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n° 18631Fiche technique41597 caractères41597
Temps de lecture estimé : 25 mn
30/10/18
Résumé:  Les promesses sont-elles faites pour être tenues ?
Critères:  fh ff cérébral revede nostalgie portrait -couple -extraconj
Auteur : Jane Does      Envoi mini-message
Le secret d'Élyse

Les lignes électriques qui passaient là-bas à quelques centaines de mètres de la maison ressemblaient à des portées musicales. Les hirondelles ou les martinets, Élyse n’avait jamais su faire la différence, s’alignaient déjà en notes noires sur le fond du ciel gris. La femme soupira. L’automne serait sans doute précoce cette année, si les oiseaux se préparaient déjà à rejoindre des lieux plus chauds. D’un coup de sécateur sec, elle sectionna sans remords la tige d’une longue rose. Une seconde subit le même sort et finalement ces deux fleurs orneraient la table du déjeuner de ce midi.


Une épine sournoise vint comme pour se venger se ficher dans la peau de l’index de la femme d’une quarantaine d’années qui poussa un petit cri de douleur.



Une minuscule perle rouge pointa son nez à l’endroit de la blessure. Le doigt long et fin monta vers une bouche aux lèvres naturelles. Élyse revint vers la maison en frottant sa petite langue sur cette désagréable piqûre. Un soliflore au long cou se trouva d’un coup investi par les deux brins surmontés de leurs têtes empétalées. Les deux roses allaient encore garder fière allure quelques jours. Puis la blessée se dirigea vers sa salle de bains.


Elle ouvrit un tiroir, en extirpa un flacon au liquide translucide. Une autre grimace se fit jour alors qu’à l’aide d’un coton, elle frottait son doigt meurtri. Le désinfectant ferait son office et lui éviterait que cette piqûre ne s’infecte. Elle soupira une fois de plus et devant l’immense miroir qui couvrait la moitié d’un pan du mur de la salle d’eau, elle examina en détail le reflet. La moue que lui renvoyait la glace était presque risible. Elle songea une fois de plus qu’un régime serait bien nécessaire.


Mais entre le penser et le faire… il y avait tout un courage qui lui faisait défaut… pour le moment. La femme passa sa main valide dans sa tignasse brune, rejetant en arrière la masse compacte de tifs souples. Son front dégagé par ce simple mouvement apparut, barré d’une ride disgracieuse. Mais celle-ci disparut dès qu’Élyse arrêta de froncer les sourcils. Ouf ! Fausse alerte. Pourtant, au coin de ses yeux d’un vert brillant, de petites marques encore peu profondes, mais pour combien de temps encore ?


La robe de chambre, enfin la nuisette passée à la hâte sur un corps toujours ferme montrait par transparence une poitrine bien ronde, lourde, mais qui ne tombait pas, et un ventre plat qui se terminait par la jonction de deux jambes aux cuisses lisses et musclées. La quadra fit remonter un peu le voile diaphane de son déshabillé. Alors un pubis au buisson couleur de la chevelure fit comme une tache sur le reflet du miroir.



La voix venait de s’élever, claire et forte dans ce sanctuaire de la propreté et de la beauté de la maison nichée au pied de la montagne. La femme sourit à la pensée idiote qu’elle parlait toute seule. Et une autre idée lui traversa d’un coup l’esprit.





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Ce matin, pareil à tous les autres, Loïc était parti à son travail. Oh ! Pas bien loin, pas un long chemin, juste quelques kilomètres sur une route dont il connaissait chaque bosse, chaque trou. Pas un seul virage qui puisse le surprendre. Depuis vingt-deux ans, il faisait ces quelques bornes quatre fois par jour. Sauf les week-ends puisqu’il ne travaillait pas. La nuit avec Élyse restait au fond de son crâne. Un vrai régal, cette femme c’était sa vie. Il revivait dans sa tête les heures plutôt douces et tendres de la nuit, la fête de leurs deux corps si parfaitement synchronisés.


