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Temps de lecture estimé : 34 mn
13/05/18
Présentation:  Faut tout essayer, même les pastiches de polars
Résumé:  C'est l'histoire de... ben, je ne vais rien vous dire. Je me suis assez cassé la tête pour que vous ne compreniez rien, que vous nagiez en pleine panade. Alors rendez-vous à la fin.
Critères:  fh jeunes couple amour fsoumise hdomine vengeance cérébral revede miroir pénétratio init mélo portrait pastiche humour policier -policier
Auteur : Charlie67            Envoi mini-message

Concours : Concours "Polar noir"
Du rififi pour une môme

André, Chapitre 1

Lundi 14 Septembre 1964, 19 heures



Le commissaire André Simon est un homme à la forte carrure râblée, et son abondante toison chenue le fait ressembler à un acteur connu, d’où son surnom maison de « Dédé le Moko ». Il se dirigea vers la patère, prit son paletot et l’enfila.



Le commissaire Simon avait l’habitude de rentrer chez lui à pied. Il habitait rue Madame ; cela lui prenait à peine une vingtaine de minutes pour rejoindre son domicile. En sortant du « 36 » il prit à droite. Cette histoire le turlupinait. Il y avait des incohérences. Le Fred était un des lieutenants de Jeannot. Jean Van De Velde, dit Jeannot le Belge.


André s’arrêta sur le Pont Neuf et plongea son regard et ses pensées dans les eaux noires de Seine.


Fred le Lensois et le Beau Marcel n’avaient pas le même business. Le premier était un braqueur de la bande des Lillois : les banques, les convoyeurs de fonds ou les bijoutiers, voilà leurs affaires. Le Marcel, un mac, un julot casse-croûte vivant à la petite semaine de quelques filles et du racket d’un ou deux rades. L’aristocratie et la plèbe du milieu.


Sa petite voix intérieure lui disait : « Ça ne colle pas, ça ne colle pas du tout. »


Ceci l’amena chez lui. Machinalement il s’assit à la table familiale.



Madame Simon poussa un long soupir ; heureusement que son mari serait à la retraite dans une semaine. Ils pourront rentrer chez eux, dans la Nièvre, et mener enfin une vie normale.



Sa petite voix persistait : « Ça ne colle pas, ça ne colle pas du tout. Il faut prendre l’affaire en main personnellement. »




***




Florence, Chapitre 1

Lundi 7 Septembre 1964


Florence était encore étourdie par ce poste à Paris, vraiment inattendu. Après plusieurs années comme maître auxiliaire, elle venait de réussir son CAPES et d’obtenir un poste de professeur titulaire dans un collège de la capitale. Elle était heureuse de cette nomination qui sonnait le commencement de son indépendance. Elle avait travaillé très dur pendant toutes ces années et commençait à en récolter les fruits.


Elle se sentait seule, ici, mais ne l’avait-elle pas toujours été ? Ses parents la couvaient, comme beaucoup de filles uniques sont couvées. Ses amies, presque toutes « casées », avec lesquelles elle n’avait plus aucun contact, rien. Les garçons ? Elle les avait toujours repoussés. Avec le temps, ils se sont lassés. Une vieille fille en puissance, voilà ce qu’elle était devenue !



***



André, Chapitre 2

Mardi 15 Septembre 1964, 8 heures



Le commissaire Simon resta pensif un moment. Ce genre de méthode, ça sentait le pro. Tout à fait compatible avec les méthodes des Lillois. Et puis le Jeannot n’avait pas dû apprécier que l’on dégomme un de ses lieutenants. Qu’est-ce qui leur a pris, aux barbeaux, de s’attaquer aux beaux gosses ?


Sa petite voix lui suggéra : « Une folie suicidaire, sûrement. »



Berthier regarda interrogativement son supérieur et lui répondit :



Le commissaire, le dos voûté, tourna les talons et se dirigea vers son bureau. Après s’être assis, il prit le rapport et le parcourut. Rien de spécial, hormis ce qu’avait dit Berthier.

On frappa à la porte et l’inspecteur Loutreau passa sa tête.



André soupira et se leva de son fauteuil.


