de vie quotidien. J’avais emménagé dans une nouvelle ville que je ne connaissais pas afin de pouvoir commencer un nouveau travail qui ne me laissait aucun répit. C’était l’opportunité d’une vie, une place dans un prestigieux cabinet d’architecte, et j’avais laissé derrière moi ma campagne, mes amis et mes habitudes pour tenter ma chance après avoir passé l’entretien d’embauche avec succès.


Le premier jour, l’un de mes collaborateurs m’avait clairement fait comprendre que la période d’essai serait rude, que la direction souhaitait me mettre à l’épreuve afin de voir ce que j’avais dans le ventre. Je m’en doutais un peu, mais la réalité fut bien pire encore que ce que je m’étais imaginé ; je rentrais tard le soir, épuisé, et je ramenais souvent du travail à la maison pour tenir les délais que la direction m’imposait. La vie citadine achevait de m’épuiser, et le rythme effréné de mon nouvel environnement me rongeait les nerfs, lentement mais sûrement.


Dans ce cas de figure, les solutions sont généralement assez simples, et la majeure partie de la population trouve un réconfort temporaire et illusoire dans les bars qui fleurissent dans les quartiers d’affaires. J’aurais sûrement pu faire de même, descendre trinquer avec tous les employés du cabinet, ou même partir à l’aventure et écumer les bars de la capitale pour noyer mon stress dans des hectolitres de bière fraîche, mais ce n’était pas vraiment mon tempérament : je rechignais à l’idée d’aller boire seul sans connaître personne et je doutais de ma capacité à faire connaissance avec des étrangers. L’angoisse quotidienne de mes obligations ne me rendait de toute façon pas très sociable : mon esprit était constamment occupé à penser aux tâches qu’il me restait encore à accomplir et aux meilleurs moyens de me débarrasser de celles-ci.


Je vivais à l’époque dans un appartement minuscule que j’avais loué dans la précipitation de mon arrivée. C’était un simple studio, une seule pièce, dont la principale fenêtre s’ouvrait sur un petit jardin appartenant à la propriété d’en face. L’endroit était un capharnaüm infernal ; les piles de cartons s’amoncelaient dans tous les recoins de la pièce, tout comme les épais dossiers que je ramenais du cabinet pour prendre des notes le soir. Je me promettais toujours de mettre un peu d’ordre dans ce cloaque, mais j’étais bien trop épuisé pour prendre la chose au sérieux.


C’est à cette époque, un peu particulière, que je fus confronté pour la première fois à un épisode de paralysie du sommeil. Ma première expérience fut, comme pour beaucoup d’autres victimes de ce phénomène, absolument terrifiante. J’avais été réveillé dans un sursaut étrange, bien avant que mon réveil ne sonne, pour découvrir avec horreur que j’étais prisonnier de mon corps immobile, paralysé, mais parfaitement conscient et éveillé. Mes membres refusaient de bouger, mon visage tout entier ne répondait plus à ma volonté et je luttais de toutes mes forces, mais en vain, pour ouvrir mes paupières. Mais le souvenir le plus poignant de cette étrange situation, c’est la peur panique qui m’envahit alors que je percevais distinctement une présence étrange, agenouillée là à côté de mon lit. Je ne m’étais jamais senti aussi vulnérable, et la panique s’empara de moi complètement. Je tentai de hurler afin de me tirer de ma torpeur, mais ma bouche refusait de s’ouvrir et me laissait sans défense, alors que la présence menaçante s’approchait doucement de moi.


Dans un dernier sursaut, je parvins à m’extirper de mon inexplicable paralysie, seulement pour découvrir l’appartement autour de moi inchangé, et indéniablement vide de toute présence humaine. La lumière du matin filtrait à travers la fenêtre ; c’était une magnifique journée d’été ensoleillée qui s’annonçait. Mais moi, grelottant, couvert de sueur froide dans mes draps trempés, je cherchais désespérément des yeux le fantôme que mon esprit avait créé de toutes pièces, tandis que ma chambre faisait de son mieux pour apparaître la plus normale et accueillante possible. Au bout de quelques minutes, je fus forcé de reconnaître que sa prestation était convaincante et que l’étrange épisode que je venais de vivre n’était qu’un cauchemar particulièrement désagréable. La journée de travail fut longue, comme toutes les autres, mais mes chefs eurent la bonne idée de m’occuper suffisamment pour m’empêcher de repenser à cet étrange cauchemar et, le soir venu, celui-ci avait complètement disparu de mon esprit.