Élyse et lui, une histoire d’amour banale, une histoire pourtant qui durait depuis le même temps qu’il faisait ce trajet. Il songeait qu’il avait beaucoup de chance d’avoir croisé la route de son Élyse et qu’elle et lui, c’était encore si… chaud. Ses reins lui rappelaient cependant que toutes les folies d’alcôve se payaient cash au lever, avec l’âge. Mais il sourit de cette passion qui les avait encore réunis une bonne partie des heures sombres. Il aimait faire l’amour à cette diablesse qui le lui rendait point pour point.


Il songea un instant qu’un peu de musique serait un plus pour célébrer cette nouvelle journée qui avait si bien débuté. Il se pencha pour ouvrir le vide-poche de sa berline. Ses doigts attrapaient le boîtier de son CD préféré quand il releva la tête. Face à lui, l’ombre énorme d’un tracteur agricole se profilait à toute allure. Le pied de Loïc écrasa désespérément la pédale du frein. Un bruit atroce éclata dans la vallée. Et le silence qui suivit fut étouffant.


Élyse avait appris la nouvelle par deux gendarmes embarrassés. Les jours qui succédèrent à ce malheur, elle sembla inerte, comme morte de l’intérieur. Mais aucun de leurs amis ne manqua à l’appel et tous défilèrent pour la soutenir dans cette cruelle épreuve. Puis les jours passèrent sans qu’elle ne montrât une émotion particulière, elle restait vide de l’absence de cet homme qui avait emporté la moitié de sa vie. Elle survivait plus qu’elle ne vivait, désormais.




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Au bout de quelques mois, comme elle s’obstinait à ne plus sortir, à rester seule dans cette grande maison vide, les visites amicales s’espacèrent. Sans y prendre garde, elle se coupait du monde, pour s’emmurer dans un silence pesant. Seules les courses représentaient encore une nécessité et la sortie obligatoire qu’elles occasionnaient devenait un fardeau. Alors elle se fit livrer les produits de première nécessité, pour ne plus affronter les regards des autres.


Pourquoi voyait-elle de la pitié dans ces yeux qui se posaient sur elle ? Un grand mystère que celui de cette âme féminine insondable et petit à petit la chape de plomb de son obsession l’empêchait de vivre, d’affronter la réalité. Il lui était bien plus aisé de se traîner dans les pièces aux souvenirs, dans ce mausolée à la mémoire de cet homme qui l’avait abandonnée. Puis un matin, fiévreuse et à la limite de l’hystérie, elle se mit à parler à ce qui l’entourait.


La chaise où son mari prenait place, avant. Au salon aussi où ils avaient vécu tellement de beaux moments ; puis au lit qui avait connu leurs plus beaux ébats, là où si souvent ils avaient flâné… tout était sujet à le revoir, à lui dire des secrets que seuls des amants pouvaient entendre et comprendre. Son esprit torturé la rongeait de l’intérieur et insensiblement, elle s’enfonçait dans les méandres d’une folie ordinaire.


Son jardin pourtant trouvait grâce à ses yeux et là, bien à l’abri du monde, elle entretenait ses rosiers, ses légumes, les couvant de ses gestes si tendres dont personne ne bénéficiait plus. Jusqu’à ce fameux matin où l’épine fourbe vint perfidement se ficher dans sa chair. Puis le reflet du miroir qui était venu compléter un réveil plutôt brutal. L’image affichée, par le biais d’une toison abandonnée, parachevait le tableau de cette femme fanée. Elle se surprenait à se parler et la surface lisse et sans concession lui renvoyait une effrayante face d’elle-même.


Ce sursaut violent fit d’Élyse un pantin, une larme coula le long de sa joue, que d’un revers de main rageur elle essuya en reniflant.



Ces mots sonnaient dans la salle de bain avec une sorte d’écho dans le reste de la demeure. Alors, mue par une sorte de réflexe, la femme brune se débarrassa de ses oripeaux nocturnes pour se glisser sous le jet tiède d’une douche agréable. Le plaisir de l’eau, celui qu’elle prenait à seulement se couler sous la pomme dégoulinante, si longtemps oubliée, refaisait surface d’un coup. Elle terminait ses ablutions avant de se saisir d’une paire de ciseaux et d’un rasoir. Le moment de se réveiller avait donc sonné.




