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n° 18570Fiche technique17826 caractères17826
Temps de lecture estimé : 11 mn
25/09/18
corrigé 06/06/21
Résumé:  « Je n'aurais pas dû édulcorer mon texte et plonger totalement dans la noirceur humaine. » Ah bon ?
Critères:  collection nonéro confession mélo portrait
Auteur : Catherine  (Râleur professionnel)            Envoi mini-message
Le noir à la puissance noire

Préambule


On sait tous que dans la grande littérature française, il vous faut toujours une histoire bien triste pour être pris au sérieux. Il vous faut du Germinal, du Gervaise, du Cosette, du Goriot et j’en passe pour que l’œuvre soit considérée comme valable. Si votre histoire n’est pas capable de faire pleurer une lampe à souder, elle n’a forcément aucun intérêt. Tout cela n’aurait pas tellement d’importance si, en plus de cela, un grand nombre de personnes influentes de RVBB ne sortaient pas, tel le Tampax (j’ai honte…) du corps enseignant et n’avaient donc pas été plus ou moins formatés – sans même qu’ils en soient conscients – selon le principe qui veut que le fond n’a qu’une importance relative par rapport à la forme. Bref, les chocolats sont moisis depuis six mois, mais peu importe : la boîte est belle !


À partir de cela, certains auteurs estampillés « belle plume » se livrent à un petit jeu « je vais faire une histoire que je vais rendre artificiellement plus triste et morbide que la précédente, quitte à utiliser de ficelles grosses comme des amarres de bateau » ; et là encore, ce ne serait rien si cela ne déclenchait pas des palanquées de notes et de commentaires invraisemblables, certains trouvant même ça bandant !


Alors je me suis dit que, moi aussi, j’avais envie d’avoir des flopées de 18 et des commentaires élogieux… Mais comme je n’ai pas d’imagination, je vais donc vous raconter quelques histoires survenues à des proches ou simplement à des connaissances. Je n’ai rien inventé, rien romancé, rien bidouillé : tout est vrai. Vous aimez que l’on vous décrive la noirceur de l’âme humaine ? Vous allez être servis !


Ah, j’oubliais : mon écriture valant ce qu’elle vaut, je me contenterai de quelques 17.



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C’était il y a un paquet d’années déjà. Je bossais dans l’ambulance et je trimbalais quasiment tous les samedis une vieille dame – appelons-la Mme Picot – qui avait été frappée dans son enfance par la polio. Oui, vous avez deviné : une existence entière dans un corset et un fauteuil roulant. En fait, ce n’est pas tout à fait vrai : ce fameux corset était, selon ses dires, la seule chose qui la rendait humaine et qui lui permettait de temps en temps d’aller faire quelques pas – si l’on peut dire – dans son jardin. Pas de famille (elle avait soixante-quinze ans et n’avait jamais eu, on se demande bien pourquoi, de mari ni d’enfants) et, à l’exception de son frère qui avait une bonne dizaine d’années de plus qu’elle et qui était donc – en dehors de moi qui passais la voir de temps à autre lorsque j’avais dix minutes à perdre entre deux courses – quasiment le seul à lui rendre visite.


C’était une femme charmante, toujours souriante malgré son existence, ayant toujours le mot pour rire et une sacrée pratique de l’autodérision et du second degré. À côté de cela, je l’aurais volontiers qualifiée de bigote si sa situation avait été classique : c’est bien connu, on ne croit pas trop en Dieu lorsque tout va bien, mais nettement davantage lorsque les emmerdements – et elle en avait eu sa dose – tapent à la porte. S’il pouvait subitement nous prouver qu’il existe, ce con-là !


Toujours est-il que les années passant, les transports se raréfient jusqu’à totalement disparaître. Moi, de mon côté, les conditions de travail deviennent telles qu’il m’est totalement impossible de trouver deux minutes pour aller la voir.


