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n° 18396Fiche technique17309 caractères17309
Temps de lecture estimé : 10 mn
28/05/18
Résumé:  Suite à la possession dont sont victimes des nonnes de la ville de Reims, un médecin est accusé de commerce avec le Diable.
Critères:  fff religion vengeance jalousie exhib nopéné coprolalie nonéro historique sorcelleri
Auteur : Brodsky      Envoi mini-message

Collection : Les enquêtes du curé Meslier
Possessions

J’ai reçu ce matin cette missive enflammée :


Monsieur Brodsky, vous devriez avoir honte. Dans votre dernière nouvelle, vous avez osé faire de Meslier le disciple de Rousseau, ce qui historiquement est totalement impossible dans la mesure où ce dernier est né en 1712 alors que notre bon curé né en 1664 s’est éteint en 1729. À la mort de Meslier, Rousseau n’avait que 17 ans. Voilà une falsification de l’Histoire intolérable et qui rend l’intérêt de vos histoires totalement nul.


Je vous passe les insultes qui suivent et qui n’intéressent personne pour en venir immédiatement à ma défense, commencée pourtant lors de la parution de ma précédente nouvelle.


J’ai en ma possession le cinquantième – et dernier – volume de la collection Scripta Manent dont l’achevé d’imprimer indique une date (20 mars 1930) et un lieu (Dijon). Il est intitulé « Le bon sens du curé Meslier, suivi de son testament ». « Le bon sens » fut publié par le baron d’Holbach en 1772, et « Le testament » par Voltaire en 1762. Ce livre contient en outre les lettres adressées par Voltaire à d’Alembert, à madame de Florian, au marquis d’Argence et à Helvétius.


On voudra bien, j’espère, m’accorder qu’un tel ouvrage ait pu m’apparaître comme sérieux. Or, il y est indiqué que le curé Meslier serait né en 1678, soit une différence de 14 ans avec la date avancée par les historiens d’aujourd’hui. On peut donc sans être malhonnête estimer que Jean-Jacques aurait eu 31 ans à la mort de notre héros, et que sa réputation soit parvenue jusqu’à ses oreilles, stimulant ainsi ses raisonnements.


Dois-je également faire remarquer que pour bon nombre de personnages historiques – dont Jésus, qui est de loin le plus important – les dates de naissance et de mort restent un mystère entier, et que seuls les crédules et les fanatiques peuvent affirmer que ce dernier est né en l’an 0 et mort en l’an 33.


On pourrait même en allant par là affirmer que Socrate n’a jamais existé ailleurs que dans les fantasmes de Platon puisque nous n’avons en ce qui le concerne aucun acte de naissance, aucun document établissant la réalité de son existence, aucun procès-verbal de sa condamnation et aucune trace de sa sépulture. Ce qui n’empêche pas les lettrés de lui donner une date de naissance et une date de décès.


Qu’on m’accorde alors un peu d’oxygène et d’indulgence afin que je puisse continuer à raconter les aventures de notre bon curé, qui à défaut d’être réelles, n’en sont pas moins plausibles. Et puis, comme le disait Pierre Pelot, « Toutes les histoires sont vraies, à plus forte raison celles qu’on se donne la peine d’inventer. »


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Meslier ouvrit soudainement les yeux. L’aube n’était pas encore levée, mais il avait entendu un bruit de pas sur les graviers de la cour du presbytère. Il réveilla sans ménagement Marie, qui dormait la tête posée sur sa poitrine, et lui demanda de regagner sa chambre. Il n’était pas question d’alimenter plus encore les ragots qui couraient dans tout Étrépigny depuis que la « bonne » du curé avait emménagé au presbytère avec son fils. Meslier l’avait présentée à tous comme sa nièce, abandonnée par son mari avec un enfant à charge, mais personne ne croyait à cette histoire. Cela dit, la plupart des paroissiens aimaient leur curé ; ce n’était donc pas eux qui risquaient de lui poser des problèmes, mais les quelques riches commerçants, les agioteurs et le comte d’Étrépigny qui, outrés d’être sans cesse pointés du doigt à cause de leur avidité et de leur égoïsme, avaient à plusieurs reprises envoyé des lettres scandalisées à l’évêque de Reims. Une enquête confiée à l’inspecteur Lebeau n’avait rien donné, dans la mesure où Lebeau n’avait pas envie de chercher à nuire à son ami qui l’avait aidé à plusieurs reprises à résoudre des enquêtes difficiles.


Meslier descendait l’escalier qui menait au rez-de-chaussée lorsqu’on frappa discrètement à la porte. En allant ouvrir, il eut comme un mauvais pressentiment. Lebeau se tenait sur le seuil de la porte dans une tenue négligée qui ne lui ressemblait guère. En outre, il n’était pas rasé, ce qui n’était pas dans ses habitudes. Il semblait épuisé comme s’il n’avait pas dormi de la nuit, et tenait un sac en toile de jute dans sa main gauche.



On imagine mal aujourd’hui combien boire un café était difficile à cette époque. Il fallait broyer dans un mortier les grains auparavant torréfiés, puis les filtrer dans ce qui pouvait ressembler à une passoire avant de les faire chauffer assez longuement. Réussir ce breuvage n’était pas chose facile, mais Meslier s’y entendait à merveille, et Lebeau appréciait, ô combien, de partager celui de son ami. Rien que l’odeur qui se répandait dans la pièce avait quelque chose qu’il trouvait réconfortant. Meslier alla chercher une énorme miche de pain et demanda à l’inspecteur :



Meslier servit les boissons dans de petites tasses en terre cuite et commença :



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À leur arrivée dans la ville de Reims, Meslier demanda à rencontrer le père Anselme, ce qui fut chose relativement simple. Les Dominicains – appelés également « les chiens du Seigneur » – étaient d’un accès assez facile. La plupart d’entre eux étaient des lettrés, des scientifiques, et bien entendu des exégètes versés dans l’étude des textes sacrés. C’était le cas du père Anselme, et la conversation prit une tournure assez amicale.



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Vers le milieu de l’après-midi, les trois nonnes furent conduites ensemble dans la chapelle de la Trinité, et chacune entra dans un confessionnal différent. Le père Meslier commença par sœur Floriane, la première à avoir accusé le docteur Lusetti. Une demi-heure après, le père Anselme et l’inspecteur Lebeau la virent ressortir avec des larmes plein les yeux et s’agenouiller devant la statue de la Vierge Marie. Quelques minutes après, ce fut sœur Octavie qui sortit du confessionnal dans le même état et qui alla rejoindre sœur Floriane. Enfin, quelques minutes après, sœur Bénédicte rejoignit les deux premières.

Meslier sortit à son tour du confessionnal, rayonnant de bonheur.



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De retour chez lui le lendemain soir, Meslier trouva Marie qui lisait tranquillement devant la cheminée.



Et Meslier jeta les livres et le sac dans l’âtre de la cheminée.


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(1) Le Nécronomicon : livre maudit imaginé par l’écrivain américain H.P. Lovecraft.