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Tout d’abord le blaireau mouillé tournoya dans le bol, sur la surface blanche d’un savon à barbe. Puis le pinceau vint par petites touches, noyer de mousse les poils que l’œil d’Élyse avait jugés disgracieux. Après plusieurs passages sur la toison aux reflets bruns, la lame du rasoir entra en action. Lentement, évitant les gestes trop brusques, pour ne pas se couper, la main officiait sur le pelage savonneux. Une longue traînée glabre se fit jour et tout doucettement l’endroit reprenait une forme maîtrisée. Celle d’un triangle bien dessiné.


Une fois cette géométrie retrouvée, la femme raccourcissait les mèches restantes à l’aide de ses ciseaux. Elle chassait aussi de son crâne un souvenir revenu là par quelque magie. Bien sûr, cette opération était auparavant effectuée par son Loïc et son ventre assimilait ce rasage à des images déjà vécues. Mais lui le faisait par jeu, et elle c’était bien par nécessité qu’elle s’y était attelée. Alors, devant son miroir, la touffe avait repris un aspect bien plus décent.


Élyse ensuite prit un soin tout particulier à nettoyer le lavabo devant lequel elle venait de se refaire une beauté. Dès qu’elle en eut terminé, son dressing la vit débouler. Cette fois pourtant, quelque chose de différent, un revirement à trois cent soixante degrés semblait s’opérer chez elle. Elle farfouilla un long moment dans une pile de culottes pour dénicher celle qui serait portée ce matin. Quand elle l’eut enfin en main, il lui restait encore à retrouver le soutien-gorge qui s’y mariait.


Le côté-penderie connut lui aussi, la frénésie passagère de la femme à la recherche de la jupe qui camouflerait ses fesses. Puis vint le tour d’un chemisier qui masquerait les fameux bourrelets entraperçus dans le miroir. Dès que tout fut réuni dans un ensemble cohérent sur son corps, la brune revint à la salle de bain. Une fois de plus l’image renvoyée lui faisait faire une sorte de grimace.



D’un geste plutôt rageur, elle fit blouser le chemisier trop tendu sur son ventre. Un régime s’imposait ! Les mains après cela s’attaquèrent à un ravalement de façade de circonstance. Un savant maquillage et soudain son visage devenait plus lumineux. Elle ne le jugea que moins terne. Dans la foulée, elle fit le tour de la maison. Toutes les fenêtres ouvertes laissaient revenir un soleil dont elle se cachait depuis trop de temps. Au garage, sa petite voiture eut quelques soubresauts avant de démarrer.


Il était temps de revivre. À l’extérieur les oiseaux voletaient, les gens allaient et venaient et Élyse comprenait qu’il lui fallait reprendre part à cette vie qu’elle avait trop mise entre parenthèses. C’était donc une femme nouvelle qui ce matin, prenait la direction du centre du village. Trois roses du jardin furent à nouveau la cible de son sécateur. Celles-ci étaient destinées à son Loïc, là-bas au grand dortoir. Elle irait lui rendre visite… lui dire que son deuil était en voie d’être terminé !




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Jeanne et Marc travaillaient d’arrache-pied depuis plus de vingt ans pour garder ouvert ce restaurant de montagne. Idéalement placé sur une route touristique, aux pieds des pistes de ski, le couple recevait l’été la clientèle de passage et l’hiver les vacanciers se livrant aux joies de la neige. Le lundi, c’était jour de relâche. Encore que, s’il n’ouvrait pas le restaurant, le couple avait mille tâches à accomplir. Seul coup de canif à leurs habitudes, une grasse matinée bien méritée. Et ma foi, l’humeur égrillarde de Marc plaisait bien à son épouse.