Les semaines suivantes me prouvèrent que j’avais tort de me croire tiré d’affaire. Le phénomène se produisit à nouveau, parfois avec une intensité plus grande encore. Lors des crises les plus violentes, je pouvais distinctement sentir deux mains glacées qui se posaient sur mon ventre. La sensation était si réelle que j’avais complètement écarté l’idée d’un simple rêve. La peur panique qui m’envahissait me réveillait à chaque fois et je me retrouvais dans mon appartement vide, à me demander si je n’étais pas en train de perdre complètement la raison.


Une visite chez un docteur s’imposait et les explications de celui-ci me rassurèrent sur l’état de ma santé mentale. La paralysie du sommeil, m’expliqua-t-il, n’avait rien d’un phénomène paranormal et touchait beaucoup de gens. Les épisodes sont fréquents à l’adolescence, mais ils peuvent également se manifester lors de périodes de stress intense ou d’épuisement. Je cochais bien évidemment toutes les cases, et cette rationalisation du phénomène n’était pas pour me déplaire. Tout d’un coup, l’expérience me paraissait bien moins mystérieuse et moins inquiétante. Le docteur m’expliqua également que ces épisodes n’étaient pas dangereux et que toute la réaction se déroulait uniquement dans mon esprit, perdu quelque part entre l’éveil et le sommeil. En l’absence de contrôle sur le corps, encore endormi, le cerveau se trouve en proie à la panique et fantasme alors une présence, perçue comme malveillante. Ce réflexe inattendu de la psyché humaine constitue un bon moyen de forcer le corps à se sortir de sa torpeur afin de reprendre le contrôle, un vague reliquat de nos instincts primaires de chasseurs, qui était ici exploité sans vergogne par mon cerveau pour se tirer d’affaire.


Je repartis du cabinet du médecin avec l’ordre de prendre un peu de repos et de lever le pied au travail afin de laisser à mon corps la possibilité de retrouver un sommeil normal.

Malheureusement pour moi, c’était hors de question. J’avais approuvé sans faire d’objection les recommandations du médecin, mais je savais parfaitement que mon travail ne me laisserait pas cette opportunité avant un bon mois. Nous avions un important projet à rendre pour un appel d’offres, et ma période d’essai touchait à sa fin : je ne pouvais pas me permettre de « lever le pied » comme le docteur me l’avait conseillé. Je rechignais également à avoir recours aux somnifères, de peur que ceux-ci n’altèrent ma concentration. J’espérais secrètement que les explications du médecin suffiraient à diminuer la fréquence du phénomène. Mais je me trompais, lourdement.


C’est en effet à cette période que les épisodes de paralysie du sommeil devinrent plus intenses. Plus longs également : lors des premières occurrences du phénomène, celui-ci ne durait qu’un bref instant, rendu infiniment trop long par la peur panique qui m’envahissait. Mais dès mon retour du cabinet médical, je fus à nouveau visité par la menaçante présence qui se penchait sur mon corps immobile. Je ne parvenais toujours pas à maîtriser les soudaines montées de panique qui accompagnaient ses visites, mais je parvenais à me faire une idée plus précise de son apparence. Il s’agissait d’une femme, aux longs cheveux noirs qui cachaient complètement son visage. Je la devinais habillée d’une longue robe blanche, très fine. Le docteur m’avait bien expliqué que la sensation d’une présence était un des symptômes classiques de la paralysie du sommeil et que celle-ci n’était que le pur produit de mon imagination, mais la persistance des détails m’intriguait. Je ne pouvais m’empêcher de me demander si mon esprit piochait dans ses souvenirs pour reconstruire de toutes pièces cette présence. Je m’étais doté d’un petit carnet, posé en permanence sur le carton qui faisait office de table de chevet, afin de pouvoir noter à mon réveil les détails que j’étais parvenu à arracher aux griffes de mon demi-sommeil.