Sa petite voix se lamenta : « Encore des explications à donner… »


Il se sentait fatigué mais se dirigea à pas lourds vers le bureau de son supérieur et frappa à la porte marquée « Directeur de la Police Judiciaire ». Il entra sans attendre de réponse.



Il prit place en face de son supérieur. Celui-ci poursuivit :



Le directeur examina longuement son subordonné et ami.



Un an plus tôt, une opération avait été montée pour prendre en flag l’équipe des Lillois. Résultat, un inspecteur tué et pas d’arrestation. Le plus gros raté de la carrière d’André.



La petite voix intervint : « Ce qu’il faut, ce qu’il faut ? Ce que je peux, surtout. »



***



Florence, Chapitre 2

Mardi 8 Septembre 1964


Florence avait deux semaines de libre avant d’entamer les cours. Bien décidée à découvrir Paris, elle s’habilla d’un tailleur à l’élégance toute provinciale et prit le métro direction les mythiques grands boulevards. Elle voulait s’enivrer des parfums et des couleurs de la capitale. Elle voulait saisir cet esprit si particulier qui faisait et qui était Paris.



***



André, Chapitre 3

Mardi 15 Septembre 1964, 10 heures


Le commissaire Simon retourna à son bureau de son pas lourd. À son arrivée, il fut interpellé par son adjoint.



Le commissaire resta pensif un moment. Il se gratta le menton, signe pour son subordonné d’une intense réflexion patronale.


Sa petite voix lui proposa : « Faudrait rencontrer cet oiseau pour pouvoir le jauger. »



André repartit dans une séance de grattage de menton, et après un moment :



Une lueur de compréhension traversa les yeux de l’inspecteur ; « Une institutrice de province, mais c’est bien sûr ! »



Berthier regarda André avec des yeux ronds et bafouilla :



Puis, poursuivant d’une voix plus apaisée :



Le visage de l’adjoint s’éclaira.



Sa petite voix le réprimanda : « Madeleine va encore râler parce que tu rentres à pas d’heure ! »


André se détourna de son subordonné et se dirigea vers son bureau. Il réfléchit. Il lui fallait alpaguer ce Domé avant que les porte-flingues du Belge ne le retrouvent. Il avait jusqu’à vendredi pour résoudre cette affaire ; après, ce serait la retraite. On était déjà mardi ; ce n’était pas gagné.



***



Florence, Chapitre 3

Mercredi 9 Septembre 1964, 20 heures


Paris, la ville-lumière avec ses folles nuits ! Pour Florence, la chose était vite vue ; sans argent et sans amis, que pouvait-elle faire ? Elle déambulait des après-midi entiers sur ces larges trottoirs. Elle admirait ces vitrines exposant ces magnificences totalement inaccessibles à sa maigre bourse. Florence s’en détourna bientôt pour rester bien plus souvent dans son petit appartement, préparant ses cours pour la rentrée. Il était préférable d’être tout de suite à la hauteur ; elle avait toujours été bien notée et espérait que cela continuerait.


Ce soir, cependant, elle voulut s’extraire de ses livres, voir autre chose, voir du monde. Il y avait, au bout de la rue, un petit bistroquet qui faisait de petits plats simples et bon marché.

Le patron, prévenant, l’installa à une table éloignée du bar si bruyant. De sa place, Florence voyait toute la salle et le bar où s’agglutinaient des groupes de jeunes gens occupés à boire et à rigoler.


Un groupe attira plus particulièrement son attention, surtout un garçon qu’elle ne voyait que de dos. Il lui faisait penser à lui, le seul garçon à qui elle avait accordé un baiser. Il l’attendait tous les jours à la sortie du lycée. Il se disait son chevalier servant ne l’avait jamais forcée à rien. Tel un céladon, il pouvait passer des jeudis entiers à la regarder platoniquement faire ses devoirs. Ses parents le toléraient bien qu’il fût fils de mineur, alors qu’eux, notables bien établis dans leur ville, prévoyaient un avenir radieux et confortable pour leur fille. Et un jour il lui avait dit qu’il s’était engagé dans la Légion ; il voulait défendre la France. C’est sur ce quai de gare qu’elle lui accorda ce baiser qui restait gravé dans sa mémoire, car c’était le seul qu’elle avait connu dans sa toute jeune vie.