Il avait consacré un peu de son temps à des papouilles qui finalement dérivaient sur une partie de jambes en l’air dont elle n’avait rien refusé. La chambre à coucher en gardait jusqu’aux odeurs. Alors, vers les neuf heures du matin, Jeanne entreprit d’ouvrir en grand la fenêtre, histoire de dissiper ces vapeurs d’amour. Au loin une petite auto bleu nuit montait lentement. Et la restauratrice la vit bifurquer sur le parking de leur établissement. Elle s’apprêtait à crier à la femme qui s’extirpait du véhicule que c’était fermé.


Sa bouche se referma aussi vite qu’elle venait de s’ouvrir. Celle qui arrivait avait l’allure de son amie Élyse. Une amie qui depuis des mois s’était isolée dans un monde de souvenirs. Un univers où personne ne pouvait entrer. Alors, qu’en milieu de matinée la femme d’une quarantaine d’années débarqua de la sorte chez eux, ne pouvait que signifier que les ennuis aussi rappliquaient. Marc à la cuisine préparait le petit-déjeuner. Lorsque son épouse le rejoignit, il se trouva surpris de la petite phrase qu’elle lui lança.



L’homme releva la tête et scruta le visage de son épouse.



Jeanne venait de hausser les épaules. Inutile d’envenimer les choses. Elle avait au fond du crâne quelques images de ce gentil Loïc qui un soir de bringue l’avait serrée dans un petit coin. Élyse était à table avec leurs invités, Marc, lui, aux fourneaux comme d’habitude. Et le mari de cette brune qui déboulait chez eux lui avait volé un baiser. L’évocation de cette pelle remontait en elle avec un sentiment coupable. Personne ne saurait jamais… sauf elle désormais.


S’il avait insisté un peu, le coco aurait pu aller plus loin. Il émanait de cet homme quelque chose de malsain que les femmes aimaient, adoraient même et Jeanne ne faisait pas exception à la règle. Les lèvres douces qui s’étaient vautrées sur les siennes avaient chamboulé le bon ordre des choses. Mais par respect pour sa copine, la femme de ce sale type qui l’embrassait, elle l’avait repoussé. Il était revenu à la charge quelques instants plus tard. Et cette fois… encore, elle avait craqué. D’un bref mouvement, elle cherchait d’un coup à oublier ces images qui embrumaient son cerveau.


La sonnette grelottait sa musique fluette. D’un pas lent, Jeanne alla ouvrir à cette intruse qui n’était plus revenue ici depuis ce fameux dîner. Derrière le battant de chêne, la brune se tenait droite, pomponnée et presque fraîche. Rien de changé chez cette femme qui lui faisait face, sauf peut-être quelques kilos de trop. Mais ils ne juraient pas et ne transformaient pas vraiment la silhouette de son amie.



Les deux femmes étaient désormais à la porte de la cuisine. Marc se tenait debout proche de la table.



Marc regardait cette femme. Les paroles de Jeanne dansaient dans sa tête. Pourquoi diable avec une pareille nana dans son lit, Loïc aurait-il pris des maîtresses ? Mais il n’avait aucune raison de douter de son épouse. Seulement comment, elle qui ne sortait que très rarement pouvait elle connaître de pareils secrets sur leurs amis communs ? Leur boulot, le restaurant qu’ils tenaient les enfermait dans un carcan dont il était difficile de s’extirper.




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Ce petit-déjeuner d’automne avait pris un air de fête. Ces trois-là ressassaient bien des souvenirs disparates. Élyse semblait avoir passé le cap difficile de son veuvage. Elle mordait dans sa tartine de pain beurré et enduite de confiture avec un appétit féroce. Le goût des aliments n’avait plus tout à fait la même saveur alors qu’eux trois les prenaient bien entourés. Marc suivait des yeux son épouse et le comportement de celle-ci lui paraissait presque curieux. Dans sa voix, il décelait un malaise bien plus grand que dans celle de cette amie revenue.


Il se promettait bien, dès le départ de la brune de poser les bonnes questions. Plus il regardait Élyse, moins il comprenait les paroles de Jeanne. Loïc, un coureur ? Pas croyable cela et puis l’alarme qui avait fait hurler une sirène sous le crâne du restaurateur revenait, par intermittence lui rappeler les mots de sa belle. Y avait-il des histoires dont il n’avait pas eu connaissance ? Curieusement la sortie de leur amie coïncidait avec une série de doutes qui lui montait dans la tête. Jeanne depuis longtemps était son unique amour.