Au fil des semaines, les récits qui s’accumulaient détaillaient mes tentatives pour saisir un peu mieux que la veille le portrait de mon étrange visiteuse. C’était peut-être une conséquence inattendue du stress, mais j’avais développé une véritable obsession pour cette pure fantasmagorie montée de toutes pièces par mon esprit. Chaque matin, je réécrivais en détail l’épisode de paralysie de ma nuit passée, et chaque fois le scénario était le même. Mais petit à petit, de nouveaux détails venaient s’ajouter. Elle s’agenouillait à côté du lit et restait là pendant quelques minutes à me regarder me débattre avec mon corps immobile avant de poser ses mains sur mon ventre. Parfois, je la sentais s’approcher, se pencher sur mon corps, m’inspectant de près sans que je ne puisse rien faire. Je me réveillais parfois en croyant sentir son parfum, ou la fraîcheur de sa peau blanche sur mes doigts. La panique était toujours présente et provoquait souvent mon réveil, mais je tentais tant bien que mal de me maîtriser afin de pouvoir prolonger un peu plus les épisodes. Cela avait un effet absolument désastreux sur mes journées de travail, mais je ne pouvais pas m’en empêcher.


Lors de ses dernières apparitions, j’entendais la jeune fille murmurer quelque chose à voix basse. C’était inintelligible, mais je désirais plus que tout entendre ce qu’elle tentait de me dire alors que ses mains froides étaient encore posées sur ma peau.


Les jours passèrent. Dévoré par ma nouvelle obsession, je me rendis à peine compte des dégâts que celle-ci provoquait dans ma vie diurne. Je m’endormais parfois au travail, j’arrivais en retard à mes rendez-vous ou j’oubliais de rendre à temps des documents importants. Mon esprit, autrefois entièrement occupé par les défis de ma nouvelle vie, s’était trouvé une autre obsession : cette jeune fille imaginaire que mon cerveau s’amusait à faire apparaître au pied de mon lit à l’aurore. Lorsque la direction me convoqua pour me signifier qu’ils ne souhaitaient pas continuer à travailler avec moi, j’étais bien trop épuisé pour manifester une quelconque réaction. Sans dire un mot, je pris mes affaires et je rentrai chez moi sans dire au revoir à mes collègues. J’aurais sûrement pu fêter mon retour à la liberté, mais je décidai de rentrer chez moi et de m’endormir profondément afin de rattraper les heures de repos sacrifiées sur l’autel d’une entreprise qui ne voulait de toute façon pas de moi.


Mon esprit s’éveilla avec le lever du soleil. J’étais à nouveau paralysé. J’en avais pris l’habitude, et le fait de me retrouver à nouveau prisonnier de mon corps immobile me faisait moins peur qu’auparavant. Mieux, je commençais à l’apprécier. Je tentai pourtant d’entrouvrir les paupières afin de la voir, elle. Elle était agenouillée à côté de mon lit, comme à son habitude. Je tentai de l’appeler, mais mes lèvres refusèrent de bouger. Je la voyais pourtant parler, à voix basse, alors qu’elle posait ses mains sur moi. C’était généralement à cet instant que je me réveillais en sueur et tremblant. Mais cette fois-ci fut différente des autres : pour la première fois, je la sentis bouger ses mains sur moi, caresser mon ventre et mon torse avec douceur et attention. Je restais immobile, le souffle coupé par ce que j’étais en train de vivre. Je sentais avec une acuité surprenante ses doigts qui filaient contre ma peau et jouaient avec moi comme on cajole un animal de compagnie. Le contact de sa peau restait glacial, et je sentais que tout mon corps criait au danger, mais j’étais prisonnier de ses doigts enchanteurs.


Elle se pencha juste au-dessus de moi, ses longs cheveux noirs dissimulant toujours son visage. Je les sentais, caressant ma peau. Je rêvais pourtant de voir son visage, mais elle prenait soin de toujours se dissimuler derrière sa chevelure. Je l’entendais murmurer, et chaque mot qu’elle prononçait semblait un peu plus intelligible que le précédent. Je fermai complètement les yeux pour me concentrer sur les sons, tentant de comprendre ce qu’elle me disait. Je parvins à en saisir des bribes, des lambeaux de discours qui me murmuraient « Laisse-toi faire… Laisse-moi… Ne bouge pas… »Tout ceci semblait pourtant n’être que des morceaux d’un discours bien plus construit, mais malgré tous mes efforts j’étais absolument incapable de déchiffrer la totalité de ses paroles.


Je sentis alors sa main descendre le long de mon bassin, toujours avec précaution, mais sans faire de détours. Ma respiration s’arrêta presque complètement alors que je sentais sa main se glisser doucement sous mes draps, puis dans mon caleçon. J’entendais sa voix, toujours un peu plus distincte, mais jamais complètement audible, qui m’intimait de me laisser faire alors que sa main commençait à caresser doucement mon sexe. J’eus la surprise de découvrir alors que mon corps n’était pas aussi paralysé que ce que j’avais cru, et que la caresse glaciale de mon impossible veilleuse me faisait de l’effet. Je ne pouvais néanmoins toujours pas bouger, ni parler, ni ouvrir les yeux ; mais au fond, je n’en avais aucune envie.