Le garçon sentit sûrement le poids d’un regard sur lui, car sans raison apparente il se retourna et leurs regards se croisèrent.



***



André, Chapitre 4

Mardi 15 Septembre 1964, 23 heures


Les inspecteurs Berthier et Martin traversèrent la salle. L’un se posta à la porte marquée « Toilettes » et l’autre à celle marquée « Privé ». Loutreau et Lacarre pénétrèrent dans l’établissement à leur suite et se positionnèrent de part et d’autre de l’entrée. André entra le dernier et se dirigea vers le bar en jetant un regard circulaire sur la salle et ses occupants.


Jeannot et ses amis avaient tout de suite compris que c’était une descente des condés. Il y eut bien l’esquisse de quelques gestes belliqueux, mais d’un regard noir et autoritaire le Belge maîtrisa ses troupes.


Jean Van De Velde, un petit homme à l’orée de la cinquantaine, n’en imposait pas vraiment. Cependant, il avait un charisme et un ascendant qui le désignait comme chef. À certaines occasions il avait confirmé ce charisme par l’utilisation de moyens expéditifs et simples. Il avait une devise : « Un pistolet vaut mille mots. » Menaces et intimidations étaient donc sa rhétorique de persuasion. Il avait pour le seconder une bande de jeunes malfrats, tous issus des corons des houillères, qui lui vouaient une fidélité sans faille.

Toutefois, le caïd n’était pas idiot. L’arrivée en force de flics devait avoir une raison ; autant la connaître. Il se leva donc de table, et tout sourire se dirigea vers André.



Le commissaire, après s’être fait une idée de l’établissement et ignorant délibérément son hôte, se hissa sur un des tabourets de bar, appuya son coude au comptoir, et sans tourner la tête interpella le barman :



Jean se percha sur un des tabourets en vis-à-vis du fonctionnaire, et s’adressant aussi au barman lui dit :



Puis, se retournant vers André :



Le policier laissa encore passer un moment de silence, joua un peu avec son verre de vin puis, relevant la tête, il s’adressa au tenancier :



Le malfrat pris son air dubitatif. Dans une grimace expressive, avançant sa lippe inférieure, il répondit :



Sa petite voix s’agaça : « Tu vois bien que cela ne sert à rien. Tu perds ton temps. »


André continuait à faire tourner le vin dans son verre et le regardait avec concentration. Il se doutait de l’inanité de son ambassade, mais il avait un message à faire passer. D’une voix gouailleuse, il reprit :




***



Florence, Chapitre 4

Mercredi 9 Septembre 1964, 20 heures 01


Le garçon ne pouvait détacher ses yeux de ceux de la fille. Ils s’étaient reconnus. Comme hypnotisé, il se dirigea vers elle.

Depuis longtemps, Florence n’avait plus aucun espoir de le revoir. Huit années sans nouvelles, rien, pas le plus petit mot, rien, rien de rien. Et soudain cette rencontre inopinée.

Il ne comprenait pas. Que faisait-elle ici ? Elle, un souvenir d’enfance, une aura qui avait nimbé et subjugué sa mémoire.



Florence le regardait droit dans les yeux mais ne pouvait répondre. Le mascaret des souvenirs refluait dans sa tête. Que dire, que faire ? Elle ne savait pas. Elle le regardait, inerte. Un mot la ranima :



Puis une réponse :



Ils se regardèrent encore un moment puis partirent d’un fou-rire.



***



André, Chapitre 5

Mercredi 16 Septembre 1964, 0 heure 30


La Roulette, un de ces établissements qui alliaient la légalité à la clandestinité depuis la loi de Marthe Richard en 1946 ; son tenancier naviguait en eaux troubles. On n’appelait pas ce genre de maison « de tolérance » pour rien… La prostitution n’y était pas affichée, mais un bon pourboire au barman assurait de trouver un « oreiller de luxe » pour passer une agréable nuit.

Une visite de « la rousse » n’était donc pas vraiment la bienvenue !