Les deux femmes discutaient de tout un tas de trucs bien étrangers au pauvre Marc. Mais il subodorait que c’était seulement pour masquer le fond d’un problème bien plus profond. Du reste, lorsqu’Élyse prit congé de ses amis, il perçut une sorte de soulagement chez sa femme. Bille en tête, il attaqua immédiatement.



Pour Jeanne, un flot de sentiments extrêmement désagréables lui revenait en mémoire. D’abord celui de n’avoir pas vraiment lutté contre la douceur de deux baisers volés. Puis un autre plus insidieux, celui sans doute de n’avoir pas osé y succomber totalement. Et avec ce dernier, un goût amer dans la bouche. Elle n’avait jamais plus retrouvé dans ceux distillés par son mari, ce miel qui lui avait coulé dans la gorge… après ces pelles de Loïc. Mais surtout, il restait cette sensation frustrante que plus jamais elle ne saurait si le reste se serait montré encore meilleur.


Mais cela, jamais elle ne l’avouerait à son Marc ce qui la secouait si intérieurement alors que l’épouse de leur ami revenait dans leur vie. Pas besoin de lui faire une peine inutile. Mais ce diable de type, coureur de jupons l’avait pervertie plus qu’elle ne l’aurait pensé. Depuis cette affaire, les rapports avec son homme n’avaient pas retrouvé ce piment complexe qui seyait à une harmonie parfaite entre époux. Et elle s’était juré que si d’aventure… un autre l’embrassait de pareille manière, eh bien… elle irait cette fois jusqu’au bout. Pour simplement voir si le pré du voisin serait plus vert que son pâturage habituel.


Alors cette arrivée matinale, venait de rouvrir la blessure. Jeanne avait aussi l’impression très nette qu’Élyse la troublait sans trop en trouver la raison. Ce que Marc prenait pour de la jalousie ne se présentait en fait qu’être une sorte de défense contre ce qui s’avérait dans la tête de sa femme comme une agression. Pas au sens usuel du terme, non ! Seulement les formes et une certaine aura bien inconsciente d’Élyse, faisaient que d’emblée, elle s’était comme pour les deux baisers de son défunt mari, sentie attirée. Et pour elle… qu’une femme lui fasse un tel effet restait inconcevable.


S’en ouvrir à quiconque ne serait-ce pas déboucler une serrure hermétiquement close ? Et puis qui savait ce qui pourrait résulter d’une telle exposition au grand jour d’un petit travers de midinette ? La décence interdisait dans leur monde ce genre de frasques. Mais ce que ses sens avaient perçu lui collait à la peau, et elle ne pouvait, ne voulait pas en faire état. Il lui fallait donc trouver une explication plus rationnelle pour l’esprit cartésien de son Marc. Pourtant lui se montrait plus perspicace qu’elle ne l’aurait cru. Il revenait à la charge, presque lourdement.



Cette fois, il dépassait les bornes. La colère en elle enflait au point de faire exploser la cocotte-minute. La femme qui lui faisait face, Marc ne la reconnaissait plus tout à fait. Si elle avait bien les traits de son épouse, sur son visage aussi se lisait une rage froide. Elle ouvrit la bouche, comme pour aspirer une goulée d’air. Il sut d’un coup qu’elle allait lui faire mal. Mal avec les mots ! Et froidement, cyniquement, elle lui décocha sa flèche. Sa voix ne tremblait plus, déterminée, glaciale.





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Bien loin de se douter de l’orage qu’elle avait déclenché, Élyse était rentrée dans un premier temps chez elle. Son passage chez ses amis lui avait fait un énorme bien. Elle avait bien remarqué les regards appuyés de l’épouse de Marc. Une jalousie latente peut-être envers elle qui maintenant se trouvait être libre ? Elle pouvait se rassurer, Marc et elle ne seraient jamais que des amis. Si elle avait envie d’un homme, elle ne piocherait pas dans le cheptel des gens mariés. De toute manière, ses envies de renouveau n’allaient pas aussi vite que cela.