Je sentais sa main experte qui fouillait, me massait avec calme et précision, attrapant mes couilles pour me laisser un instant de répit avant de me branler à nouveau avec son rythme lent et mesuré. Et je sentais un plaisir étrange et interdit monter en moi, comme une énergie contenue et réprimée au plus profond de moi depuis trop longtemps qui trouvait enfin le chemin vers une possible libération, guidée par la main experte d’un fantôme.


Elle avait gardé son autre main sur mon torse, fermement appuyée sur ma poitrine, et j’avais comme l’impression que cette simple main pesait un poids terriblement lourd et m’empêchait de respirer complètement. Elle fit doucement glisser sa main vers mon cou, serrant doucement de sa poigne froide alors que son autre main continuait de tenir fermement mon sexe en imprimant un lent mouvement de va-et-vient. Je me sentais envahi d’un plaisir nouveau qui se mêlait à de la peur panique, que j’avais de plus en de mal à contenir. En vérité, je ne sais pas si ce qui me faisait le plus peur était la présence ou bien la possibilité qu’une soudaine bouffée d’angoisse ne me tire de ma rêverie et me ramène au monde réel. Je crois pourtant qu’elle comprenait très bien ma situation et mes craintes. Sa main accéléra le rythme tandis qu’elle resserrait son étreinte autour de mon cou, restreignant un peu plus ma respiration et m’amenant du même coup au bord de l’orgasme. J’en voulais plus, évidemment. Je voulais me lever du lit et la saisir dans mes bras, sentir au bout de mes doigts sa peau glaciale et plonger mon visage dans ses cheveux noirs, mais j’étais immobilisé, impuissant, à sa merci. Et je crois que l’extase que je ressentais à cet instant était directement liée à cet état : ma vision se brouillait, sa main serrée autour de mon cou me faisait mal ; mais l’autre, l’autre me faisait tellement de bien… J’avais beau lutter, j’étais toujours prisonnier d’un rêve, et celui-ci faisait de moi ce qu’il voulait.


Soudain, elle serra mon sexe dans sa main un peu plus fort encore et je sentis la jouissance monter en moi. Je laissai échapper un râle à peine intelligible, mes lèvres toujours scellées. Elle continua d’aller et venir alors que je jouissais, et je vis sa tête se tourner vers moi alors que je parvenais au summum de mon plaisir. Un sourire se dessina un instant sur son visage, mais ce furent ses yeux verts qui restèrent gravés dans mon esprit. Elle me regarda jouir puis disparut en l’espace d’un battement de cils.


Je me réveillai, respirant de grandes bouffées d’air, enfin libre de mes moyens. Mes draps étaient souillés. Mon esprit embrouillé. Le soleil s’était complètement levé et ma chambre était désespérément vide, comme à chaque fois. Je n’étais pas vraiment surpris. Simplement déçu. J’aurais bien évidemment préféré que mes rêves deviennent réalité, mais j’avais en même temps tout à fait conscience de l’absurdité de mes pensées.


Les nuits suivantes furent paisibles et ma visiteuse ne revint plus à mes côtés. J’en éprouvai une tristesse profonde que je dissimulais à mes proches. C’était bien plus facile de leur expliquer que mon échec professionnel était la cause du coup de blues que je traversais ; que pouvais-je leur dire de plus ? Je tentais de reprendre une vie normale, mais le souvenir de cette dernière apparition restait gravé dans ma mémoire.


Avais-je été victime d’un simple épisode de somnambulisme ? C’était l’explication la plus logique. La plus rationnelle. Au fil des jours, une partie de moi-même finit par s’y résoudre. L’esprit humain ne s’accommode pas vraiment des fantômes et des apparitions. Notre cerveau se jette sur la moindre explication rationnelle comme la famine sur le bas-clergé. Je ne faisais pas exception, et j’avais été presque contraint d’accepter cette interprétation pour pouvoir reprendre des forces et me remettre en selle. Et pourtant, l’obsession qui s’était emparée de moi pendant plusieurs semaines ne me quittait pas vraiment.