L’établissement était à mi-chemin entre le caf’conc’ et le dancing d’avant-guerre. Il convient de préciser que, comme concerts, cela se réduisait le plus souvent à de l’effeuillage en musique et que les cavalières, pour les danses, tournaient surtout aux bakchichs. À part la prise de contact, rien ne se passait dans l’établissement, mais plutôt dans l’hôtel miteux qui jouxtait le dancing.


Tout semblait triste ici : la décoration, les fauteuils, les filles, et bien sur l’ambiance. La lumière blafarde rehaussait à peine les visages des belles de nuit. Certaines laissaient entrevoir par une fente de leur robe une jarretelle qui tendait un bas noir. Toutes affichaient ce faciès lassé et fatigué qui en ajoutait à leur air résigné.


Après leur entrée, les inspecteurs se positionnèrent aux endroits stratégiques. Simon et Berthier s’installèrent au bar. Bien sûr, leur élégance de fonctionnaires de police ne passait pas inaperçue. Berthier posa sa carte professionnelle sur le bar et dit au barman :



Le barman regarda la carte d’un air dédaigneux et répondit :



La petite voix intervint : « Ça va dégénérer ! »


Le rouge de la fureur commençait à monter aux joues de Berthier quand la main d’André se posa sur son bras pour le calmer. Puis, s’adressant au barman :



Le jeune coq, monté sur ses ergots, dévisageait André, étonné de son air débonnaire.


La petite voix ironisa : « Il te prend pour un con, le gamin… »



La petite voix, sentencieuse : « Il n’est pire sourd que celui qui ne veut entendre. »



André prit le temps de dévisager l’employé.



Le commissaire prit à nouveau son temps, parcourut la salle des yeux, puis les planta dans ceux du barman.



La petite voix, technicienne : « Des fois, les tuyaux sont crevés… »



Sans plus s’occuper du barman, André dévisagea la jeune femme. Peut-être la trentaine, elle avait un maquillage outrancier et une décoloration à la Jean Harlow. Sa ligne svelte et pulpeuse ne gâchait pas un minois triste, mais mignon.


La petite voix, réprimandeuse : « Voyons, ce n’est plus de ton âge ! »


D’autorité, André s’installa à côté d’elle. Elle le dévisagea un moment puis lui dit :



Sans se départir de son calme, André lui présenta sa carte de police. La fille la regarda, médusée, puis releva vers le flic un regard au bord des larmes.



Le fonctionnaire regardait la jeune femme qui sanglotait, le visage toujours masqué par ses mains. Il attendit que la crise passe, et lentement elle passa.



Son rimmel commençait à couler et lui donnait une expression luciférienne. Le désarroi se lisait sur son visage. L’air calme et patelin du policier la déconcertait, elle, plus habituée à la hargne des petits chefs en uniforme.



La jeune femme dévisagea longuement le sexagénaire puis répondit :



La jeune femme releva à nouveau les yeux et dévisagea l’homme. Un inconnu, de plus un fonctionnaire de police qu’elle devrait honnir ; mais par-devers elle, elle avait envie de lui faire confiance. Elle voulait lui faire confiance.



André la regarda intensément.



La jeune femme hésitait, mais à quoi bon ?



La prostituée regardait le flic droit dans les yeux ; son œil était noir. André comprit qu’il ne fallait pas insister ; il serait toujours temps de savoir qui était cet « ami », si besoin.


La petite voix, suggestive : « Aurait-elle un amoureux, la fille ? »



André considéra la jeune femme d’un œil circonspect. « Quel dommage… Elle aurait pu vivre une vie normale et ne pas faire la pute dans ces rades sordides. »



La petite voix, surprise : « V’là aut’ chose… Le Fred est propriétaire ? »



Marlène fusilla André du regard.



La petite voix, compatissante : « Avec les hommes, il faut s’attendre à ça, cocotte ! »



« Tiens donc, les Zitouni… se dit André. On entend de plus en plus parler d’eux. Une famille de truands pieds-noirs qui géraient les lupanars de la Kasbah d’Alger. Depuis qu’ils ont été expulsés en 62, ils essaient de recréer leur petit empire entre Barbès et le Marais. »



La petite voix, fataliste : « Tu n’es pas sorti d’affaire, André… »



***



Florence, Chapitre 5

Jeudi 10 Septembre 1964, 24 heures


Florence venait de réintégrer sa chambre après avoir quitté Fred. Elle était assise sur son lit, prostrée. Que lui était-il arrivé ? Une douce chaleur montait en elle.