Or, lors d’un de ces après-midi où l’on nous demande de faire une quantité industrielle de transferts dans un laps de temps ridicule, où l’on se retrouve à trimbaler les malades dans des conditions inhumaines – n’ayons pas peur des mots – je recroise le chemin de cette pauvre Mme Picot. Malgré ses réclamations –le corps ne va pas fort mais le citron fonctionne très bien – on lui a retiré son corset et l’on n’a même pas cru bon la recouvrir d’un drap. Je fais remarquer que la laisser ainsi nue n’est pas très correct ; on m’envoie chier. J’essaie de contacter son frère ; il est décédé. Les rares amis ont disparu ; il est vrai qu’ils ne sont généralement bien que lorsque tout va bien.


Dans quelle maison de retraite sera-t-elle transférée par la suite ? Je ne suis pas de la famille ; on m’envoie chier. Bref, cette femme exceptionnelle, ce monument de gentillesse et de dévouement, est décédée alors qu’elle avait encore toute sa tête sans que personne – à commencer par moi – n’ait jamais pu lui rendre visite.

À l’heure où j’écris ces lignes, j’en ai encore le cœur serré.



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C’était la fille d’une amie ; elle avait vingt ans, mignonne, un beau diplôme en poche. Comme souvent elle avait galéré pour trouver du taf jusqu’à ce qu’un beau matin on lui propose de devenir responsable d’un magasin de surgelés, ce qui correspond pile-poil à la fois à ses envies et à son BTS. On lui assure quinze jours de formation supplémentaire, un type vient l’aider à prendre ses marques, et en avant la musique.


Seul souci, il avait été prévu dès le départ qu’une seconde personne viendrait l’épauler puisque l’établissement est ouvert de 9 h 00 à 19 h 00 six jours par semaine sans interruption. L’arrivée de cette personne sera reculée de mois en mois, à chaque fois pour des prétextes difficiles à vérifier : maladie, difficulté de recrutement, vacances, etc.


La demoiselle se retrousse les manches, puisqu’elle n’a pas le choix. Elle se retrouve seule à tenir son magasin à bout de bras en accueillant les camions de livraison à cinq heures du mat’ et en passant la serpillière après 19 heures. Elle tire la sonnette d’alarme plusieurs fois, assure qu’elle ne pourra pas continuer indéfiniment comme ça ; on lui répond simplement – mais surtout verbalement – que le second personnel ne va plus tarder à arriver et qu’elle fasse le nécessaire en attendant.


L’aventure durera quasiment un an, jusqu’à ce que sa santé la trahisse. Là, on s’aperçoit subitement que les deux derniers mois, l’enseigne n’a pas atteint ses objectifs, qui sont quasiment impossibles à tenir d’autant que les produits sont à la fois assez ordinaires et très chers.


Notre « héroïne » se retrouve licenciée sans le moindre début de remerciement : écœurée, elle demande que les centaines d’heures supplémentaires qu’elle a passées dans la boutique lui soient au moins payées. Là, première surprise : personne ne lui a officiellement demandé d’effectuer ces heures, en tout cas pas expressément, et surtout pas par écrit ! Son action aux prud’hommes ne changera rien : elle sera obligée de s’asseoir sur ces centaines d’heures supplémentaires qui ne lui seront jamais payées. Et très vite, une seconde surprise : alors qu’elle a été transportée à l’hôpital dans un état de fatigue extrême et placée sous sédatifs pendant une dizaine de jours, c’est le moment que choisit EDF pour couper le courant de « sa » boutique puisque la grande direction ne paie plus ses factures. Résultat, des centaines de kilos de marchandises avariées et dont on va tout simplement lui demander le remboursement, puisqu’aux yeux de la direction générale il s’agit d’une négligence et d’une faute grave !


Il y a au moins quinze ans que cette histoire s’est produite et, à l’heure où j’écris ces lignes, notre amie ne s’en est jamais remise. Travailler ? Elle n’en a plus la force et, de toute façon, elle aurait droit à une énorme retenue sur son salaire pour le remboursement de ces fameuses marchandises qui ont été détruites. En clair, à vingt ans, sa vie été définitivement foutue en l’air. Elle ne s’en relèvera jamais.



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Le beau-frère, c’est le genre de type aussi sympa qu’imposant. Un mètre quatre-vingt quinze, cent-trente kilos de muscles ou presque ; il a bourlingué aux quatre coins du globe en tant que membre des forces spéciales dans l’armée. En clair, il a déroulé du câble, et ce n’est certainement pas cet emploi à la police municipale qui va lui faire peur !