Les jours qui suivirent mon licenciement eurent un goût étrange. Je découvrais pour la première fois de ma vie les joies du chômage, les documents administratifs à compléter pour réclamer mes droits et les journées vides que l’on s’efforce de remplir pour se donner bonne conscience. Je lisais les offres d’emploi, sans vraiment postuler sérieusement à la moindre d’entre elles. J’envoyais un CV de temps à autre, sans réelle conviction, et je prenais rarement la peine de brancher mon téléphone pour regarder si des entreprises m’avaient recontacté. Je n’avais aucune envie de retourner m’user derrière un bureau, non, je voulais juste retrouver pendant un court instant le frisson qui m’avait parcouru ce matin-là.


Avec un peu de retard, le cabinet d’architecte me régla les salaires en retard qu’ils avaient oublié de me verser. À l’époque, pris dans le rush permanent de mon open space glacial, je n’avais même pas remarqué que les salaires tombaient de façon si aléatoire. Je fus donc agréablement surpris de voir arriver sur mon compte une telle somme. J’en discutai un soir avec un ami, qui me conseilla d’en profiter pour m’offrir des vacances. L’idée me parut bonne : c’était un bon moyen de tourner la page, et j’en avais tout à fait besoin à cet instant. Mes derniers deniers furent donc rapidement consommés dans des billets d’avion pour une petite île grecque et un séjour all inclusive dans un luxueux hôtel.


Je m’envolai cinq jours à peine après avoir reçu mes derniers salaires. J’espérais que ce voyage improvisé et en solitaire me donnerait la force de tourner la page et de me remettre en selle.


L’île était aussi ensoleillée et paradisiaque que le laissaient entendre les brochures. L’hôtel l’était tout autant. Mes premiers jours furent idylliques. Je me surprenais même à traîner de plus en plus du côté de la piscine afin de pouvoir recroiser la route d’une barmaid qui avait le bon goût de porter des jupes si courtes qu’on ne pouvait en détourner le regard qu’à grand-peine. Elle semblait apprécier le fait d’attirer autant les regards, et je me prêtais au jeu sans me forcer. J’envisageais presque de l’aborder, mais un groupe de touristes irlandais que j’avais rencontré le premier soir m’en découragea fortement. Ils me soutenaient mordicus que je n’étais pas du tout son genre, qu’ils avaient déjà essayé de l’aborder sans succès, et qu’ils ne voyaient vraiment pas en quoi j’aurais mes chances avec une telle beauté. Je leur avais fait remarquer que commander bière après bière au comptoir en faisant les yeux doux n’était pas vraiment ce que l’on considère comme « aborder » une jeune fille. Nos débats, généralement très arrosés, portaient souvent sur cette subtile distinction linguistique.


Sous le soleil de plomb des îles grecques, je me sentais peu à peu revenir à la vie. Tout se déroulait sans le moindre incident, et j’avais presque réussi à oublier mes expériences oniriques. Jusqu’à ce soir où, alors que j’étais accoudé au bar de la piscine, je me sentis observé. C’était un sentiment étrange – on peine sur le moment à l’identifier ainsi –, mais je sentais avec clarté que quelqu’un dans l’assemblée épiait mes moindres faits et gestes avec insistance. D’un coup d’œil, je balayai l’assistance en essayant de repérer qui provoquait chez moi cette sensation si singulière. Et aussi étrange que cela puisse paraître, mon regard passa plusieurs fois sur elle, sans la reconnaître. Et pourtant, comment aurais-je pu l’ignorer ? C’était elle, la fille imaginaire, assise à une petite table de l’autre côté du bar.


Elle me fixait de ses yeux verts et je me sentis pris de vertiges. Je crus deviner sur son visage l’esquisse d’un sourire lorsqu’elle s’aperçut enfin que j’avais remarqué sa présence. J’imagine en effet que l’expression de mon visage devait paraître assez comique alors que je me débattais tant bien que mal avec la tempête que cette soudaine apparition avait fait éclater dans mon crâne. En un instant, tout s’envola : le licenciement, les vacances en Grèce, les touristes irlandais et les jeunes filles aux jupes trop courtes. Je ne voyais qu’elle, elle et plus rien d’autre.