Le dîner avait été agréable ; Fred, toujours égal à lui-même, avait été très prévenant. Ils avaient parlé de leur jeunesse commune, puis Fred retraça ses pérégrinations dans la Légion, en y ajoutant force anecdotes plus ou moins réalistes, mais toujours hilarantes. La vie avec Fred tourbillonnait tel un grand huit dans un champ de foire. Tout était prétexte à rire, à gaieté. Florence était bien, juste bien et heureuse.


Malgré la faible distance, Fred ramena Florence en voiture jusqu’au bas de son immeuble. Quand il se pencha vers son visage, elle lui accorda ses lèvres, sa bouche, sa langue. La main de Fred s’aventura sur le sein de Florence, l’explora, le caressa. Lentement, l’exploratrice quitta le giron pour descendre le long du ventre, puis poursuivit sa route le long de la cuisse jusqu’en dessous du genou, limite de la jupe. Elle reprit son cheminement vers le haut, mais maintenant sur le bas soyeux et sous le vêtement. Arrivée à mi-cuisse, Florence se crispa et d’une main ferme arrêta la progression de l’homme. Fred ne s’en offusqua pas ; il ressortit sa main de sous la jupe de la jeune femme. Cette main, espiègle, fit une légère caresse sur la joue de Florence.



Florence, maintenant seule dans sa chambre, repensait à ces moments. Elle ne savait plus trop ce qui lui était arrivé. À la façon de son ami, elle posa sa main sur sa poitrine, la malaxa à travers le vêtement, puis lentement sa dextre refit le chemin parcouru par celle du garçon. Elle ne s’arrêta pas à mi-cuisse : le compas des jambes s’écarta, et irrépressiblement elle chercha la chose… Une rougeur monta aux joues de Florence : Monsieur le curé, les sœurs enseignantes et même sa mère avaient qualifié cet endroit de sale ; il ne fallait pas qu’elle y touche. Pourtant il y avait un besoin, ce besoin qui transgressait toute loi. Elle se toucha et partit dans un violent orgasme.


Elle savait maintenant qu’elle voulait cet homme !

Elle lui accorderait tout.

Absolument tout.



***



André, Chapitre 6

Mercredi 16 Septembre 1964, 14 heures


Berthier entra dans le bureau de son chef et s’assit sur un des sièges en vis-à-vis. Il tendit deux minces dossiers au commissaire.



Il considéra son adjoint depuis vingt ans. Bel homme dans la quarantaine, avec ses costumes pied de poule, sa coiffure plaquée et sa fine moustache, il faisait irrésistiblement penser à Clark Gable. Il aurait pu être un bon flic s’il n’avait eu cette obsession de vouloir mettre le maximum de représentantes du beau sexe dans son lit.



Le commissaire eut un petit sourire sarcastique.



André changea de sujet :



Le commissaire resta pensif un moment puis dit :



La petite voix, sarcastique : « Ben, ce ne sont peut-être pas les Lillois, après tout… »



***



Florence, Chapitre 6

Vendredi 11 Septembre 1964, 20 heures


Fred attendait Florence au bas de son immeuble, et à 20 heures tapantes elle était là. Jolie ? Peut-être, ou peut-être pas. Tout dépendait du prisme à travers lequel on la regardait : pour le commun des mortels, une jeune femme, tout simplement ; pour Fred, la femme, sa femme ! Situation incompréhensible pour un homme habitué à prendre et à jeter le sexe dit faible selon son bon vouloir. Une réminiscence de sa jeunesse, où ses habitudes de soudard n’avaient pas encore transformé une femme en un objet consommable et jetable.


