n° 18389 | Fiche technique | 10944 caractères | 10944 1885 Temps de lecture estimé : 8 mn |
24/05/18 corrigé 06/06/21 |
Résumé: Le comte d'Étrépigny porte plainte contre son curé, tandis que son fils vient supplier ce dernier de l'aider pour une affaire... délicate. | ||||
Critères: #humour #historique #sorcellerie fh religion soubrette vengeance nopéné | ||||
Auteur : Brodsky Envoi mini-message |
Collection : Les enquêtes du curé Meslier |
Avertissement :
Les spécialistes ricaneront, c’est certain.
Lorsque j’entrepris de raconter les histoires de mon nouveau héros, je me suis référé à l’immense Voltaire pour ce qui était de ses détails biographiques. En effet, ce dernier a fait paraître en son temps un « Testament du curé Meslier » dans lequel il donne différentes informations indispensables comme sa date de naissance, celle de sa mort, et les raisons pour lesquelles les écrits de notre bon curé ne nous furent livrés qu’après sa mort.
Hélas, comme bien souvent avec Voltaire, le fond importe plus que la forme, et les menus détails dont l’obscur tâcheron que je suis avait besoin se révélèrent par la suite totalement faux. Faux, et invalidant totalement la crédibilité de ma première enquête.
J’entrai alors dans la pièce de ma maison que je réserve à la méditation et à mes conversations avec les grands écrivains de ce monde. Lorsque j’eus exposé le problème, c’est comme toujours mon bon Alexandre Dumas qui vint à mon secours, me rappelant que l’Histoire aime qu’on la prenne parfois brutalement, et qu’elle nous pardonne toujours nos mensonges à condition que les enfants que nous lui donnons soient beaux.
J’ai fait ce que j’ai pu pour la satisfaire.
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Les contempteurs de l’athéisme pur et dur ne comprennent toujours pas aujourd’hui comment le curé Meslier qui écrivait la nuit contre la religion pouvait dans la journée se montrer aussi à cheval sur ses devoirs religieux. C’est qu’ils oublient un peu facilement en nos temps où la liberté de penser semble chose évidente, qu’à cette époque, ne pas croire en Dieu était impensable, et croire en autre chose était bien pire encore. Que l’on songe à ce pauvre Spinoza né peu de temps avant Meslier et qui, ayant prétendu que Dieu et la Nature était une seule et même entité, fut excommunié et maudit à jamais par sa communauté, excommunication qui a été renouvelée il y a peu de temps d’ailleurs (mais cela n’est pas le propos de notre histoire).
Donc, bien que respectant à la lettre les formes imposées par la Sainte Église Catholique, le curé Meslier n’en était pas moins un original qui prétendait diriger sa paroisse comme les premiers chrétiens qui, selon le livre des Actes des Apôtres, mettaient tout en commun et donnaient à chacun en fonction de ses besoins ; art de vivre qui aujourd’hui n’est plus défendu que par les socialistes libertaires appelés communément « anarchistes » par tous ceux que l’humanisme et la fraternité effraient.
Cette idée du partage venait d’ailleurs de fâcher une fois de plus le comte d’Étrépigny que Meslier venait d’invectiver durant la dernière messe avant de refuser de lui donner la communion tant qu’il ne se résoudrait pas à rendre à son jardinier les produits du potager que ce dernier avait pourtant cultivé en cachette sur les terres du comte. Mais, en disciple de Rousseau et en précurseur de Babeuf, Meslier défendait l’idée que la terre n’appartenait à personne, et que par conséquent ses fruits appartenaient à tous. Le comte menaça d’en référer à l’évêque et s’entendit répondre que ce prélat n’était pas au-dessus de la parole de Dieu, parole qui se trouvait dans les Écritures, et qu’en tant que ministre et serviteur de Dieu, Meslier, lui, avait le droit d’exiger cela de la part de chacun de ses fidèles, fussent-ils comtes, ducs, ou princes. Furieux, le comte d’Étrépigny décida alors de se rendre à Reims afin de demander aux autorités ecclésiales de faire entendre raison à ce curé insupportable.
On en était là, et nous étions mardi, lendemain du lundi de Pentecôte. Nous étions donc au printemps, et le temps était beau. Meslier lisait son bréviaire dans le jardin du presbytère lorsqu’il vit arriver une jeune fille courant dans sa direction. Il la reconnut immédiatement : il s’agissait de Perette, une des chambrières du château, intelligente et effrontée qui, prétendait-on, filait le parfait amour en cachette avec Édouard, le fils unique du comte, jeune homme brillant, libéral et acquis aux nouvelles idées que messieurs Diderot et Voltaire professaient à Paris. Édouard aurait pu être un allié important de notre curé ; hélas, il ne fréquentait l’église que très rarement et, disait-on, toujours contre sa volonté.
La pauvre Perette était essoufflée et semblait affolée.
Meslier se rendit donc au château et fut reçu rapidement par le jeune homme qu’il trouva bien pâle et bien fébrile.
Meslier cessa de rire. Le désespoir d’Édouard et sa crédulité l’amusaient et le touchaient à la fois. Il décida de lui venir en aide, tout en tirant partie de la situation.
Meslier prit congé du jeune homme et se rendit auprès de Lison qu’il tança gentiment pour le mauvais tour joué au jeune châtelain.
Lison ramassa par terre un morceau de chanvre.
(1) Sommé de se rétracter au sujet de ses 95 thèses contre les indulgences, Martin Luther déclara en public « Je ne peux, ni ne veux. », ce qui décida de son excommunication.
(2) Nouer l’aiguillette : frapper d’impuissance. L’aiguillette étant la braguette qui, à cette époque, se fermait avec un lacet.