Elle se ravisa et décida que rester enfermée n’était assurément pas le mieux à faire pour renaître. Alors elle reprit la route et fila vers le cinéma où une foule grouillante attendait l’ouverture des salles pour les séances de quinze heures. Elle opta pour un film relativement comique. Après tout, une tranche de rigolade ne pouvait que la dérider. Et puis, il y avait si longtemps qu’elle n’avait pas ri. Comme des dizaines d’autres personnes, elle faisait le pied de grue dans une longue file d’attente. Il y avait de tout dans ces gens qui patientaient. Et en se retournant machinalement, ses yeux accrochèrent une silhouette familière ou du moins connue.


Elle n’en croyait pas ses quinquets. Son amie Jeanne aussi se tenait debout dans la queue qui espérait l’ouverture de la salle où allait être projetée une histoire désopilante. Celle d’un postier du sud expédié dans le nord… avec des rebondissements plutôt drôles. Mue par elle ne savait quel réflexe, Élyse reflua vers cette femme qui ne l’avait visiblement pas vue. La brune, en même temps, cherchait des yeux la carrure imposante de la deuxième pièce du couple. Marc ne devait pas se trouver bien loin. Quand elle la reconnut enfin, la restauratrice eut comme un sursaut.



Les images sur la toile avaient d’un coup perdu de leur charme. Les paroles d’Élyse accrochées au fond du crâne de Jeanne résonnaient d’une bien étrange lumière. Si elle savait, pourquoi n’en avait-elle rien laissé paraître ? Son mâle emballait tout ce qui bougeait et elle trouvait cela quasiment normal ? Quelque chose ne fonctionnait pas clairement dans l’esprit de cette femme ? Puis au fil des secondes, Jeanne se mit à réfléchir. Il fallait à cette brune une sacrée dose d’amour pour avoir subi ces coups de canif dans le contrat. Pas sûr qu’elle y serait parvenue avec une aussi grande désinvolture.


Alors que pouvaient cacher les paroles de la veuve ? Quel secret Élyse et son défunt mari partageaient-ils ? La curiosité l’emportait sur l’attrait du message délivré par Kad et Dany, par écran interposé. Elle tournait fréquemment la tête vers celle qui se trouvait plongée dans les rires et l’histoire de ces facteurs cocasses. Et ce visage qui s’éclairait d’un éclat tout nouveau, sans aucune ambiguïté reflétait bien plus de calme que le sien. Elle voulait savoir et se faisait violence pour ne pas questionner son amie là, tout de suite, au milieu de ces spectateurs qui eux aussi riaient aux éclats.


Il lui fallut un certain courage pour patienter encore. Mais le générique de fin défilait à peine que les deux femmes debout avançaient dans l’allée principale pour regagner la sortie que Jeanne invitait son amie à prendre un pot.



Le sourire sur les lèvres d’Élyse montrait ses dents blanches bien rangées. C’était plus un rictus qu’une réelle risette de moquerie. Ensuite, les deux femmes avaient regagné leur voiture respective et elles s’étaient rendues chez la veuve. C’était vrai que si rien n’avait changé chez elle, la poussière sur les meubles donnait un air d’abandon à tous ceux-ci. Sur une commode dans le salon, la photo d’un Loïc rieur restait cependant une trace intangible de son passage ici.



Les deux verres d’une boisson ambrée tenus par leurs mains minuscules, l’une attendait les mots que l’autre avait du mal de sortir de sa gorge. Élyse se racla une énième fois le gosier avant d’attaquer enfin.



Élyse regardait cette Jeanne qui en proie à un conflit intérieur avait des tics. Son visage crispé, elle crachait ses mots avec une hargne qui la rendait hideuse.



Jeanne avait simplement baissé la tête sans répondre. Puis elle avait, d’une voix un peu plus grave, posé une seule question :