Flo était là, à ses côtés. Il lui racontait milles choses anodines. Ces choses qui masquaient juste son inquiétude. Pendant tout le dîner, il la noya sous des paroles futiles avec juste la peur au ventre. Lui, le mec, ne savait comment faire…


Elle le regardait et l’écoutait pérorer. Elle avait la main sur sa cuisse, à l’endroit où elle avait arrêté celle de Fred, hier soir. Elle s’agaçait de toutes ces banalités censées la faire sourire. Ce repas était sans fin. Elle avait envie de lui dire « Prends-moi dans tes bras ! », mais cela ne se faisait pas. Il faut attendre qu’il se décide. Il parlait de son appartement dont il était très fier.



Elle rougit de son audace, et lui se lança dans la brèche :



Florence avait maintenant une boule dans la gorge. Dans quelle aventure se lançait-elle ? Sa main sur sa cuisse remonta vers l’aine, et à travers le fin tissu de la robe elle sentit le bord de sa culotte et la large jarretelle retenant son bas. Une pensée futile lui vint : elle aurait dû acheter cette belle parure en dentelle qu’elle avait vue dans une vitrine. Elle voulait être aguichante pour lui. Cette pensée la rendit cramoisie.

Fred remarqua bien le trouble de la jeune femme.


Après le repas, le garçon l’emmena à son appartement, assez distant du bistrot. C’était dans les beaux quartiers, dans un immeuble haussmannien. Le hall d’entrée était cossu, et l’ascenseur, à l’intérieur de la cage d’escalier, exigu. Le premier contact se fit là, quand il se colla à elle. Les lèvres restèrent soudées pendant la courte montée. L’entrée dans l’appartement se fit en tornade. Florence perdit son béret et sa gabardine tomba au sol. Elle ne sentait plus que cette langue dans sa bouche et ces mains qui virevoltaient sur elle. Il l’entraîna vers le sofa et l’y allongea.


Le jeune homme remonta la jupe jusqu’à la taille et entreprit de lui ôter sa culotte ; elle se laissa faire. Il déboutonna sa braguette et en sortit son sexe qu’il le pointa vers sa convoitise. Florence prit peur de cette chose énorme dirigée vers elle, comme une arme qui la menaçait, un canon prêt à tirer.


Toujours inerte, Florence sentit le garçon s’allonger sur elle, la couvrir. Une main dirigea ce sexe agressif vers le sien. Il la pénétra et dévasta tout sur son passage, déchirant l’hymen. Une douleur fulgurante la traversa. Elle étouffait sous le poids de l’homme. Elle voulait que cela s’arrête, elle voulait que cela continue, elle ne savait plus…


Quand le garçon se redressa, fier de lui après avoir éjaculé, il resta stupéfait en regardant son sexe plein de sang. Il comprit qu’il venait de la déflorer.



Elle secoua sa tête négativement et pleura.



***



André, Chapitre 7

Jeudi 17 Septembre1964, 9 heures



La petite voix, perspicace : « Ça se complique, André, ça se complique ! »



Le commissaire se frottait frénétiquement le menton ; son adjoint continua :



André commençait à sentir que cette histoire serait sans issue. Pas le plus petit indice pour mettre quelqu’un en garde à vue. Il connaissait ces truands chevronnés : si vous n’avez aucune bille, ils ne parlent jamais.



La petite voix, sortant de sa torpeur : « Tiens donc… Voilà qui est intéressant !




Le commissaire considéra son adjoint d’un œil critique. Son élocution s’était émue à cette évocation. Il se rappelait sûrement ce jour où il avait été surpris dans son bureau en train de se faire sucer par la prostituée qu’il était censé interroger. Il avait fallu le sanctionner.



La petite voix, attendrie : « Comme quoi un truand peut tomber amoureux. »



Des fois, le manque de jugeote de l’inspecteur exaspérait son supérieur.




***



Florence, Chapitre 7

Samedi 12 Septembre 1964, 16 heures


Fred et Florence étaient montés dans sa petite chambre. Elle repensait à cette nuit. Après son violent dépucelage, il s’était montré très doux, prévenant. Il l’avait déshabillée puis couchée à côté de lui, passant ainsi la nuit ensemble sans même oser s’effleurer.