Pourtant, ce soir-là, la forteresse est ébranlée. Je vois dans son regard une fureur inconnue à ce jour et qui ne demande qu’à exploser, doublée d’un profond désespoir. Je l’interroge ; il ne veut rien dire. Il n’est pas du genre à s’épancher. Ce n’est que quelques mois plus tard que je connaîtrai le fin fond de l’histoire.


Il est aux alentours de six heures ce soir-là lorsqu’une gamine d’environ dix ans se pointe à la permanence de la Police Municipale. D’origine marocaine, ses longs cheveux impeccablement tressés, la petite serait plutôt mignonne si elle n’avait pas un œil poché et la lèvre ouverte.



Évidemment, je passe sur le flot de larmes de la mouflette… Coup de fil au père qui ne répond pas, visite des condés municipaux au domicile : personne. Par contre, l’enquête de voisinage confirme les dires de la petite mais, étrangement, rien n’a jamais été fait.


Dès lors, que faire ? Renvoyer la mioche chez son paternel ? Non. Par contre, passer par l’hôpital pour que des constatations soient faites, c’est possible. Et après ? Impossible de l’hospitaliser, son cas n’est pas assez grave… Eh oui, parce qu’en droit français, la seule personne habilitée à placer en urgence un enfant est le procureur de la République. Or, cela tombe bien : le beauf et le proc s’entendent bien, au point d’avoir leur numéro de portable personnels.


Seulement, proc ou pas proc, on a le droit d’avoir une vie personnelle, et ce jour-là notre homme fait du squash. Son portable sonne, sonne, sonne encore mais ne répond pas. Que faire ? Emmener la gamine chez lui ? Là encore, c’est risqué : si le type porte plainte, le beauf aura tout gagné. Et pour bien qu’il invente quelques pseudos-actes pédophiles, alors là, ce serait la cerise sur le gâteau, quand bien même l’enquête ultérieure prouverait par A + B que tout est bidon. Salissez, salissez, il en restera toujours quelque chose.


19 heures arrivent, et là il ne reste plus qu’une solution : la confier à la police nationale qui, elle, a la possibilité de garder la petite le temps que son père vienne la chercher et que quelques questions concernant ses actes lui soient posées. Seulement, ça, c’est si monsieur le commissaire est d’accord…


19 h 10 : le procureur rappelle. Vu le cas, bien sûr qu’il est d’accord pour placer la petite, c’est évident ! Et où est-elle ? Eh bien, au commissariat… Eh bien non, la gamine n’est plus au commissariat puisque les condés ont eu l’idée géniale de la reconduire chez son paternel, et ce malgré le casier qu’il trimbale ! Grande idée…


Tellement grande d’ailleurs que l’on ne reverra jamais la petite ni son père, disparus dans la nature et probablement retournés au bled, d’après les voisins. Et dire qu’à dix minutes près, tout aurait pu être différent et la gamine aurait pu être sauvée…


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La petite Sophie a trois mois lorsqu’elle arrive chez Madeleine, dans ce que l’on n’appelle pas encore une famille d’accueil. La mère ? Elle est en prison. Le père ? Lui, par contre, s’est fait la belle bien avant que la môme ne vienne au monde.


Une enfance sans histoire, mais avec ce qui fait la force et la faiblesse du principe de la famille d’accueil : la gamine est considérée comme un autre enfant de la maison, avec des parents qui ne peuvent pas l’adopter puisque la mère n’est pas décédée et a décidé de garder ses droits sur sa fille.


Quinze ans se passent ; la mère réapparaît. Finie, la taularde alcoolo jusqu’aux oreilles : la dame se pointe en voiture de luxe et avec un manteau de vison. Elle s’excuse autant qu’elle le peut, explique qu’elle était partie à l’autre bout de la Terre, revient revoir sa fille plusieurs fois, s’épanche sur son mari plein aux as et j’en passe.