Elle était réelle, elle se tenait devant moi et je n’en pouvais plus d’attendre. Je tentai tant bien que mal de reprendre mes esprits, mais je me sentis me lever et marcher dans sa direction d’un pas mécanique, comme un pantin que l’on manipule. Le sourire sur ses lèvres ne faisait que confirmer mes rêves les plus fous : elle savait. Elle n’était pas une simple inconnue que j’aurais prise par erreur pour mon fantasme secret, non : c’était elle, sa robe blanche fine, ses cheveux de jais, sa peau blanche et son regard glacial ; elle, mon impossible amante sortie tout droit de mes cauchemars.


Alors que je m’apprêtais à ouvrir la bouche, elle se leva sans un bruit et marcha d’un pas décidé en direction des escaliers qui montaient vers les chambres, en me jetant un regard qui m’invitait à la suivre. Je courus presque derrière elle, hébété. Je tentai de la rattraper, mais elle parvenait toujours à avoir une longueur d’avance sur moi, tout en prenant grand soin de ne jamais me perdre de vue. J’y parvins finalement dans un couloir de l’hôtel ; ou plutôt elle m’attendait, adossée nonchalamment à la porte de sa chambre, un large sourire sur le visage. Mon esprit s’emballait, mon cœur aussi. Je pouvais presque la toucher. Je pouvais presque la sentir. Ses yeux me fixaient avec intensité et elle ne cilla même pas lorsqu’elle fit glisser doucement sa robe sur le sol, révélant devant moi son corps nu fin et gracile. Elle poussa la porte, m’invitant à la suivre à nouveau et s’allongea sur le lit. Je m’empressai de la rejoindre et fus surpris de constater que mes mains tremblaient alors que je refermais la porte.


Je me déshabillai en silence et me glissai sous les draps, sans dire un mot, avec elle. Elle restait silencieuse également. D’instinct, je m’allongeai sur le dos à ses côtés. Je sentis alors les paumes de ses mains posées sur mon ventre tandis que tout mon corps semblait s’engourdir et échapper à mon contrôle. Ma respiration s’accéléra alors qu’elle accentuait la pression de ses mains sur moi, et je fermai les yeux. Je retrouvais enfin cette sensation d’abandon total, me sentir ainsi paralysé, à la merci d’une présence étrangère. J’avais le sentiment d’avoir cédé, d’avoir perdu la partie face à elle. Elle avait triomphé de toutes mes stupides tentatives de retour à une vie normale, elle s’était emparé du petit monde rationnel dans lequel je l’avais emmurée et avait joyeusement franchi les frontières pour passer de mes rêveries à la réalité. Et maintenant elle me tenait. Fermement. Je sentis mon le souffle qui venait à manquer, et sa main qui à nouveau cheminait le long de mon ventre, descendant sans se presser vers mon sexe dressé. Je voyais son visage, souriant : elle avait gagné, et cela semblait beaucoup l’amuser de me voir ainsi offert à ses sévices.


Je sentis le contact de ses doigts saisissant mon sexe. J’étais déjà au bord de l’orgasme ; mes yeux suppliants l’imploraient de faire durer mon plaisir. Je ne pouvais pas dire un mot, l’instant était trop solennel.


Elle s’agenouilla au-dessus de moi. Je pouvais sentir ses cuisses contre mon ventre, et peut-être son sexe qui frottait contre mon pubis. D’une main, elle me caressait ; de l’autre, elle m’étranglait avec la même force que dans mes rêves les plus brûlants. Ma respiration se coupa, m’empêchant complètement de parler alors qu’elle glissait mon sexe dur contre le sien, frottant son bassin contre mon membre dressé sans jamais me laisser la pénétrer. Je crus devenir fou à cet instant. J’étais prisonnier de son regard et de mon plaisir qui montait, irrépressiblement. Mais j’étais heureux. Sans un mot, je fermai les yeux, m’abandonnant complètement pour me laisser aller vers l’orgasme.


Une sonnerie de téléphone. Stridente. C’est un réveil, je le reconnais. J’ouvre les yeux pour retrouver mon appartement et ses piles de cartons et de dossiers. Je suis seul, nu dans mon canapé dépliant. Couvert de sueur et les draps tachés. Sur mon téléphone, une demi-douzaine d’alarmes ont sonné dans le vide et plusieurs messages outrés de mon chef me demandent où je suis passé. Je jette un œil à la date, mais je n’ai pas vraiment de doute sur ce qui est en train de se passer : j’ai pris à nouveau mes rêves pour la réalité, mais cette fois la paralysie a duré bien plus longtemps que prévu. Suffisamment longtemps pour halluciner un mois de chômage et deux semaines de vacances en Grèce.