Ce midi, ils avaient à nouveau déjeuné ensemble puis s’étaient promenés dans les quartiers marchands de Paris. Fred voulait tout lui offrir : elle refusa tout ; enfin, presque tout… Elle accepta une petite robe noire toute simple dans une belle boutique marquée d’un double « C » entrelacé. Elle hésita bien devant la volée de vendeuses empressées à l’habiller et à délester Fred d’une imposante liasse de billets, mais la douce voix de l’homme lui susurrant à l’oreille « S’il te plaît, accepte… » emporta l’affaire.


Elle se regardait maintenant dans sa psyché et ne se reconnaissait pas. Cette robe était diabolique ; elle effaçait ses hanches qu’elle avait toujours trouvées trop larges et mettait en valeur sa poitrine qu’elle jugeait trop menue.

Ce miroir lui renvoya aussi l’image de l’homme qui s’approchait d’elle, qui posait ses mains sur ses hanches et murmurait à son oreille :



Une onde de plaisir la parcourut et fit monter sa température. Elle pencha la tête sur le côté pour laisser de la place à cette bouche chaude qui couvrait son cou de baisers. Elle se plaqua à l’homme. Elle voulait le percevoir, elle voulait discerner ce sexe qui, hier, lui faisait encore si peur et que maintenant elle voulait en elle.


Elle glissa une main entre leurs deux corps à la recherche de cette verge, la trouva et la malaxa à travers l’étoffe du pantalon. La suite fut tellement rapide que Florence n’en avait plus le souvenir du déroulement. Un moment, elle vit son reflet dans la psyché, la robe relevée et la culotte à mi-cuisses. Cette vision indécente ne fit qu’aviver sa libido. Elle sentait cette chair aller et venir en elle. Elle subissait ces coups de boutoir que le bassin de l’homme imprimait à ses fesses. Sa vue se troublait, elle ne percevait plus où elle était. Un grand cri vrilla ses tympans… Qui avait crié ? Elle, peut être ? Elle ne savait pas.


L’homme se retira, épuisé. De vagues sécrétions mélangées s’écoulèrent de son antre le long de ses cuisses, puis maculèrent ses bas. Elle n’en avait cure ; elle en voulait plus ! Elle se retourna et embrassa l’homme à pleine bouche. Sous sa fougue, ils basculèrent au sol. Dans une lutte acharnée, elle agrippa le col de sa chemise à deux mains et lui intima cet ordre :



Elle l’attira sur le tapis et, sur le dos, noua ses jambes autour de ses reins.



Fred s’exécuta, trop heureux de cette soudaine bonne fortune. Il pilonna, baisa à ne plus savoir qui était qui. Sans parvenir lui-même à nouveau au nirvana, il perçut que sa compagne partait dans des sphères inaccessibles au vulgum pecus. Une impression d’aura, d’intemporel flottait dans la chambre.


Épuisés, les amants regardaient le plafond, main dans la main. Le calme reprenait ses droits.

Fred se tourna légèrement vers sa compagne. Regardant et admirant son profil, il lui dit :



Florence tourna légèrement la tête vers son amant. Elle le regarda intensément.

D’un mouvement brusque, elle sauta sur lui et chevaucha le thorax de son amant. Elle prit ses cheveux à pleines mains et plaqua rudement sa tête au sol. Avant de l’embrasser à pleine bouche, elle lui dit :




***



André, Chapitre 8

Vendredi 18 Septembre 1964, 8 heures



André se gratta frénétiquement le menton.




***



Florence, Chapitre 8

Samedi 12 Septembre 1964, 20 heures


Florence regardait la scène sans vraiment comprendre, mais admirait le courage de l’homme, son homme. L’altercation avait été calmée aussi vite qu’elle avait pris. Elle le vit revenir vers elle, tout sourire. Elle avait envie de lui ; il aurait pu la prendre là, tout de suite, sur la table, devant tout le monde. Elle aurait voulu subir la force brute qu’il venait de déployer ; il n’en fit rien, décrocha son imper et le lui présenta.