De toute façon, Madeleine ne peut pas s’y opposer : elle n’est pas sa mère, et puis pourquoi se méfierait-elle ? On a tous le droit de faire des erreurs dans sa jeunesse…


Le dimanche suivant, Sophie devait revenir par le train, mais elle n’est pas à la gare. L’a-t-elle raté ? Madeleine attend le second, puis le troisième, jusqu’à ce qu’il n’y ait plus de trains.

Deux jours plus tard, toujours personne. Elle va donc voir les gendarmes, qui prennent sa déposition sans s’y attarder, promettent de s’en occuper, mais ni Sophie ni sa vraie mère ne réapparaissent. Certes, la mother a effectivement habité pendant quelques mois dans le seizième, mais elle a disparu et personne n’a jamais vu Sophie.


Ce n’est que quelques mois plus tard que Madeleine reçoit la visite d’un de ses voisins : il a croisé Sophie à Paris… sauf qu’elle était en train de faire le tapin ! La gamine a reconnu le voisin, s’est précipité dans ses bras, l’a supplié de la sortir de là, d’aller voir les condés, de prévenir sa mère… L’ennui, c’est que deux types sont alors sortis de la pénombre et ont consciencieusement ravagé la gueule du voisin qui est resté deux semaines à l’hôpital.


Faisons court : Madeleine n’a jamais revu Sophie, et a fini par en mourir de chagrin. Quant aux flics, on se demande encore aujourd’hui si leur enquête a seulement jamais commencé.



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On est juste après la guerre… Avec son conjoint, Maryvonne tenait un tabac depuis des années lorsque son mari a été raflé et déporté en Allemagne sans que personne ne sache ni où ni pourquoi. Dès lors, que faire ? Eh bien, ce petit bout de femme d’un mètre cinquante, mère de deux enfants en bas âge, va gaillardement reprendre seule le commerce. Mais en vérité, a-t-elle le choix ? Les années passent, et bon an mal an le tabac continue d’exister, jusqu’à ce jour de janvier 1946 où deux types font irruption dans sa boutique :



Je ne vais pas m’étendre sur la situation ; tout le monde sait ce qui s’est passé dans ces années-là et ce qu’être déporté signifie. Cela fait des années qu’elle n’y croit plus, il ne reviendra jamais… Serait-ce un miracle ? Forcément, puisqu’on vous le dit !


Alors Maryvonne court, court, court à perdre haleine, faisant fi de la neige qui tombe et du froid qui s’abat sur elle. Mais à la gare, il n’y a personne… Aucun train venant d’Allemagne n’a été annoncé. C’est totalement dévastée et les yeux pleins de larmes qu’elle reprend le chemin de son commerce. Sauf que…


Dans sa précipitation, Maryvonne n’a pas refermé la porte du local où est stocké le tabac et, en cet immédiat après-guerre, il y en a pour une fortune.


La suite, vous la devinez : la pièce a été vidée du sol au plafond. Mais pour l’administration, Maryvonne a commis une faute grave. Aucune circonstance atténuante n’est retenue, son agrément et sa carotte lui sont retirés : elle ne pourra plus jamais exercer le métier de buraliste. Et, comme si cela ne suffisait pas, elle sera condamnée à rembourser l’ensemble du tabac, ce qui lui sera à tout jamais impossible.


Est-il indispensable de préciser que le mari de Maryvonne n’est jamais revenu ?



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Postambule


Ce texte – que j’ai écrit d’une traite – n’en est pas un : cela tient plus de la réaction épidermique que de la véritable histoire. Je l’ai d’ailleurs à peine relu ; je m’en excuse d’ailleurs auprès des correcteurs. Alors, pourquoi l’avoir écrit ? Juste pour dire qu’il est inutile de se creuser la tête pour pondre des récits imaginaires ronflants et censés illustrer la noirceur de l’âme humaine : il suffit de regarder autour de soi.


À titre personnel, je viens sur RVBB – j’y écris aussi de temps à autre – pour rêver, rire, trembler. Et même réfléchir, parfois. Si certains y viennent aussi pour s’astiquer, je ne leur jetterais certainement pas la première pierre… Mais, bon sang de bois, cessez de publier – et encore plus d’encenser – des récits capables de vous flinguer le moral pour des semaines !


À bon entendeur…