Elle le suivit docilement. Dehors, le soir était à la bruine. Il l’arrêta sur le seuil et lui dit :



La suite, dans son souvenir, était comme nimbée d’un voile de tulle. Fred traversait la route ; deux hommes surgissaient d’une voiture ; deux bruits assourdissants ; son homme était étendu sur le trottoir d’en face ; une voiture démarrait sur les chapeaux de roues. Florence se précipitait et regardait son amour agoniser, la chemise et la veste imbibés de sang. Le pistolet qu’il n’avait pas eu le temps d’utiliser encore fiché dans sa ceinture. Fred prenait son bras et l’attirait vers lui, donnait trois noms et trois adresses avec l’ordre de les rapporter au commissaire divisionnaire André Simon au 36 quai des Orfèvres. Il lâchait son bras, et la carrière de Fred le Lensois s’arrêtait là, mais pas la froide détermination de Florence.



***



André, Chapitre 9

Vendredi 18 Septembre 1964, 14 heures


André, assis à son bureau, restait pensif. Cette histoire resterait non élucidée, comme certaines autres de sa carrière. Le sort de tous ces truands morts lui était totalement indifférent, mais il aurait bien voulu faire tomber le Belge, petite satisfaction qu’il n’aurait pas. Il venait de terminer son rapport pour le juge d’instruction qui prononcerait probablement un non-lieu.

Loutreau passa sa tête par la porte.



Le commissaire regarda intensément son subordonné ; une boule commençait à se former dans sa gorge.



L’inspecteur partit la chercher, et quand il revint il s’effaça devant elle pour la faire entrer. André se leva pour l’accueillir et lui présenta sa main.



Florence s’assit et parla.



***



André, Chapitre 10

Vendredi 18 Septembre 1964, 16 heures


Quand Loutreau passa à nouveau sa tête par la porte, cela faisait deux heures que Florence parlait.



Puis, s’adressant à Florence :



André se dirigea de son pas lourd vers cette salle où la réception devait se dérouler. Il n’avait pas la tête à cette remise de médaille.


En entrant dans la salle, il vit surtout Madeleine qui lui fit un sourire. Elle était assise, sage et dévouée, comme toujours. Il repensa à la jolie institutrice qu’elle était à vingt ans, qui avait tout abandonné pour suivre son commissaire de mari dans ses différentes affectations. Il repensa à ce jour où leur enfant était mort-né ; une fille. Ce jour où on leur a avait appris que c’était fini, qu’il n’y en aurait plus jamais d’autres.


Le préfet discourait, le directeur parlait. Il répondait machinalement car sa pensée se concentrait sur Madeleine et sur Florence au point de les confondre.



***



André, Chapitre 11

Vendredi 18 Septembre 1964, 18 heures


Après la cérémonie, André regagna son bureau. Il fut presque surpris d’y trouver Florence qui l’attendait patiemment. Il avait peut-être espéré qu’elle fût partie.


Il s’assit dans son fauteuil et déverrouilla le tiroir dans lequel il avait rangé le pistolet que la jeune femme lui avait remis ; c’était bien un Lüger P08, pareil à beaucoup d’autres qui circulaient en ce moment en France. Il désengagea le chargeur ; il restait deux balles : six avaient donc été tirées.


Florence et le commissaire se regardèrent un long moment, les yeux dans les yeux. André repensait à la déclaration qu’elle lui avait faite. « Comment une jeune femme à la stature menue et à l’allure effacée a pu tuer trois hommes de sang-froid ? Trois truands aguerris en face d’une enseignante de vingt-cinq ans totalement novice. Incompréhensible ! Elle ne sait sûrement pas enlever le cran de sureté ou ôter le chargeur de l’arme. » Il réfléchit encore un moment puis prit sa décision. Une décision personnelle, contraire à la loi.



Florence fixait le commissaire comme si les mots n’avaient pas encore atteint son cerveau.



La jeune femme se leva, pas vraiment sûre d’elle, et se dirigea vers la porte. Elle se retourna, voulut dire quelque chose, mais le policier l’interrompit :



L’enseignante sortit et, seul dans son bureau, André se carra confortablement dans son fauteuil, satisfait de lui. Il pensait à cette fille : elle aurait pu être la sienne, celle que Madeleine et lui n’avaient jamais eue. Il avait le sentiment d’avoir fait son devoir, même si, pour une fois, il avait contrevenu à la loi.


La petite voix conclut : « Tu es trop vieux pour ce boulot ; vive la retraite ! »